COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
--------------------------
ARRÊT DU : 15 MAI 2023
N° RG 19/05938 - N° Portalis DBVJ-V-B7D-LJ2I
SARL LED DESIGN
SCI MARYGIA
c/
Monsieur [P] [L]
SARL L&G BATIMENT
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 septembre 2019 (R.G. ) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 09 novembre 2019
APPELANTES :
SARL LED DESIGN, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
SCI MARYGIA, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
représentées par Maître Sami FILFILI, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [P] [L], né le 29 Novembre 1951 à [Localité 5], de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représenté par Maître David CZAMANSKI de la SCP LATOURNERIE - MILON - CZAMANSKI - MAZILLE, avocat au barreau de BORDEAUX
SARL L&G BATIMENT, anciennement dénommée société L ET G Maintenance et services,prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
représentée par Maître Laurent NADAUD, substituant Jacques VINCENS de la SELARL ME JACQUES VINCENS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE
Le 14 novembre 2016, la SCI Marygia, en qualité de maître de l'ouvrage, a conclu un contrat intitulé 'contrat de maîtrise d'oeuvre co-traité' avec la société A-Urbanis portant sur le lot n°2 d'un projet intitulé 'Parc de la confrérie' à [Localité 6] et portant sur la restauration d'un ensemble d'immeubles pour un montant d'honoraire de 26 255 euros. [P] [L], architecte, est mentionné comme cotitulaire de ce contrat qu'il n'a pas signé.
Les travaux portaient sur la construction d'un hangar destiné à être donné à bail à la société Led Design.
La société Let G Maintenance et Services a été notamment chargée des lots 'gros oeuvre', 'réseaux eaux pluviales' et 'espaces extérieurs'. A ce titre, elle était chargée de la réalisation d'un quai de déchargement dont elle a sous-traité une partie des travaux à la société Rollin.
Un procès-verbal de 'pré-réception des travaux' a été dressé le 3 août 2017 .
Par courrier du 15 décembre 2017, la société Marygia a fait état à la société A-Urbanis de nombreux problèmes affectant selon elle le déroulement de ce chantier, dont l'inondation du quai de chargement.
Par jugement du 03 janvier 2018, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société A-Urbanis.
Le chantier a finalement été réceptionné avec réserves le 11 janvier 2018 par le maître de l'ouvrage, assistée de la société A-Urbanis. Concernant la société Rollin, prise en sa qualité de sous-traitante de la société L et G Maintenance et Services, il était fait état d'un problème de récupération des eaux de pluie.
Le maître de l'ouvrage a fait réaliser une expertise amiable en juin 2018 duquel il ressort que le quai de déchargement, plus profond que ce qui avait été prévu sur le permis de construire, était immergé en partie basse.
Par acte d'huissier du 26 novembre 2018, après vaine mise en demeure du 02 août 2018, la société Led Design et la société Marygia ont assigné la société L et G Maintenance et Services et M. [L] devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins d'obtenir leur condamnation à lui verser la somme de 42 465 euros au titre des travaux de réfection et à titre de dommages et intérêts.
La société L et G Maintenance et Services a assigné la société Rollin TP aux fins de la voir condamner à la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre dans la présente instance. L'instance a été enregistrée sous le n°RG 2019F00636.
Par jugement contradictoire du 30 septembre 2019, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- débouté la société L et G Maintenance et Services de sa demande de jonction avec l'affaire n°RG 2019F00636,
- débouté la société Led Design et la société Marygia de toutes leurs demandes à l'égard de M. [L],
- condamné la société Led Design et la société Marygia à verser solidairement à M. [L] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à statuer sur l'application de l'article 699 du code de procédure civile,
- débouté la société Led Design et la société Marygia de toutes leurs demandes à l'égard de la société L et G Maintenance et Services,
- condamné la société Led Design et la société Marygia à verser à la société L et G Maintenance et Services la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Led Design et la société Marygia solidairement aux dépens.
En substance, le tribunal a jugé que :
- M. [L] n'avait pas signé le contrat de maîtrise d'oeuvre et qu'il n'était pas établi qu'il avait participé à la construction du quai de déchargement affecté de désordres,
- la responsabilité de la société L et G Maintenance et Services dans la présence d'eau dans le quai de déchargement n'était pas démontrée.
Par déclaration du 09 novembre 2019, la société Led Design et la société Marygia ont interjeté appel de cette décision, énonçant les chefs de la décision expressément critiqués, intimant la société L et G Maintenance et Services et M. [L].
