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05/07/2024 | FRANCE | N°22/02163

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 05 juillet 2024, 22/02163


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 5 JUILLET 2024









N° RG 22/02163 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MV2S









S.A. BANQUE CIC SUD OUEST



c/



Monsieur [C] [Y]

S.A.S. GROUPEMENT D'ETUDES ELECTROTECHNIQUES (GRETEL)























Nature de la décision : AU FOND































Grosse délivrée le :



aux avocats



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 mars 2022 (R.G. 2021F01338) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 03 mai 2022





APPELANTE :



S.A. BANQUE CIC SUD OUEST, agissant poursuites et dili...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 5 JUILLET 2024

N° RG 22/02163 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MV2S

S.A. BANQUE CIC SUD OUEST

c/

Monsieur [C] [Y]

S.A.S. GROUPEMENT D'ETUDES ELECTROTECHNIQUES (GRETEL)

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 17 mars 2022 (R.G. 2021F01338) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 03 mai 2022

APPELANTE :

S.A. BANQUE CIC SUD OUEST, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

Représentée par Maître Carolina CUTURI-ORTEGA de la SCP JOLY CUTURI WOJAS REYNET- DYNAMIS AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Alexandra VEILLARD, avocat au barreau de NANTES

INTIMÉS :

Monsieur [C] [Y], né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 4], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]

S.A.S. GROUPEMENT D'ETUDES ELECTROTECHNIQUES (GRETEL), prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 5]

Représentés par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Paul MALLET, avocat au barreau de TOULOUSE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 mai 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

La société par actions simplifiée Groupement d'Études Électrotechniques, présidée par Monsieur [C] [Y] a pour activité la recherche et l'exploitation de tous brevets et inventions concernant l'électrotechnique et la fabrication et la vente de matériels électrotechniques et toutes opérations financières s'y rattachant.

Cette société a ouvert un compte courant professionnel dans les livres de la société anonyme Banque CIC Sud Ouest le 30 septembre 2010 et a conclu un contrat lui permettant l'utilisation de services bancaires dématérialisés.

Entre le 5 et le 25 mai 2021, douze ordres de paiement dématérialisé au débit du compte courant de la société Groupement d'Études Électrotechniques ont été donnés à la société Banque CIC pour un montant total de 892.894,48 euros.

Le 2 juin 2021, la société Groupement d'Études Électrotechniques a déposé plainte contre X pour escroquerie.

Le 15 juillet 2021, la société Groupement d'Études Électrotechniques a mis en demeure la société Banque CIC de lui verser une somme de 922.894,48 euros en remboursement des sommes débitées de son compte courant et en indemnisation de ses préjudices annexes.

A la suite du refus de la société Banque CIC exprimé par courrier du 6 août 2021, la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] ont, le 25 novembre 2021, fait signifier une assignation à comparaître à bref délai à la Banque CIC du Sud Ouest devant le tribunal de commerce de Bordeaux, ce aux fins de paiement de diverses sommes.

Par jugement prononcé le 17 mars 2022, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :

- condamne la société Banque CIC Sud Ouest à payer à la société Groupement d'Études Électrotechniques la somme de 670.010,25 euros outre intérêt au taux légal à compter de la signification de la présente décision ;

- ordonne l'anatocisme ;

- condamne la société Banque CIC Sud Ouest à payer à Monsieur [C] [Y] la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice moral ;

- condamne la société Banque CIC Sud Ouest à payer à la société Groupement d'Études Électrotechniques et Monsieur [C] [Y] la somme globale de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que l'exécution provisoire est de droit sans constitution de garantie ;

- déboute la société Groupement d'Études Électrotechniques du surplus de ses demandes ;

- condamne la société Banque CIC Sud Ouest aux dépens.

La société Banque CIC Sud Ouest a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 3 mai 2022.

La société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] ont formé un appel incident.

