COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 02 JUILLET 2024
N° RG 23/04906 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NPRW
Société MACQUARIE EURO LIMITED
c/
S.E.L.A.R.L. [J] [C]
S.E.L.A.R.L. EKIP'
SELARL AJASSOCIES
SCP CBF ASSOCIES
S.N.C. [Localité 7] REINE 74
Nature de la décision : TIERCE OPPOSITION
Notifié par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 octobre 2023 (R.G. 2023L00749) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 30 octobre 2023
APPELANTE :
Société MACQUARIE EURO LIMITED, private limited company de droit anglais, enregistrée sous le numéro 07713808 auprès du Companies House anglais, prise en la personne de son représentant légal domicilié au siège social sis [Adresse 8] (ROYAUME UNI)
Représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Olivier PUECH avocat au barreau de PARIS
INTIMÉES :
S.E.L.A.R.L. EKIP', ès-qualités de mandataire judiciaire de la SNC [Localité 7] REINE 74, désignée à ses fonctions par jugement du Tribunal de Commerce de BORDEAUX rendu le 18 octobre 2023, domiciliée en cette qualité [Adresse 3]
Représentée par Maître Valerie CHAUVE substituant Maître Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
SELARL AJASSOCIES, en qualité d'administrateur judiciaire de la SNC [Localité 7] REINE 74, prise en la personne de Maître [F] [Z], domicilié en cette qualité [Adresse 1]
SCP CBF ASSOCIES, prise en la personne de Maître [G] [P] en qualité d'administrateur judiciaire de la SNC [Localité 7] REINE 74, domicilié en cette qualité [Adresse 5]
Représentées par Maître Claire LE BARAZER de la SELARL AUSONE AVOCATS avocat au barreau de BORDEAUX, et assistées de Maître Bernard QUESNEL, avocat au barrreau de BORDEAUX
S.N.C. [Localité 7] REINE 74, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 4]
Représentée par Maître Hélène SEURIN de la SCP DACHARRY & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Baptiste de FRESSE DE MONVAL de la SELAS OPLUS, avocat au barreau de PARIS
INTERVENANTE VOLONTAIRE :
S.E.L.A.R.L. [J] [C], prise en la personne de Maître [J] [C], ès-qualité de mandataire judiciaire de la SNC [Localité 7] REINE 74, domiciliée en cette qualité [Adresse 2], en remplacement de la SELARL FIRMA, précédemment désignée
Représentée par Maître Valerie CHAUVE substituant Maître Olivier BOURU, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
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EXPOSE DU LITIGE:
Le groupe Macquarie a apporté des financements à la société FIB en vue de l'acquisition de biens immobiliers par cette dernière.
Par convention de crédit du 2 mai 2018 ayant donné lieu à une modification par avenant le 6 août 2019, la société Macquarie Bank International Limited, société du groupe Macquarie, désormais dénommée Macquarie Ropemaker Limited a consenti des prêts à terme à des sociétés du groupe FIB (Foncière immobilière bordelaise) pour un montant total de 70.700.000 euros, aux fins de refinancement des dettes d'acquisition des actifs immobiliers détenus par ces sociétés.
La SNC [Localité 7] Reine 74, filiale de la société Financière Immobilière bordelaise (FIB) est une société foncière propriétaire d'un ensemble immobilier sis au [Adresse 6].
Le contrat de crédit a prévu que le principal des prêts A, B et C serait pour l'essentiel remboursé à échéance du 3 mai 2022. Le prêt D devait être remboursé au plus tard 9 mois après la conclusion de l'avenant signé le 6 août 2019, soit le 6 mai 2020.
Dans le cadre du contrat de crédit, la société Macquarie Euro limited a été désignée en qualité d'agent des sûretés du prêteur.
Des garanties ont été prises en vue de garantir le remboursement des prêts :
- les emprunteurs ont consenti des hypothèques de premier rang sur les actifs immobiliers, par acte notarié du 6 août 2019,
- la société [Localité 7] Reine a consenti une cession de créances professionnelles portant sur l'intégralité des loyers dus par ses locataires, cession régie par un contrat cadre de cession de créances du 6 août 2019 et par acte de cession de créances du 6 août 2019,
- FIB a consenti une garantie autonome le 6 août 2019 afin de garantir les emprunts contractés par les emprunteurs, le montant de la garantie étant plafonné à 92.305.030 euros.
