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24/06/2024 | FRANCE | N°23/02691

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 24 juin 2024, 23/02691


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 24 JUIN 2024









N° RG 23/02691 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NJLB







Monsieur [Z] [T] [R]



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Monsieur [N] [I] [M]

S.E.L.A.R.L. LGA























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Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 avril 2023 (R.G. 2022L00093) par le Tribunal de Commerce de BERGERAC suivant déclaration d'appel du 05 juin 2023





APPELANT :



Monsieur [Z] [T] [R], né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 7] (ALGERIE) de nationalité franç...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 24 JUIN 2024

N° RG 23/02691 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NJLB

Monsieur [Z] [T] [R]

c/

Monsieur [N] [I] [M]

S.E.L.A.R.L. LGA

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 avril 2023 (R.G. 2022L00093) par le Tribunal de Commerce de BERGERAC suivant déclaration d'appel du 05 juin 2023

APPELANT :

Monsieur [Z] [T] [R], né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 7] (ALGERIE) de nationalité française, demeurant [Adresse 3]

Représenté par Maître Thibault BRIDET, avocat au barreau de BORDEAUX, et assisté de Maître Willi SCHWANDER avocat au barreau de D'AIX EN PROVENCE

INTIMÉS :

Monsieur [N] [I] [M], né le [Date naissance 2] 1970 à [Localité 6] (24), de nationalité française, demeurant [Adresse 10]

Non représenté

S.E.L.A.R.L. LGA, mandataire judiciaire, représentée par Maître [P] [Y], agissant es-qualité de liquidateur judiciaire de M. [N] [I] [M], domicilié en cette qualité [Adresse 4]

Représentée par Maître Guillaume DEGLANE de la SCP SOCIETE CIVILE PROFESSIONNELLE INTERBARREAUX LDJ-AVOCATS, avocat au barreau de PERIGUEUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 mai 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 11 octobre 2019, M. [M] a vendu à M. [R] une maison individuelle à usage d'habitation située à [Localité 9] au prix de 100 000 euros selon vente dit 'contrat en mains' (frais de la vente d'un montant de 8000 euros mis à la charge du vendeur).

Par jugement du 1er juillet 2020, le tribunal de commerce de Bergerac a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de M. [M], a fixé provisoirement la date de cessation des paiements au 12 mars 2020 et a désigné la SCP LGA représentée par Maître [P] [Y] en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 14 avril 2021, le tribunal de commerce de Bergerac a reporté la date de cessation des paiements de M. [M] au 1er janvier 2019.

Par jugement du 16 juin 2021, le tribunal de commerce de Bergerac a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire et a désigné le même mandataire, en qualité de liquidateur.

Par acte du 25 avril 2022, la SCP LGA représentée par Maître [Y] ès qualités de liquidateur de M. [M], a assigné M. [R] devant le tribunal de commerce de Bergerac aux fins d'annulation de la vente sur le fondement des articles L 632-1 et L632-4 du code de commerce.

Par jugement réputé contradictoire du 19 avril 2023, le tribunal de commerce de Bergerac a :

- donné acte à Monsieur [R] de ce qu'il ne maintient pas sa demande d'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Bergerac ;

- prononcé la nullité de la vente immobilière en date du 11 octobre 2019 ;

- condamné M. [R] à remettre à la SCP LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant en sa qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [M] la maison à usage d'habitation située à [Adresse 10], cadastrée section B numéro [Cadastre 5] pour une contenance de 28 a 02 ca, libre de tout occupant, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la signification du présent jugement.

- condamné M. [R] à payer à la SCP LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant ès-qualités de liquidateur judiciaire de Monsieur [N] [I] [M] la somme de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision ;

- débouté les parties de leurs plus amples demandes, fins et conclusions ;

- condamné M. [R] aux entiers dépens, dépens taxés et liquidés pour les frais de greffe à la somme de 69.59 euros TTC.

Par déclaration au greffe du 5 juin 2023, M. [R] a relevé appel du jugement aux fins d'infirmer l'annulation de la vente et a intimé M. [M] et la SCP LGA représentée par Maître [Y] ès qualités de liquidateur de M. [M].

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 26 avril 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [R] demande à la cour de :

Vu l'article L.632-1, I, 2° 4° du code de commerce

Vu les articles 09,15,16,135, 696, 700, du code de procédure civile

Ecarter des débats les conclusions n°2 et la pièce n°22 déposées par la SELARL LGA le 24 avril 2024.

