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18/06/2024 | FRANCE | N°23/04003

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 18 juin 2024, 23/04003


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 18 JUIN 2024









N° RG 23/04003 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NNDP









S.A.R.L. SOCIETE FRANCAISE DE TRAVAUX ET D'AMENAGEMENT GUYANE



c/



S.A.R.L. SOVEL PROMOTION

























Nature de la décision : AU FOND



SUR RENVOI DE CASSATION





























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 08 juin 2023 (Pourvoi n° B22-10.393) par la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 4 octobre 2021 (RG : 19/5455) par l...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 18 JUIN 2024

N° RG 23/04003 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NNDP

S.A.R.L. SOCIETE FRANCAISE DE TRAVAUX ET D'AMENAGEMENT GUYANE

c/

S.A.R.L. SOVEL PROMOTION

Nature de la décision : AU FOND

SUR RENVOI DE CASSATION

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : sur renvoi de cassation d'un arrêt rendu le 08 juin 2023 (Pourvoi n° B22-10.393) par la Troisième Chambre Civile de la Cour de Cassation sur un arrêt rendu le 4 octobre 2021 (RG : 19/5455) par la Première Chambre Civile Section 1 de la Cour d'Appel de TOULOUSE en suite d'un jugement de la Deuxième Chambre du Tribunal de Commerce d'ALBI du 22 novembre 2019 (RG : 2018 010252) suivant déclaration de saisine en date du 21 août 2023

DEMANDERESSE :

S.A.R.L. SOCIETE FRANCAISE DE TRAVAUX ET D'AMENAGEMENT GUYANE (SFTAG), immatriculée au RCS de Cayenne sous le numéro 490 757 382, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

Représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS - LACOSTE - JANOUEIX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Georges BOUCHET, avocat au barreau de CAYENNE

DEFENDERESSE :

S.A.R.L. SOVEL PROMOTION, immatriculée au RCS d'Albi sous le numéro 438 295 123, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]

Représentée par Maître Daniel LASSERRE de la SELAS ELIGE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Caroline PAUWELS substituant Maître Stéphane CULOZ, avocat au barreau D'ALBI

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 mai 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE

Le 23 décembre 2011, la société Sovel promotion, maître d'ouvrage ayant pour associés M. [R] et M. [U], a confié à la société française des travaux d'aménagement Guyane (la SFTAG), agissant en qualité d'entreprise générale, la réalisation des travaux de construction d'une résidence dénommée [Adresse 2], composée de 92 logements, selon marché de travaux au prix global forfaitaire non révisable de 4.899.867 euros HT.

Le même jour, le cahier des clauses techniques et particulières (CCTP) a été signé et le maître d'ouvrage a désigné :

- la société ArchiDD, ayant comme gérants M. [R] et M. [U], en qualité de maître d'oeuvre,

- la société CH2 Techni-control, en qualité de de bureau de contrôle,

- la société Ginger LBTPG, en étude de sol.

Le début des travaux a été prévu au 30 janvier 2012 suivant l'ordre de service n°1.

Afin de tasser le terrain des parcelles et stabiliser les fondations, la société SFTAG a mis en place des remblais de pré-chargement au droit des plate-forme recevant les bâtiments en R +1.

A la suite de fortes pluies survenues entre le 2 et le 4 avril 2012, les remblais se sont gonflés, ce qui a entraîné une augmentation de charge du sous-sol et un glissement de terrain qui a déformé une route départementale.

La maîtrise d'oeuvre a alors remis en cause le mode de fondation en radier et a préconisé, pour certains bâtiments en bordure de route, la réalisation de fondations sur pieux qu'elle a fait réaliser par la société Safor.

Le 27 juin 2014 a été signé le procès-verbal de réception des travaux, avec réserves.

Par actes délivrés entre les 27 juin et 3 juillet 2014, la société Sovel promotion a assigné les différents intervenant à la réalisation du projet immobilier devant le tribunal de grande instance de Cayenne, afin de voir reconnaître leur responsabilité dans les dommages occasionnés à la route. Il a été sursis à statuer sur ses demandes dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ordonné par le juge des référés de Cayenne le 22 mai 2015, à la demande de la société Sovel promotion. Le rapport d'expertise a été déposé le 30 décembre 2019.