Par ordonnance du 13 octobre 2022, le conseiller de la mise en état à la chambre commerciale de la cour d'appel de Bordeaux a déclaré recevable les demandes formées par la société Led Design et la société Marygia devant la cour à l'encontre de la société L et G Maintenance et Services.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 04 mars 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Led Design et la société Marygia, demandent à la cour de :
- vu les articles 1103et 1231 et suivants du code civil,
- infirmer le jugement rendu le 30 septembre 2019 par le tribunal de commerce de Bordeaux et statuant de nouveau,
- condamner M. [L] et la société L et G Maintenance et Services à verser à la société Marygia la somme de 48 812,56 euros au titre de la réfection des travaux,
- condamner M. [L] à verser à la société Marygia la somme de 5 000 euros au titre de préjudice dû au défaut de surveillance du chantier et au retard de livraison du chantier,
- condamner M. [L] et la société L et G Maintenance et Services à verser à la société Led Design la somme de 5 000 euros à titre du préjudice de jouissance,
- condamner M. [L] et la société L et G Maintenance et Services à 1 500 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile à leur profit,
- les condamner aux entiers dépens de l'instance.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 17 mars 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, la société L et G Maintenance et Services, demande à la cour de :
- vu l'article 1231-1 du code civil,
- vu la jurisprudence produite,
- vu les pièces produites,
- à titre principal,
- déclarer irrecevables les demandes des sociétés Marygia et Led Design à son encontre,
- à titre subsidiaire,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 30 septembre 2019,
- débouter la société Marygia et la société Led Design de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,
- condamner la société Marygia et la société Led Design à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières écritures notifiées par RPVA le 17 mars 2020, auxquelles la cour se réfère expressément, M. [L], demande à la cour de :
- à titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement prononcé par le tribunal de commerce de Bordeaux le 30 septembre 2019.
- en conséquence,
- débouter la société Marygia, la société Led Design ou toute autre partie de l'intégralité de leurs demandes en ce qu'elles sont dirigées contre lui,
- à titre subsidiaire, condamner la société L et G Maintenance et Services à garantir et le relever indemne des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre,
- en tout état de cause,
- débouter la société Marygia de sa demande au titre du retard de livraison,
- réduire à de plus justes proportions le montant du préjudice de jouissance de la société Led Design,
- condamner la partie qui succombera à lui payer une indemnité de 3 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens avec distraction au profit de la société Latournerie Milon Czamanski Mazille par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 06 mars 2023 et le dossier a été fixé à l'audience du 20 mars 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la fin de non-recevoir soulevée par la société L et G Batiment :
1- La société L et G Batiment qui indique être immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n°524 095 528 et avoir un siège social au [Adresse 3] soutient que les demandes formées à son encontre sont irrecevables pour défaut de qualité à agir car celles-ci sont dirigées à l'encontre de la ' société L et G Maintenance et services immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n°524 095 528 ayant son siège social au [Adresse 2].'
2- Le conseiller de la mise en état a sollicité la production du Kbis de la société L et G Batiment duquel il est ressorti que la société L et G Maintenance et services immatriculée au RCS de Bordeaux sous le n°524 095 528 a modifié l'adresse de son siège social et sa dénomination . Il n'y a donc pas eu d'erreur sur l'identité de la société assignée.
3- La fin de non-recevoir soulevée par l'intimée sera rejetée.
Sur la mise en jeu de la responsabilité de M. [L] et de la société L et G Batiment :
4- M. [L] n'a pas signé le contrat de maîtrise d'oeuvre. Il reconnaît cependant avoir réalisé conjointement avec la société A-Urbanis la mission de conception 'Phase dossier Permis de construire', et avoir perçu à ce titre des honoraires du maître de l'ouvrage.
5- Il ressort des pièces produites aux débats que la société A-Urbanis a été le seul interlocuteur de la SCI Marygia pendant toute la phase d'exécution des travaux, jusqu'à la réception de ceux-ci. Dès lors, en l'absence de contrat signé par M. [L], il n'est pas établi que celui-ci se soit engagé solidairement avec la société A Urbanis pour une autre mission que celle qu'il reconnaît avoir réalisée avec celle-ci dans le cadre du dépôt du permis de construire. La société Marygia , qui reproche à M. [L], d'avoir prêté son nom pour le contrat, argue de la 'théorie de l'apparence' sans justifier des conditions de mise en oeuvre de cette théorie.