En vertu du contrat de crédit, les emprunteurs sont sous certaines conditions et dans certaines limites, débiteurs conjoints et solidaires du paiement des sommes dues au titre du contrat de crédit et se sont portés cautions solidaires les uns envers les autres en garantie de leurs engagements respectifs.
Le 30 octobre 2019, les sociétés Ternes Immobiliers et Foncière Tours Boutteville ne se sont pas acquittées comme prévu de la somme de 1 million d'euros chacune, dans le cadre du remboursement du prêt C.
Le 31 octobre 2019, les parties ont convenu d'un nouveau terme, au 31 décembre 2019.
Par courrier du 4 mai 2022, l'appelante a notifié aux emprunteurs leur défaut de paiement, les sommes dues à échéance des prêts s'élevant à plus de 55 millions d'euros au 3 mai 2022.
Le 9 mai 2022, la société Macquarie Euro limited a activé la garantie autonome en adressant à FIB un appel de garantie pour un montant de 55.645.825,58 euros, ensuite actualisé le 31 mai 2022 à la somme de 55.913.851,45 euros.
Le 6 juillet 2022, l'appelante a assigné FIB en paiement de la somme de 55.913.851,45 euros sur le fondement de la garantie autonome.
Le 8 décembre 2022, l'appelante a délivré un commandement de payer valant saisie immobilière à l'encontre de la société [Localité 7] Reine 74, aux termes duquel était demandé le paiement dans un délai d'un mois de la somme de 19.703.171,21 euros.
Par jugement du 31 janvier 2023, le tribunal de commerce de Paris a condamné la société FIB au paiement de la somme de 42.913.851,45 euros, cette somme tenant compte du paiement de la somme de 13 millions d'euros par la société Foncière Tours Boutteville qui avait cédé son seul actif immobilier, et de la réduction à hauteur du même montant de la créance due au titre du contrat de crédit.
Les 7 et 9 février 2023, les sociétés FIB et [Localité 7] Reine 74 ont déposé des déclarations de cessation des paiements au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux.
Le 9 février 2023, les sociétés Foncière FT RP, Ternes Immobilier et Intendance Dijeaux ont également déposé leur déclaration de cessation de paiements.
Par jugement du 15 février 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de FIB, puis le 22 février 2023 au bénéfice de [Localité 7] Reine.
Dans le cadre de ces procédures, ont été désignés :
- Ajassociés et CBF Associés ès qualités d'administrateurs judiciaires
- Ekip', Firma puis [J] [C] en remplacement de Firma, ès qualités de mandataires judiciaires.
Le 15 mars 2023, la société Macquarie Euro Limited a formé tierce opposition à l'encontre du jugement d'ouverture afin que le tribunal de commerce de Bordeaux rétracte le jugement d'ouverture, juge que le redressement de [Localité 7] Reine est impossible et prononce la liquidation judiciaire de celle-ci.
Le 4 avril 2023, l'appelante a déclaré sa créance.
Par jugement contradictoire du 18 octobre 2023, le tribunal de commerce de Bordeaux, a déclaré irrecevable la tierce opposition formée par la société Macquarie Euro Limited, a débouté les parties du surplus de leurs demandes, et a condamné la société Macquarie euro limited aux dépens et à payer les sommes suivantes au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- la somme de 1500 euros à la SCP CBF Associés et à la SELARL Ajassociés ;
- la somme de 1500 euros à la SELARL Ekip et à la SELARL Firma ;
- la somme de 1500 euros à la SNC [Localité 7] Reine 74;
Le tribunal, reconnaissant la qualité de créancier hypothécaire de Macquarie, a toutefois considéré qu'elle ne démontrait pas une fraude à ses droits, ni l'existence d'un préjudice spécifique.
Par déclaration du 30 octobre 2023, la société Macquarie Euro Limited a formé appel de ce jugement, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, en intimant la société [Localité 7] Reine 74, ses administrateurs judiciaires et ses mandataires judiciaires.
