COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 10 MAI 2023
N° RG 22/03823 - N° Portalis DBVJ-V-B7G-M2XN
S.E.L.A.R.L. EKIP'
c/
Madame [E] [M]
S.A.S. FRANCE DISTRIB
Nature de la décision : AU FOND
Notifié aux parties par LRAR le :
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : ordonnance rendu le 21 juillet 2022 (R.G. 2021J00178) par le Juge commissaire de [Localité 5] suivant déclaration d'appel du 04 août 2022
APPELANTE :
S.E.L.A.R.L. EKIP', es qualité de mandataire judiciaire de la SAS FRANCE DISTRIB,représentée par Maitre [R] et domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
représentée par Maître Jean-Baptiste HAUGUEL de la SELARL TRASSARD & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉES :
Madame [E] [M], née le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 5] de nationalité Française, demeurant [Adresse 4]
représentée par Maître Nadia MIHAYLOVA de la SELARL PLURI CONSEILS ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
S.A.S. FRANCE DISTRIB, représentée par son mandataire social, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 2]
non représentée
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 08 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
Madame [E] [M] a été engagée par la société par actions simplifiée France Distrib à compter du 23 novembre 2016 en qualité de VRP non exclusif.
Mme [M] a, le 21 septembre 2017, saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux d'une demande de requalification de son contrat en contrat de VRP exclusif et de paiement de diverses sommes dont, principalement, un rappel de salaires et des dommages et intérêts au titre du préjudice subi d'une part à la suite de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, d'autre part en raison du défaut de reconnaissance de son poste de chef d'équipe.
Par jugement du 25 juin 2021, le conseil de prud'hommes de Bordeaux a condamné la société France Distrib à verser la somme de 6.796,88 euros à Mme [M]. La société France Distrib a relevé appel de cette décision le 16 juillet 2021.
Par jugement du 14 avril 2021, le tribunal de commerce de Bordeaux a ouvert une procédure de sauvegarde judiciaire de la société France Distrib, convertie en liquidation judiciaire par jugement du 2 février 2022. La société Ekip' a été désignée en qualité de mandataire judiciaire puis de mandataire liquidateur.
Mme [M] a, le 6 août 2021, déclaré à titre chirographaire une créance de 7.160,36 (soit 6.796,88 euros en principal et 363,48 euros d'intérêts) au passif de la procédure collective de la société France Distrib.
Par lettre recommandée du 16 décembre 2021, la société Ekip' a contesté es qualités la déclaration de créance au motif qu'une instance était en cours. Mme [M] a maintenu sa déclaration de créance par lettre recommandée du 4 janvier 2022.
Par ordonnance du 21 juillet 2022, le juge commissaire a statué ainsi qu'il suit :
- admettons la créance déclarée par Madame [E] [M] au passif du redressement judiciaire de la société France Distrib pour la somme de 7.160,36 euros à titre chirographaire ;
- disons que la présente ordonnance sera notifiée par le greffier par lettre recommandée avec avis de réception au créancier et au débiteur et par lettre simple aux mandataires de justice.
La société Ekip' a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 4 août 2022.
Par dernières conclusions communiquées le 28 octobre 2022 par voie électronique, la société Ekip', en sa qualité de mandataire liquidateur de la société France Distrib, demande à la cour, au visa de l'article L. 624-2 du code de commerce, de :
- infirmer l'ordonnance du juge-commissaire du 21 juillet 2022 ;
Et statuant à nouveau,
- constater qu'une procédure au fond est en cours entre la société France Distrib d'une part et Madame [E] [M] d'autre part ;
- condamner Mme [M] à payer la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;
- dire que les dépens seront utilisés en frais privilégiés de la procédure collective.
Par dernières écritures communiquées le 1er décembre 2022, Madame [E] [M] demande à la cour de :
Vu l'article L. 624-2 du code de commerce,
- juger que l'instance pendante devant la cour d'appel de Bordeaux suivant appel de la société France Distrib à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux du 25 juin 2021 n'est pas une instance en cours au sens de l'art. L. 624-2 du code de commerce ;
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance du juge commissaire rendue le 21 juillet 2022 dans toutes ses dispositions ;
- débouter la société Ekip' intervenant en qualité de liquidateur de la société France Distrib de toutes ses demandes en instance d'appel, en ce compris la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Ekip' intervenant en qualité de liquidateur judiciaire de la société France Distrib au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Par acte d'huissier du 20 septembre 2022, la société Ekip' es qualités a fait signifier sa déclaration d'appel à la société Senslife, présidente de la société France Distrib.