6- Dès lors, la responsabilité de M. [L] ne pourra être retenue qu'au titre d'un manquement de celui-ci à sa mission de conception de l'ouvrage.
7- Les appelantes soutiennent que la société L et G Batiment était tenue d'une obligation de résultat quant à la réalisation du quai de déchargement; qu'elle a sous-traité les travaux sans solliciter son agrément; que la rampe ne remplit pas son usage; que le maître de l'ouvrage n'a jamais exigé un changement, 'tout au plus a t'il fait part d'une demande qui devait être traitée techniquement par la société en charge des travaux'; que ce changement a été demandé par l'architecte; que la société L et G aurait dû assister aux réunions concernant son lot; que M. [L] a manqué aux obligations résultant du contrat de maîtrise d'oeuvre.
11- Les intimés soutiennent que les désordres sont le résultat des choix du maître de l'ouvrage, choix déconseillé par les professionnels, le niveau de décaissement prévu dans le permis de construire ayant été fixé en fonction du niveau de la nappe phréatique.
12- Il ressort des pièces produites que le quai de déchargement n'a pas été construit conformément au permis de construire non modifié, ce qui est une faute imputable à la seule maîtrise d'oeuvre d'exécution, la société A Urbanis.
13-La maîtrise d'oeuvre d'exécution a organisé cinq réunions de chantier en présence du maître de l'ouvrage. Elle a établi des comptes-rendus adressés aux différents intervenants.
14- Il ressort de ces comptes rendus que la rampe a été réglée dans un premier temps à 0,70 du quai puis ''après essai avec son camion, il est demandé de descendre à 0,91 au niveau des roues arrières du camion'. Il est ajouté ' cet ouvrage a été réglé en accord avec le client sur site et sera réalisé. Toutefois, l'entreprise Rollin émet une réserve sur la présence de la nappe d'eau et du fil d'eau imposée par le réseau d'écoulement des eaux de pluie' (compte-rendu du 6 septembre 2017). L'entreprise Rollin a par ailleurs adressé un courrier à la société L ET G pour l'alerter sur les risques d'inondation compte tenu de la nappe aquifère superficielle proche du terrain. Elle a ensuite produit un devis relatif à l'installation de la pompe de relevage, qui n'a que partiellement remédié aux désordres.
15- Les pièces produites aux débats ne permettent pas à la cour de déterminer les raisons pour lesquelles le maître d'oeuvre et le maître de l'ouvrage ont souhaité régler le quai de déchargement à un niveau plus bas que celui prévu dans le permis de construire, et alors que l'entreprise en charge des travaux avaient clairement émis des réserves. Il n'est pas démontré que le quai ne pouvait être construit à la hauteur initiale prévue par M. [L]. Il n'est donc pas démontré que celui-ci a commis une erreur de conception. Le défaut de souscription d'une assurance dommages ouvrage est par ailleurs sans lien avec le litige, le désordre dénoncé apparent et partiellement réservé lors de la réception ne relevant pas d'une telle garantie, ce que les appelants ne contestent pas puisqu'ils forment leurs demandes exclusivement sur le fondement contractuel.
16- Dans la mesure où l'entreprise sous-traitante s'est conformée aux souhaits communs du maître de l'ouvrage et du maître d'oeuvre, après les avoir avertis des risques encourus, sa responsabilité ne peut pas être retenue, pas plus que celle de la société L ET G titulaire du lot.
17- La société Led Design et la SCI Marygia seront ainsi déboutées de leur demande de réparation de leur préjudice matériel et de jouissance et de leur demande de réparation du préjudice résultant du défaut de surveillance du chantier.
18- La décision de première instance sera confirmée de ce chef.
Sur les demandes accessoires :
19- La société Led Design et la SCI Marygia qui succombent seront condamnées aux dépens d'appel .
20- La société Led Design et la SCI Marygia seront condamnées à verser la somme de 2000 euros à M. [L] et la somme de 2000 euros à la société L et G Batiment.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable les demandes formées par la société Led Design et la SCI Marygia à l'encontre de la société L ET G Maintenance et services devenue L ET G Batiment,
Confirme la décision rendue par le tribunal de commerce de Bordeaux le 30 septembre 2019,
Y ajoutant,
Condamne la société Led Design et la SCI Marygia aux dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP Latournerie Milon Czamanski Mazille
Condamne la société Led Design et la SCI Marygia à verser la somme de 2000 euros à M. [L] et la somme de 2000 euros à la société L et G Batiment.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.