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04/06/2024 | FRANCE | N°20/05390

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 04 juin 2024, 20/05390


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 04 JUIN 2024









N° RG 20/05390 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-L3PU







S.A. ALLIANZ IARD

S.A.S. LAGRUA



c/



S.A.S. TRANSPORTS MORAUD























Nature de la décision : AU FOND






















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Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 novembre 2020 (R.G. 2018F00160) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 30 décembre 2020





APPELANTES :



S.A. ALLIANZ IARD, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 04 JUIN 2024

N° RG 20/05390 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-L3PU

S.A. ALLIANZ IARD

S.A.S. LAGRUA

c/

S.A.S. TRANSPORTS MORAUD

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 novembre 2020 (R.G. 2018F00160) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 30 décembre 2020

APPELANTES :

S.A. ALLIANZ IARD, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège sis [Adresse 1]

S.A.S. LAGRUA, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège sis [Adresse 6]

Représentée par Maître DELAVALLADE de la SCP DELAVALLADE - RAIMBAULT, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistées de Maître Caroline OLIVAS GUISSET, avocat au barreau de NARBONNE

INTIMÉE :

S.A.S. TRANSPORTS MORAUD, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 2]

Représentée par Maître Céline GRAVIERE, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Mapitre Bruno TIRET avocat au barreau de MARSEILLE

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 avril 2024 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE:

La SAS Lagrua exploite le magasin Intermarché situé à [Localité 7] (Gironde) et la station-service adjacente.

La SAS Marilien exploite le magasin Intermarché situé à [Localité 8] (Gironde) et la station-service adjacente.

En 2016, la société Marilien a confié la rénovation de sa station-service à la société Madic, spécialisée dans la maintenance des stations-service. Pour les opérations de pompage du carburant présent dans les cuves rendues nécessaires pour effectuer les travaux, et son transfert dans une citerne routière, la société Madic a sollicité la société Suez.

Un ordre d'intervention a été émis par la société Suez pour le prélèvement de 16 000 litres de SP95 et de 13 000 litres de SP95E10.

La société Suez a confié le 24 octobre 2016 le transport de ces hydrocarbures à la SAS Transports Moraud, dont un préposé a visé l'ordre d'intervention. Une lettre de voiture n° 538 de cette date mentionne toutefois comme chargement 16 m3 de « Gazole Normal » et 13 m3 de SP95E10, de même qu'une seconde lettre de voiture du 31 octobre suivant.

Ce même 31 octobre 2016, le carburant extrait a été livré par la société Transports Moraud à l'Intermarché de [Localité 7] géré par la SAS Lagrua.

Entre le 2 et le 7 novembre 2016, quinze clients de la société Lagrua ayant effectué un plein de gazole sont tombés en panne. Le laboratoire Intertech a réalisé des analyses des carburants et a mis en évidence un mélange de SP95 et de gazole dans les cuves de gazole de la station-service Lagrua.

L'assureur de la société Lagrua, la société Allianz Iard, a indemnisé les clients lésés pour un montant total de 42.105,50 euros, laissant à la charge de son assuré un préjudice supplémentaire de 10.499,04 euros.

Par acte du 31 janvier 2018, les sociétés Lagrua et Allianz Iard ont assigné les sociétés Transports Moraud, Marilien et Suez devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour demander leur condamnation solidaire à leur payer, respectivement, les sommes de10 499,04 et 42 105,50 euros en réparation de leur préjudice.

Par jugement contradictoire du 16 novembre 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a statué comme suit :

- Dit que l'action des sociétés Lagrua et Allianz est prescrite ;

- Condamne les sociétés Lagrua et Allianz à payer solidairement aux sociétés Transports Moraud, Suez RV Osis Ouest SAS et SAS Marilien la somme de 1500 euros, chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamne solidairement les sociétés Lagrua et Allianz aux dépens.

Par déclaration au greffe du 30 décembre 2020, les sociétés Allianz et Lagrua ont relevé appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la seule société Transports Moraud.

Par conclusions d'incident du 9 janvier 2023, la société Transports Moraud a saisi le conseiller de la mise en état pour voir juger que la société Allianz est irrecevable en son action pour défaut d'intérêt et de qualité à agir, à l'exception de la réclamation concernant le véhicule [Immatriculation 5].

