ARRET RENDU PAR LA
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
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Le : 7 MARS 2024
CHAMBRE DE L'EXPROPRIATION
N° de rôle : N° RG 21/02997 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MD7V
Monsieur [U] [Y]
Madame [T] [Z] [X]
c/
Commune de [Localité 5]
COMMISSAIRE DE GOUVERNEMENT
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
à :
Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
Le 7 MARS 2024
Par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, CHAMBRE DE L' EXPROPRIATION, a, dans l'affaire opposant :
Monsieur [U] [Y], demeurant [Adresse 4]
Madame [T] [Z] [X], demeurant [Adresse 4]
représentés par Maître Guillaume ACHOU-LEPAGE, avocat au barreau de BORDEAUX
Appelants d'un jugement rendu le 08 octobre 2020 par le juge de l'expropriation du département de la Gironde suivant déclaration d'appel en date du 19 mai 2021,
à :
Commune de [Localité 5]
[Adresse 6]
représentée par Maître Damien SIMON assisté de Maître Claire JACQUIER, avocats au barreau de BORDEAUX
COMMISSAIRE DE GOUVERNEMENT
DRFP - Pôle d'évaluation domaniale - [Adresse 2]
Non comparant, dûment convoqué.
Intimés,
Rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause ait été débattue le 20 décembre 2023 devant :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseillère, Madame Marie GOUMILLOUX, Conseillère,
Greffier lors des débats : François CHARTAUD
en l'absence de Monsieur [J] [B], inspecteur divisionnaire,
et qu'il en ait été délibéré par les Magistrats du siège ci-dessus désignés.
EXPOSE DU LITIGE
Le 23 novembre 2017, Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X] ont mis en demeure la commune de [Localité 5] d'acquérir la partie de la parcelle cadastrée section AX n° [Cadastre 3] située [Adresse 4] à [Localité 5] grevée d'un emplacement réservé n° C[Cadastre 1] du plan local d'urbanisme, d'une contenance de 352 m².
Par courrier en date du 22 mars 2018, la commune de [Localité 5] a proposé d'acquérir ce terrain au prix de 2.059,20 euros et de prendre à sa charge les frais de l'acte authentique.
Le 26 avril 2019, Monsieur [Y] et Madame [X] ont saisi le juge de l'expropriation de la Gironde aux fins de voir, principalement, prononcer le transfert de propriété de l'emprise grevée de l'emplacement réservé, de fixer le prix à la somme de 110.860 euros avec prise en charge des frais de reconstruction de la clôture et du portail au nouvel alignement par la commune de [Localité 5].
Le juge de l'expropriation s'est transporté sur les lieux le 18 juin 2020.
Par jugement prononcé le 8 octobre 2020, le juge de l'expropriation a statué ainsi qu'il suit :
- déclare la demande recevable ;
- prononce le transfert de propriété au profit de la commune de [Localité 5] de la partie de la parcelle cadastrée section AX n° [Cadastre 3] située [Adresse 4] à [Localité 5] grevée d'un emplacement réservé n° C[Cadastre 1] du plan local d'urbanisme pour une surface de 352 m2, appartenant à Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X] ;
- fixe en contrepartie le prix revenant à Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X] aux sommes suivantes :
-indemnité principale : 36.960 euros
-indemnité de remploi : 4.696 euros
- rejette la demande d'indemnité pour dépréciation du surplus ;
- condamne la commune de [Localité 5] à payer à Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X] la somme de 1.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- déboute les parties pour le surplus ;
- condamne la commune de [Localité 5] aux dépens.
M. [Y] et Mme [X] ont relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 19 mai 2021.
La commune de [Localité 5] a constitué avocat le 30 juin 2021.
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M. [Y] et Mme [X] ont déposé leur mémoire d'appelants le 17 août 2021.
Il a été notifié le 31 août 2021 au Conseil de la commune de [Localité 5] et au commissaire du gouvernement, qui l'ont reçu l'un et l'autre le 6 septembre suivant.
Les appelants y demandent à la cour de :
- réformer le jugement du 8 octobre 2020 ;
- fixer le prix toutes indemnités confondues à la somme de 116.250 euros toutes indemnités confondues en contrepartie du transfert de propriété de l'immeuble appartenant à Monsieur [Y] et à Madame [X], objet de la mise en demeure d'acquérir, situé [Adresse 4], parcelle cadastrée à [Localité 5] section AX n° [Cadastre 3], pour une contenance globale de 352 m² ;
- condamner la commune de [Localité 5] à payer à Monsieur [Y] et Madame [X] la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
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La commune de [Localité 5] a déposé son mémoire d'intimée et ses pièces le 30 novembre 2021.
Ce mémoire a été notifié le 3 décembre 2021 au Conseil des appelants et au commissaire du gouvernement, qui l'ont reçu l'un et l'autre le 7 décembre suivant.
