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20/03/2023 | FRANCE | N°21/03014

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 20 mars 2023, 21/03014


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 20 MARS 2023









N° RG 21/03014 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MEAZ









S.A.S. BLENAN





c/



S.A.S.U. NAVIBELL COIFFURE























Nature de la décision : AU FOND
























r>Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 avril 2021 (R.G. 19/02732) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 26 mai 2021





APPELANTE :



S.A.S. BLENAN, agissant en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siége sis...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 20 MARS 2023

N° RG 21/03014 - N° Portalis DBVJ-V-B7F-MEAZ

S.A.S. BLENAN

c/

S.A.S.U. NAVIBELL COIFFURE

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 avril 2021 (R.G. 19/02732) par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 26 mai 2021

APPELANTE :

S.A.S. BLENAN, agissant en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siége sis, [Adresse 1]

représentée par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUXet assistée par Maître Eric DECLETY, avocat au barreau de BAYONNE

INTIMÉE :

S.A.S.U. NAVIBELL COIFFURE, agissant en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siége sis, [Adresse 1]

représentée par Maître Léon NGAKO-DJEUKAM de la SELARL BORGIA & CO, AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 février 2023 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,

Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,

Madame Sophie MASSON, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

EXPOSE DU LITIGE

La société Blenan exploite un supermarché 'E Leclerc' sur la commune de [Localité 2]. Elle est propriétaire des murs abritant cet hypermarché ainsi que de la galerie commerçante attenante.

Par acte sous seing privé du 14 août 1992, la société Blenan a consenti à Monsieur [V] [K], exploitant personnellement un fonds de commerce de salon de coiffure, un bail commercial portant sur le local n°5 de la galerie commerçante d'une superficie d'environ 69 m² pour y exercer exclusivement une activité de coiffure.

Ce bail a été consenti pour une durée de 9 années.

Par courrier daté du 25 août 1992 adressé à M. [K], le représentant de la société Blenan s'est engagée « à ne pas donner à bail commercial un local de la galerie marchande à une autre personne physique ou morale pour l'exercice de la profession de coiffeur, tant que vous exploiterez votre salon de coiffure dans le centre sous réserve du respect des charges et conditions de bail ».

Par exploit du 29 mai 2001, Monsieur [V] [K] a signifié à la société Blenan une demande de renouvellement du bail commercial du 14 août 1992 venant à échéance le 14 août 2001 pour une nouvelle durée de 9 années entières et consécutives à compter de cette date du 14 août 2001. Aucun acte de renouvellement de bail commercial n'a été régularisé entre le bailleur et le preneur consécutivement à cette demande de renouvellement.

A son échéance, le bail commercial a fait l'objet d'une deuxième demande de renouvellement de la part de Monsieur [V] [K] qui n'a pas non plus été suivi de d'un acte de renouvellement.

En février 2011, M. [K] et son épouse Mme [U] ont constitué la société Navibell Coiffure, dans le but que celle-ci reprenne l'activité de M. [K].

En mai 2011, Mme [T] s'est portée candidate à l'acquisition du fonds de commerce. Par courrier du 21 mai 2011 adressé à M. [K], la société Blenan a indiqué qu'elle maintiendrait l'exclusivité consentie à M. [K] à Mme [T] si celle-ci se portait acquéreur du fonds de commerce.

La cession n'est finalement pas intervenue.

Par acte du 30 décembre 2011, M. [K] a donné son fonds de commerce en location gérance à la société Navibell Coiffure.

En 2017, Mme [M], salariée et 'gérante technique' de la société Navibell Coiffure, a souhaité reprendre le fonds de commerce de M. [K].

Par acte du 5 janvier 2017, M. [K] a ainsi cédé son fonds de commerce artisanal de coiffure à la société Navibell Coiffure pour la somme de 280 000 euros, puis par acte du même jour, son épouse et lui-même ont cédé à Mme [M] l'intégralité de leur parts dans la société Navibell Coiffure.

Par trois contrats du 2 août 2018, la société Blenan a donné à bail commercial à la société Bruno Flaujac coiffures des locaux de la galerie commerçante à usage de salon de coiffure. Par contrat du 27 décembre 2018, société Blenan a donné à bail commercial à la société Cheveux et Barbe [Localité 2] un local de la galerie commerçante à usage de salon de coiffure

Par acte du 3 janvier 2019, la société Navibell Coiffure a fait assigner devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux la société Blenan aux fins de voir juger qu'elle bénéficiait d'une clause d'exclusivité pour l'exploitation de son fonds de commerce de coiffure au sein de la galerie marchande et de dire que le bail commercial accordé par la société Blenan à toute personne morale ou physique concurrente est constitutif d'un trouble manifestement illicite et de condamner en conséquence la société Blenan sous astreinte de 1000 euros par jour de retard à respecter cette clause d'exclusivité.