Par ordonnance du 27 octobre 2023, le magistrat chargé de la mise en état a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société des transports Moraud tirée d'un défaut de qualité, et dit que le moyen tiré du défaut d'intérêt à agir de la société Allianz, pour défaut de justification par la société Allianz des conditions de la subrogation légale ou conventionnelle, constituait en réalité une défense au fond relevant de la compétence de la cour d'appel, et a déclaré irrecevable la prétention formée de ce chef devant le conseiller de la mise en état.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par dernières écritures notifiées par message électronique le 3 avril 2024, auxquelles la cour se réfère expressément, les sociétés Lagrua et Allianz demandent à la cour de :

En application du contrat type applicable aux transports publics routiers en citerne et l'article L133-4 et suivants du code de commerce, 1346 et suivants du code civil, les articles L3221 2 et suivants du code des transports ;

Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par Allianz Iard et Lagrua,

Y faisant droit,

Infirmer la décision entreprise et statuant à nouveau,

En application du contrat type applicable aux transports publics routiers en citerne et l'article L133-4 et suivants du code de commerce, 1240 du code civil,

' Dire et juger que l'action des sociétés Lagrua SAS et Allianz Iard SA à l'encontre des Transports Moraud n'est pas prescrite tenant du report de prescription,

' Juger que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir d'Allianz Iard SA doit donc être écartée,

' Dire et juger que l'action d'Allianz Iard SA à l'encontre des Transports Moraud est recevable en raison d'une subrogation,

' A titre surabondant, dans le cadre d'une subrogation légale ou conventionnelle, dire et juger que les Transports Moraud ne contestent pas la production d'une quittance subrogative pour les dossiers concernant les véhicules [Immatriculation 4], [Immatriculation 3], [Immatriculation 5]

Sur le fond à titre principal,

' Dire et Juger que la société des Transports Moraud est responsable des dommages allégués,

' Condamner la société des Transports Moraud , es qualité de transporteur, à payer à la société Lagrua SAS la somme de 10.499,04 euros et à la société Allianz Iard SA celle de 42.105,50 euros au titre du préjudice subi,

' A titre surabondant, condamner la société des Transports Moraud , es qualité de transporteur, à payer à la société Lagrua SAS la somme de 10.499,04 euros et à la société Allianz Iard SA celle de 12 714,36 euros au titre du préjudice subi concernant les véhicules [Immatriculation 4] ( versement de la somme de 1.034,64 euros à la société Ambulances Mathon), véhicule [Immatriculation 5] (versement de la somme de 4.922,72 euros à Monsieur [H]), véhicule [Immatriculation 3] (versement de la somme de 6.757 euros à Monsieur [E]),

' Condamner la société des Transports Moraud à payer aux sociétés Lagrua SAS et Allianz Iard SA de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner la société des Transports Moraud aux entiers dépens.

A titre subsidiaire,

' Ordonner un partage pour moitié de responsabilité entre la société Lagrua SAS et des Transports Moraud ,

' Condamner la société des Transports Moraud , es qualité de transporteur, à payer à la société Lagrua SAS la somme de 5.249,52 euros et à la société Allianz celle de 21 052,75 euros au titre du préjudice subi,

' A titre surabondant, condamner la société des Transports Moraud , es qualité de transporteur, à payer à la société Lagrua SAS la somme de 5.249,52 euros et à la société Allianz Iard SA celle de 6.357,18 euros au titre du préjudice subi concernant les véhicules [Immatriculation 4], [Immatriculation 5], [Immatriculation 3]

' Condamner la société des Transports Moraud à payer aux sociétés Lagrua SAS et Allianz de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

' Condamner la société des Transports Moraud aux entiers dépens.

Les appelantes font principalement valoir que l'action n'est pas prescrite ; que la société Allianz a sollicité le 16 octobre 2017 de la société Helvetia, assureur des Transports Moraud, un report des effets de la prescription auquel il a été répondu le 17 octobre suivant, a justifié de ses droits et a reçu un accord définitif le 24 octobre 2017 pour un report de la prescription ; et que la société Allianz a toujours agi en son nom et pour le compte de son assuré Lagrua.

Elle ajoute que la question du défaut de qualité à agir a été tranchée par le conseiller de la mise en état , que les conditions particulières signées sont versées aux débats ; que l'assureur qui a payé l'indemnité est légalement subrogé dans les droits de son client, et qu'à défaut s'applique la subrogation conventionnelle desorte que son action est parfaitement recevable.

