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17/06/2024 | FRANCE | N°22/01984

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 17 juin 2024, 22/01984


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 17 JUIN 2024









N° RG 22/01984 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MVIA









S.A.S. LA FAVORITE





c/



Monsieur [S] [J]

Monsieur [Y] [E]

S.A.S. FINANCIERE COMPTABLE DU SUD OUEST



S.E.L.A.R.L. PHILAE





















Nature de la décision : AU FOND

























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 mars 2022 (R.G. 2019F01264) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 avril 2022





APPELANTE :



S.A.S. LA FAVORITE prise en la personne de...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 17 JUIN 2024

N° RG 22/01984 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-MVIA

S.A.S. LA FAVORITE

c/

Monsieur [S] [J]

Monsieur [Y] [E]

S.A.S. FINANCIERE COMPTABLE DU SUD OUEST

S.E.L.A.R.L. PHILAE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 08 mars 2022 (R.G. 2019F01264) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 avril 2022

APPELANTE :

S.A.S. LA FAVORITE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 3]

Représentée par Maître Alan BOUVIER, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur [S] [J] né le 26 Mars 1988 à [Localité 7] de nationalité Française, demeurant [Adresse 1]

assisté de Me Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX assistée par Maître Philippe GATIN avocat au barreau de SAINTES

Monsieur [Y] [E] né le 01 Mars 1959 à [Localité 9] de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]

S.A.S. FINANCIERE COMPTABLE DU SUD OUEST prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [Adresse 5]

Représentée par Maître Blandine FILLATRE de la SELARL GALY & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BORDEAUX asssités par Maître Patricia LE TOUARIN-LAILLET avocat au barreau de BORDEAUX de la SCP INTERBARREAUX RAFFIN ET ASSOCIES

INTERVENANTE :

S.E.L.A.R.L. PHILAE Es qualité de mandataire judiciaire de la SAS LA FAVORITE désignée par Jugement du Tribunal de Commerce de BORDEAUX du 9 février 2022 ,[Adresse 2]

Représentée par Maître Alan BOUVIER, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 mai 2024 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

Les époux [L] ont exploité un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie à [Localité 8]. Pour des raisons personnelles, ils ont souhaité déménager à [Localité 6] et ont cherché à acquérir un nouveau fonds de commerce.

Ils sont ainsi entrés en contact avec M. [J] qui exploitait un fonds artisanal de boulangerie-pâtisserie situé au [Adresse 3] à [Localité 6] (33) .

Le 5 juillet 2017, les époux [L] ont signé une lettre d'intention en faveur de M. [J] a'n d'acheter le fonds artisanal de boulangerie de ce dernier pour un prix de 240.000 euros, sur la base du chiffre d'affaires de la boulangerie tel qu'il ressortait de l'attestation de l'expert- comptable du vendeur du 11 mai 2017.

Cette cession devait être faite en faveur d'une société que devaient constituer les acquéreurs. Les époux [L] se proposait d'exploiter le fonds à leur profit dès le 14 août 2017 dans le cadre d'une location gérance.

Par acte sous-seing privé du 9 août 2017, un compromis de vente du fonds artisanal sous la condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire a été signé entre les parties pour un prix de vente de 240.000 euros. L'acte mentionnait le chiffre d'affaires et les résultats d'exploitation de la boulangerie pour les exercices 2013/2014, 2014/2015 et 2015/2016.

Le même jour, M. [J] a donné en location gérance son fonds de commerce aux époux [L] pour une durée de 2 mois et moyennant une redevance de 16.000 euros hors taxe.

Les délais fixés dans le compromis et la location-gérance ont été tacitement prorogés par les parties jusqu'au 1er novembre 2017.

Le 16 octobre 2017, les époux [L] ont immatriculé la société La favorite au Registre du Commerce et des Sociétés, structure juridique destinée à acheter le fonds de commerce.

