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03/05/2023 | FRANCE | N°21/00992

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 03 mai 2023, 21/00992


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 03 MAI 2023









N° RG 21/00992 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6MG







CAISSE D'EPARGNE AQUITAINE POITOU-CHARENTES





c/



Monsieur [B] [J]























Nature de la décision : AU FOND





















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Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 février 2021 (R.G. 2020F00235) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 18 février 2021





APPELANTE :



CAISSE D'EPARGNE AQUITAINE POITOU-CHARENTES, prise en la personne de son représentant légal, do...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 03 MAI 2023

N° RG 21/00992 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-L6MG

CAISSE D'EPARGNE AQUITAINE POITOU-CHARENTES

c/

Monsieur [B] [J]

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 01 février 2021 (R.G. 2020F00235) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 18 février 2021

APPELANTE :

CAISSE D'EPARGNE AQUITAINE POITOU-CHARENTES, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]

représentée par Maître Benjamin HADJADJ de la SARL AHBL AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉ :

Monsieur [B] [J], né le [Date naissance 2] 1981 à [Localité 4], de nationalité Française, demeurant [Adresse 3]

représenté par Maître Sandra CATHELOT-CEBOLLERO, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 01 mars 2023 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE :

Le 18 mai 2013, la société anonyme Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou Charentes (ci-après Caisse d'Epargne) a consenti un prêt d'un montant principal de 89.000 euros à la société à responsabilité limitée Pizza Familia, pour la garantie duquel Monsieur [B] [J], gérant de la société, s'est, le même jour, porté caution solidaire dans la limite de 57.850 euros.

Par jugement du 5 mars 2014, le tribunal de commerce de Bordeaux a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Pizza Familia, puis l'a convertie en liquidation judiciaire par jugement du 04 février 2015 et clôturée pour insuffisance d'actif par jugement du 21 avril 2016.

Le 28 mars 2014, la Caisse d'Epargne a déclaré sa créance au passif du redressement judiciaire de la société Pizza Familia pour un montant de 107.257,19 euros.

Par exploit d'huissier du 15 février 2020, après vaines mises en demeure des 12 mars 2015, 4 décembre 2018 et 13 décembre 2019, la Caisse d'Epargne a assigné M. [J] devant le tribunal de commerce de Bordeaux en paiement de diverses sommes.

Par jugement contradictoire prononcé le 1er février 2021, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :

- dit l'action formée par la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes forclose et prescrite ;

- déboute la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes de l'intégralité de ses demandes à l'encontre de M. [J] ;

- condamne la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à régler à M. [J] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes aux dépens de l'instance.

La Caisse d'Epargne a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 18 février 2021.

Par dernières conclusions communiquées le 3 février 2023 par voie électronique, la Caisse d'Epargne demande à la cour de :

Vu les articles 1103 et 1343-2 anciennement 1134 et 1154 du code civil,

Vu les articles 2288 et 2298 du code civil,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 1er février 2021 ;

Statuant à nouveau,

- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- juger que les demandes de la Caisse d'Epargne sont recevables et bien fondées ;

Y faisant droit,

- condamner M. [J], en sa qualité de caution solidaire et personnelle des engagements de la société Pizza Familia au titre du prêt n°9216281, à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 56.966,85 euros, compte arrêté au 13 décembre 2019, outre intérêts postérieurs au taux conventionnel majoré de trois points soit 6,65% (article 7 : 'Pénalités de retard' du contrat de prêt), dans la limite de 57.850 euros ;

- ordonner la capitalisation des intérêts dus par année entière à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner M. [J] au paiement d'une indemnité de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par dernières écritures communiquées le 9 août 2021 par voie électronique, M. [J] demande à la cour de :

Vu les dispositions des articles 1103 du code civil et L.110'4 du code du commerce,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

- dit l'action formée par la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes forclose et prescrite,

- débouté la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes de ses demandes,

- condamné la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à régler à M. [J] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée aux dépens ;

- débouter la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes de toute demande à l'encontre de M. [J] ;

Y ajoutant,

- condamner la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes à porter et payer à M. [J] la somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou-Charentes en tous les dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 février 2023.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1. L'article L.110-4 du code de commerce dispose :

« I.-Les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes. (...)»