La société Ekip' ès qualités et Mme [M] ont fait signifier leurs conclusions à la société Senslife par actes d'huissier des 3 novembre et 12 décembre 2022.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 22 février 2023.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
L'article L.624-2 du code de commerce, dans sa version applicable au litige, dispose :
« Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.»
Selon l'article L.622-22 du même code :
« Sous réserve des dispositions de l'article L. 625-3, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan nommé en application de l'article L. 626-25 dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
Le débiteur, partie à l'instance, informe le créancier poursuivant de l'ouverture de la procédure dans les dix jours de celle-ci.»
Au visa de ces textes, la société Ekip', en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société France Distrib, fait grief à l'ordonnance déférée d'avoir prononcé l'admission de la créance déclarée par Mme [M]. L'appelante soutient qu'une telle décision contrevient au principe selon lequel l'existence d'une instance en cours au jour du jugement d'ouverture enlève au juge commissaire le pouvoir de décider de l'admission ou du rejet d'une créance.
Mme [M] lui oppose le fait que c'est la société France Distrib, en période d'observation, qui a relevé appel du jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux, c'est donc le débiteur qui est demandeur. L'intimée soutient qu'il est de principe que, lorsque le débiteur en procédure collective est en demande, les instances ne sont pas regardées comme des instances en cours au sens du code de commerce. Mme [M] ajoute que le jugement du 25 juin 2021 est assorti de l'exécution provisoire, donc exécutoire.
La cour observe qu'il est en effet constant en droit que les dispositions qui prévoient que les instances en paiement reprises après déclaration de créances et qui ne peuvent tendre qu'à la constatation des créances et à la fixation de leur montant ne s'appliquent pas aux créances dont le débiteur en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire est bénéficiaire.
Toutefois, en l'espèce, la société France Distrib, débiteur en liquidation judiciaire, n'est pas bénéficiaire de la créance litigieuse résultant, en l'état du litige entre les parties, du jugement du conseil de prud'hommes. Cette société en est au contraire la débitrice alléguée.
Or, la notion d'instance en cours de l'article L.624-2 renvoie directement à celle de l'article L.622.21 qui énonce que le jugement d'ouverture interrompt toute action en justice engagée par le créancier dont la créance est née antérieurement. Il s'agit des actions tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou tendant à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. Il est constant que l'instance en cours est le procès engagé contre le débiteur avant le jugement d'ouverture et devant un juge du fond pour obtenir d'une juridiction saisie du principal une décision définitive sur l'existence et le montant de la créance.
L'article L.622-22 précise que l'instance est interrompue jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance et elle est reprise de plein droit, les organes de la procédure collective dûment appelés, mais ne tend qu'à la constatation de la créance et à la fixation de son montant. Ainsi, le tribunal initialement saisi fixera, le cas échéant, le montant de cette créance au passif de la procédure collective. L'instance en cours ôte donc au juge commissaire le pouvoir de statuer sur la créance.
Il résulte donc expressément des textes cités plus haut, considérés ensemble, que la notion d'instance en cours s'applique lorsque c'est le débiteur en procédure collective qui est recherché. Dès lors, il doit être ici retenu que, puisque Mme [M] tend à l'admission d'une créance contre la société France Distrib, société en liquidation judiciaire, et que le principe et le montant de cette créance sont discutés devant la cour d'appel de Bordeaux, le juge commissaire n'a pas le
pouvoir de statuer sur la créance litigieuse et ne peut que constater qu'une instance est en cours, peu important à cet égard que le jugement dont appel soit exécutoire.
La cour infirmera donc l'ordonnance déférée et, statuant à nouveau, constatera qu'une instance est en cours.
Y ajoutant, la cour déboutera les parties de leur demande en indemnisation de leurs frais irrépétibles et ordonnera l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance prononcée le 21 juillet 2022.
Statuant à nouveau,
Constate qu'une instance est en cours entre Madame [E] [M] et la société Ekip' en sa qualité de liquidateur de la société France Distrib.
Y ajoutant,
Déboute les parties de leur demande formée au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.