Par ordonnance du 8 février 2019, le juge des référés a fait interdiction à la société Blenan de donner à bail commercial tout local de la galerie pour l'exploitation d'un fonds de commerce de coiffure.

Par décision du 25 septembre 2019, cette cour a infirmé la décision du juge des référés et a débouté la société Navibell Coiffure de ses demandes.

Par décision du 20 mars 2019, la société Blenan a fait assigner la société Navibell coiffure devant le tribunal judiciaire de Bordeaux afin de voir juger que la société Navibell coiffure ne bénéficie d'aucune clause d'exclusivité liée au bail, l'exclusivité consentie étant exclusivement liée à l'exploitation personnelle du fonds de commerce par M. [K].

Par décision du 22 avril 2021 rectifiée par décision du 4 mai 2021, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- constaté la validité de la clause d'exclusivité attachée au bail de la société Navibell coiffure,

- ordonné à la société Blenan de faire cesser le trouble résultant des baux régularisés en violation de ladite clause d'exclusivité aux sociétés Bruno Flaujac coiffure, société Flaujac [Localité 2], société cheveux et barbe [Localité 2], dans un délai de trois mois à compter du jugement.

- condamné la société Blenan à payer à la société Navibell coiffure la somme de 38.600 euros en réparation du préjudice subi, ainsi que 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- ordonné l'exécution provisoire.

- rejeté le surplus des demandes des parties.

- condamné la société Blenan, qui succombe, aux entiers dépens de l'instance».

Pour statuer comme il l'a fait, le juge de première instance a jugé que :

- le bailleur soutenait à tort que la clause avait un caractère intuitu personnae dans la mesure où ' le preneur a substitué une société à un exercice artisanal personnel avec l'accord du bailleur, ladite société bénéficiant également de la clause d'exclusivité sans restriction depuis le 5 mai 2010 et ne pouvant être soumise à une exigence intuitu personae s'agissant d'une personne morale,'

- cette clause d'exclusivité est ainsi un accessoire du bail,

- la validité de cette clause est certaine par référence à une décision de la cour de justice de l'union européenne du 26 novembre 2015, affaire C 345/14 Maxima Latvija.

Parallèlement à cette procédure, par acte d'huissier en date du 22 mars 2019, la société Navibell Coiffure a fait délivrer une demande de renouvellement du bail commercial, en précisant qu'elle entendait se prévaloir de la clause d'exclusivité dont elle est la bénéficiaire.

Par acte du 17 mai 2019, le bailleur ne s'est pas opposé au renouvellement du bail aux mêmes conditions mais a précisé qu'il rejetait catégoriquement toute revendication relative à une clause d'exclusivité.

Par déclaration d'appel du 26 mai 2021, la société Blenan a formé appel de cette décision et de la décision rectificative intimant la société Navibell Coiffure.

Par ordonnance du 1er juin 2021, la première présidente de la cour d'appel a rejeté la demande visant à voir autoriser la société Blenan à assigner à jour fixe.

Par décision du 15 juillet 2021, la première présidente de cette cour a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire résultant du jugement rendu le 22 avril 2021 par le tribunal judiciaire de Bordeaux.

Par décision du 5 mai 2022, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel en intervention forcée régularisé par la société Navibell coiffure à l'encontre des sociétés Flajac [Localité 2] Cheveux et Barbe [Localité 2].

PRETENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 janvier 2023, la société Blenan demande à la cour de :

- juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Blenan à l'encontre du jugement du Tribunal Judiciaire de Bordeaux du 22 avril 2021, et du jugement rectificatif du 4 mai 2021, et réformer lesdits jugements en ce que ceux-ci ont :

« Constaté la validité de la clause d'exclusivité attachée au bail de la sasu Navibell coiffure.

Ordonné à la société Blenan de faire cesser le trouble résultant des baux régularisés en violation de ladite clause d'exclusivité aux sociétés Bruno Flaujac coiffure, société Flaujac [Localité 2], société cheveux et barbe [Localité 2], dans un délai de trois mois à compter du jugement.

Condamné la société Blenan à payer à la société Navibell coiffure la somme de 38.600 Euros en réparation du préjudice subi, ainsi que 2.500 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonné l'exécution provisoire.

Rejeté le surplus des demandes des parties.