Par ordonnance du 28 novembre 2023, le président de la chambre saisie a fixé l'affaire à l'audience du 21 mai 2024 en application des articles 905 et suivants du code de procédure civile.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions déposées en dernier lieu le 21 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société de droit anglais Macquarie Euro Limited demande à la cour de :
Vu les articles 562 et 583 du code de procédure civile ;
-déclarer la société Macquarie Euro Limited recevable et bien fondée en son appel ;
-infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
-déclaré irrecevable la tierce opposition formée par la société Macquarie Euro Limited,
-dit n'y avoir lieu de statuer sur le fond,
-débouté la société Macquarie Euro Limited du surplus de ses demandes,
condamné la société Macquarie Euro Limited à payer au titre de l' article 700 du code de procédure civile la somme de 1500 euros à la SCP CBF Associes et à la SARL AJASSOCIES, la somme de 1500 euros à la SELARL EKIP et à la SELARL Firma, la somme de 1500 euros à la SNC [Localité 7] Reine 74 et condamné la société la société Macquarie Euro Limited aux dépens,
Statuant à nouveau,
Declarer recevable et bien fondée la tierce opposition formée par Macquarie Euro Limited ;
Retracter le jugement entrepris ouvrant une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société [Localité 7] Reine 74 ;
Dire et juger que le redressement de la société [Localité 7] Reine 74 est manifestement impossible ;
En conséquence,
Prononcer la liquidation judiciaire de la société [Localité 7] Reine 74.
En tout état de cause,
Condamner la société [Localité 7] Reine 74 à payer à la société Macquarie Euro Limited la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 17 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société [Localité 7] Reine 74 demande à la cour de :
A titre principal,
-confirmer le jugement entrepris ;
A titre subsidiaire, statuant à nouveau,
-rejeter la demande de rétractation du jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 22 février 2023 ;
-rejeter la demande de placement en liquidation judiciaire de la société ;
En tout état de cause,
-condamner Macquarie aux entiers dépens ainsi qu'à la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 25 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Selarl Ekip' et la Selarl [J] [C], demandent à la cour de :
Vu les articles 905 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles L661-1 et suivants du code de commerce,
Vu les articles R631-6 et suivants du code de commerce,
Vu les articles 562 et 583 du code de procédure civile,
' Declarer recevable mais mal fondée la société Macquarie Euro Limited en son appel,
' Confirmer le jugement du 22 février 2023.
Y ajoutant ;
' Condamner la société Macquarie Euro Limited au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
' La Condamner aux entiers dépens.
Par conclusions déposées en dernier lieu le 22 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la SCP CBF Associés et la Selarl AJAssociés, en leur qualité d'administrateurs judiciaires de la SNC [Localité 7] Reine 74, demandent à la cour de :
Vu,
Les articles 905 et suivants du code de procédure civile,
L'article VI de la Convention Européenne des Droits de l'Homme,
L'article L 626-26 du code de commerce,
Les articles L 631-1 et suivants du code de commerce,
Les articles 562 et 583 du code de procédure civile,
Les articles L 311-1 et suivants du code monétaire et financier,
L'article L 511-1 du code monétaire et financier,
Vu,
La jurisprudence,
Vu,
Les pièces,
Déclarer la SCP CBF et associes et AJASSOCIES recevables en leurs moyens et prétentions.
In limine litis,
Retirer des débats les pièces en langue anglaise non assorties d'une traduction en langue française,
A titre principal,
Juger irrecevable la tierce opposition mise en 'uvre par la société Macquarie Euro Limited et confirmer la décision entreprise,
A titre subsidiaire,
Confirmer le jugement du 22 février 2023 entrepris en ce qu'il a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SNC [Localité 7] Reine 74.
A titre infiniment subsidiaire,
Juger y avoir lieu d'ouvrir une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la SNC [Localité 7] Reine 74.
En tout etat de cause,
Condamner la société Macquarie Euro Limited à payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à chacun des coadministrateurs, ainsi qu'aux entiers dépens.