Par ordonnance en date du 7 juillet 2022, le premier président de la cour d'appel de Bordeaux a, principalement, débouté la société Banque CIC Sud-Ouest de sa demande tendant au prononcé de l'arrêt de l'exécution provisoire et subsidiairement à l'autorisation de consignation du montant des condamnations sur le compte séquestre du Bâtonnier de l'ordre des avocats de Toulouse.

***

Par dernières conclusions notifiées le 21 mai 2024, la société Banque CIC du Sud Ouest demande à la cour de :

Vu l'article 1937 du code civil,

Vu l'article L. 133-7 du code monétaire et financier,

Vu l'article L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier,

Vu les articles L. 133-23, L. 133-4, L. 133-6, L. 133-7, L. 133-13, L. 133-21 et L. 133-17 du code monétaire et financier,

Vu l'article 1231-1 du code civil,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 17 mars 2022 en ce qu'il a :

-condamné la société Banque CIC Sud Ouest à payer à la société Groupement d'Études Électrotechniques la somme de 670.010,25 euros outre intérêt au taux légal à compter de la signification de la décision,

-ordonné l'anatocisme,

-condamné la société Banque CIC Sud Ouest à payer à Monsieur [C] [Y] la somme de 2.000 euros au titre de son préjudice moral,

-condamné la société Banque CIC Sud Ouest à payer à la société Groupement d'Études Électrotechniques et Monsieur [C] [Y] la somme globale de 4.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

-dit que l'exécution provisoire était de droit sans constitution de garantie,

-débouté la société Groupement d'Études Électrotechniques du surplus de ses demandes,

-condamné la société Banque CIC Sud Ouest aux dépens ;

Statuant à nouveau,

I. Sur les demandes de la Société Gretel et M. [Y] au titre de la responsabilité de plein droit de la Banque CIC sud ouest

Vu les articles L 133-7 et L. 133-18 du code monétaire et financier,

Vu l'article 1937 du code civil,

- juger que les 12 opérations de virement initiées par Mme [D] et la société Groupement d'Études Électrotechniques constituent des opérations autorisées ;

- juger que la société Groupement d'Études Électrotechniques ne peut cumuler les deux régimes de responsabilité ;

- juger que les dispositions des articles 1937 du code civil, L. 133-7 du code monétaire et financier, L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier n'ont pas vocation à s'appliquer ;

- débouter la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions formées à l'encontre de la Banque CIC Sud-Ouest, tant à titre principal que subsidiaire ;

II. Sur les demandes de la Société Gretel et de M. [Y] au titre de la responsabilité contractuelle de droit commun et de l'obligation de vigilance de la banque

A titre principal,

Vu l'article 1231-1 du code civil,

- juger que la société Banque CIC Sud Ouest n'était pas tenue à une obligation de vigilance à l'égard de la société Groupement d'Études Électrotechniques dès lors que les 12 opérations de virement initiées entre le 5 et le 25 mai 2021 n'étaient pas anormales ;

- juger que la société Groupement d'Études Électrotechniques, son dirigeant et sa secrétaire comptable ont fait preuve de négligences graves et fautives qui sont à l'origine du préjudice subi par la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] ;

- débouter la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions formées à l'encontre de la société Banque CIC Sud Ouest ;

A titre subsidiaire,

Vu l'article 1231 du code civil,

- juger que la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] ne justifient pas d'un préjudice indemnisable et que leurs demandes indemnitaires ne sont pas justifiées ;

- juger que la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] ne justifient pas d'un lien de causalité certain et direct ;

- débouter la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions formées à l'encontre de la société Banque CIC Sud Ouest ;

III. En tout état de cause

- débouter la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions formées à l'encontre de la société Banque CIC Sud Ouest ;

- débouter la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] de leur appel incident ;

- condamner in solidum la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] à payer à la société Banque CIC Sud Ouest une somme de 15.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner in solidum la société Groupement d'Études Électrotechniques et M. [Y] aux dépens de première instance et d'appel.