Condamné la société Blenan, qui succombe, aux entiers dépens de l'instance ».

statuant de nouveau :

Vu les articles 1134 et suivants, 1165, anciens du Code Civil, Vu les articles 31 et suivants et 564 du Code de Procédure Civile,

1°) juger qu'aucune clause d'exclusivité ne figure ni dans le bail commercial du 14 août 1992, ni dans aucun avenant ou acte de renouvellement de bail commercial, ni dans l'acte de cession de fonds artisanal du 5 janvier 2017, enregistré le 17 janvier 2017.

- juger que l'exclusivité qui avait été consentie par la société Blenan au profit de Monsieur [V] [K] était liée et limitée dans le temps à l'exploitation personnelle du fonds artisanal de coiffure par Monsieur [V] [K], et a pris fin le 30 décembre 2011, date du contrat de location gérance portant sur ledit fonds, et, en toute hypothèse, le 5 janvier 2017, date de l'acte de cession de fonds artisanal, ou au plus tard le 5 mai 2019, date de fin du renouvellement du bail commercial,

- juger en conséquence qu'aucun engagement d'exclusivité ne constitue l'accessoire du bail commercial dont est aujourd'hui titulaire la société Navibell Coiffure qui tient ses droits de l'acte de cession de fonds artisanal du 5 janvier 2017 et que la société Navibell Coiffure ne bénéficie d'aucune clause d'exclusivité liée à son bail commercial et à son fonds de commerce pour l'exploitation de son fonds de commerce de coiffure au sein de la galerie marchande LECLERC sise à [Localité 2].

- débouter en conséquence la société Navibell Coiffure de l'ensemble de ses demandes et prétentions, lesquelles sont irrecevables et mal fondées.

- juger irrecevables et mal fondées les demandes et prétentions de la société Navibell Coiffure quant à l'existence d'une exclusivité liée ou encore attachée au bail commercial dont elle est aujourd'hui titulaire,

- juger que la société Blenan n'a commis aucune faute et aucune violation de clause d'exclusivité en signant des baux les 2 août 2018 et 27 décembre 2018 avec les sociétés Bruno Flaujac Coiffure, Flaujac [Localité 2] et Cheveux et barbe [Localité 2],

-juger irrecevable la demande de résiliation de ces baux présentée par la société Navibell Coiffure et en toute hypothèse déclarer cette demande mal fondée,

la rejeter,

- juger mal fondée la demande indemnitaire présentée par la société Navibell Coiffure à hauteur de la somme de 38.600 euros et la rejeter en totalité

2°) juger irrecevable la demande nouvelle formée devant la cour d'appel de Bordeaux par la société Navibell Coiffure ayant pour objet de voir condamner la société Blenan à verser à la société Navibell Coiffure la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice moral subi par sa gérante et ce par application de l'article 564 du code de procédure civile et par application des articles 31 et suivants du code de procédure ivile,

En toute hypothèse, juger cette demande mal fondée et la rejeter,

3°) condamner la société Navibell Coiffure aux entiers dépens de la procédure dont distraction pour ceux d'appel au profit de la SCP Annie Taillard.

4°) condamner la société Navibell Coiffure à payer à la société Blenan une indemnité de 8.000 Euros au titre de l'article 700 du CPC.

5°) rejeter toutes demandes et prétentions contraires de la société Navibell Coiffure et la débouter de son appel incident.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 janvier 2023, la société Navibell Coiffure demande à la cour de :

Vu l'article 1231-1 du Code Civil, Vu le bail commercial du 14 août 1992, Vu la clause d'exclusivité du 25 août 1992,

- déclarer la société Navibell Coiffure recevable et bien fondée en ses conclusions et appel incident,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 22 avril 2021 et rectifié le 4 mai 2021 en ce qu'il a :

- constaté la validité de la clause d'exclusivité attachée au bail de la SASU Navibell Coiffure,

- ordonné à la Société Blenan de faire cesser le trouble résultant des baux régularisés en violation de ladite clause d'exclusivité aux sociétés Bruno Flaujac Coiffure, société Flaujac [Localité 2], société cheveux et barbe [Localité 2] dans un délai de 3 mois à compter du jugement

- condamné la Société Blenan à payer à la SASU Navibell Coiffure la somme de 38.600 euros en réparation du préjudice subi,

y ajoutant

-condamner la société Blenan à verser à la Navibell Coiffure la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice moral subi par sa gérante,

-condamner la Société Blenan à verser à la Navibell Coiffure Coiffure la somme de 8000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la Société Blenan aux entiers dépens de l'instance.

Il conviendra de se reporter aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et de leurs prétentions.