Le dossier a été communiqué au Ministère Public, lequel, par avis écrit du 2 avril 2024, a conclu à la confirmation du jugement. Cet avis a été communiqué aux parties par les soins du greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire
1- Il y a lieu de recevoir l'intervention volontaire de la Selarl [J] [C], en la personne de Me [J] [C], en qualité de mandataire judiciaire de la SNC [Localité 7] Reine 74, désignée à ces fonctions le 25 janvier 2024 en remplacement de la Selarl Firma précédemment désignée.
2- Les administrateurs de la SNC [Localité 7] Reine 74 demandent in limine litis de retirer des débats les pièces en langue anglaise non assorties d'une traduction en langue française.
Toutefois, il apparaît que les pièces 4, 5, 6, 8, 9, 12 et 13 de l'appelante sont accompagnée d'une traduction libre qui ne fait l'objet d'aucune contestation, ce que reconnaissent d'ailleurs les mêmes mandataires dans leurs conclusions en appel (page 11), de sorte que leur demande sera rejetée.
Sur la recevabilité de la tierce-opposition de la société Macquarie Euro Limited :
3 - La société Macquarie Euro Limited soutient que sa demande de tierce opposition est recevable, dès lors qu'elle invoque des moyens qui lui sont propres, tenant d'une part à l'instrumentalisation de la procédure de redressement judiciaire, qui n'aurait été sollicitée que pour permettre à la SNC d'échapper à ses obligations envers elle et, d'autre part à sa qualité de créancière privilégiée, ce qui caractérise un intérêt distinct de celui de la collectivité des créanciers.
Elle ajoute qu'elle n'était ni partie ni représentée au jugement d'ouverture ; qu'elle a intérêt à agir en raison de l'atteinte à ses droits ; que la fraude à ses droits ou l'existence de moyens propres sont des conditions alternatives ; que la contestation de sa qualité de créancier dans le cadre du contentieux de sa déclaration de créance repose sur un raisonnement erroné, alors que les actes de cession de créance ont été notifiés à [Localité 7] Reine , et qu'elle les produit ; qu'elle peut être qualifié d'institution financière au sens de l'article 25-1 du contrat de crédit ; et que la cession porte de surcroît non plus sur une créance de prêt mais sur une créance échue et exigible.
4- La société [Localité 7] Reine réplique, à titre principal, que la société Macquarie ne peut pas se prévaloir de la qualité de créancier (le prêt ayant été consenti par la société Macquarie Bank International Limited, créancier initial dont elle n'a pas acquis les droits) ; que l'acte de cession du 20 octobre 2022 ne comporte pas le prix de la cession ; que les cessions ne lui ont pas été notifiées ; et que la créance ne peut être transférée qu'à une autre banque ou institution financière selon l'article 25-1 du contrat de prêt.
Elle ajoute que Macquarie ne fait pas état d'un moyen propre additionnel à la simple existence d'une créance privilégiée ; et que la procédure ne peut avoir été instrumentalisée à son détriment exclusif dès lors qu'elle n'est pas la seule créancière.
5- Les administrateurs judiciaires font valoir que l'appelante n'a pas la qualité de créancier et n'est qu'un intermédiaire financier dépourvu du droit d'effectuer des opérations de banque à titre habituel et qu'ils sont fondés à soutenir valablement l'annulation des actes de cession des contrats de crédit.
Ils soutiennent que la tierce-opposition est irrecevable au motif que le créancier hypothécaire était représenté par son débiteur et ne dispose pas de moyens propres; qu'aucune fraude à ses droits ne peut être invoquée; que la SNC avait l'obligation de procéder à une déclaration de cessation des paiements, qui ne relève pas d'une faculté, et qu'il ne peut être prétendu qu'il existerait une instrumentalisation de la procédure ; que la qualité de créancier hypothécaire ne confère pas à l'appelant un droit propre ; que le patrimoine du débiteur, en ce compris les biens immobiliers, constitue le gage général de la collectivité des créanciers, et que Macquarie n'est pas le seul créancier à la procédure.
