ARRET RENDU PAR LA
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
--------------------------
Le : 7 MARS 2024
CHAMBRE DE L'EXPROPRIATION
N° de rôle : N° RG 21/03139 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MEOB
S.A. SPL LA FABRIQUE DE [Localité 2] METROPOLE
c/
COMMISSAIRE DE GOUVERNEMENT
S.C.I. BERGER
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Le 7 mars 2024
Par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, CHAMBRE DE L' EXPROPRIATION, a, dans l'affaire opposant :
S.A. SPL LA FABRIQUE DE [Localité 2] METROPOLE
[Adresse 5] - [Localité 2]
représentée par Maître Walter SALAMAND, avocat au barreau de LYON
Appelante d'un jugement rendu le 09 avril 2021 par le juge de l'expropriation du département de la Gironde suivant déclaration d'appel en date du 1er juin 2021,
à :
S.C.I. BERGER
[Adresse 3] - [Localité 6]
représentée par Maître Yves-Noël GENTY, avocat au barreau de LES SABLES D'OLONNE
COMMISSAIRE DE GOUVERNEMENT
Direction régionale des finances publiques - Pôle d'évaluation domaniale - [Adresse 1] - [Localité 2]
Non comparant, dûment convoqué,
Intimés,
Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue le 20 décembre 2023 devant :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseillère, Madame Marie GOUMILLOUX, Conseillère,
Greffier lors des débats : François CHARTAUD
en l'absence de Monsieur [C] [H], inspecteur divisionnaire,
et qu'il en ait été délibéré par les Magistrats du siège ci-dessus désignés.
EXPOSE DU LITIGE :
La société civile immobilière Berger était propriétaire d'un immeuble édifié sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], d'une contenance de 1631 m², située [Adresse 4] à [Localité 8].
Cette parcelle est située dans la zone d'aménagement concerté '[Adresse 4]', dont la réalisation a été déclarée d'utilité publique par arrêté préfectoral du 10 mai 2017, qui a autorisé la société anonyme publique locale La Fabrique de [Localité 2] Métropole à procéder aux expropriations nécessaires dans un délai de 10 ans à compter de la publication de l'arrêté.
Par courrier recommandé du 31 juillet 2017, la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole a notifié à la société Berger une offre d'indemnisation pour la dépossession du bien d'un montant global de 496.000 euros, qui a été refusée.
L'ordonnance d'expropriation de la société Berger pour cause d'utilité publique est intervenue le 3 mai 2018.
Par mémoire reçu le 18 août 2020 au greffe, la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole a saisi le juge de l'expropriation de la Gironde aux fins de fixation des indemnités de dépossession revenant à la société Berger.
Le juge de l'expropriation s'est transporté sur les lieux le 5 janvier 2021 puis, par jugement prononcé le 9 avril 2021, a statué ainsi qu'il suit :
- écarte le mémoire adressé par courriel à la juridiction le 28 janvier 2021 à 11h49 par le conseil de la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole ;
- fixe les indemnités revenant à la société civile immobilière Berger pour l'expropriation de la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], d'une contenance de 1631 m², située [Adresse 4] à [Localité 8], aux sommes suivantes :
- 834.000 euros au titre de l'indemnité principale,
- 83.400 euros au titre de l'indemnité de remploi,
- 63.000 euros au titre de l'indemnité pour perte de revenus locatifs ;
- condamne la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole à payer à la société civile immobilière Berger la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déboute la société civile immobilière Berger pour le surplus ;
- condamne la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole aux dépens.
La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 1er juin 2021.
***
La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole a déposé son mémoire et ses pièces le 31 août 2021.
Ses conclusions ont été notifiées le 7 septembre 2021 à la société Berger et au commissaire du gouvernement, qui les ont reçues le lendemain.