Par courrier du 16 décembre 2014, la société Sovel Promotion a adressé à la société SFTAG un décompte général définitif faisant apparaître un solde négatif de 671 471.54 euros.

Par courrier du 29 décembre 2014, la société SFTAG a contesté ce décompte et a adressé son propre projet de décompte général définitif, invoquant un solde en sa faveur de 781 813.96 euros.

Par acte du 21 juillet 2015, la société SFTAG a assigné la société Sovel promotion en paiement devant le tribunal de grande instance de Cayenne puis s'est désistée de sa demande, la société Sovel promotion ayant opposé que le contrat de construction attribuait la compétence territoriale au tribunal de commerce d'Albi.

La SFTAG a alors assigné la société Sovel promotion devant la juridiction d'Albi le 19 juillet 2018.

Par jugement du 22 novembre 2019, le tribunal de commerce d'Albi a :

- dit et jugé qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

- constaté que la société Sovel promotion, en sa qualité de maître d'ouvrage, n'a pas validé les travaux supplémentaires,

- constaté que la SFTAG ne rapporte pas la preuve d'un bouleversement économique du contrat susceptible de rendre caduque le marché à forfait conclu par les parties,

- homologué le décompte général et définitif établi par la société Sovel promotion le 15 décembre 2014,

- condamné la SFTAG à payer la somme de 671.471,54 euros à la société Sovel promotion, majorée des intérêts au taux légal é compter du 15 décembre 2014,

- condamné la société SARL SFTAG à payer à la société Sovel promotion la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 298.573,15 euros avec les intérêts de droit à compter du 25 décembre 2014 dans le cadre de la retenue de garantie de 5 % sur le marché à forfait conclu entre les parties, outre la capitalisation des intérêts en application des dispositions de I'article 1343-2 du code civil,

- débouté la SFTAG du surplus de ses demandes,

- dit et jugé que les entiers de l'instance resteront à la charge de la SFTAG, outre le coût de la signification de la présente décision.

- ordonné l'exécution provisoire de la décision.

Par déclaration en date du 19 décembre 2019, la SFTAG a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant la société Sovel promotion.

Par arrêt du 4 octobre 2021, la cour d'appel de Toulouse a :

- infirmé le jugement du tribunal de commerce d'Albi en date du 22 novembre 2019, sauf en ce que la société Sovel Promotion a été condamnée à payer à la société Française des Travaux d'Aménagement Guyane la somme de 298.573,15 euros au titre de la retenue de garantie,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

- condamné la société Sovel Promotion à payer à la Sarl Société Française des Travaux d'Aménagement Guyane la somme de 781.573,15 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- dit que la condamnation de la société Sovel Promotion au paiement de la somme de 298.573,15 euros au titre de la retenue de garantie sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2018, intérêts qui seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

- débouté la société Sovel Promotion de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné la société Sovel Promotion aux dépens de première instance et d'appel ;

- condamné la société Sovel Promotion à payer à la Société Française des Travaux d'Aménagement Guyane la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- accordé à Maître Dessart, avocat, le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

La société Sovel promotion a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.

Par arrêt du 8 mars 2023, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a :

- cassé et annulé, mais seulement en ce que qu'il condamne la société Sovel promotion à payer à la Société française des travaux d'aménagement Guyane la somme de 298.573,15 euros au titre de la retenue de garantie, avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2018 capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil et la somme de 781.573,15 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, l'arrêt rendu le 4 octobre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

- remis, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

- condamné la Société française des travaux et d'aménagement Guyane aux dépens,

- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la Société française des travaux et d'aménagement Guyane et l'a condamné à payer à la société Sovel promotion la somme de 3 000 euros ;

- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

La Cour de cassation a retenu, au visa de l'article 1793 du code civil, que la procédure contractuelle de clôture des comptes mise en place par les parties ne pouvait prévaloir sur la qualification donnée au contrat, et que le silence gardé par le maître de l'ouvrage à réception du mémoire définitif de l'entreprise ou le non-respect par celui-ci de la procédure de clôture des comptes ne valait pas acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires dont celle-ci réclamait le paiement.