Par acte notarié du 20 novembre 2017, M. [J] a résilié le contrat de location-gérance consentie aux époux [L] et a vendu à la société La favorite le fonds artisanal de boulangerie pâtisserie avec effet rétroactif au 1er novembre 2017 pour un prix de 240.000 euros. L'acte comportait la mention du chiffre d'affaires et du résultat d'exploitation pour les exercices 2014/2015, 2015/2016, 2016/2017 et la partie d'exercice révolue au 30 juin 2017.

La société La favorite, constatant que son fonds de commerce avait dégagé un chiffre d'affaires et un résultat inférieurs à ceux annoncés par le vendeur et l'expert comptable de celui-ci, a assigné M. [J] le 14 novembre 2019 aux fins d'être indemnisée de divers préjudices sur le fondement du dol, du non-respect de la clause de 'mise au courant' et de la défectuosité de l'installation électrique. Cette affaire a été enrôlée sous le numéro RG 2019F01264.

Puis les 16 et 19 octobre 2020, la société La favorite a assigné M. [E] et la société Financière comptable du Sud Ouest sur le fondement délictuel en indemnisation de son préjudice résultant des mauvais conseils que ceux-ci lui ont prodigués et de l'immixtion dans la société qu'il a fait créer aux époux [L]. L'affaire a été enrôlée sous le numéro de RG 2020F01020.

Par jugement du 9 février 2022, la société La favorite a été placée en redressement judiciaire, la SELARL Philaé, représentée par Me [K] désignée, en qualité de mandataire judiciaire.

Par jugement du 08 mars 2022, le tribunal de commerce de Bordeaux a :

- joint les instances inscrites sous les numéros de rôle 2019F01264 et 2020F01020 ;

- dit recevable l'assignation de la SAS La favorite du 14 novembre 2019 à l'encontre de M. [J] ;

- dit irrecevable l'assignation de la SAS La favorite à l'encontre de la SAS Financière comptable du sud ouest ;

- débouté la SAS La favorite de ses demandes ;

- débouté la SAS La favorite de sa demande d'expertise judiciaire ;

- condamné la SAS La favorite à payer à M. [J] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SAS La favorite à payer à M. [E] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamné la SAS La favorite à payer à la SAS Financière comptable du sud ouest la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour statuer comme ils l'ont fait et rejeté notamment la demande d'indemnisation fondée sur le dol, les premiers juges ont notamment relevé que:

- l'acte de vente mentionnait que le cessionnaire déclarait s'être, par ses investigations personnelles, informé et rendu compte des potentialités du fonds vendu,

- la société La favorite, dont les gérants avaient exploité pendant plus de 15 ans une boulangerie, ne pouvait ignorer qu'un prévisionnel ne constitue qu'une projection incertaine du chiffre d'affaires qui sera effectivement réalisé,

- les éléments financiers signés par l'expert comptable ont été produits lors de l'acte de cession pour les trois exercices,

- les époux [L] avaient exploité le fonds dans le cadre du contrat de location gérance, ce qui leur avait permis de juger l'activité du fond cédé.

Par déclaration en date du 21 avril 2022, la société La favorite a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant M. [J], la société Financière comptable du sud-ouest et M. [E].

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par conclusions notifiées par RPVA le 20 juillet 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société La Favorite demande à la cour de :

Vu l'article 1112-1 du Code civil,

Vu l'article 1103 du Code civil,

Vu l'article 1104 du Code civil,

Vu l'article 1353 du Code civil,

Vu l'article 1231-1 du Code civil,

Vu l'article 1231-2 du Code civil,

Vu l'article 2224 du Code civil,

Vu l'article 1240 du Code civil,

Vu l'article 157 du Décret n°2012-432 du 30 mars 2012,

- juger recevable et bien fondée la SAS La favorite en tous ses moyens fins et prétentions.