Déclarer [Z] [R] recevable et bien fondé en son appel ;

Déclarer que la société d'exercice libéral à responsabilité limitée LGA, venant aux droits de la société civile professionnelle LGA prise en la personne de Maître [P] [Y] es qualité de liquidateur judiciaire de [N] [M] ne rapporte pas la preuve de ce que, dans la vente suivant acte reçu le 11 octobre 2019 par Maître [C] [D], notaire à [Localité 11] aux termes de laquelle [Z] [R] a acquis de [N] [M] au prix de cent mille euros, contrat en mains, portant sur la pleine propriété d'une maison individuelle à usage située à [Adresse 10], cadastrée section B n°[Cadastre 5] pour une contenance de 28a 02 ca, les obligations de [N] [M] ont excédé notablement celles d'[Z] [R].

Déclarer que le prix de l'immeuble n'ayant été payé ni par compensation, ni par dation en paiement mais par virement il est valable.

Déclarer à titre subsidiaire seul ce paiement atteint par la nullité et non la vente.

Déclarer que le tribunal de commerce de Bergerac en motivant son jugement du 19 avril 2023 sur des éléments (site https://app.dvf.etalab.gouv.fr) qui n'avaient pas été communiqués par les parties a violé le principe du contradictoire.

Par conséquent,

Infirmer les chefs du jugement du 19 avril 2023 (RG n°2022L00093) rendu par le tribunal de commerce de Bergerac qui ont :

Prononcé la nullité de la vente immobilière en date du 11 octobre 2019

Condamné Monsieur [Z] [R] à remettre à la SCP LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire Judiciaire, agissant es-qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [N] [I] [M] la maison à usage d'habitation située à [Adresse 10], cadastrée section B n°[Cadastre 5] pour une contenance de 29 a 02 ca, libre de tout occupant, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la signification du présent jugement.

Condamné Monsieur [Z] [R] à payer à la SCP LGA représentée par Maître [P] [Y] mandataire judiciaire, agissant es qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [N] [I] [M] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonné l'exécution provisoire de la présente décision

Débouté les parties de leurs plus amples demandes, fins et conclusions.

Condamné Monsieur [Z] [R] aux entiers dépens, dépens taxés et liquidés pour les frais de Greffe à la somme de 69,59 euros TTC.

Statuer à nouveau

Débouter la société d'exercice libéral à responsabilité limitée LGA, venant aux droits de la société civile professionnelle LGA prise en la personne de Maître [P] [Y] es qualité de liquidateur judiciaire de [N] [M] de l'ensemble de ses prétentions fins et conclusions.

A titre subsidiaire, avant dire droit,

Désigner un expert immobilier aux frais avancés de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée LGA, venant aux droits de la société civile professionnelle LGA prise en la personne de Maître [P] [Y], avec pour mission de dire si le bien acquis par [Z] [R] l'a été à des conditions notablement déséquilibrées au préjudice de [N] [M].

Reconventionnellement et en toute occurrence

Condamner la société d'exercice libéral a responsabilité limitée LGA, venant aux droits de la société civile professionnelle LGA prise en la personne de Maître [P] [Y] à payer à [Z] [R], la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 29 avril 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SELARL LGA agissant ès qualités de mandataire liquidateur de M. [M] demande à la cour de :

Vu les articles L 632-1 et suivants du code de commerce,

Vu l'article 1593 du code civil,

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats,

Débouter M. [R] de sa demande de rejet des conclusions n°2 de l'intimé et de la pièce 22 seront rejetées.

Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bergerac en date du 19 avril 2023,

Juger la SELARL LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant es-qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [N] [I] [M] recevable et bien fondée en son action,

Juger que la vente immobilière portant sur une maison à usage d'habitation située à [Adresse 10], cadastrée section B [Cadastre 5] pour une contenance de 28 a 02 ca intervenue selon acte notarié du 11 octobre 2019 dressé par Maître [C] [D], notaire à [Localité 11] (Côte-d'Or) repose sur des obligations respectives des parties déséquilibrées au détriment de Monsieur [N] [I] [M] en raison du caractère dérisoire du prix de vente, lequel est inférieur à plus de la moitié de la valeur réelle de l'immeuble,

En conséquence,

Prononcer la nullité de la vente immobilière du 11 octobre 2019,

Dire que le jugement sera publié au service de la publicité foncière de [Localité 13],

Condamner Monsieur [Z] [R] à restituer l'immeuble à la SELARL LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant es-qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [N] [I] [M] sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de 15 jours suivant la signification du jugement,

A titre subsidiaire,

Désigner un expert judiciaire mais ce aux frais avancés de Monsieur [R] qui est demandeur à la mesure d'instruction.