L'appelante y demande à la cour de :
Vu les articles L.321-l et suivants, et R.311-24 et suivants du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique,
- infirmer le jugement du juge de l'expropriation de la Gironde en date du 9 avril 2021 en ce qu'il :
-écarte le mémoire adressé par courriel à la juridiction le 28 janvier 2021 à 11h49 par le conseil de La Fabrique de [Localité 2] Métropole,
-fixe les indemnités revenant à la société civile immobilière Berger pour l'expropriation de la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], d'une contenance de 1631 m², située [Adresse 4] à [Localité 8], aux sommes suivantes :
- 834.000 euros au titre de l'indemnité principale,
- 83.400 euros au titre de l'indemnité de remploi,
- 63.000 euros au titre de l'indemnité pour perte de revenus locatifs,
- condamne la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole à payer à la société civile immobilière Berger la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamne la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole aux dépens ;
Et, statuant à nouveau,
A titre principal,
- fixer les indemnités revenant à la société Berger pour la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], située [Adresse 4] sur le territoire de la commune de [Localité 8], comme suit :
-indemnité principale : 211.000 euros
-indemnité de remploi : 22.100 euros
-indemnité totale : 233.100 euros
A titre subsidiaire,
- fixer les indemnités revenant à la société Berger pour la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], située [Adresse 4] sur le territoire de la commune de [Localité 8], comme suit :
indemnité principale : 585.000 euros
indemnité de remploi : 59.500 euros
indemnité totale : 644.500 euros
En tout état de cause,
- condamner la société Berger à payer à la Fabrique de [Localité 2] Métropole la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
***
La société Berger a déposé son mémoire et ses pièces le 30 novembre 2021. La Fab et le commissaire du gouvernement ont reçu les conclusions de la société Berger le 2 décembre suivant.
L'intimée y demande à la cour de :
Vu les articles L.321-1 et suivants, R.311-24 du code de l'expropriation,
- recevoir l'appel de la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole. Le dire en partie irrecevable et en tous cas mal fondé.
A titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement attaqué en ce qu'il a fixé l'indemnité totale revenant à la société Berger à la somme 980.400 euros ;
A titre subsidiaire et au cas où la demande de l'appelante pour frais de pollution serait jugée recevable,
- fixer l'abattement pour frais de pollution à la somme de 41.700 euros ;
Très subsidiairement,
- fixer cet abattement à la somme de 67.000 euros telle qu'estimée par le bureau d'études AEC Environnement ;
- débouter l'appelante de toutes demandes et prétentions contraires ;
- condamner La Fabrique de [Localité 2] Métropole à payer à la société Berger la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner l'expropriante aux dépens.
***
La Fabrique de [Localité 2] Métropole a déposé un deuxième mémoire le 28 février 2022 qui a été notifié le 2 mars suivant au Conseil de la société Berger et au commissaire du gouvernement, qui l'ont reçu le lendemain.
La Fabrique de [Localité 2] Métropole a également déposé deux nouvelles pièces.
La société Berger a déposé un deuxième mémoire le 3 mars 2022 ainsi qu'une nouvelle pièce, puis un troisième mémoire le 20 avril 2022.
Ces conclusions ont été notifiées respectivement le 4 mars 2022 au Conseil de La Fabrique de [Localité 2] Métropole et au commissaire du gouvernement, qui les ont reçues le 7 mars suivant, et le 26 avril 2022 au Conseil de La Fabrique de [Localité 2] Métropole et au commissaire du gouvernement, qui les ont reçues le 28 avril suivant.
La Fabrique de [Localité 2] Métropole a déposé un troisième mémoire le 31 octobre 2022 qui a été notifié le 8 novembre suivant au Conseil de la société Berger et au commissaire du gouvernement, lesquels l'ont reçu le 14 novembre 2022.
La société Berger a déposé un quatrième mémoire le 30 novembre 2023, qui a été notifié au Conseil de La Fabrique de [Localité 2] Métropole et au commissaire du gouvernement le 5 décembre 2023.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de mémoire.
***
A l'audience du 20 décembre 2023, la cour a invité les parties à faire connaître leurs observations quant au défaut de comparution du commissaire du gouvernement ou leur éventuelle demande de renvoi de l'affaire.
Ni l'appelante ni l'intimée n'ont fait valoir d'observations ou de demande de renvoi.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Sur la demande de rejet de deux pièces de l'appelante
1. L'article R.311-26 du code de l'expropriation dispose :
« A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.
A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.
L'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure (...)»
2. Au visa de ce texte, la société Berger tend à l'irrecevabilité des pièces n°17 et 18 produites par la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole à l'appui des conclusions déposées le 28 février 2022.