Elles soulignent que les Transports Moraud sont responsables par application du contrat type applicable aux transports publics routiers en citerne ; que le chauffeur s'est trompé dans la désignation du carburant porté sur son titre de transport ; que le quantum des demandes est justifié pour Allianz par la production du dossier complet de chaque véhicule sinistré et pour Lagrua par le tableau récapitulatif produit ;

A titre subsidiaire, elles demandent à la cour de prononcer un partage de responsabilité pour moitié entre la société Lagrua et la société Transports Moraud.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 28 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Transports Moraud demande à la cour de :

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré prescrites les demandes des sociétés Allianz et Lagrua et a condamné ces dernières au paiement de la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Subsidiairement ;

Dire et juger que la société Allianz est irrecevable en son action.

Dire et juger que la société Moraud ne saurait être déclarée responsable des dommages allégués par les requérantes.

Dire et juger que la demande de la société Lagrua est infondée en son quantum ;

Dire et juger que les rapports d'expertises versés aux débats par les requérantes sont inopposables à la société Moraud ;

En conséquence, dire et juger, que la demande de la société Allianz est infondée en son quantum ;

A titre infiniment subsidiaire, limiter le montant des condamnations à la somme de 39.432,35 euros.

Condamner les sociétés Lagrua et Allianz au paiement de la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Transports Moraud fait notamment valoir :

A titre principal, sur la prescription de l'action dirigée contre elle, que, la livraison étant survenu le 31 octobre 2016, les requérantes disposaient d'un délai allant jusqu'au 31 octobre 2017 pour engager leur action ; qu'un report de prescription n'a été sollicité que par la seule société Allianz et non par la société Lagrua, dont l'action est incontestablement prescrite ; que le report de principe accordé à Allianz l'était sous condition de la justification des droits avant le 31 octobre 2017 ; que la société Allianz n'a jamais communiqué dans le délai prévu par Helvetia la police d'assurance lui permettant d'agir ; que la preuve des paiements n'a pas davantage été communiquée avant la date fixée ; que l'action de la société Allianz est prescrite sur le fondement de la subrogation légale ; qu'il en est de même pour la subrogation conventionnelle, dès lors que le subrogé doit rapporter la preuve d'un acte de subrogation, d'un paiement et d'une concomitance entre les deux ; et que la société Allianz n'a rien communiqué de tel avant le 30 octobre 2017.

A titre subsidiaire, elle ajoute que la société Allianz est irrecevable ; qu'elle intervient en son nom propre, sans faire état de sa qualité de subrogé ; qu'elle ne dispose en cette qualité d'aucun droit à son encontre, faute d'avoir énoncé la qualité dans laquelle elle intervenait ; que si elle intervient en qualité de subrogée, elle verse aux débats une police non signée, et elle ne verse pas les quittances subrogatives pour 12 dossiers et 2 dossiers présentant un libellé ambigu ; qu'un seul dossier comporte une quittance subrogative régulière ; que l'erreur de dénomination alléguée entre le produit pompé dans les cuves à [Localité 8] et celui mentionné au titre de transport ne saurait être de sa responsabilité ; que le donneur d'ordre supporte les conséquences d'une déclaration fausse ou incomplète sur les caractéristiques de l'envoi ; que rien de permet de renverser le caractère probant des mentions des deux lettres de voiture mentionnant une cargaison de gazole ; qu'aucune responsabilité ne peut être retenue à son encontre ; que les appelantes avaient aussi dirigé en première instance leurs demandes à l'encontre des société Marilien et Suez, mais ont abandonné ces demandes en cause d'appel, et qu'il ne lui appartient pas de les attraire en cause.

A titre infiniment subsidiaire, elle expose que les demandes sont infondées quant au quantum ; que les expertises produites quant aux préjudices des utilisateurs de la station-service ne sont pas contradictoires ; que le juge ne peut pas se fonder exclusivement sur une telle expertise ; que l'addition des sommes alléguées se monte à 39 432,35 euros, déduction faite de la franchise de 500 euros.

La clôture de la procédure a été prononcée selon ordonnance du 16 avril 2024 et l'affaire renvoyée à l'audience du 30 avril 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription:

1- Le tribunal de commerce a fait droit à la demande de constater la prescription soulevée par la société Transports Moraud. Le tribunal a considéré que, si la société Allianz a demandé un report de la prescription à la société Helvetia, les sociétés Lagrua et Allianz n'ont pas rempli les conditions posées par Helvetia pour accorder un tel report, et que les demanderesses n'ont pas obtenu un report de la date de prescription au-delà du 30 octobre 2017.

2- Devant la cour d'appel, la société Transports Moraud soutient de nouveau la prescription à titre principal, avec la même argumentation.