- reformer le jugement du tribunal de Commerce de Bordeaux en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau :

- condamner M. [J] à payer à la SAS La favorite la somme de 97 558 euros en réparation de son préjudice économique ;

- condamner Monsieur M. [J] à payer à la SAS La favorite la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- condamner M. [J] à payer à la SAS La favorite le montant des frais de procédures inhérents à la procédure de Redressement Judiciaire et à titre provisoire la somme de 10 000 euros à parfaire ;

- condamner M. [E] et la SAS Financière comptable du sud ouest à payer in solidum à la SAS La favorite la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

- condamner M. [J] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner M. [E] à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la SAS Financière comptable du sud ouest à lui payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile;

- condamner M. [J] , M. [E] et la SAS Financière comptable du sud ouest aux frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers

Par conclusions notifiées par RPVA le 19 octobre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Financière comptable du sud ouest demande à la cour de :

- dire juger l'appel de la société La favorite mal fondé.

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 8 mars 2022 en toutes ses dispositions relatives à l'irrecevabilité de l'action formée à l'encontre de la société Financière comptable du sud ouest et de M. [E],

- confirmer le jugement dont appel en ses dispositions qui ont prononcé la mise hors de cause de la SAS Financière comptable du sud ouest et de M. [E],

- confirmer le jugement en ses dispositions d'allouer une indemnité au titre de l'article 700 à la SAS Financière comptable du sud ouest et à M. [E] .

Y ajoutant

- allouer à la SAS Financière comptable du sud ouest et à M. [E] une indemnité supplémentaire de 5.000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés devant la cour et qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge.

- condamner la SAS La favorite aux entiers dépens d'instance et d'appel et ce avec distraction au profit de la Selarl Galy et associés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par RPVA le 20 octobre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [J] demande à la cour de :

- confirme le Jugement de première instance en toutes ses dispositions,

- débouter lasociété La favorite l'ensemble de ses demandes dirigées à l'encontre de Monsieur [J],

Subsidiairement,

-débouter la société La favorite de ses demandes tendant à voir condamner Monsieur [J] au paiement de quelques sommes que ce soient tant au titre de son préjudice économique, que de son préjudice moral et des frais liés à la procédure de redressement judiciaire,

- fixer au passif de la société La favorite une somme de 10.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner la société La favorite au paiement des entiers dépens de l'instance,

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et des moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 avril 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la responsabilité de M. [J] :

1- La société La Favorite soutient que M. [J], ne lui a jamais communiqué les livres et documents comptables des trois derniers exercices et que ces documents n'ont pas été annexés à l'acte de cession. En outre, la clientèle professionnelle dite 'clientèle de dépôt' ne lui a pas été présentée par le vendeur, contrairement aux dispositions contractuelles et a ainsi été perdue.

La société intimée argue sur ces deux fondements d'un manquement du vendeur à son devoir d'information, engageant la responsabilité de ce dernier sur le fondement de l'article 1112-1 du code civil.

Elle soulève également un manquement à l'obligation de loyauté de M. [J] du fait d'une part, à nouveau d'un manquement à son obligation de présentation de la clientèle résultant de la clause de 'mise au courant' et d'autre part de la volonté de celui-ci de le dénigrer en produisant des attestations mensongères.

Il sollicite la réparation de son préjudice économique à hauteur de 97.558 euros, correspondant à la surévaluation du fonds de commerce, à la somme de 20.000 euros au titre de son préjudice moral, ainsi qu'à l'intégralité des frais de procédure inhérents à sa procédure de redressement judiciaire, provisoirement chiffrés à 10.000 euros.

La société appelante affirme en dernier lieu qu'il existe un lien de causalité certain entre la perte de la clientèle de dépôt et la baisse de chiffres d'affaires de la boulangerie.

2- M. [J] expose que le compromis de vente puis l'acte de vente comportent une clause relative aux chiffres d'affaires des trois dernières années et que le vendeur a tenu à sa disposition la comptabilité des trois derniers exercices précédant celui de la vente, conformément aux dispositions des articles L141-1 et L 141-2 du code du commerce. Il ajoute que l'acte notarié de vente comporte une clause selon laquelle le cessionnaire déclare s'être, par ses investigations personnelles, informé et rendu compte des potentialités du fonds vendu, que les comptes annuels des exercices 2014/2015 et 2015/2016 ont été joints au contrat de location gérance, lequel précise que la possibilité pour les locataires gérants de prendre connaissance des livres de commerce.