A titre infiniment subsidiaire,

Prononcer la nullité du paiement par compensation opéré le 15 novembre 2019 entre M. [M] et Monsieur [R] et de condamner Monsieur [Z] [R] à payer au titre du droit à restitution la somme de 26 735,94 euros à la SELARL LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant es-qualité de liquidateur judiciaire de Monsieur [N] [I] [M]

Condamner Monsieur [Z] [R] à verser à la SELARL LGA représentée par Maître [P] [Y], mandataire judiciaire, agissant es-qualité de liquidateur judiciaire de M. [N] [I] [M] à lui payer la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner Monsieur [Z] [R] aux entiers dépens comprenant :

- les frais d'huissier (signification de l'assignation, signification du jugement),

- les frais de greffe du tribunal de commerce,

- les frais de publicité auprès du service de la publicité foncière de [Localité 13] ainsi que les frais éventuels d'exécution,

- le coût du timbre fiscal et les frais de signification devant la cour.

M. [M] à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 13 août 2023 et les conclusions de l'appelant le 13 novembre 2023 n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées. MOTIFS DE LA DECISION

1- Il sera relevé à titre liminaire que l'appelant demande à la cour de 'déclarer que le tribunal de commerce de Bergerac en motivant son jugement du 19 avril 2023 sur des éléments (site https://app.dvf.etalab.gouv.fr) qui n'avaient pas été communiqués par les parties a violé le principe du contradictoire' mais ne sollicite que l'infirmation de la décision de première instance et non son annulation. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ce chef qui ne constitue pas une réelle prétention.

Sur la demande de rejet des dernières conclusions :

2- L'appelant demande à la cour d'écarter des débats les dernières conclusions de l'intimé et la dernière pièce produite (pièce 22) aux motifs que celles-ci lui ont été notifiées 2 jours ouvrés avant la date de la clôture devant intervenir le 29 avril 2024, celle-ci ayant été annoncée aux parties dès le 24 novembre 2023. Il fait ainsi valoir avoir été privé d'un délai raisonnable pour répliquer, ce qui contrevient au principe du contradictoire.

3- L'intimé conclut au rejet de cette prétention. Il fait valoir que sa dernière pièce est constituée d'un échange de mail entre M. [M], le notaire en charge de la vente, et M. [R], et que 'ce dernier ne découvre donc pas cette pièce qui peut être débattue contradictoirement'. Il rétorque encore que ses nouvelles conclusions ne comportent aucune prétention nouvelle ni aucun moyen nouveau mais seulement 'des précisions sur le plan du droit' concernant la recevabilité des pièces à la suite du revirement de jurisprudence intervenu fin 2023, début 2024.

Sur ce :

4- Aux termes de l'article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense.

5- Aux termes de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

6- En l'espèce, les dernières conclusions ne comportent aucune nouvelle prétention et développe un moyen déjà présent dans les précédentes conclusions. Il convient dès lors de juger que les conclusions notifiées peu avant la clôture sont recevables.

7- En revanche, la dernière pièce produite aux débats constitue un élément probatoire nouveau que l'intimé n'a pas pu examiner dans le court délai précédant la clôture, et ce même s'il ne pouvait ignorer l'existence de celle-ci. Il convient de l'écarter des débats.

Sur le fond :

8- Aux termes de laquelle L 632-1 I du code de commerce, sont nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants :

...

2° Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie ;

3° Tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement;

4° Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu'en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par l'article L. 313-23 du code monétaire et financier ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d'affaires ;

9- L'appelant expose qu'il appartient à l'intimé de démontrer l'existence d'un déséquilibre notable existant à la date de la conclusion du contrat en cause. Il demande à la cour d'écarter des débats l'avis de valeur d'[F] [S] du 4 octobre 2021 qui selon lui est illicite comme ayant été obtenu illégalement. A titre subsidiaire, il fait valoir que cette pièce est sans valeur, compte tenu de l'absence de compétence en immobilier de sa rédactrice et du fait que l'attestation a été établie deux ans après la vente. Il ajoute que les extraits de ventes immobilières produits aux débats ne sont pas plus probants et qu'il en est de même des extraits du site officiel du prix de l'immobilier et de l'avis de valeur de l'agence Eleonor. L'appelant fait valoir encore que les premiers juges ont fondé leur décision sur le site de la direction des finances publiques alors qu'aucune pièce relative à ce site n'avait été produite aux débats, et ce en violation du principe du contradictoire. Il affirme enfin qu'il n'y a eu ni compensation, ni dation en paiement puisqu'il a versé au notaire l'intégralité du prix de vente et que la dette de [N] [M] a été réglée ensuite par virement.