L'intimée soutient que, conformément à cet article R.311-26, il est de principe que l'appelant ne peut déposer de pièces complémentaires postérieurement au délai de trois mois dont il dispose pour conclure à compter de sa déclaration d'appel.
Elle explique qu'il ne peut s'agir de pièces produites au soutien de conclusions responsives puisque ces deux documents sont datés du 10 mai 2017 et du 28 mai 2021, de sorte que la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole en disposait déjà lorsqu'elle a déposé son mémoire d'appelant le 31 août 2021 ; que cette production de pièces n'est donc en aucune façon provoquée par les écritures postérieures de la société Berger et ne résulte que d'un oubli pur et simple de l'appelante.
3. La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole répond que l'article R.311-26 du code de l'expropriation porte sur le délai de dépôt des conclusions et pièces de l'appelant dans la suite immédiate de son recours et de la caducité de l'appel qui y est prévue en cas de non respect de ce délai ; que ce délai de trois mois ne concerne donc pas les pièces qui seraient produites ultérieurement, aucune sanction n'étant prévue à ce titre.
Sur ce,
4. Il est constant en droit que, par application de l'article R.311-26 du code de l'expropriation, l'appelant doit non seulement déposer ou adresser son mémoire au greffe de la cour dans le délai de trois mois après l'acte d'appel, mais aussi y joindre impérativement les documents qu'il entend produire sans pouvoir, au-delà de ce délai, déposer de nouveaux documents.
Par ailleurs, la production de ces pièces ne peut avoir pour objet de répondre aux conclusions de l'adversaire puisque l'argumentation de la société Berger relative au projet d'aménagement d'une part et au montant de sa demande au titre de la perte de loyers d'autre part était connue dès la première instance, les deux pièces dont il s'agit étant datées du 10 mai 2017 et du 28 mai 2021, de sorte que la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole était en mesure de les déposer à l'appui de son mémoire d'appelante le 31 août 2021.
5. La société Berger est donc fondée à réclamer le rejet des pièces n°17 et 18 déposées le 28 février 2022 par la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole, soit au-delà du délai de trois mois qui suivait son appel formé le 1er juin 2021.
2. Sur la demande de rejet d'une pièce de l'intimée
6. Se prévalant des dispositions de l'article R.311-26 du code de l'expropriation, la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole sollicite le rejet de la pièce n°54 déposée le 3 mars 2022 par la société Berger.
L'appelante rappelle que l'intimée disposait d'un délai de trois mois à compter de la réception de son mémoire d'appelante pour déposer au greffe ses conclusions et pièces, soit jusqu'au 8 décembre 2021. Elle observe que la pièce n°54 a été déposée le 3 mars 2022, soit au-delà de ce délai.
7. La société Berger répond qu'il s'agit d'un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, qui n'est donc pas une pièce et n'avait pas en soi à être produite aux débats et que sa production n'a que pour objet d'en faciliter la lecture directe.
Sur ce,
8. Il doit tout d'abord être relevé que l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux du 15 mai 2019 a été produit par l'intimée au soutien de son argumentation relative à la nécessaire application de la méthode par capitalisation, non en réponse aux conclusions de son adversaire, les développements au sein desquels la citation de cet arrêt étant relatifs à la jurisprudence en la matière.
9. Néanmoins, étant rappelé que, en vertu de l'article 9 du code de procédure civile qui ouvre la section du code sur les preuves, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention, une jurisprudence n'est pas une pièce au sens strict puisqu'elle n'a pas pour objet de prouver un fait mais d'appuyer une démonstration juridique.
Ainsi, sauf à invoquer une décision judiciaire peu aisément accessible au public intéressé, la référence à un arrêt de cour d'appel assortie des éléments nécessaire à l'identifier et en prendre connaissance dans les supports documentaires accessibles aux parties et au juge est intrinsèquement suffisante, de sorte que la production de sa copie intégrale n'est pas une production de pièce devant obéir aux règles procédurales prévues au premier chef par le code de l'expropriation pour le présent litige et par le code de procédure civile par défaut.
10. Il n'y a donc pas lieu d'écarter la pièce n°54 de l'intimée.
3. Sur la date de référence et la description du bien
11. L'article L.321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dispose :
« Les indemnités allouées couvrent l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation.»