Sur le manquement à l'obligation de mise au courant, il rétorque que celle-ci a eu lieu en août 2017 dans le cadre de la location gérance, qu'en outre, durant cette période, le cessionnaire a pu se faire une parfaite idée des potentialités et de la qualité du fonds de commerce, objet de la vente, et que depuis août 2017, il n'était plus autorisé à se rendre à la boulangerie comme en atteste M. [E], expert-comptable.

M. [J] conteste le dénigrement fondé sur les attestations versées aux débats, affirmant que le défendeur est à même d'administrer la preuve de ce qu'il invoque par tous moyens. Subsidiairement, il conteste les préjudices invoqués comme étant infondés, qu'il ne saurait être tenu responsable par le prévisionnel établi par l'expert-comptable, ni des difficultés financières dont l'origine est le comportement de la société La favorite elle-même, et qu'il n'est nullement justifié que les prétendus manquements seraient à l'origine de la mise en oeuvre de la procédure collective de la société La Favorite.

Sur ce,

Sur la responsabilité de M. [J] pour manquement à son devoir d'information

3- L'article 1112-1 du code civil dispose :

'Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.'

4- En l'espèce, les époux [L] font état, dans leur lettre d'intention à l'attention de M. [J], des échanges qu'ils ont eus avec lui et son conseil ainsi que ' des éléments d'informations que vous et votre Expert-Comptable vous avez bien voulu nous remettre' (pièce appelant 4). Les époux [L] reconnaissent ainsi avoir reçu une information précontractuelle.

5- En outre, le contrat de location gérance régularisé par la suite par acte notarié le 9 août 2017, soit avant la signature de l'acte définitif de vente, stipule que 'les livres de commerce relatifs au fonds objet des présentes demeureront entre les mains de LOCATAIRE-GÉRANT qui les laissera consulter sur place par le LOUEUR aussi souvent que ce dernier le jugera utile'. Dans cet acte, il est en outre fait état :

- des chiffres d'affaires et des résultats d'exploitation réalisés par M. [J] au titre des exercices clos au 30 juin 2014, 30 juin 2015 et 30 juin 2016,

- de certaines pièces annexées à l'acte, dont en pièce 4 "les comptes annuels exercice 2014/2015" et en pièce 5 'les comptes annuels exercice 2015/2016", étant précisé que les comptes de l'année suivante n'étaient pas encore établis.

6- Enfin et surtout, l'acte authentique de cession du bail commercial du 20 novembre 2017 rappelle que 'le cessionnaire déclare s'être, par ses investigations personnelles, informé et rendu compte des potentialités du fonds vendu' et il est à nouveau fait état des chiffres d'affaires et des résultats nets des trois précédents exercices ainsi que de l'exercice accomplie jusqu'au jour de la location gérance, 5 août 2017.

7- Dès lors, même si les documents comptables n'ont pas été annexés à l'acte de cession, la société La Favorite, dont le président est M. [L], a nécessairement été informée par le biais de ce dernier de la situation comptable et financière du fonds artisanal lors des exercices 2014/2015 et 2015/2016 par le biais des annexes jointes au contrat de location gérance et des résultats du dernier exercice dans le cadre de la location gérance consenti par le vendeur à son profit dans les mois précédents la cession, étant rappelé que les dispositions des articles L 141-1 et suivants du code de commerce ne sont pas applicables à la cession d'un fonds artisanal qui est de nature civile. Il ne peut dès lors être retenu un défaut d'information de ce chef.

8- S'agissant de l'existence de la clientèle de dépôt, celle-ci a nécessairement été portée à la connaissance des époux [L], et donc de la société La Favorite, dans le cadre de leur exploitation du fonds de boulangerie pendant les mois précédant la vente de celui-ci, étant rappelé que les époux [L] avaient déjà une expérience d'une quinzaine d'années dans un commerce similaire. Aucun défaut d'information ne peut être dès lors retenu de ce chef non plus

Sur la responsabilité de M. [J] pour manquement à l'obligation de loyauté :

9- Conformément aux articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits et ils doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

10- L'acte de cession comporte en page 9 une clause de mise au courant aux termes de laquelle le cédant s'engage à mettre le cessionnaire au courant de ses affaires et à le présenter comme son successeur à ses fournisseurs, ses prestataires de services et à sa clientèle.