Par déclaration en date du 25 août 2023, la SFTAG a saisi la cour d'appel de Bordeaux sur renvoi de la Cour de cassation.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par dernières conclusions notifiées par RPVA le 26 avril 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, la SFTAG demande à la cour de :

Vu l'article 1134,1135, 1147 et 1793 du code civil

Au principal

- infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Albi du 22/11/2019 en ce qu'il a :

- dit et juge qu'il n'y a pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,

- constate que la société Sovel promotion, en sa qualité de maître d'ouvrage, n'a pas validé les travaux supplémentaires,

- constate que la SFTAG ne rapporte pas la preuve d'un bouleversement économique du contrat susceptible de rendre caduque le marché à forfait conclu par les parties,

- homologue le décompte général et définitif établi par la société Sovel promotion le 15 décembre 2014,

- condamne la SFTAG à payer la somme de 671.471,54 euros à la société Sovel promotion, majorée des intérêts au taux légal é compter du 15 décembre 2014,

- condamne la société SARL SFTAG à payer à la société Sovel promotion la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et par voie de conséquence, débouté la SFTAG du surplus de ses demandes, à savoir :

- condamner la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 1.080.387,11 euros avec intérêts de droit à compter du 29 décembre 2014 et capitalisation en application de l'article 1154 du code civil,

en tout état de cause :

- condamner la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Statuant à nouveau,

- dire que la société Sovel promotion est mal fondée à se prévaloir du caractère forfaitaire du marché qu'il a remis en cause par la commande de travaux supplémentaires non prévus initialement au marché, entraînant le bouleversement de l'économie générale du marché ;

- homologuer le décompte général définitif de la SFTAG validé par l'expert judiciaire

- condamner la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 781. 573,15 euros au titre du solde du marché de travaux incluant le coût des travaux supplémentaires, majorés des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil;

subsidiairement,

- constater que la société Sovel promotion ne s'est pas acquittée intégralement du prix du marché à forfait en payant à la SFTAG la somme de 4.143.105 euros sur les 4.889.867 euros convenus ;

- condamner la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 759.762 euros (4.899.867 euros - 4.143.105 euros) au titre du solde du marché à forfait majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 décembre 2014 et capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil ;

En tout état de cause,

- débouter la société Sovel promotion de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

- confirmer le jugement du 19/11/2019 en ce qu'il a condamné la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 298 573,15 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 29 décembre 2014, outre la capitalisation des intérêts au titre de la retenue de garantie de 5% sur le marché à forfait

- condamner la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile comprenant les frais irrépétibles de première instance ;

- condamner la société Sovel promotion aux entiers dépens d'instance et d'appel avec distraction au profit de l'avocat de Maître Valérie Janoueix, avocat postulant aux offres de droit.

Par conclusions notifiées par RPVA le 8 décembre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Sovel promotion demande à la cour de :

Vu les articles 1134, 1315 et 1793 du Code civil,

- confirmer le jugement rendu en première instance en ce qu'il a homologué le décompte général et définitif établi par la société Sovel promotion le 16 décembre 2014, condamné la SFTAG au paiement de la somme de 671.471,54 euros en principal majorée des intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2014, l'a condamnée au paiement de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, a débouté la SFTAG du surplus de ses demandes,

- infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a condamné la société Sovel promotion à payer à la SFTAG la somme de 298.573,15 euros avec intérêts de droit à compter du 29.12.2014 dans le cadre de la retenue de garantie de 5% sur le marché à forfait, outre la capitalisation des intérêts en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Et, statuant à nouveau,

- débouter la SFTAG de toute demande et argumentation contraire,

- condamner la SFTAG aux entiers dépens dont paiement au profit de Me [N] et à payer à la société Sovel promotion la somme de 12.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION:

Sur la demande de la société SFTAG tendant à voir reconnaître une sortie du marché à forfait:

1- La SFTAG soutient que les dispositions de l'article 1793 du code civil cessent d'être applicables lorsque les parties, tout en stipulant le forfait, y ont ajouté des clauses qui en modifient le caractère et les effets.

