JURIDICTION DU
PREMIER PRÉSIDENT
2ème CHAMBRE
---------------------------
Recours en matière
d'Hospitalisations
sous contrainte
--------------------------
Monsieur [R] [J]
C/
CENTRE HOSPITALIER SPECIALISE [4] pris en la personne de son directeur, ATINA
--------------------------
N° RG 23/02932 - N° Portalis DBVJ-V-B7H-NJ77
--------------------------
du 28 JUIN 2023
--------------------------
Notifications
le :
Grosse délivrée
le :
ORDONNANCE
--------------
Rendue par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Le 28 JUIN 2023
Nous, Marie GOUMILLOUX, Conseillère à la cour d'appel de Bordeaux, désigné en l'empêchement légitime du premier président par ordonnance du 05 décembre 2022 assistée de François CHARTAUD, Greffier ;
ENTRE :
Monsieur [R] [J], né le 12 Janvier 1980 à [Localité 5] (64), actuellement hospitalisé au CHS [4]
assisté de Maître Kristell COMPAIN-LECROISEY, avocat au barreau de BORDEAUX
en présence de Madame [D] [M], interprète en langue des signes français déclarée comprise par la personne, inscrite sur la liste des experts de la cour d'appel de Bordeaux,
régulièrement avisé, comparant à l'audience, accompagné d'un personnel soignant,
Appelant d'une ordonnance (R.G. 23/00917) rendue le 14 juin 2023 par le Juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 21 juin 2023
d'une part,
ET :
CENTRE HOSPITALIER SPECIALISE [4] pris en la personne de son directeur, [Adresse 1]
[Adresse 2]
régulièrement avisés, non comparants à l'audience,
Intimés,
d'autre part,
Le Ministère Public, en ses réquisitions écrites en date du 21 juin 2023,
Avons rendu publiquement l'ordonnance réputée contradictoire suivante après que la cause a été appelée devant nous, assistée de François CHARTAUD, greffier, en audience publique, le 27 Juin 2023
FAITS ET PROCÉDURE
Vu la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, modifiée par la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013,
Vu le décret n° 2011-846 du 18 juillet 2011 relatif à la procédure judiciaire de mainlevée ou de contrôle des mesures de soins psychiatriques, modifié par le décret n°2014-897 du 15 août 2014,
Vu le code de la santé publique et notamment les articles L 3211-12-1, L 3211-12-2, L 3212-1 et suivants, les articles R 3211-8, R 3211-27 et R 3211-28,
Vu l'admission de Monsieur [R] [J], né le 12 janvier 1980 en hospitalisation complète à la demande d'un tiers (urgence) par décision du directeur du centre hospitalier de [4] à [Localité 3] le 6 juin 2023,
Vu la décision de maintien des soins psychiatriques sous forme d'une hospitalisation complète du 9 juin 2023,
Vu la requête reçue au greffe du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 juin 2023 aux fins de prolongation de la mesure,
Vu l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux en date du 14 juin 2023 rejetant les moyens de nullité soulevés et autorisant le maintien de la mesure,
Vu l'appel formé par le conseil de [R] [J], enregistré au greffe le 20 juin 2023 aux fins de voir juger que la procédure est irrégulière compte tenu de la notification tardive de ses droits au patient le 12 juin 2023, d'infirmer la décision de première instance et d'ordonner la mainlevée de la mesure,
Vu l'avis du ministère public en date du 21 juin 2023 par mention au dossier visant au rejet des nullités soulevées, les médecins ayant eu recours à l'écrit pour échanger avec le patient et à la confirmation sur le fond de la décision de première instance,
Vu la convocation des parties à l'audience du 27 juin 2023,
Vu l'avis médical du docteur [N] en date du 23 juin 2023,
Vu la non-comparution de la curatrice de [R] [J], régulièrement convoquée,
***
A l'audience publique, [R] [J] sollicite la mainlevée de la mesure expliquant qu'en raison de sa surdité et de l'absence d'interprète en langue des signes, il ne peut échanger avec le personnel hospitalier et les autres patients. Il se sent très isolé et fait valoir qu'aucune interprète en langue des signes n'a été désigné pour lui expliquer les raisons de son hospitalisation le 6 juin 2023.
Son conseil reprend oralement les termes de sa déclaration d'appel à laquelle il conviendra de se référer. In limine litis, il demande à la cour de constater l'irrégularité de la notification de ses droits à [R] [J] intervenue six jours après son entrée à l'hôpital par l'intermédiaire d'un interprète en langue des signes, soit très tardivement, ce qui a nécessairement causé un grief à ce dernier. Il expose que [R] [J], qui ne maitrise pas la lecture et l'écriture, ne pouvant lire et écrire que quelques mots, est incapable d'apprécier la portée d'une notification effectuée par écrit. Il soutient que les médecins n'ont pas pu réellement s'entretenir avec lui sans interprète. Il précise que [R] [J] a effectué sa scolarité principalement en langue des signes.