11- Comme indiqué précédemment, à compter du 7 août 2017 et jusqu'à la cession du fonds de commerce intervenue le 20 novembre suivant, les époux [L] ont pris en location gérance le fonds artisanal leur permettant de prendre connaissance de l'activité, de la clientèle et des fournisseurs. Un d'eux atteste avoir été présenté par M. [J] à la société La Favorite début août 2017 (pièce 20 M. [J]). Néanmoins, les relations entre M. [J] et les cessionnaires se sont dégradées et le cédant n'a plus été autorisé à se rendre à la boulangerie comme en atteste M. [E] (pièce 7 M. [J]) mettant un terme à la mise au courant.

12- Il ressort ainsi des éléments produits que le cédant n'a pas poursuivi la mise au courant comme prévu à l'acte de cession en raison d'une mésentente entre les parties, ce qui ne peut dès lors constituer une faute imputable au seul vendeur et est en tout état de cause sans lien avec le préjudice allégué puisque les époux [L] avaient déjà pu faire connaissance des fournisseurs et des clients pendant la période de location gérance du fonds.

13- La société La Favorite prétend encore que M. [J] a fait preuve d'une profonde déloyauté en dénigrant la société La favorite et ses associés en réunissant des attestations mensongères, ce que M. [J] conteste.

14- Il sera relevé que la société La Favorite ne précise pas quelles seraient les attestations mensongères ni n'explique quelles seraient les affirmations mensongères démontrant une déloyauté de M. [J].

15- Au vu de ces éléments, la société La Favorite ne démontre pas l'existence d'une faute de M. [J] à l'origine du préjudice qu'elle invoque.

16- La décision du tribunal déboutant la société La Favorite de ses demandes envers M. [J] sera confirmée

Sur la responsabilité de M. [E] et de la société Financière comptable du Sud Ouest :

17- La société La Favorite soutient que son action est recevable, le délai de forclusion de trois mois prévu dans la lettre de mission du 27 novembre 2017 ne pouvant trouver application aux fautes commises pour des faits sans lien avec cette lettre de mission et antérieurement à sa signature. Elle demande à la cour de retenir la responsabilité de M. [E] et de la société Financière comptable du Sud Ouest, fondant son action en appel sur le seul fondement délictuel, reprochant à ces derniers, qui étaient ses 'conseils officieux', de ne pas l'avoir informée de l'importance de la clientèle de dépôt, d'avoir refusé de lui communiquer les documents comptables de la société et d'être à l'origine d'un prévisionnel en totale contradiction avec la réalité économique ( maintien de l'intégralité de la clientèle et 'incompatibilité avec les fours et autres machines de production dont le fonds de commerce était doté'). Elle affirme que ces professionnels assermentés du chiffre ont établi un prévisionnel 'anormalement optimiste et abusivement positif' dans le seul but de confirmer la valorisation du fonds de commerce à 240 000 euros.

18- La société Financière comptable du Sud Ouest et M. [E] relèvent que les appelants n'ont pas sollicité l'infirmation du chef de la décision les déclarant forclos. En tout état de cause, l'action de l'appelante est prescrite sur le fondement de l'article 6 de la lettre de mission du 27 novembre 2017. A titre subsidiaire et sur le fond, elle fait valoir que M. [J] puis la société La Favorite n'ont contracté qu'avec la société Financière comptable du Sud Ouest et pas avec M. [E] à l'encontre de qui aucune faute personnelle n'est établie. La société La Favorite conteste avoir accompli aucune mission à quelque titre que ce soit dans le cadre d'une mission contractuelle que lui aurait confié la société La Favorite avant le 27 novembre 2017. Elle rappelle en outre qu'elle n'était tenue que d'une obligation de moyens, que la société Favorite ne pouvait ignorer l'existence d'une clientèle de dépôt, que celle-ci en tout état de cause n'apparaissait pas comme telle dans les comptes et que le caractère erroné du prévisionnel n'est pas démontré. Enfin, les intimés avancent que la baisse importante du chiffre d'affaires est due à la maladresse et au manque de discernement des nouveaux acquéreurs du fonds dans la gestion de celui-ci ( arrêt des livraisons, licenciement de la vendeuse, refus des animaux dans le magasin, production inadaptée).