Elle souligne que lorsque le marché est mal défini ou que les travaux ont été mal évalués par le maître d'ouvrage par souci d'économie, le marché à forfait perd son caractère.

Elle estime qu'en l'espèce, le maître de l'ouvrage a modifié à la fois l'économie générale du contrat et sa nature juridique de marché à forfait par ses décisions unilatérales sur le mode de fondation des bâtiments et les travaux supplémentaires à réaliser (retraits de remblais de pré-chargement et réalisation de travaux sur pieux).

2- La société Sovel promotion réplique que dans un marché à forfait, le constructeur doit assumer le coût des travaux supplémentaires qui sont intrinsèquement nécessaires à l'exécution et conformes à son objet en application de l'article 1793 du code civil, et que le maître d'ouvrage n'est tenu de supporter le coût des travaux supplémentaires que s'il a préalablement autorisé ces travaux en donnant une autorisation écrite, spéciale, expresse, non équivoque et contenant l'indication du prix convenu entre les parties.

Elle indique qu'en l'espèce, elle a pris en charge les fondations en pieux mises en oeuvre par la société Safor, alors que ces travaux, nécessaires à la structure du bâtiment, s'inscrivaient nécessairement dans le cadre du marché à forfait. Elle conteste l'existence d'un bouleversement économique du contrat.

Sur ce:

3- Selon les dispositions de l'article 1793 du code civil, lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d''uvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire.

4- Il est constant, en droit, que même si les travaux supplémentaires n'ont pas donné lieu à autorisation préalable du maître de l'ouvrage, ni à une acceptation expresse et non équivoque après leur réalisation, l'entrepreneur peut en obtenir paiement si ces travaux demandés par le maître ont bouleversé l'économie du contrat.

5- En l'espèce, le marché de travaux a été conclu par les parties au prix global forfaitaire non révisable de 4 899 867 euros TTC, conformément à un devis descriptif, quantitatif et estimatif joint en annexe du contrat.

6- La société SFTAG a initialement procédé à un pré-chargement du sol avec un remblai de substitution.

7- Il ressort du rapport d'expertise judiciaire qu'à l'occasion de fortes précipitations, ce remblai mis en place sur l'emplacement de plusieurs bâtiments a occasionné une surcharge et un fluage des sols compressibles et par voie de conséquence le soulèvement de la route départementale.

8- Lors de la réunion de chantier du 5 juin 2012, le maître d'oeuvre a décidé que les bâtiments EFGH et IJKL seraient réalisés sur pieux.

9- Selon le rapport d'étude géotechnique de la société Ginger LBTP du 29 janvier 2009, les terrains d'implantation des immeubles comportaient en effet une surface en remblai de sable pollué par des déchets divers, recouvrant une ancienne zone marécageuse, composée elle-même d'argiles vasardes tourbeuses à très faible consistance et donc très fortement compressibles, de nature à générer d'importants tassements différentiels.

Le rédacteur du rapport précise (page 11) que la solution pour s'affranchir des tassements était de prévoir des fondations profondes sur pieux, jusqu'à atteindre le rocher.

10 - Dans son décompte général définitif du 29 décembre 2014, la société SFTAG a mentionné (ligne A1) des travaux supplémentaires en VRD, pour un montant de 493617.50 euros qu'elles expliquent en premier lieu, dans son courrier d'accompagnement, par la nécessité d'adapter l'opération de construction à la deuxième étude de sol faite par le bureau LBTPG, démontrant la qualité très médiocre du sol de cette parcelle de terrain.

11- Toutefois, elle justifie seulement de la prise en charge par ses soins de travaux supplémentaires sur pieux après retrait des pré-chargements, pour un coût de 102361 euros (sa pièce 6) qui étaient nécessaires à la réalisation selon les règles de l'art de l'ouvrage visé par le forfait, puisqu'il s'agissait d'assurer la stabilité des bâtiments. Elle convient d'ailleurs du caractère nécessaire de ces travaux dans ses conclusions (page 11).