***

Par dernières écritures notifiées le 22 mai 2024, la société Groupement d'Études Électrotechniques et Monsieur [C] [Y] demandent à la cour de :

Vu les articles L.133-18 et suivants du code monétaire et financier,

Vu les articles 1932, 1937 et suivants du code civil,

Vu l'article 1344-1 du code civil,

Vu l'article 1343-2 du code civil,

Vu les articles 1231-1 et suivants du code civil,

Vu les articles 1240 et suivants du code civil,

Vu les articles 840, 856, 858, 874 et 875 du code de procédure civile

Vu les articles 908 et suivants du code de procédure civile,

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter la société Banque CIC Sud Ouest de son appel principal ;

- confirmer le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Bordeaux le 17 mars 2022 en ce qu'il a :

-retenu la responsabilité de la société Banque CIC Sud Ouest,

-ordonné l'anatocisme ;

- accueillir l'appel incident de la société Groupement d'Études Électrotechniques et de M. [Y] ;

- réformer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 17 mars 2022 ;

- condamner la société Banque CIC Sud Ouest à verser la somme de 892.894,48 euros à la société Groupement d'Études Électrotechniques avec intérêts moratoires au taux légal à compter de l'envoi de la mise en demeure en date du 15 juillet 2021 ;

- condamner la société Banque CIC Sud Ouest à régler la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts à la société Groupement d'Études Électrotechniques pour résistance abusive avec intérêts moratoires au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

- condamner la société Banque CIC Sud Ouest à régler la somme de 30.000 euros à la société Groupement d'Études Électrotechniques en réparation de son préjudice moral et d'image avec intérêts moratoires au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

- condamner la société Banque CIC Sud Ouest à régler la somme de 30.000 euros à M. [Y] en réparation de son préjudice moral et d'image avec intérêts moratoires au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

- condamner la société Banque CIC Sud Ouest à régler la somme de 20.000 euros à la société Groupement d'Études Électrotechniques et à M. [Y] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ce pour frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, ainsi qu'aux dépens.

***

La clôture des débats, initialement fixée au 8 mai 2024, a été reportée au 22 mai suivant.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. Sur la responsabilité de plein droit de la société Banque CIC

1. L'article L.133-18 du code monétaire et financier, dans sa version applicable au litige, dispose :

« En cas d'opération de paiement non autorisée signalée par l'utilisateur dans les conditions prévues à l'article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l'opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l'opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s'il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l'utilisateur du service de paiement et s'il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu.

Lorsque l'opération de paiement non autorisée est initiée par l'intermédiaire d'un prestataire de services de paiement fournissant un service d'initiation de paiement, le prestataire de services de paiement gestionnaire du compte rembourse immédiatement, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, au payeur le montant de l'opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l'état où il se serait trouvé si l'opération de paiement non autorisée n'avait pas eu lieu. La date de valeur à laquelle le compte de paiement du payeur est crédité n'est pas postérieure à la date à laquelle il avait été débité.

Si le prestataire de services de paiement qui a fourni le service d'initiation de paiement est responsable de l'opération de paiement non autorisée, il indemnise immédiatement le prestataire de services de paiement gestionnaire du compte, à sa demande, pour les pertes subies ou les sommes payées en raison du remboursement du payeur, y compris le montant de l'opération de paiement non autorisée.

Le payeur et son prestataire de services de paiement peuvent décider contractuellement d'une indemnité complémentaire.»

L'article 1937 du code civil énonce :

« Le dépositaire ne doit restituer la chose déposée qu'à celui qui la lui a confiée, ou à celui au nom duquel le dépôt a été fait, ou à celui qui a été indiqué pour le recevoir.»

2. Au visa de ces textes, la société Banque CIC Sud Ouest fait grief au jugement déféré de l'avoir condamnée à payer à la société Groupement d'Études Électrotechniques (ci-après Gretel) la somme de 670.010,25 euros à titre principal.