Sur ce,

19- Le tribunal a déclaré l'action de la société La Favorite recevable à l'encontre de M [E] mais irrecevable car prescrite à l'encontre de la société Financière comptable du Sud Ouest. Pour ce faire, elle s'est placée sur le seul terrain contractuel. En appel, la société La Favorite se place exclusivement sur le terrain délictuel.

20- Les intimés ne contestent pas le fait qu'il n'existait pas de relations contractuelles entre les parties à la date à laquelle le prévisionnel litigieux a été établi. L'appelant peut ainsi à bon droit se placer sur le terrain délictuel.

21- De ce fait, le délai de forclusion figurant dans la lettre de mission du 27 novembre 2017 conclu postérieurement au prévisionnel et aux termes duquel elle confiait l'établissement de ses comptes à la société Financière comptable du Sud Ouest n'est pas applicable et l'action est recevable.

22- La fin de non-recevoir tirée de la forclusion de l'action sera rejetée. La décision de première instance sera infirmée de ce chef, étant précisé que contrairement à ce qui est soutenu l'appelante a bien fait appel de ce chef de la décision critiquée.

23- L'appelante ne peut se fonder sur le seul fondement délictuel et reprocher à la société d'expertise comptable d'avoir manqué à son égard à une obligation d'information et de communication de pièces, dont celle-ci n'était tenue avant la cession qu'à l'égard de son client, M. [J]. En tout état de cause, il n'est nullement justifié de la réalité de ce rôle et encore moins de manoeuvres visant à l'inciter à contracter.

24- S'agissant du prévisionnel, les premiers juges ont retenu à raison que la société La favorite, dont les gérants avaient exploité pendant plus de 15 ans une boulangerie, ne pouvait ignorer qu'un prévisionnel ne constitue qu'une projection incertaine du chiffre d'affaires qui sera effectivement réalisé.

25- La cour relève en outre qu'il n'est démontré aucune erreur grossière dans ce prévisionnel qui prend pour base un chiffre d'affaires en augmentation raisonnable et n'omet pas l'augmentation du coût de la matière première et des charges de personnel.

26- La cour ajoutera que ce prévisionnel est relativement sommaire, ce que ne pouvait ignorer des commerçants aguerris, et apparaît avoir été établi, à titre principal, pour permettre aux acquéreurs d'obtenir un prêt bancaire. Ils leur appartenaient, le cas échéant, de mandater leur propre comptable, pour faire réaliser une étude plus poussée.

27- Compte tenu de ces éléments, la société La Favorite sera déboutée de ses demandes, tant à l'encontre de M. [E] que de la société Financière comptable du Sud Ouest.

Sur les frais et les dépens :

28- La société La Favorite qui succombe sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel.

29- La société La Favorite sera condamnée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à verser la somme de 3.000 euros à M. [J] et la somme de 3.000 euros à la société Financière comptable du sud ouest et à M. [E], pris ensemble.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

Confirme le jugement rendu le 8 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux, sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action de la société La Favorite à l'encontre de la société Financière comptable du Sud Ouest,

et statuant à nouveau,

Déclare recevable l'action de la société La Favorite à l'encontre de la société Financière comptable du Sud Ouest,

Déboute la société La Favorite de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre de la société Financière comptable du Sud Ouest,

Y ajoutant,

Condamne la société La Favorite aux entiers dépens;

Condamne la société La Favorite à verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à M. [J] ;

Condamne la société La Favorite à verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société Financière comptable du sud ouest et à M. [E];

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Magistrat


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 22/01984
Date de la décision : 17/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-17;22.01984 ?
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