[R] [J] s'est exprimé en dernier et a maintenu sa volonté de voir lever son hospitalisation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'appel
L'appel a été interjeté conformément aux règles de délai et de forme prescrites par les articles R 3211-18 et R 3211-19 du code de la santé publique.
Il est en conséquence recevable.
Sur la régularité de la procédure :
Aux termes de l'article L 3211-3 du code de la santé publique, lorsqu'une personne atteinte de troubles mentaux fait l'objet de soins psychiatriques en application des dispositions des chapitres II et III du présent titre ou est transportée en vue de ces soins, les restrictions à l'exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en 'uvre du traitement requis. En toutes circonstances, la dignité de la personne doit être respectée et sa réinsertion recherchée.
Avant chaque décision prononçant le maintien des soins en application des articles L. 3212-4, L. 3212-7 et L. 3213-4 ou définissant la forme de la prise en charge en application des articles L. 3211-12-5, L. 3212-4, L. 3213-1 et L. 3213-3, la personne faisant l'objet de soins psychiatriques est, dans la mesure où son état le permet, informée de ce projet de décision et mise à même de faire valoir ses observations, par tout moyen et de manière appropriée à cet état.
En l'espèce, [R] [J] a été admis en hospitalisation complète par décision du 6 juin 2023. Les certificats de 24 heures et de 72 heures qui font suite à un examen du patient sans interprète en langue des signes mentionnent que celui-ci a été informé de la forme de la prise en charge, de ses droits et des voies de recours.
La première notification de ses droits en présence d'un interprète en langue des signes est intervenue le 12 juin 2023.
Or, le dernier certificat médical en date du 23 juin 2023, réalisé sans interprète suite à des échanges par écrit avec le patient, mentionne que le patient a besoin d'un interprète en langue des signes.
Aucune des pièces versées au dossier ne permet par ailleurs d'établir que :
- [R] [J], qui a fait une grande partie de sa scolarité en langue des signes, maîtrise suffisamment bien l'écrit pour pouvoir appréhender la notification de ses droits effectuée par les médecins sans interprète en langue des signes à l'occasion de l'examen médical dit de 24 heures et de 72 heures,
- [R] [J] présentait des troubles psychiatriques faisant obstacle à la notification de ses droits avant le 12 juin 2023, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge.
Dès lors, il sera jugé que [R] [J] n'a pas reçu une notification effective de ses droits lui permettant d'en apprécier la portée que six jours après sa décision d'admission, ce qui lui a nécessairement causé grief puisqu'il a été privé de la possibilité de les exercer pendant ce délai.
Il convient dès lors de prononcer la mainlevée de la mesure.
Aux termes de l'article L 3211-12-1 III du code de la santé publique, lorsqu'il ordonne cette mainlevée, le juge peut, au vu des éléments du dossier et par décision motivée, décider que la mainlevée prend effet dans un délai maximal de vingt-quatre heures, afin qu'un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi en application du II de l'article L. 3211-2-1. Dès l'établissement de ce programme ou à l'issue du délai mentionné à la première phrase du présent alinéa, la mesure d'hospitalisation complète prend fin.
Il ressort des certificats médicaux produits aux débats et notamment du dernier avis du docteur [N] que [R] [J] souffre d'une pathologie psychiatrique nécessitant des soins et a une conscience faible de ses troubles. Afin de permettre une continuité dans les soins, il sera jugé que la mesure de mainlevée prendra effet dans un délai maximal de vingt-quatre heures, afin qu'un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi en application du II de l'article L. 3211-2-1. Dès l'établissement de ce programme ou à l'issue de ce délai de vingt-quatre heures, la mesure d'hospitalisation complète prend fin.
Les dépens seront laissés à la charge de l'Etat.
PAR CES MOTIFS
Accorde le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire à [R] [J],
Infirme la décision rendue par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bordeaux le 14 juin 2023,
Ordonne la mainlevée de la mesure d'hospitalisation complète prise à l'égard de [R] [J],
Dit que la mesure de mainlevée prendra effet dans un délai maximal de vingt-quatre heures, afin qu'un programme de soins puisse, le cas échéant, être établi en application du II de l'article L. 3211-2-1 et que la mesure d'hospitalisation complète prend fin dès l'établissement de ce programme ou à l'issue de ce délai de vingt-quatre heures
Dit que la présente décision sera notifiée à l'intéressé par le biais d'un interprète en langue des signes, à son avocat, au curateur, au directeur de l'établissement où il est soigné ainsi qu'au ministère public
Dit que les dépens seront laissés à la charge de l'Etat.
La présente décision a été signée par Marie GOUMILLOUX, conseillère, et par François CHARTAUD, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Conseillère déléguée,