Il résulte des dispositions combinées des articles L.322-1 et L.322-2 du même code que le juge fixe le montant des indemnités d'après la consistance des biens à la date de l'ordonnance portant transfert de propriété. Les biens sont estimés à la date de la décision de première instance.
Toutefois, et sous réserve de l'application des dispositions des articles L.322-3 à L.322-6, est seul pris en considération l'usage effectif des immeubles et droits réels immobiliers un an avant l'ouverture de l'enquête prévue à l'article L.1 du code de l'expropriation ou, dans le cas prévu à l'article L.122-4, un an avant la déclaration d'utilité publique ou, dans le cas des projets ou programmes soumis au débat public prévu par l'article L.121-8 du code de l'environnement ou par l'article 3 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, au jour de la mise à disposition du public du dossier de ce débat ou, lorsque le bien est situé à l'intérieur du périmètre d'une zone d'aménagement concerté mentionnée à l'article L.311-1 du code de l'urbanisme, à la date de publication de l'acte créant la zone, si elle est antérieure d'au moins un an à la date d'ouverture de l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique.
Il est tenu compte des servitudes et des restrictions administratives affectant de façon permanente l'utilisation ou l'exploitation des biens à la date correspondante pour chacun des cas prévus au deuxième alinéa, sauf si leur institution révèle, de la part de l'expropriant, une intention dolosive.
Quelle que soit la nature des biens, il ne peut être tenu compte, même lorsqu'ils sont constatés par des actes de vente, des changements de valeur subis depuis cette date de référence, s'ils ont été provoqués par l'annonce des travaux ou opérations dont la déclaration d'utilité publique est demandée, par la perspective de modifications des règles d'utilisation des sols ou par la réalisation dans les trois années précédant l'enquête publique de travaux publics dans l'agglomération où est situé l'immeuble.
Il est constant en droit que la date de référence doit elle-même s'apprécier à la date de la décision de première instance, soit en l'espèce le 9 avril 2021.
Il est également de principe qu'une modification du plan local d'urbanisme qui n'affecte pas les caractéristiques de la zone litigieuse, telle que la hauteur des immeubles, ne peut être retenue pour fixer la date de référence au sens de l'article L. 213-4 a du code de l'urbanisme, même si le périmètre de la zone dans laquelle est située la parcelle expropriée est lui-même modifié.
12. En l'espèce, il n'est pas discuté par les parties que la date de référence qui s'applique au bien exproprié est le 24 février 2017, date à laquelle est devenu opposable aux tiers le PLU 3.1 de [Localité 2] Métropole, Plan au sein duquel la parcelle litigieuse, grevée d'un emplacement réservé 'mixité sociale', est classée en zone UP52, zone de projet, d'aménagement et de renouvellement urbain.
13. Le juge de l'expropriation, qui s'est transporté sur les lieux, décrit ainsi le bien :
« La parcelle est située à [Localité 8], dans le quartier du [Localité 9] en pleine mutation du fait notamment de l'arrivée du tramway, à l'angle de la [Adresse 10] et de [Adresse 4], axe important de la circulation Nord-Sud au sein de l'agglomération [Localité 2], commerçant et très fréquenté, à moins de 10 minutes en voiture de la rocade Sud. A l'arrière de la parcelle, côté Est, celle-ci est longée par la ligne C du tramway.
La parcelle est de forme régulière, en grande majorité recouverte de bitume et bâtie sur environ 20 % de sa superficie. En façade de la [Adresse 4], après une partie asphaltée à usage de parking et un petit terre-plein végétal entre les deux accès depuis la route, un local professionnel est édifié en parpaings enduits, toiture en fibrociment et façade avec un bardage en métal, à usage de garage automobile, comprenant un accueil et un bureau vitrés, deux réserves au sol en béton, des sanitaires avec WC et douche, un local social et un atelier avec sol brut en béton et trois ouvertures avec volets roulants mécaniques en façade du bâtiment.
L'ensemble est vétuste.
A l'angle des deux rues, la parcelle est en terrain asphalté clôturé comportant un petit bâtiment préfabriqué de type Algeco sur l'arrière, avec accès sur la [Adresse 10].»