6- Les mandataires exposent que les créanciers hypothécaires étaient représentés au jugement critiqué; que la société n'a fait qu'user non de la faculté mais de l'obligation qui lui était faite de déclarer son état de cessation des paiements, et qu'il est impossible de soutenir raisonnablement qu'elle aurait détourné la procédure ; que la société Macquarie ne justifie d'aucun moyen propre et se trouve soumise à la discipline collective de l'ensemble des créanciers.
Sur ce:
7- Aux termes de l'article 582 du code de procédure civile, la tierce-opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque, et permet de remettre en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
8- Il résulte de l'article 583 du même code que le demandeur à la tierce-opposition, qui doit avoir intérêt à l'exercer, ne doit avoir été ni partie ni représenté au jugement attaqué.
9- S'il est constant que les créanciers d'une partie sont réputés avoir été représentés à l'instance par leur débiteur, de sorte que la tierce opposition leur est interdite, l'alinéa 2 du même article 583 leur ouvre néanmoins cette voie lorsque le jugement est rendu en fraude à leurs droits ou lorsqu'ils invoquent des moyens qui leur sont propres.
Concernant la qualité de créancier de la société Macquarie
10- Il convient d'écarter l'argumentation développée par les trois parties intimés contestant à la société Macquarie Euro Limited la qualité de créancier.
En effet, la société Macquarie produit :
- l'acte de cession de créance du 18 décembre 2020 (sa pièce n° 23)
- l'acte de cession de créance du 20 octobre 2022 (sa pièce n° 5)
- la notification à [Localité 7] Reine 74 de la cession de créance du 18 décembre 2020 intervenue entre Macquarie Bank International Limited, cédant, et Bank of America Europe DAC en qualité de cesssionnaire, intervenue par courriel du 21 décembre 2020 comportant en annexe la copie intégrale de l'acte (sa pièce n° 24)
- la notification à [Localité 7] Reine 74 de la cession de créance du 20 octobre 2022 intervenue entre Bank of America Europe DAC, cédant, et Macquarie Euro Limited en qualité de cesssionnaire, intervenue par commandement de payer valant saisie immobilière délivré à [Localité 7] Reine le 8 décembre 2022 et par une assignation de [Localité 7] Reine à une audience d'orientation du 5 avril 2023 (ses pièces sous le n° 25)
11- Les intimés ne précisent pas en quoi et sur quel fondement juridique l'absence de mention d'un prix dans les actes de cession entacherait la validité des actes ou priverait autrement la cessionnaire de sa qualité de créancière, de sorte que l'argument est inopérant.
12- Il en résulte que les cessions sont régulières, tant en ce qui concerne leur forme que leur notification, et la société Macquarie Euro Limited justifie être titulaire de la créance à l'encontre de [Localité 7] Reine 74 qui lui a été cédée.
13- Les administrateurs soutiennent également en vain que l'appelante serait privée de la possibilité de devenir le créancier de la SNC en ce que le créancier est le prêteur et que l'appelante ne remplit pas les conditions du droit français pour être un établissement de crédit. Ils se prévalent notamment de l'article 25-1 du contrat de crédit qui précise que le transfert de créance ne peut être réalisé qu'au bénéfice d'une autre banque ou une institution financière.
14- En effet,la société Macquarie oppose à juste titre les éléments suivants:
-d'une part, la cession du 20 octobre 2022 a eu lieu après la date de maturité du contrat le 3 mai précédent, de sorte que les stipulations du contrat ne sont plus applicables. En droit commun, la cession du 20 octobre 2022 n'est donc plus une cession de créance d'un prêt, mais celle d'une créance échue et exigible qui ne relève pas du monopole bancaire ;
-d'autre part, en tant que de besoin, la société Macquarie est bien une institution financière au sens du contrat, son objet principal étant la fourniture de financement libellés en euros à d'autres sociétés du groupe Macquarie et à des emprunteurs externes domiciliés au Royaume-Uni et en Europe.
15- La société Macquarie Euro Limited établit ainsi suffisamment sa qualité de créancier au sens de l'article 583 du code de procédure civile.
16- Elle devait donc démontrer, en qualité de créancière, que le jugement aurait été rendu en fraude de son droit ou qu'elle justifie de moyens qui lui sont propres.