2. La Caisse d'Epargne fait grief au tribunal de commerce d'avoir fait une mauvaise application de ce texte en retenant que l'action de la Caisse d'Epargne à l'encontre de la caution était soumise à un délai de forclusion de 5 ans qui aurait commencé à courir à compter du prononcé de la liquidation judiciaire du débiteur principal.

L'appelante soutient tout d'abord que cet article L.110-4 porte sur une prescription et non une forclusion ; elle fait ensuite valoir que le premier juge ne pouvait retenir la date de la liquidation judiciaire comme point de départ de la prescription et a fait abstraction d'une part de l'effet interruptif de sa déclaration de créance et d'autre part de ce que cet effet interruptif s'était prolongé jusqu'à la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif.

L'intimé lui oppose les termes d'une stipulation particulière du contrat de cautionnement qui prévoit que la liquidation judiciaire de l'emprunteur aura pour effet la déchéance du terme à l'égard de la caution. M. [J] en tire la conséquence juridique que cette stipulation, qui a ainsi fixé un terme au droit d'agir du créancier, a eu pour effet qu'à son terme, le droit du créancier était atteint par la forclusion et la prescription ; il soutient que cette stipulation fixait bien un droit d'agir pour les deux parties expirant 5 ans après la date de la liquidation judiciaire.

L'intimé ajoute que la prescription à l'égard de la caution ne pouvait être suspendue par l'effet d'une déclaration de créance antérieure à la liquidation judiciaire puisqu'à la date de la déclaration de créance, l'action contre la caution n'était pas ouverte.

M. [J] précise qu'il résulte de cette stipulation que les parties ont contractuellement prévu d'aménager la prescription, au-delà de la suspension du code de commerce ; que, par ailleurs, faute pour la banque de justifier qu'aucune décision n'a statué sur sa demande d'admission de créance, elle ne peut bénéficier de l'effet interruptif de prescription jusqu'à la clôture pour insuffisance d'actif attachée à la déclaration de créance.

L'intimé conclut que, puisque la liquidation judiciaire de la société Pizza Familia a été prononcée le 4 février 2015, la Caisse d'Epargne disposait d'un délai qui expirait le 4 février 2020 ; que son action est forclose et prescrite puisque l'assignation a été délivrée le 15 février 2020.

3. La cour observe que le contrat de cautionnement du 18 mai 2013 prévoit en page trois paragraphe quatre la stipulation suivante :

« En cas de liquidation judiciaire de l'emprunteur, sauf poursuite de l'activité telle que prévue à l'article L.643-1 du code de commerce, ainsi qu'en cas de jugement prononçant la cession à son encontre, la déchéance du terme interviendra à mon égard du fait même de l'arrivée de cet événement.»

Cette stipulation prévoit donc que le créancier ne pourra se prévaloir de l'exigibilité anticipée du prêt, à l'égard de la caution, que si l'emprunteur garanti est placé en liquidation judiciaire. Il en résulte que la caution ne pourra être poursuivie à l'occasion du prononcé de l'ouverture d'une procédure collective au bénéfice de la société Pizza Familia qui ne serait pas directement une liquidation judiciaire, ce qui a été le cas en l'espèce.

4. Toutefois, cette stipulation contractuelle n'a pas pour effet d'aménager un régime spécial de prescription 'passant au-delà de la suspension du code de commerce' (selon l'expression de M. [J]) qui commencerait le jour de la liquidation de la société pour s'achever cinq années plus tard.

En effet, les parties ne peuvent tout d'abord contractuellement déroger à la loi. De plus, le paragraphe 4 de la page 3 du contrat n'a pas pour objet de déterminer le point de départ de la prescription de l'action du créancier mais le moment auquel ce créancier pourra se prévaloir de l'exigibilité anticipée du prêt à l'égard de la caution.

5. Par ailleurs, cette stipulation doit être considérée dans le cadre spécifique de la législation relative aux procédures collectives et de ses effets dans les rapports entre le créancier et la caution personne physique ayant consenti un cautionnement personnel en garantie de la dette de la personne bénéficiant d'une telle procédure collective.