L'appelante explique que le régime de la responsabilité de plein droit du banquier au titre des opérations de paiement non autorisées n'est pas applicable en l'espèce puisque c'est la comptable de l'entreprise qui a elle-même procédé aux opérations discutées, de surcroît en les authentifiant avec un système de sécurité renforcée.

La société Banque CIC Sud Ouest ajoute que cette préposée a agi dans le périmètre de sa délégation, qui ne prévoyait pas de plafond de paiement et qui l'autorisait à procéder à des paiements par voie dématérialisée vers des comptes bancaires français.

3. L'intimée répond que Mme [D], secrétaire comptable, ne détenait pas de procuration sur le compte de la société et n'apparaissait pas commune personne habilitée, de sorte que les paiements litigieux qu'elle a diligentés doivent être qualifiés d'opérations non autorisées qui entrent dans le champ de la responsabilité de plein droit de la banque.

La société Gretel soutient en conséquence que l'appelante est tenue de procéder au remboursement de la totalité des sommes considérées, non d'une partie d'entre elle comme l'a retenu à tort le premier juge.

Sur ce,

4. Il est constant en droit que, dès lors que la responsabilité d'un prestataire de services de paiement est recherchée en raison d'une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée, seul est applicable le régime de responsabilité défini aux articles L.133 -18 à L.133 -24 du code monétaire et financier, qui transposent les articles 58, 59 et 60, § 1, de la directive 2007/64/CE, cela à l'exclusion de tout régime alternatif de responsabilité résultant du droit national.

Les articles L.133-18 et suivants du code monétaire et financier énoncent que, en cas d'opération de paiement non autorisée, le client est en droit d'obtenir le remboursement des sommes considérées, sauf si le banquier rapporte la preuve de la négligence grave de ce client, la seule utilisation de l'instrument de paiement et des données personnelles n'en étant pas constitutive.

Ainsi, dès lors que le payeur prétend qu'il n'a pas donné son consentement à l'opération litigieuse, le prestataire de services de paiement, qui entend faire supporter à l'utilisateur d'un instrument de paiement doté d'un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L.133 -16 et L.133-17 du code monétaire et financier, doit également rapporter la preuve que l'opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et quelle n'a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

Enfin, puisque l'article L.133-6 du code monétaire et financier précise que l'opération autorisée est celle pour laquelle le payeur a donné son consentement à son exécution, il est de principe que l'on est en présence d'une opération non autorisée dès l'instant où le titulaire des comptes conteste être l'auteur du ou des ordres de paiement litigieux.

5. En l'espèce, la société Gretel fait valoir qu'elle n'a pas consenti aux 12 ordres de paiement litigieux en ce que la préposée qui y a procédé n'aurait pas été investie d'une habilitation en ce sens ; l'intimée se place d'ailleurs expressément dans le champ d'application des textes relatifs à la responsabilité de plein droit du prestataire de services de paiement.

6. A cet égard, les éléments produits aux débats mettent en évidence le fait que Mme [D], secrétaire comptable au sein de la société Gretel, a bénéficié d'une part de la mise à disposition le 28 janvier 2020 du système de sécurisation 'Safetrans', d'autre part d'une délégation aux fins de réalisation d'un certain nombre d'opérations bancaires pour le compte de la société.

Les 12 ordres de virement réalisés par Mme [D] ont été émis au bénéfice d'un établissement situé en France, ainsi qu'il résulte des quatre premiers identifiants de l'IBAN renseigné par la préposée, soit FR76.

Mme [D] n'a donc pas outrepassé les limites de sa délégation, puisqu'elle n'était autorisée qu'à réaliser des 'virements externes nationaux'.

7. Il en résulte que la société Gretel n'est pas fondée à soutenir que les virements ici examinés, exécutés par sa préposée, sont des opérations de paiement non autorisées au sens de l'article L.133-18du code monétaire et financier.