Ces travaux ne justifient donc pas une facturation de la part de l'entreprise, quand bien même leur nécessité n'est apparue qu'en cours de chantier, et il incombait en toutes hypothèses à la société SFTAG d'assumer le risque lié à l'absence d'étude complète sur le plan géotechnique lorsqu'elle a établi son devis de marché à forfait.

Dans le cadre de la contestation sur la nature du marché, il ne peut donc être utilement reproché au maître de l'ouvrage de ne pas avoir lui-même préconisé initialement des fondations en pieux, en adoptant la solution moins onéreuse (par mise en place de radiers).

12- Il convient d'écarter, comme inopérant, le moyen tiré du bouleversement de l'économie du contrat, dès lors que le montant des travaux supplémentaires que la société SFTAG justifie avoir supporté au titre des fondations (102 361 euros TTC ) concerne une partie très limitée des prestations convenues et ne représente que 2% du montant total du marché de travaux à forfait. La facture 2012-30 de la société SAFOR en date du 26 octobre 2012 d'un montant de 219 720 euros (pièce 7 de la société SFTAG) a été adressée à la société Sovel qui l'a prise en charge, de sorte que l'appelante ne peut s'en prévaloir.

13- Il résulte du courrier adressé par la société SFTAG le 29 décembre 2014 que le complément de travaux supplémentaires réclamés au titre du lot VRD (soit 493617.50 - 102361 = 391256.50 euros) correspond à la normalisation des travaux imposée par les concessionnaires SGDE-Consuel-EDF-TELECOM, 'obligeant l'entreprise titulaire du marché à se conformer aux normes et à s'adapter' selon les termes du représentant légal de la société SFTAG.

14- Il apparaît que ces travaux supplémentaires, qui étaient nécessaires pour la réalisation de l'ouvrage conformément aux normes applicables, et que l'entreprise aurait donc dû prévoir lors de la préparation de son devis, ne peuvent en conséquence donner lieu à réclamation auprès du maître de l'ouvrage.

15- Par ailleurs, il n'est pas démontré que le maître de l'ouvrage ait lui-même demandé la réalisation de ces prestations, ni qu'il les ait acceptés après réalisation, de manière expresse et non équivoque.

16- En outre leur coût représente 8 % du montant du marché, et n'entraîne pas un bouleversement économique du marché.

17- Contrairement à ce que soutient la société SFTAG, il n'est donc nullement démontré que le maître de l'ouvrage ait modifié la nature du contrat de construction.

Sur la demande en paiement de la société SFTAG au titre de travaux supplémentaires acceptés:

18- La société SFTAG soutient qu'en application du seul marché à forfait, d'un montant de 4 899 867 euros, la société Sovel Promotion reste devoir la somme de 759 762 euros, en déduisant les acomptes perçus (4143105 euros).

Elle ajoute que le maître d'ouvrage n'a pas contesté dans le délai imparti son décompte général définitif d'un montant de 5 971 462.90 euros, incluant des situations de travaux validées par le maître de l'ouvrage, et n'a pas notifié son propre DGD à l'entreprise dans le délai de 45 jours. Elle en déduit que le DGD de l'entreprise est opposable au maître de l'ouvrage.

Elle ajoute que nonobstant l'absence de signature d'un avenant, les situations de travaux supplémentaires ont été validés par le maître d'ouvrage, puis par sa lettre d'acceptation du 16 juin 2014, et l'absence de contestation du DGD.

La SFTAG affirme que la société Sovel promotion a pratiqué des retenues de garantie à hauteur de 298.573,15 euros, soit 5% du coût du marché initial corrigé des travaux supplémentaires, démontrant qu'elle a bien accepté les travaux supplémentaires. A défaut, la retenue de garantie aurait été de 244.993,35 euros correspondant à 5% du prix du marché forfaitaire.