3- Les société Allianz et Lagrua contestent cette analyse, en faisant valoir que Allianz a demandé le 16 octobre 2017 un report du délai de prescription qui devait prendre fin le 31 octobre 2017 à la société Helvetia, assureur des Transports Moraud, qui en a accepté le principe le 17 octobre 2017 sous réserve de la présentation des droits à agir avant le 31 octobre 2017.

Sur ce:

4- Il résulte des dispositions de l'article L. 133-6 du code de commerce que les actions contre le voiturier fondées sur le contrat de transport sont prescrites dans le délai d'un an.

5- Il est ainsi constant que, le transport litigieux ayant eu lieu le 31 octobre 2016, le délai de prescription expirait le 31 octobre 2017.

6- Toutefois, il est établi que la société Helvetia, assureur de la société Transports Moraud, a accordé un report amiable de la prescription en répondant favorablement à une demande en ce sens de la société Allianz faite par courriel du 16 octobre 2017 (sa pièce n° 5-1). Il apparaît qu'il s'agissait d'une suggestion de l'expert amiable commis par l'assureur dans la perspective d'un règlement amiable du litige (pièce Allianz n° 25).

Par courriel du lendemain 17 octobre (pièce n° 5-2), la société Helvetia Assurances, tant pour elle que pour son client Transports Moraud, a accordé un « report amiable des effets de la prescription de 3 mois », jusqu'au 31 janvier 2018, sous réserve de la présentation des justification des droits à agir avant le 31 octobre 2017. Par un nouveau courriel du 19 octobre 2017, Allianz adressait en réponse à Helvetia divers documents, rappelant aussi la remise à l'expert de Helvetia de justificatifs de travaux (pièce n° 5-3).

Enfin, par un courriel du 24 octobre 2017, la société Helvetia, remerciant pour les documents adressés, confirmait le report de prescription qu'elle avait déclaré accorder.

7- Il n'y a donc nullement lieu d'examiner de nouveau ce qui a été adressé par Allianz à Helvetia, dès lors que cette dernière a estimé les documents reçus satisfactoires pour mettre en 'uvre un accord amiable. Par ailleurs, il résulte des documents échangés que Allianz agissait bien dans le cadre d'un dossier clairement identifié, qui est celui du présent litige, tant en son nom qu'un nom de son assuré la société Lagrua.

8- La société Transports Moraud ne saurait tenter de revenir dans la présente instance sur l'accord ainsi donné en son nom en octobre 2017 par son assureur, accord qui est conforme aux dispositions de l'article 2254 du code civil permettant l'aménagement conventionnel de la prescription, et la cour ne saurait revenir sur la volonté expresse des parties ainsi valablement exprimée.

9- L'assignation a été délivrée le 31 janvier 2018, à l'intérieur du délai de grâce amiablement accordé par son assureur en son nom, et la prescription n'est pas acquise.

10- C'est donc à tort que le tribunal a déclaré l'action prescrite, et son jugement sera infirmé. L'action des sociétés Allianz et Lagrua est recevable du point de vue de la prescription.

Sur la qualité à agir de la société Allianz:

11- La société Transports Moraud soutient que la société Allianz est irrecevable en son action faute de qualité. Elle fait d'abord valoir que cette société n'a jamais fait état dans son assignation de sa qualité de subrogé dans les droits de parties qu'elle aurait indemnisées.

12- Pour autant, cette demande d'irrecevabilité a déjà été rejetée par le conseiller de la mise en état dans son ordonnance précitée du 27 octobre 2023. Or, aux termes des dispositions de l'article 914, dernier alinéa, du code de procédure civile, les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ont autorité de la chose jugée au principal. L'ordonnance n'a pas été déférée à la cour dans les quinze jours de sa date par application de l'article 916 du même code.

13- Il en résulte que la décision rejetant la prétention d'irrecevabilité de la société Transports Moraud est définitive et que le renouvellement de cette demande devant la cour statuant au fond est elle-même irrecevable.

14- La société Transports Moraud apparaît reprendre ensuite, dans la même partie de ses conclusions, sa demande d'irrecevabilité fondée sur un défaut d'intérêt ou de qualité à agir de la société Allianz, en ce qu'elle ne justifierait pas des conditions requises pour une subrogation légale ou conventionnelle. Pour autant, le conseiller de la mise en état a déjà écarté cette demande en relevant qu'il s'agissait d'un moyen de défense au fond et non d'une fin de non-recevoir. L'argument sera en conséquence traité ci-après, avec l'examen du fond du litige.