Sur l'instrumentalisation invoquée de la procédure
17- Pour justifier de sa recevabilité, la société Macquarie soutient d'abord que la procédure de redressement judiciaire a été sollicitée dans le but de permettre à [Localité 7] Reine d'échapper à ses obligations envers elle. Elle relève qu'elle est de loin le principal créancier de cette société et qu'elle a déclaré une créance d'un total de 46,3 millions d'euros, ce qui excède largement le passif retenu par le tribunal de commerce. Il lui apparaît que [Localité 7] Reine est en réalité en situation de cessation des paiements depuis le 3 mai 2022 et que ses dirigeants n'ont pas éprouvé la nécessité de régulariser alors une déclaration, attendant la procédure de saisie immobilière du 8 décembre 2022.
18- Les intimées opposent que la déclaration de cessation des paiements est une obligation légale, et qu'il ne s'agit pas ici d'une procédure de sauvegarde dont la mise en 'uvre relève de la seule volonté du débiteur, qui n'a donc pas la faculté d'opter.
19 - Il doit être observé qu'il n'y a pas lieu dans le cadre de la présente instance à fixation de la date de cessation des paiements, ni à la vérification du respect par la société [Localité 7] Reine de ses obligations déclaratives.
20- En réalité, les parties omettent de rappeler que si la société débitrice est tenue de faire une déclaration de cessation des paiements, obligation et non faculté, la décision de l'ouverture d'une procédure collective, ainsi que sa nature (redressement judiciaire ou liquidation judiciaire) appartient exclusivement à la juridiction, qui doit caractériser l'existence de la cessation des paiements et le cas échéant celle de perspectives de redressement.
21- Ainsi, à la différence des exemples d'ouverture de procédures de sauvegarde citées par l'appelante, l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, qui ne dépend pas du débiteur, mais de la seule appréciation de la situation financière du débiteur par le tribunal, ne peut être instrumentalisée au détriment d'un créancier ainsi que soutenu par la société Macquarie. Cette dernière n'établit donc pas de fraude à ses droits.
Sur le moyen propre invoqué du fait de la situation de créancier privilégié
22- La société Macquarie soutient également que la nature privilégiée d'une créance matérialise pour son titulaire un intérêt distinct de la collectivité des créanciers, et donc un moyen propre rendant recevable sa tierce-opposition.
23- Toutefois, la tierce-opposition du créancier ne sera recevable que si le moyen propre qu'il invoque ou l'intérêt personnel qu'il défend est distinct de l'intérêt collectif des créanciers.
24- Or, en l'espèce, la société Macquarie, même si elle est la seule créancière hypothécaire, est représentée dans ses intérêts par son débiteur puis par les organes de la procédure, comme les autres créanciers qui subissent aussi les conséquences de l'ouverture de la procédure, notamment l'interdiction des voies d'exécution. L'ensemble du patrimoine du débiteur constitue donc le gage des créanciers, parmi lesquels les administrateurs relèvent la présence d'un autre créancier privilégié en la personne de l'administration fiscale.
25- La société Macquarie ne peut donc justifier d'un moyen propre distinct de la simple existence de sa créance privilégiée, et elle est donc bien irrecevable en sa tierce-opposition.
26- Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur les autres demandes des parties, sans objet du fait de la confirmation de la décision d'irrecevabilité.
Sur les demandes accessoires:
27- Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, les demandes formées sur ce fondement seront rejetées.
La société Macquarie supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Reçoit l'intervention volontaire de la Selarl [J] [C], en la personne de Me [J] [C], en qualité de mandataire judiciaire de la SNC [Localité 7] Reine 74, en remplacement de la Selarl Firma précédemment désignée,
Rejette la demande des SCP CBF Associés et Selarl AJAssociés, ès-qualité d'administrateurs à la procédure collective, tendant à voir retirer des débats les pièces en langue anglaise non assorties d'une traduction en langue française,
Confirme le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 18 octobre 2023 déclarant irrecevable la tierce-opposition formée par la société Macquarie Euro Limited,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la société Macquarie Euro Limited aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président