Elle fait en outre valoir qu'elle a légitimement cru au mandat apparent donné par le maître d'ouvrage au profit du maître d'oeuvre, pour l'acceptation des travaux supplémentaires, dès lors que les sociétés Sovel Promotion et ArchiDD avaient les mêmes représentants légaux (MM. [R] et [U]).

19- La société Sovel Promotion indique qu'elle n'a ni accepté, ni ratifié de manière expresse la réalisation de travaux supplémentaires non intégrés dans le marché à forfait; que la lettre adressée par le maître d'oeuvre ne saurait valoir validation de tels travaux; et que la société SFTAG ne peut valablement invoquer la théorie du mandat apparent.

Sur ce:

20- La procédure de clôture des comptes mise en place par les parties ne pouvait prévaloir sur la qualification de marché à forfait donnée au contrat.

Il en résulte que ni le silence gardé par la société Sovel Promotion pendant plus de 30 jours à réception du mémoire définitif de l'entreprise, ni le non-respect par le maître de l'ouvrage de la procédure de clôture des comptes, ni l'expiration du délai de la garantie de parfait achèvement ne valait de sa part acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires dont la société SFTAG réclamait le paiement.

21- Par ailleurs, c'est en vain que la société SFTAG entend tirer argument de la lettre qui lui a été adressée le 16 juin 2014 par la société ARCHIDD.

En effet, le maître d'oeuvre se borne à y faire état d'une liste de travaux qu'il propose à la validation du maître de l'ouvrage, à savoir la société Sovel Promotion, personne morale distincte.

Or, la société Sovel Promotion n'a pas ratifié ou validé de manière expresse les travaux supplémentaires, soit par signature d'un avenant, soit par un acte ou un écrit manifestant de manière univoque son accord.

22- L'argument tiré de l'existence d'un mandat apparent doit être écarté comme inopérant, dès lors qu'il ne résulte pas des productions que la société ArchiDD ait jamais pris position, au nom et pour le compte de la société Sovel Promotion, sur le principe de l'acceptation de travaux supplémentaires, et qu'elle fait état de la validation nécessaire du maître de l'ouvrage dans son courrier du 16 juin 2014.

En toutes hypothèses, compte tenu de sa qualité de professionnelle de la construction,la société SFTAG ne démontre pas qu'elle ait pu croire de manière légitime dans les pouvoirs du maître d'oeuvre à engager le maître de l'ouvrage, quand bien même les deux sociétés ont les mêmes dirigeants.

23- La seule circonstance que le montant de la retenue de garantie pratiquée par le maître de l'ouvrage (soit 298573,15 euros) correspond à 5% du montant du marché initial corrigé des travaux supplémentaires (5 971 462,90 euros) ne vaut pas acceptation expresse et non équivoque des travaux supplémentaires, ni renonciation par le maître de l'ouvrage au droit d'invoquer le caractère forfaitaire du marché de travaux.

Au surplus, il sera relevé que la société Sovel Promotion avait clairement rappelé les règles applicables en la matière, sans aucunement accepter le principe de travaux supplémentaires, en indiquant dans son courrier du 11 juin 2014 qu''aucun paiement supplémentaire n'est juridiquement dû', et que 'si des travaux supplémentaires précis et quantifiés ont été effectués soit à la demande de la promotion, soit à la demande de la maîtrise d'ouvrage, ils seront payés après vérification et approbation par la maîtrise d'ouvrage et par la promotion'.

Sur le compte entre les parties:

24- Il résulte des stipulations de l'article 1er du marché de travaux que le CCAP (cahier des clauses administratives particulières) applicables aux travaux de bâtiment présente un caractère contractuel bien qu'il ne soit pas matériellement joint au marché.

25- Dans sa version applicable au contrat du 23 décembre 2011, la norme NF P 03 001 édictait les règles suivantes:

Article 19.6.1:

Le maître d'oeuvre examine le mémoire définitif et établit le décompte définitif des sommes dues en exécution du marché. Il remet ce décompte au maître de l'ouvrage.