L'intimée, qui forme un appel incident, y demande à la cour de :
Vu les articles L.152-2 et L.230-1 du code de l'urbanisme,
Vu l'article L.332-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique,
Sur l'appel de Monsieur [Y] et Madame [X],
- déclarer Monsieur [Y] et Madame [X] mal fondés en leur appel ;
- débouter Monsieur [Y] et Madame [X] de toutes leurs demandes ;
Et en conséquence,
- confirmer le jugement dont appel sur les dispositions suivantes :
- confirmer le jugement dont appel en tant qu'un abattement de 50 % sur le prix du terrain à bâtir a été appliqué,
- confirmer le jugement dont appel en tant que l'indemnité pour dépréciation du surplus de la propriété a été rejetée ;
Sur l'appel incident de la commune de [Localité 5],
- déclarer la commune de [Localité 5] recevable et bien fondée en son appel incident ;
- infirmer le jugement dont appel en tant que la demande de transfert de propriété a été (à tort) jugée comme étant recevable ;
- infirmer le jugement dont appel en tant que la valeur vénale du bien a été (à tort) fixée à 210 euros/m² avant l'application d'une moins-value de 50 % à raison de la nature inconstructible du terrain ;
Et en conséquence, statuant à nouveau,
- à titre principal, rejeter la demande de première instance de Monsieur [Y] et de Madame [X] comme étant irrecevable ;
- à titre subsidiaire, fixer à la somme de 2.471,04 euros TTC l'indemnité devant être versée par la commune de [Localité 5] à Monsieur [Y] et Madame [X] pour les 352 m2 issus de la parcelle AX n°[Cadastre 3] sise [Adresse 4] à [Localité 5] ;
- allouer à la commune de [Localité 5] une somme de 4.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que la prise en charge par Monsieur [Y] et Madame [X] des dépens de l'instance.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de mémoire.
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La commune de [Localité 5] a déposé le 13 octobre 2023 de nouvelles conclusions et trois nouvelles pièces, qui ont été notifiées le 13 novembre suivant à M. [Y] et Mme [X] et au commissaire du gouvernement.
M. [Y] et Mme [X] ont déposé le 6 décembre 2023 de nouvelles conclusions, qui ont été notifiées le 13 décembre suivant à la commune de [Localité 5] et au commissaire du gouvernement.
Les appelants maintiennent les demandes présentées dans leur mémoire initial déposé le 17 août 2021 et y ajoutent la demande suivante :
- déclarer irrecevables les conclusions et pièces de l'intimé des 3 décembre 2021 et 13 octobre 2023 sur le fondement des dispositions de l'article R.311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
La commune de [Localité 5] a déposé deux nouvelles pièces le 15 décembre 2023.
Le commissaire du gouvernement n'a pas déposé de mémoire.
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A l'audience du 20 décembre 2023, la cour a invité les parties à faire connaître leurs observations quant au défaut de comparution du commissaire du gouvernement ou leur éventuelle demande de renvoi de l'affaire.
Ni les appelants ni l'intimée n'ont fait valoir d'observations ou de demande de renvoi.
La cour a ensuite demandé aux parties de lui adresser tout document relatif à la dernière modification du Plan local d'urbanisme et a indiqué qu'elle mettait dans les débats la question de la recevabilité des conclusions, déposées le 6 décembre 2023 par M. [Y] et Mme [X], qui tendent à l'irrecevabilité des premières conclusions valant appel incident de la commune de [Localité 5].
Les parties ont été invitées à faire connaître leurs observations à ce titre, le cas échéant par note en délibéré jusqu'au 15 janvier 2024.
La commune de [Localité 5] a déposé au greffe de la cour le 17 janvier 2024, et notifié le même jour par RPVA, une note en délibéré accompagnée de deux nouvelles pièces :
- un courrier du 9 janvier 2020 portant notification de la décision de renonciation à acquisition de l'emplacement réservé),
- la délibération du 11 mars 2021.
M. [Y] et Mme [X] n'ont pas déposé de note en délibéré.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la recevabilité des deuxièmes conclusions des appelants
1. L'article R.311-26 du code de l'expropriation dispose :
« A peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel.
A peine d'irrecevabilité, relevée d'office, l'intimé dépose ou adresse au greffe de la cour ses conclusions et les documents qu'il entend produire dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant. Le cas échéant, il forme appel incident dans le même délai et sous la même sanction.
L'intimé à un appel incident ou à un appel provoqué dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification qui lui en est faite pour conclure (...)»
2. La commune de [Localité 5], qui a reçu le mémoire des appelants le 6 septembre 2021, ainsi qu'il résulte des mentions de l'accusé de réception transmis par la Poste, a déposé son mémoire comportant un appel incident le 30 novembre 2021 au greffe de la cour. Ce mémoire a été notifié le 3 décembre 2021 par le greffe et a été reçu le 7 décembre suivant par le Conseil des appelants. Or M. [Y] et Mme [X] ont conclu à l'irrecevabilité de l'appel incident par des conclusions n° 2 déposées au greffe le 6 décembre 2023.