L'affaire a été fixée à l'audience du 6 février 2023, date à laquelle elle a été clôturée puis plaidée.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande principale :

1- L'appelante expose que le bail commercial du 14 août 1992 ne contient aucune clause d'exclusivité et que celui-ci n'a pas été modifié en ce sens par un avenant ou un acte de renouvellement. Une telle exclusivité ne figure pas plus dans l'acte de cession du fonds de commerce artisanal.

Elle affirme qu'une clause d'exclusivité constitue une dérogation à la liberté du commerce et de l'industrie et qu'à ce titre, elle doit être expresse et écrite et d'interprétation stricte. Celle-ci doit ainsi préciser la durée de cette exclusivité, une clause d'exclusivité perpétuelle étant illicite.

La société Blenan soutient qu'elle n'a consenti une exclusivité qu'au seul profit de M. [K] et que cette exclusivité n'est ainsi pas un accessoire au bail. Dès lors, cette exclusivité a cessé lorsque M. [K] a donné son fonds de commerce en location gérance.

Elle affirme encore que M. [K] a lui-même reconnu qu'aucune clause d'exclusivité n'était attachée au bail puisqu'il n'a pas fait mention d'une telle clause dans sa demande de renouvellement du 29 mai 2001 et que ,dans sa demande du 5 mai 2010, il a simplement émis le 'souhait' qu'aucun autre bail ne soit consenti dans la galerie commerçante pour une activité de coiffure pendant la durée de renouvellement du bail, demande à laquelle le bailleur n'a pas répondu. La société Blenan soutient que son absence de réponse ne vaut pas acquiescement et qu'en tout état de cause, l'exclusivité aurait cessé de produire effet à l'issue de la période de renouvellement du bail, soit au 5 mai 2019.

Elle reconnaît enfin qu'elle avait accepté en 2011 d'accorder une exclusivité à Mme [T] si celle-ci rachetait le fonds de commerce mais que tel n'est pas le cas pour la société Navibell et Mme [M] en 2016 puisqu'il existait alors des projets d'agrandissement du centre commercial.

2- L'intimée expose à titre préalable que la galerie commerçante ne comprend que onze commerces et que c'est en raison de cette configuration que le bailleur a accepté d'accorder à M. [K] une exclusivité au titre de l'activité de coiffure. Elle soutient qu'il ressort du courrier du 25 août 1992 que cette exclusivité est liée au bail et non à la personne de l'exploitant. Elle rappelle que le bailleur n'a, à aucun moment, contesté cette exclusivité lors des renouvellements du bail et a même adressé un courrier à Mme [T], qui se proposait d'acquérir le fonds pour lui indiquait qu'elle maintiendrait à son profit la clause d'exclusivité. Elle affirme que le représentant de la bailleresse a assuré à Mme [M] qu'il maintiendrait cette exclusivité à son profit lors d'un entretien en sa présence préalable à la cession des parts de la société Navibell.

3- Les clauses d'exclusivité incluses dans les baux commerciaux sont valides par principe, même si elles restreignent la libre concurrence.

Elles doivent cependant être interprétées restrictivement, et à la faveur de celui qui s'engage, en l'espèce, la société Blenan.

Elles sont transmises avec le bail aux preneurs successifs en qualité d'accessoires du bail, sauf disposition contraire.

4- En l'espèce, l'exclusivité revendiquée résulte d'un engagement extérieur au bail à savoir, le courrier du 25 août 1992 adressé à M. [K] aux termes duquel le bailleur s'est engagé « à ne pas donner à bail commercial un local de la galerie marchande à une autre personne physique ou morale pour l'exercice de la profession de coiffeur, tant que vous exploiterez votre salon de coiffure dans le centre sous réserve du respect des charges et conditions de bail ».

Le bailleur ne conteste pas la validité de cet engagement mais soutient qu'il ne s'applique qu'au destinataire du courrier, M. [K], et ne s'analyse pas en un accessoire du bail.

5- Ce courrier ne précise effectivement pas que cette exclusivité sera transmise aux ayants droits de M. [K] après que celui aura cessé l'exploitation de son salon de coiffure. Comme le relève le bailleur, ce courrier doit s'interpréter de manière restrictive et en sa faveur.

Même si ce courrier est contemporain de la signature du bail, il appartient ainsi au locataire d'établir que l'intention du bailleur était bien d'accorder au preneur une exclusivité d'exercice de la profession de coiffeur pendant toute la durée du bail et ses renouvellements successifs, et ce même en cas de cession de celui-ci.