10- L'intimé rétorque que les obligations contenues dans l'acte de vente du 11 octobre 2019 à la charge de M. [M] excèdent notablement celle de l'autre partie, le prix de vente de l'immeuble ayant été largement sous-évalué. Il explique que le prix de vente actuel du bien est compris entre 145 000 et 160 000 euros alors que le bien a été effectivement vendu 92 000 euros. Au surplus, M. [R] a usé de sa qualité de créancier pour fixer les conditions de la vente et mettre à la charge du vendeur les frais d'actes, et ce en contravention avec les obligations de l'article 1593 du code civil. Il affirme par ailleurs que M. [R] connaissait les difficultés financières de M. [M] puisqu'il en était le créancier. Il ne pouvait ignorer que celui-ci était dans l'impossibilité de rembourser sa dette, ce qui permet de caractériser sa connaissance de l'état de cessation des paiements de son cocontractant. Cette vente a ainsi eu pour effet de restreindre le gage des créanciers de M. [M] en privilégiant un de ses créanciers, M. [R]. Par ailleurs, M. [M] n'a reçu que la somme de 65 700 euros sur le prix de vente, le solde ayant été réglé par le notaire à M. [R] en remboursement de sa créance. Il relève encore qu'il est curieux que M. [R] ait accepté de régler au notaire un acompte de 60 000 euros avant la signature de l'acte de vente sans avoir la certitude de la délivrance de la chose vendue. Il fait valoir qu'il s'est opéré une compensation entre le paiement du prix de vente et le paiement de la créance de M. [R], ou à tout le moins une forme de dation en paiement. Or, le paiement par compensation est prohibé pendant la période suspecte et doit ainsi être annulé. A titre subsidiaire, l'intimé demande à la cour d'annuler le paiement intervenu par compensation et de condamner M. [R] à payer au titre du droit de restitution la somme de 26 735,94 euros à la liquidation judiciaire.

Sur ce :

* sur la demande principale visant à voir prononcer la nullité de la vente :

11- Il n'est pas contesté que :

- la vente litigieuse est bien intervenue pendant la période suspecte, c'est-à-dire entre la date de cessation des paiements fixée au 1er janvier 2019 et la date d'ouverture de la procédure collective fixée au 1er juillet 2020,

- l'acte de vente dont l'annulation est sollicitée est bien un contrat commutatif.

12- Il appartient au liquidateur, qui sollicite l'annulation du contrat de vente, d'établir que les obligations du débiteur, en l'espèce, M. [M], excèdent notablement celles de l'autre partie, en l'espèce, M. [R].

13- Ce déséquilibre notable entre les obligations des parties peut résulter, comme il le soutient, d'un prix de vente bien inférieur au coût du marché.

14- Il appartient ainsi à l'intimé de démontrer que le prix de vente de l'immeuble, à la date de la cession, était bien inférieur à la valeur de marché, de sorte que les obligations du vendeur excédaient celles de l'acquéreur.

15- Dès lors, la cour n'examinera que les pièces visant à établir la valeur du bien cédé à une période contemporaine de la vente. Les pièces suivantes ne seront ainsi pas retenues à défaut de présenter un intérêt probatoire :

- l'avis de valeur établi par Mme [S] ( pièce 8 de l'appelant) le 4 octobre 2021, soit deux ans après la vente litigieuse, dans lequel elle précise d'ailleurs que ' cet avis de valeur devra être revu dans des temps relativement courts (3 à 6 mois) en raison du caractère changeant du marché et d'une demande de biens immobiliers fortement influencée par la conjoncture actuelle',

- les extraits du site officiel des prix de l'immobilier ( pièces 14 et 15) portant sur le prix au m² de biens dans le secteur entre juillet 2021 et juin 2023,

- l'avis de valeur établi par l'agence Eleonor le 28 avril 2022 ( pièce 16),

- le mandat de vente donné par M. [R] à une agence immobilière le 20 avril 2022 ( pièce 17) pour un prix de vente de 110 000 euros, honoraires à la charge de l'acquéreur, prix susceptible de négociations par l'acquéreur, qui n'apparait pas par ailleurs manifestement supérieur au prix de la première vente de 100 000 euros, même en déduisant les 8000 euros de frais.

16- Il conviendra en revanche d'examiner les pièces 9, 20 et 21 de l'appelant portant sur des ventes contemporaines de la vente objet de ce litige.

17- La maison vendue par M. [M] est une maison récente ( construite en 2000) d'une surface au sol de 90 m². Elle est cependant mansardée ( surface type loi carrez non applicable aux maisons de 75 m²). Elle se situe sur une parcelle triangulaire de 28 a 02 ca, soit 2802 m².