Sur le fond

15- Il est établi, et d'ailleurs non contesté, que des clients de la station-service de la société Lagrua ayant fait leur plein à la pompe « gazole » entre le 2 et le 7 novembre 2016 sont tombés en panne, et qu'une analyse de carburant par une société spécialisée, le laboratoire Interteck, a mis en évidence la présence dans les cuves de stockage « gazole » de la station d'un mélange des carburants SP95 et gazole.

16- Il est établi par l'expert amiable de l'assurance (pièce n° 25 précitée, p.8), et d'ailleurs non contesté, que le sinistre a été causé par le déchargement le 31 octobre 2016 par Transports Moraud de carburant SP95 dans la cuve gazole de la station de la société Lagrua.

Sur la responsabilité du sinistre

17- Pour dénier sa responsabilité, la société Transports Moraud invoque ses lettres de voiture, n° 5638 du 24 octobre 2016 pour un transport de [Localité 8] vers ses locaux, et 5685 du 31 octobre 2016 pour un transport de ses locaux vers La Teste (société Lagrua), qui font état d'un chargement de 16 000 litres de gazole et de 13 000 litres de SP95E10 (pièces n° 3).

Ainsi, comme le conclut l'expert de l'assurance, le mélange litigieux est consécutif à une erreur de dénomination entre le produit réellement pompé et celui mentionné au titre de transport.

18- Pourtant, l'ordre d'intervention de la société Suez n° 1128267 (pièce n° 1 Allianz), signé par le chauffeur des Transports Moraud, porte bien sur 13 000 litres de SP95E10 et 16 000 litres de SP95, sans aucune mention de gazole.

19- Il s'évince de l'article 3.4 du contrat type pour le transport public routier en citernes, dans sa version résultant du décret n° 2000-527 du 16 juin 2000 modifiée et applicable à la cause en l'absence de contrat écrit, que le document de transport est établi sur la base des indications fournies au transporteur par le donneur d'ordre. Tel n'a pas été le cas en l'espèce, puisque la désignation de la marchandise dans le document de transport n'était pas conforme aux indications fournies au transporteur par le donneur d'ordre.

20- L'erreur figurant sur les lettres de voiture émises par la société Transports Moraud, qui avait pourtant connaissance de la nature du carburant à transvaser, est de la responsabilité de cette société de transport.

21- En effet, si le donneur d'ordre supporte vis-à-vis du transporteur les conséquences d'une déclaration fausse ou incomplète sur les caractéristiques de l'envoi ainsi que d'une absence ou d'une insuffisance de déclaration (contrat-type général, art. 3.5), comme le rappelle Transports Moraud, le voiturier, tenu d'une obligation de résultat, est présumé responsable de l'inexécution de son obligation par le fait même que le résultat promis n'est pas atteint. Tel est le cas en l'espèce, puisque le transporteur a déversé du carburant sans plomb 95 dans une cuve de gazole, ce qui a causé les dommages subis par les clients de la société Lagrua, alors même qu'il avait été chargé par l'ordre de service de Suez de transporter du SP95 et non du gazole.

22- L'apposition d'un timbre humide et la signature sur les lettres de voiture de la société Marilien d'une part, et de la société Lagrua d'autre part, n'ont pas pour conséquence l'acceptation de l'erreur du transporteur, et ne sont pas de nature à exonérer la société Transports Moraud de celle-ci.

23- En effet, si l'article L. 132-9 du code de commerce prévoit que la lettre de voiture comporte notamment la signature de l'expéditeur, cette disposition est dépourvue de sanction. Au surplus, force est d'observer que la société Marilien, dont le cachet figure sur la lettre de voiture n° 5838, n'est pas le donneur d'ordre de l'opération de transport, qui est en réalité, comme vu Supra, la société Suez. Par ailleurs, le cachet et la signature de la société Lagrua, destinataire, sur la seconde lettre, qui n'est pas exigée par l'article L. 132-9, n'ajoute rien au contrat de transport et ne peut excuser l'erreur de la société Transports Moraud. Notamment, il n'est nullement établi que la société Lagrua aurait dû ou même pu déceler l'erreur lors du déchargement du carburant dans sa station.

24- Le transporteur n'a manifestement pas vérifié que le carburant qu'il a chargé dans sa citerne était bien celui figurant sur la lettre de voiture, et il n'existe en l'espèce aucun cas de force majeure de nature à exonérer le transporteur de sa responsabilité, ni aucun fait de l'expéditeur ou du destinataire sont il résulterait effectivement et exclusivement le dommage.