Or, comme le relève le bailleur, le bail n'a pas fait l'objet d'un avenant visant à inclure une telle clause qui formaliserait ainsi de manière non contestable la volonté du bailleur de faire de cette clause d'exclusivité un accessoire du bail.

En outre, dans le cadre du renouvellement du bail :

- M. [K] n'a fait aucune mention de cette exclusivité dans le cadre de sa première demande en 2011 ne visant que l'acte de bail lui-même du 17 août 2001,

- M. [K] a indiqué pour la première fois dans sa demande de renouvellement du 5 mai 2010 qu'il sollicitait le renouvellement du bail aux charges et conditions initiales et qu'en outre, il souhaitait conformément au courrier du 25 août 1992 qu'aucun autre bail commercial ne soit donné à bail dans la galerie commerçante pour la même activité pour la durée du renouvellement.

Le bailleur n'a pas répondu à cette demande. Aucun acte de renouvellement, ni aucun avenant n'a été signé.

Or, contrairement à ce qui a été jugé implicitement en première instance, il ne peut être déduit du silence du bailleur son acceptation de l'insertion d'une telle clause dans le bail renouvelé.

6- Les juges de première instance ont ainsi à tort retenu que la société Navibell Coiffure bénéficiait de la clause d'exclusivité depuis le 10 mai 2010, étant relevé qu'en tout état de cause la société Navibell Coiffure était à cette date un tiers au bail puisque le contrat de location gérance n'a été conclu qu'en décembre 2011.

7- Par ailleurs, M. [K] avait pris le soin en mai 2011 de solliciter son bailleur afin de s'assurer que celui-ci maintiendrait cette exclusivité à l'égard de Mme [T], première candidate à l'acquisition du fonds artisanal, ce qui démontre bien que la transmission du bénéfice de cette clause n'était pas de droit contrairement à ce que soutient la société Navibell Coiffure. Il ne peut ainsi être déduit de l'accord du bailleur pour 'maintenir', dans le sens de reconduire, cette clause au profit de Mme [T] en 2011 que celle-ci est un accessoire du bail et que cet accord est valable pour tout repreneur potentiel et sans limitation de durée.

8- Dès lors, il sera jugé que l'intimée ne justifie pas que l'exclusivité accordée à M. [K] par courrier du 25 août 1992 s'analyse en un accessoire du bail.

9- Enfin, les deux seules attestations de Monsieur [K] aux termes desquelles celui-ci affirme que le représentant de la société Blenan s'était engagée devant lui en présence de Mme [M] à reconduire au profit de celle-

ci l'exclusivité consentie à son profit en 1992 ne présente pas de garantie probatoire suffisante, M. [K] ayant cédé son fonds artisanal à Mme [M], pour emporter la conviction de la cour.

10- Il sera dès lors jugé que la société Blenan Coiffure ne justifie pas du bénéfice de la clause d'exclusivité qu'elle allègue.

Elle sera dès lors déboutée de ses demandes de ce chef.

La décision de première instance sera infirmée.

Sur la demande de réparation du préjudice moral subi par Mme [M] :

11- La présidente de la société Navibell Coiffure, Mme [M], sollicite l'indemnisation de son préjudice moral à hauteur de 15 000 euros expliquant se battre dans un environnement extrêmement concurrentiel.

Elle soutient que le directeur de la société Blenan s'était engagé auprès d'elle sur le maintien de cette clause d'exclusivité et qu'elle a été dupée.

12- L'intimée soutient que cette demande est irrecevable car nouvelle. En outre, la société Navibell n'a pas qualité à solliciter la réparation du préjudice moral subi par sa gérante.

13- La demande de réparation du préjudice moral subi par la présidente de la société appelante ne peut être considérée comme l'accessoire de la demande principale de la société Navibell Coiffure. La demande est donc nouvelle. En tout état de cause, la société Navibell Coiffure ne peut solliciter la réparation du préjudice subi par sa représentante légale.

Cette demande est donc irrecevable.

Sur les demandes accessoires :

14- La société Navibell Coiffure qui succombe sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Annie Taillard.

15- L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. La société Blenan sera déboutée de ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort,

Infirme la décision rendue par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 22 avril 2021,

et statuant à nouveau,

Déboute la société Navibell Coiffure de ses demandes,

y ajoutant,

Déclare irrecevable la demande formée par la société Navibell Coiffure en indemnisation du préjudice moral subi par Mme [M],

Condamne la société Navibell Coiffure aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP Annie Taillard.

Déboute la société Blenan de sa demande d'indemnité de procédure.

Le présent arrêt a été signé par M. Franco, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 21/03014
Date de la décision : 20/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-20;21.03014 ?
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