4. Sur l'indemnité principale
a) Sur la méthode par capitalisation
14. La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole fait grief au premier juge d'avoir appliqué, pour l'évaluation de l'indemnité principale de dépossession, la méthode par capitalisation.
L'appelante fait valoir qu'il convient d'appliquer la méthode par comparaison.
15. Toutefois, elle ne produit aucun élément à ce titre, les tableaux comparatifs reproduits dans le corps de ses conclusions n'étant pas suffisants à cet égard faute d'être soutenus par les documents relatifs aux cessions alléguées. Par ailleurs, la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole n'est pas fondée à se prévaloir du fait qu'elle avait déjà produit ces éléments en première instance puisqu'il est de principe que, par application des dispositions de l'article 132 du code de procédure civile, la partie qui fait état d'une pièce s'oblige à la communiquer à toute autre partie à l'instance, que la communication doit être spontanée et s'impose en appel sans que l'on puisse exciper de leur communication en première instance.
De même, le tableau des termes de comparaison de locaux d'activité et de terrains recensés par le commissaire du gouvernement en première instance n'est pas utilement invoqué par l'appelante puisque le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de mémoire devant la cour.
16. Dès lors, faute de verser aux débats des termes de comparaison au soutien de sa demande tendant à l'application de la méthode par comparaison, la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole n'étaye pas sa critique du jugement déféré dont les motifs, très détaillés et pertinents, qui ne sont pas utilement remis en cause par les débats en appel et que la cour adopte, explicitent la nécessité d'appliquer la méthode par capitalisation à la situation particulière du bien exproprié au 3 mai 2018, date de l'ordonnance portant transfert de propriété. En effet, cette parcelle était alors donnée à bail à trois locataires commerciaux (la société [Localité 9] Echappement exerçant sous l'enseigne Midas, la société Moreau et la société Reclus, vendeurs automobiles) et ne présentait un bâti que sur 20 % de sa surface. Le juge de l'expropriation a, de plus, étayé de façon particulièrement détaillée la détermination d'un taux de rendement de 7,58 % par l'étude commentée des documents produits, qu'il s'agisse des termes de comparaison proposés par les parties ou de l'expertise versée par l'expropriée, ces éléments n'étant pas remis en cause en appel par la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole qui ne produit aucune pièce utile à ce titre, ainsi qu'il a été jugé plus haut.
b) Sur le coût de la dépollution
17. La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole demande à la cour de prendre en considération, dans la détermination de l'indemnité devant revenir à l'expropriée, du coût de dépollution de la parcelle litigieuse.
Elle demande à ce titre à la cour, au dispositif de ses conclusions, d'infirmer le jugement du 9 avril 2021 en ce qu'il a écarté le mémoire qu'elle a adressé par courriel à la juridiction le 28 janvier 2021 à 11 h 49.
18. Toutefois, elle n'étaye pas ce chef de demande au sein de ses conclusions alors que le premier juge a par ailleurs explicitement indiqué, au début de la motivation de sa décision :
« Le mémoire adressé par courriel à la juridiction le jour de l'audience à 11 h 49, soit postérieurement à la fin de l'audience, levée à 11 h 45, par le conseil de la société SPL La Fabrique de [Localité 2] Métropole, portant la mention de l'abattement pour frais de dépollution à hauteur de 180.000 euros, est écarté par application de l'article 16 du code de procédure civile.»
L'appelante ne peut donc sérieusement réclamer que soit infirmé le jugement déféré en ce qu'il a refusé de prendre en considération un document produit postérieurement à l'audience alors qu'aucune note en délibéré n'avait été demandée.
19. La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole demande également à la cour d'appliquer à l'indemnité principale de dépossession un abattement de 184.000 euros au titre du coût de dépollution du bien exproprié.
20. La société Berger lui oppose l'irrecevabilité de sa demande au motif qu'il s'agit d'une demande nouvelle en appel.
21. Toutefois, il doit être retenu que cette question d'un abattement pour frais de dépollution ne peut être qualifiée de prétention nouvelle en appel au sens de l'article 564 du code de procédure civile dans la mesure où la mention de ces frais de dépollution doit être examinée dans le cadre de l'évaluation de l'indemnité principale de dépossession et ne constitue pas une prétention autonome. De surcroît, cette question a été examinée en première instance puisque la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole a produit un rapport de la société Tereo dont fait mention le juge de l'expropriation dans sa décision, ce qui a d'ailleurs conduit l'intimée à produire, en cause d'appel, un rapport établi à ce titre le 24 novembre 2021 par la société AEC Environnement.