3. Dès lors, puisque cette exception de procédure a été soulevée par les appelants au-delà du délai de trois mois qui leur était imparti, il y a lieu de la déclarer irrecevable.
2. Sur le fond
4. L'article L.241-1 du code de l'expropriation dispose :
« Lorsqu'un délai d'un an s'est écoulé à compter de la publication d'un acte portant déclaration d'utilité publique d'une opération, les propriétaires des biens à acquérir compris dans cette opération peuvent mettre en demeure l'expropriant au bénéfice duquel la déclaration d'utilité publique est intervenue de procéder à l'acquisition de leur bien dans un délai de deux ans à compter du jour de la demande. Ce délai peut être prorogé une fois pour une durée d'un an (...)»
L'article L.241-2 du même code prévoit que, à défaut d'accord amiable à l'expiration du délai fixé à l'article L. 241-1, le juge, saisi par le propriétaire, prononce le transfert de propriété et fixe le prix du terrain comme en matière d'expropriation. L'acte ou la décision portant transfert de propriété éteint par lui-même et à sa date tous droits réels ou personnels existants sur l'immeuble cédé. Les droits des créanciers inscrits sont reportés sur le prix dans les conditions prévues à l'article L. 222-3.
5. Il est constant en droit que la mise en demeure d'acquérir un bien inclus dans le périmètre d'une opération déclarée d'utilité publique n'est pas un acte créateur de droit et que l'expropriant peut renoncer à l'expropriation antérieurement à la fixation du prix et au transfert de propriété.
En l'espèce, la commune de [Localité 5] a soutenu en première instance qu'elle avait renoncé à l'expropriation de la parcelle réservée.
Le premier juge a toutefois relevé que la renonciation d'acquérir, notifiée le 9 janvier 2020 à M. [Y] et Mme [X], était certes intervenue pendant le cours de l'instance mais qu'il n'en allait pas de même de la suppression de l'emplacement réservé, pour laquelle aucune décision de l'autorité administrative ne semblait avoir été prise.
6. Sur invitation expresse de la cour en ce sens, la commune de [Localité 5] a, par note en délibéré, produit, outre la délibération du conseil municipal n°080/2019 en date du 3 octobre 2019 qui figurait déjà au mémoire déposé le 30 novembre 2021, également la délibération du conseil municipal n° 020/2021 en date du 11 mars 2021 par laquelle a été approuvée la modification n°4 du Plan local d'urbanisme, en particulier la suppression de la réserve sur l'emplacement n°C[Cadastre 1].
Cette modification a été adressée le 12 mars suivant à la préfecture de la Gironde, accompagnée d'un rapport mentionnant expressément la décision par laquelle le conseil municipal renonce à acquérir la parcelle cadastrée section AX n° [Cadastre 3], ce qui emporte suppression définitive de l'opposabilité de l'emplacement réservé n°C[Cadastre 1] aux propriétaires de cette parcelle, cet emplacement étant supprimé du plan de zonage du PLU dans le cadre de la procédure de modification N°4.
Enfin, la commune de [Localité 5] a produit la publication, le 16 mars 2021 au sein du quotidien Sud Ouest, de l'avis au public de l'approbation de la modification n°4 du Plan local d'urbanisme.
7. Dès lors, dans la mesure où l'emplacement réservé peut être affranchi de la réserve jusqu'à la décision du juge saisi d'une procédure de délaissement et parce que la parcelle primitivement réservée au Plan local d'urbanisme a été définitivement retirée de la réserve, au jour où la cour statue, il n'est plus possible de prononcer le transfert de propriété.
En effet, la parcelle litigieuse n'étant aujourd'hui plus soumise aux contraintes résultant de la création d'une réserve foncière, la demande de délaissement est privée d'objet.
8. Il convient donc de réformer le jugement déféré de ce chef et, statuant à nouveau, de faire droit à la demande de la commune de [Localité 5] qui s'analyse non en une fin de non recevoir mais une défense au fond tendant au rejet de la demande principale en délaissement.
9. Il est équitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.
M. [Y] et Mme [X], parties succombantes en appel, seront condamnés au paiement des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Déclare irrecevable l'exception de procédure soulevée par Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X].
Infirme le jugement prononcé le 8 octobre 2020 par le juge de l'expropriation de la Gironde.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X] de l'ensemble de leurs demandes.
Déboute la commune de [Localité 5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Monsieur [U] [Y] et Madame [M] [X] à payer les dépens de première instance et d'appel.
L'arrêt a été signé par Jean-Pierre FRANCO, Président et par François CHARTAUD, Greffier, auquel a été remis la minute signée de la décision.
Le greffier, Le président,