2. Sur la responsabilité de droit commun de la société Banque CIC

8. La société Banque CIC rappelle qu'il est de principe que les régimes de responsabilité de plein droit et de droit commun ne peuvent être cumulés, ce qui ne peut conduire qu'à l'infirmation du jugement déféré.

L'appelante ajoute que le premier juge a retenu à tort un manquement à un devoir de contrôle qui n'existe pas, alors au surplus que le banquier est débiteur d'une obligation générale de non immixtion, laquelle ne cède qu'en cas d'anomalie flagrante et apparente dans le fonctionnement du compte, ce qui n'est pas ici établi, les manquements de la société Gretel, de son dirigeant et de Mme [D] constituant les causes exclusives de la fraude subie.

9. Les intimés répliquent que la société Banque CIC n'a pas respecté son devoir de vigilance alors que les opérations litigieuses étaient de nature à l'alerter comme étant inhabituelles à plusieurs égards.

La société Gretel et M. [Y] font valoir que cette situation aurait dû conduire la banque à vérifier auprès du chef d'entreprise l'authenticité des opérations en question, ce qui aurait mis fin à l'escroquerie et aurait permis le rapatriement des fonds virés en France puis en Belgique.

Les intimés ajoutent que Mme [D] n'a commis aucune faute puisqu'elle a été trompée par le fait que le fraudeur a fait usage de l'adresse électronique du représentant légal de la société.

Sur ce,

10. Il doit tout d'abord être observé que la société Gretel ne poursuit pas la responsabilité de la société Banque CIC en se fondant à la fois sur le régime exclusif des articles L. 133-18 et suivants du code monétaire et financier et sur le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun. En effet, les dernières conclusions de l'intimée développent une motivation tournée vers la démonstration au principal de l'application du régime spécial de responsabilité et au subsidiaire de la responsabilité de droit commun, contractuelle et extracontractuelle.

Il convient donc d'examiner l'argumentation de la société Gretel à ce titre.

11. Mme [D], secrétaire comptable de la société Gretel a émis les douze ordres de virement externe suivants :

- 73.911,77 euros le 5 mai 2021,

- 74.976,34 euros le 6 mai 2021,

- 73.996,12 euros le 7 mai 2021,

- 74.001,18 euros le 10 mai 2021,

- 73.983,24 euros le 11 mai 2021,

- 74.508,66 euros le 12 mai 2021,

- 73.814,20 euros le 14 mai 2021,

- 74.991,12 euros le 17 mai 2021,

- 74.664,26 euros le 18 mai 2021,

- 74.993,73 euros le 19 mai 2021,

- 74.054,19 euros le 20 mai 2021,

- 74.999,67 euros le 25 mai 2021.

12. Le premier de ces ordres de virement a fait l'objet d'une demande de confirmation de la société Banque CIC, de sorte que l'appelante ne peut être recherchée à ce titre.

13. Par ailleurs, l'examen des documents bancaires produits par la société Gretel pour la période de mai 2017 à mai 2021 met en évidence le fait que l'intimée était susceptible de procéder, au débit de son compte ouvert dans les livres de la société Banque CIC, à des virements externes pour des montants de 39.984,82 euros (3 mai 2017), 26.295,60 euros (30 mai 2018), 41.777,27 euros (6 mai 2019), les autres virements supérieurs à ces sommes étant expressément destinés au paiement des salaires, à un compte de la société Gretel ouvert au sein d'une autre banque ou à un acompte sur le paiement de l'impôt sur les sociétés.

Or les ordres de paiement litigieux ont été supérieurs aux paiement habituellement réalisés par la société intimée et émis à des dates très rapprochées.

14. C'est donc par des motifs pertinents, qui ne sont pas remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, que le tribunal de commerce a pu considérer que les trois premiers virements s'inscrivaient dans un volume d'affaires courant, ces virements ayant été réalisés par une personne habilitée qui avait confirmé la validité du premier virement, mais que la répétition des virements suivants aurait dû conduire la société Banque CIC à s'assurer auprès du représentant légal de sa cliente de la validité de ces opérations inhabituelles.