22. Or il n'est pas discuté que la parcelle expropriée a accueilli une station service et il doit être souligné que les investigations approfondies menées par la société Tereo, qui ne sont pas utilement remises en cause par celles, plus superficielles, qui ont été menées par la société AEC Environnement, mettent en évidence la présence de métaux et de composés hydrocarbonés dans les sols et les eaux souterraines.
Il faut également rappeler que la parcelle litigieuse était, au PLU 3.1 de [Localité 2] métropole, grevée d'un emplacement réservé 'logement social/mixité sociale', de sorte que l'aménagement prévu lors de la dernière modification du PLU applicable au bien litigieux était la construction de logements, ce qui ne peut que conduire l'appelante au traitement approfondi des sols destinés à accueillir ces logements.
L'évaluation chiffrée du traitement des sols et des déchets excavés est étayée par les conclusions du rapport de la société Tereo, de sorte qu'il y a lieu d'appliquer à l'indemnité principale fixée par le premier juge un abattement de 184.000 euros.
23. Le jugement déféré sera en conséquence infirmé de ce chef et, statuant à nouveau, la cour fixera à 650.000 euros l'indemnité principale de dépossession et à 66.000 euros l'indemnité de remploi.
5. Sur l'indemnité pour perte de revenus locatifs
24. La société La Fabrique de [Localité 2] Métropole fait grief au jugement entrepris d'avoir accueilli la demande de la société Berger au titre de la perte de revenus locatifs en suite de la dépossession de son bien.
25. Toutefois, c'est par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement critiqués en cause d'appel et que la cour fait siens, que le juge de l'expropriation, après avoir rappelé que l'ordonnance d'expropriation avait mis un terme, dès son prononcé le 3 mai 2018, aux baux en cours sur la parcelle litigieuse, de sorte que la liquidation judiciaire de l'un des locataires le 1er juillet 2020 était indifférente, a retenu que la perte de loyers subie par la société Berger pendant le délai nécessaire à acquérir un autre bien, devait donner lieu à indemnisation. La cour ajoute que l'appelante discute la durée de ce délai telle qu'estimée par le juge mais ne produit aucun élément concret de nature à étayer le délai raccourci de moitié qu'elle mentionne ; de même, la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole soutient que le loyer versé par l'un des locataires est supérieur à la valeur locative du local mais ne produit aucun élément recevable au soutien de cet argument.
26. Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef, ainsi qu'en ses chefs de dispositif relatifs aux frais irrépétibles des parties et à la charge des dépens.
Il n'est pas contraire à l'équité de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles en appel. La société expropriante sera condamnée au paiement des dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Ecarte les pièces n°17 et 18 produites par la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole.
Infirme le jugement prononcé le 9 avril 2021 par le juge de l'expropriation de la Gironde en ce qu'il a fixé aux sommes suivantes :
- l'indemnité principale : 834.000 euros
- l'indemnité de remploi : 83.400 euros
revenant à la société civile immobilière Berger pour l'expropriation de la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], d'une contenance de 1631 m², située [Adresse 4] à [Localité 8].
Statuant à nouveau de ce chef,
Fixe aux sommes suivantes :
- l'indemnité principale : 650.000 euros
- l'indemnité de remploi : 66.000 euros
revenant à la société civile immobilière Berger pour l'expropriation de la parcelle cadastrée section [Cadastre 7], d'une contenance de 1631 m², située [Adresse 4] à [Localité 8].
Confirme pour le surplus le jugement prononcé le 9 avril 2021 par le juge de l'expropriation de la Gironde.
Y ajoutant,
Laisse à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.
Condamne la société La Fabrique de [Localité 2] Métropole à payer les dépens.
L'arrêt a été signé par Jean-Pierre FRANCO, Président et par François CHARTAUD, Greffier, auquel a été remis la minute signée de la décision.
Le greffier, Le président,