Article 19.6.2:

Le maître de l'ouvrage notifie à l'entrepreneur ce décompte définitif dans un délai de 45 jours à dater de la réception du mémoire définitif par le maître d'oeuvre. Ce délai est porté à 4 mois à dater de la réception des travaux dans le cas d'application du paragraphe 19.5.4 .

Si le décompte n'est pas notifié dans ce délai, le maître de l'ouvrage est réputé avoir accepté le mémoire définitif remis au maître d'oeuvre après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours.

La mise en demeure est adressée par l'entrepreneur au maître d'ouvrage avec copie au maître d'oeuvre.

Article 19.6.3:

L'entrepreneur dispose de 30 jours à compter de la notification pour présenter, par écrit, ses observations éventuelles au maître d'oeuvre et pour en aviser simultanément le maître de l'ouvrage. Passé ce délai, il est réputé avoir accepté le décompte définitif.

Article 19.6.4:

Le maître de l'ouvrage dispose de 30 jours pour faire connaître, par écrit, s'il accepte ou non les observations de l'entrepreneur.

Passé ce délai, il est réputé avoir accepté ces observations.

26- En l'espèce, le procès-verbal de réception a été signé le 27 juin 2014 avec des réserves mentionnées à l'annexe un de ce procès-verbal; il n'est pas contesté que ces réserves ont été levées.

27- Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 16 décembre 2014, la société Sovel Promotion a adressé son décompte définitif à la société SFTAG en détaillant les éléments justifiant une plus-value et ceux une moins-value.

28- Dans le délai de 30 jours, la société SFTAG a adressé ses observations en réponse en contestant le décompte du maître de l'ouvrage.

29- En revanche, la société Sovel Promotion n'a pas indiqué à l'entreprise générale si elle acceptait ou non les observations de l'entrepreneur.

30- En l'absence d'accord expresse et non équivoque du maître de l'ouvrage sur les travaux supplémentaires, le décompte général définitif de la société SFTAG doit faire l'objet d'une rectification dans les conditions suivantes, par retranchement de ces travaux supplémentaires et ajout des plus-values admises par le maître de l'ouvrage:

Montant initial du marché: 4 899 867.40 euros

Plus values admises par le maître de l'ouvrage (hors travaux supplémentaires) dans son propre DGD du 16 décembre 2014):147 969 euros

Travaux non réalisés, selon SFTAG: 34713 + 70 778 = 105 491 euros

Situations de travaux payés à la SFTAG: 4 143 105.04 euros

Travaux payés aux sous-traitants: 642579.75 euros

Solde du marché: 156 660.61 euros.

31- Il convient en conséquence d'infirmer le jugement, et de condamner la société Sovel Promotion à payer à la société SFTAG la somme de 156 660.61 euros, avec intérêt au aux légal à compter du 29 décembre 2014, et capitalisation des intérêts par année entière en application de l'article 1154 du code civil (devenu article 1343-2 du code civil), en rejetant le surplus des demandes, en ce compris la demande au titre de la retenue de garantie qui n'a pas d'objet au regard du solde du marché.

Sur les demandes accessoires:

32- Il est équitable d'allouer à la société SFTAG indemnité de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Sovel Promotion sera en outre condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort:

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 2023,

Statuant dans la limite des chefs de l'arrêt cassé,

Rejette la demande de la société française des travaux d'aménagement Guyane (SFTAG) tendant à voir juger que la commande par la société Sovel Promotion de travaux supplémentaires non prévus initialement au marché a entraîné le bouleversement de l'économie générale du marché,

Dit n'y avoir lieu à homologation du décompte général définitif de la société SFTAG,

Condamne la société Sovel Promotion à payer à la société SFTAG la somme de 156 660.61 euros, avec intérêt au aux légal à compter du 29 décembre 2014, et capitalisation des intérêts par année entière,

Rejette le surplus des demandes,

Y ajoutant,

Condamne la société Sovel Promotion à payer à la société SFTAG la somme de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Sovel Promotion aux dépens de première instance et d'appel, et autorise Maître Valérie Janoueix, avocate, à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance sans recevoir provision.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Magistrat


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 23/04003
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;23.04003 ?
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