En effet, le code de commerce prévoit la règle, d'ordre public, de l'interdiction des poursuites du créancier (dont la créance est antérieure à l'ouverture de la procédure collective) à l'encontre du débiteur soumis à une telle procédure, qu'il s'agisse de la procédure de sauvegarde où elle est édictée par l'article L. 622-21 (dans sa rédaction ici applicable), du redressement judiciaire (art. L. 631-14 , al. 1er par renvoi) ou de la liquidation judiciaire (art. L. 641-3 , al. 1er par renvoi). Cette règle s'étend à la caution, à l'exception de la liquidation judiciaire si le contrat de cautionnement prévoit une exigibilité anticipée par l'effet de la liquidation judiciaire, comme c'est ici le cas.

Par ailleurs, l'obligation de déclaration des créances, édictée par l'article L. 622-24 du code de commerce est générale à l'ensemble des procédures collectives, ce dans les délais contraints prévus par les articles R.622-21 et suivants du code de commerce.

Dès lors, il est constant en droit que lorsque le débiteur principal fait l'objet d'une procédure collective, la déclaration de créance, qui est assimilée à une demande en justice dans l'état du droit applicable au présent litige, interrompt les délais de prescription pour agir tant contre le débiteur principal que contre la caution solidaire ; l'interdiction des poursuites individuelles s'imposant au créancier pendant toute la durée de la procédure collective, l'interruption de la prescription se prolonge, non jusqu'à la décision d'admission qui marque la fin de l'instance d'admission de la créance, mais jusqu'à la clôture de la procédure collective.

Ainsi, le moyen tiré par l'intimé de la date de la décision d'admission de la créance est inopérant puisque sans effet sur la suspension de la prescription, étant rappelé qu'il est de principe que l'effet interruptif de la prescription attaché à la déclaration de créance n'est pas tenu en échec par la dispense de vérification des créances. Par effet de la règle d'ordre public de l'interdiction des poursuites, la prescription est donc suspendue, peu important que l'exigibilité à l'égard de la caution soit postérieure à la déclaration de créance.

6. En conséquence, la prescription de l'action de la Caisse d'Epargne a bénéficié d'une interruption le 28 mars 2014, date de sa déclaration de créance dûment établie aux débats, et, par application des dispositions de l'article 2231 du code civil, a commencé de nouveau le 21 avril 2016, date de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif. La Caisse d'Epargne était donc recevable à poursuivre M. [J] par son assignation délivrée le 15 février 2020.

7. Enfin, l'appelante produit aux débats tant le contrat de prêt principal que l'engagement de caution de M. [J], qui ne discute pas subsidiairement le décompte de la somme dont le paiement lui est réclamé en sa qualité de caution, et justifie de sa demande tant en son principe qu'en son montant.

8. La cour infirmera en conséquence le jugement déféré en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant, dira que l'action d'appelante est recevable et, en considération des dispositions de l'article L.622-28 du code de commerce relatives à l'arrêt du cours des intérêts et du fait que le montant du capital restant dû au jour de l'ouverture de la procédure était de 80.513,47 euros, condamnera l'intimé à honorer son engagement dans la limite contractuellement prévue, soit 57.850 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2018, date de la première mise en demeure postérieure à la clôture de la procédure pour insuffisance d'actif et anatocisme à compter du 16 novembre 2020, date de la première demande en justice à ce titre. La cour condamnera également l'intimé à verser à la Caisse d'Epargne la somme de 2.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles de celle-ci et à payer les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement prononcé le 1er février 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevable l'action de la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou Charentes à l'encontre de Monsieur [B] [J] en sa qualité de caution solidaire de la société Pizza Familia.

Condamne Monsieur [B] [J] à payer à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou Charentes la somme de 57.850 euros au titre du contrat de cautionnement du 18 mai 2013, avec intérêts au taux légal à compter du 4 décembre 2018.

Ordonne la capitalisation de ces intérêts dus par année entière à compter du 16 novembre 2020.

Condamne Monsieur [B] [J] à payer à la société Caisse d'Epargne et de Prévoyance Aquitaine Poitou Charentes la somme de 2.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne Monsieur [B] [J] à payer les dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/00992
Date de la décision : 03/05/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-05-03;21.00992 ?
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