25- La société Transports Moraud doit en conséquence être déclarée seule responsable des dommages allégués par les société Allianz et Lagrua.

Sur la subrogation de la société Allianz

26- La société Transports Moraud soutient que la société Allianz ne pourrait se prévaloir d'une subrogation. Elle fait valoir qu'elle ne produit qu'une police d'assurance non signée, et qu'aucune quittance subrogative n'est produite pour 8 des 12 dossiers, outre 2 dossiers dont la quittance subrogative est ambiguë. Elle ajoute que seul un dossier comporte une quittance régulière (celle de la pièce 14).

27- En réalité, la société Allianz verse les conditions particulières du contrat signées (sa pièce n° 19), de sorte que l'argument manque en fait.

28- Pour le surplus, il résulte des dispositions des articles L. 121-12 et L. 172-29 du code des assurances que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la garantie de l'assureur.

29- Ainsi, la société Allianz est légalement subrogée dans les droits des automobilistes auxquels elle a versé des indemnités à raison du sinistre objet du présent litige et en vertu de la police d'assurance souscrite par la société Lagrua. Il n'y a donc pas lieu à examiner les conditions d'une subrogation conventionnelle, et notamment pas à exiger la fourniture de quittances subrogatives.

30- La société Allianz justifie suffisamment les paiements d'indemnités à 12 automobilistes en produisant les captures d'écran de chaque versement (ses pièces sous le n° 4) ainsi que la copie des chèques adressés et encaissés avec attestations de paiement de la banque (ses pièces sous le n° 20).

31- Le moyen tiré d'une prétendue absence de subrogation doit donc être rejeté.

Sur les préjudices

32- Les sociétés Allianz et Lagrua demandent respectivement l'allocation de 42 105,50 euros et 10 499,04 euros en réparation de leurs préjudices.

33- La société Transports Moraud oppose qu'aucune pièce ne vient étayer les demandes de la société Lagrua, que les expertises produites par Allianz ne sont pas contradictoires, et que le montant des sommes s'établit à 39 432,35 euros après déduction d'une franchise de 500 euros.

34- Les appelantes exposent que la société Lagrua a conservé à sa charge un certain nombre de frais non prévus au contrat d'assurance : perte financière, valorisation du polluant, remboursement de gazole, achat de panier garnis pour les clients, temps de gestion des personnels, coûts des analyses de carburants.

35- La société Lagrua fournit le détail de ses demandes (pièce n° 24), dont le total s'élève à 10 498,69, et le détail des remboursements, outre les factures afférentes (pièces sous le même n°). La légère différence avec la somme demandée n'est pas explicitée, et il lui sera alloué la somme de 10 498,69 euros, que la société Transports Moraud sera condamnée à lui payer.

36- La société Allianz produit de nombreuses pièces, dont le dossier complet pour chaque véhicule sinistré (ses pièces 6 à 17, 21 et 22) ainsi qu'un tableau récapitulatif (sa pièce n° 23) d'un total de 42 015,50 euros. Ainsi, les expertises non contradictoires de chaque véhicule sont corroborées par les autres éléments du dossier. En revanche, elle ne s'explique pas sur la demande de déduction de la franchise de 500 euros prévue au contrat (pièce n° 18, page 15) qui est revendiquée par le transporteur. Il lui sera donc alloué la somme de 41 605,50 euros, que la société Transports Moraud sera condamnée à lui payer.

Sur les autres demandes

37- Partie tenue aux dépens de première instance et d'appel, la société Transports Moraud paiera à la SAS Lagrua et à la SA Alliaz IARD la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 16 novembre 2020,

Et, statuant à nouveau,

Déclare l'action des sociétés Allianz IARD et Lagrua non prescrite et recevable,

Déclare irrecevable par la cour la demande de la société Transports Moraud tirée d'un défaut de qualité pour agir de la société Allianz IARD,

Déclare la société Transports Moraud seule responsable des dommages allégués par les société Allianz et Lagrua à la suite du sinistre survenu le 31 octobre 2016 à [Localité 7],

Condamne la société Transports Moraud à payer à la société Lagrua la somme de 10 498,69 euros à titre de dommages-intérêts,

Condamne la société Transports Moraud à payer à la société Allianz IARD la somme de 41 605,50 euros à titre de dommages-intérêts,

Condamne la société Transports Moraud à payer à la SAS Lagrua et à la SA Allianz IARD la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Transports Moraud aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 20/05390
Date de la décision : 04/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-04;20.05390 ?
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