La cour ajoute qu'une telle répétition en un temps très bref d'ordres de paiement pour des montants plus importants que la moyenne des opérations bancaires réalisées par la société Gretel constituait une anomalie apparente qui devait alerter l'appelante dont la faute extracontractuelle est dès lors établie.

15. Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Banque CIC à payer à la société Gretel la somme de 670.010,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du jugement et anatocisme.

3. Sur les demandes accessoires

16. A.] La société Gretel fait grief au jugement déféré d'avoir rejeté sa demande en dommages et intérêts pour résistance abusive.

L'intimée rappelle que la résistance abusive représente la contrainte pour le demandeur d'agir en justice pour faire valoir ses droits à la suite de l'attitude abusive d'un particulier ou d'une société, qui a refusé d'accéder à ses prétentions.

La société Gretel soutient qu'il est parfaitement établi que l'appelante connaissait la règle de droit et ses applications jurisprudentielles et se devait donc de rembourser les sommes détournées et à minima de lui faire des propositions compte tenu de leurs relations contractuelles très anciennes.

17. Toutefois, il faut relever que les ordres de virement ici examinés ont été établis dans des circonstances particulières puisque la comptable de l'entreprise a utilisé, pour y procéder, un système de sécurisation par authentification des opérations financières dématérialisées. La résistance abusive de l'établissement bancaire n'est donc pas démontrée, de sorte que le jugement déféré sera confirmé à cet égard.

18. B.] L'intimée reproche également au tribunal de commerce de l'avoir déboutée de sa demande en indemnisation de son préjudice moral et d'image.

19. Toutefois, le premier juge, qui a souligné que la très importante perte de trésorerie de l'entreprise avait été une épreuve sérieuse compte tenu de la nécessité pour celle-ci de continuer à honorer ses obligations de paiements courants, a retenu à juste titre qu'il n'était pas établi que l'image de la société Gretel en avait été durablement affectée, ni que la démission de M. [X], salarié monteur câbleur, serait la conséquence de cet événement, les termes de sa lettre de démission n'étant pas explicites à cet égard.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

20. C.] L'appelante discute sa condamnation à indemniser le préjudice moral de M. [Y] en expliquant que sa responsabilité ne peut être engagée à ce titre puisque le préjudice moral du chef d'entreprise est le fruit du comportement des fraudeurs, de sorte que le lien de causalité entre le comportement de la banque et le préjudice allégué par M. [Y] fait défaut.

21. L'intimé fait de son côté grief au premier juge de ne pas l'avoir indemnisé à hauteur de la somme de 30.000 euros qu'il réclamait.

22. A cet égard, l'événement subi par M. [Y], représentant légal de la société Gretel, a nécessairement été source d'un préjudice moral, compte tenu de la grande inquiétude générée par la perte de trésorerie objet du litige sur l'avenir de son entreprise. Toutefois, ce préjudice moral résulte directement essentiellement de la fraude dont sa société a été la victime et plus incidemment du comportement de la banque.

23. Le jugement déféré doit donc être confirmé à ce titre, ainsi qu'en ce qu'il a condamné la société Banque CIC à payer les dépens de première instance et à verser à la société Gretel et à M. [Y] la somme globale de 4.000 euros.

Y ajoutant, la cour condamnera l'appelante à payer les dépens de la procédure d'appel et à verser aux intimés la somme globale de 5.000 euros en indemnisation des frais irrépétibles de ceux-ci.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement prononcé le 17 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux.

Y ajoutant,

Condamne la société Banque CIC Sud Ouest à payer à la société Groupement d'Études Électrotechniques et à Monsieur [C] [Y] la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Banque CIC Sud Ouest à payer les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame Sophie MASSON, conseiller, en remplacement de Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président légitimement empêché, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Magistrat


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/02163
Date de la décision : 05/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-05;22.02163 ?
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