18- S'agissant de la première vente, elle est intervenue le 15 février 2019 au prix de 220 000 euros et porte sur une maison de 4 pièces et de 100 m² située sur la commune de [Localité 8] (24) comportant une dépendance de 800 m², 2500 m² de terres et 2661 m² de taillis simple. Cet immeuble comportant de vastes dépendances et une piscine n'est pas comparable à la maison vendue par M. [M].

19- La deuxième vente intervenue le 13 juin 2019 concerne une maison de 96 m² située sur la commune de [Localité 12] comportant des sols de 420 m² et des terres de 1484 m² pour la somme de 140 000 euros. Il est cependant indiqué sur ce document que 'cette mutation contient des dispositions dans des parcelles adjacentes. La valeur foncière correspond au total'. Cette pièce ne peut dès lors être retenue.

20- Les pièces 20 et 21 concernent des ventes de terres et de taillis simples et comportent la même mention 'cette mutation contient des dispositions dans des parcelles adjacentes. La valeur foncière correspond au total', de sorte que la cour ne peut retenir ces ventes comme élément de comparaison.

21- Il ressort de ces éléments que l'appelant ne produit aucun élément permettant de conclure à une sous-évaluation notable du prix de vente.

22- Il n'est donc pas établi que les obligations du débiteur ont excédé notablement celles de l'autre partie. La demande d'annulation de la vente sera rejetée sans qu'il y ait lieu au préalable d'ordonner une expertise judiciaire, l'appelant n'apportant aucun élément permettant de conclure à une possible sous-évaluation du prix de vente. La décision de première instance sera infirmée.

* sur la demande subsidiaire visant à obtenir la nullité du paiement par compensation opéré le 19 novembre 2019 :

23- S'agissant de la demande subsidiaire, l'appelant soutient à raison que le paiement d'une créance par compensation avec une dette n'est pas un mode de paiement autorisé au sens de l'article L 632-1 I du code de commerce. L'intimé affirme pour sa part à bon droit que le paiement par virement n'est pas prohibé.

24- Il convient dès lors de déterminer la nature du paiement ayant éteint la dette de 26 735,94 euros que M. [R] détenait sur M. [M].

25- Il ressort de la lecture de la comptabilité du notaire la chronologie suivante :

- l'acquéreur a versé au notaire, avant même la vente, un acompte de 60 000 euros le 25 septembre 2009 que celui-ci a reversé au vendeur le jour même,

- l'acquéreur a viré sur le compte du notaire trois jours avant la vente, soit le 9 octobre 2019, le solde du prix de vente. La somme de 5700 euros a été versée le lendemain au vendeur et le solde a été restitué à l'acquéreur le 15 novembre 2019 par le notaire, le compte comportant la mention 'virement à M. [R] solde compte'.

26- Il apparaît ainsi que M. [M], le vendeur, n'a jamais perçu l'intégralité du prix de la vente et que la créance a ainsi bien été réglée par compensation, même si celle-ci est intervenue via la comptabilité du notaire.

27- La compensation étant un mode de paiement prohibé, ce paiement sera annulé et M. [R] sera condamné à rembourser la somme de 26 735,94 euros à la Selarl LGA en sa qualité de liquidateur de M. [M].

28- M. [R], qui succombe partiellement, sera condamné aux dépens d'appel.

29- Il sera condamné à verser la somme de 2000 euros à la Selarl LGA en sa qualité de liquidateur de M. [M] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.

PAR CES MOTIFS

La cour,

statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et en dernier ressort,

Déclare recevables les conclusions de la Selarl LGA, prise en sa qualité de liquidateur de M. [N] [M] notifiées le 29 avril 2024,

Ecarte des débats la pièce 22 produite tardivement par la Selarl LGA, prise en sa qualité de liquidateur de M. [N] [M],

Infirme la décision rendue le 19 avril 2023 par le tribunal de commerce de Bergerac,

et statuant à nouveau,

Déboute la Selarl LGA, prise en sa qualité de liquidateur de M. [N] [M], de sa demande d'expertise judiciaire,

Déboute la Selarl LGA prise en sa qualité de liquidateur de M. [N] [M], de sa demande d'annulation de la vente,

Dit que la paiement de la somme de 26 735,94 euros à M. [Z] [R] est nul,

Condamne M. [Z] [R] à rembourser la somme de 26735,94 euros à la Selarl LGA prise en sa qualité de liquidateur de M. [N] [M],

y ajoutant,

Condamne M. [Z] [R] aux dépens d'appel.

Condamne M. [Z] [R] à verser la somme de 2000 euros à la Selarl LGA, en sa qualité de liquidateur de M. [N] [M], au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/02691
Date de la décision : 24/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-24;23.02691 ?
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