COUR D'APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 14 NOVEMBRE 2022
N° RG 20/01175 - N° Portalis DBVJ-V-B7E-LPSP
SARL AIREWS
c/
Monsieur [S] [G]
Monsieur [L] [V]
S.A.R.L. OCEAN FRESCO
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 janvier 2020 (R.G. 2018F01030) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 27 février 2020
APPELANTE :
SARL AIREWS, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 1]
représentée par Maître Marc DUFRANC de la SCP AVOCAGIR, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
Monsieur [S] [G], né le 02 Décembre 1975 à [Localité 5]
de nationalité Mauritanienne, demeurant [Adresse 3]
S.A.R.L. OCEAN FRESCO, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis,[Adresse 4] Mauritanie
représentés par Maître Frédéric GEORGES, avocat au barreau de BORDEAUX
Monsieur [L] [V], de nationalité Française, demeurant [Adresse 2]
non représenté
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 805 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 03 octobre 2022 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nathalie PIGNON, Présidente,
Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
M. [G], commerçant résidant à [Localité 5] en Mauritanie, a acheté par l'intermédiaire de la société Ocean Fresco un véhicule de chantier de type Manitou à la société Aide à la Réalisation World Service, exerçant sous le nom commercial d'Airews, moyennant le prix de 72 000 euros sur lequel il a versé un acompte de 40 000 euros.
Le matériel n'ayant pas été expédié, M. [G] a, par mise en demeure du 12 juillet 2018, réclamé la restitution de la somme, demande rejetée par la société Airews sous la signature de M. [E].
Par exploit d'huissier du 17 octobre 2018, M. [G] a assigné la société Airews devant le tribunal de commerce de Bordeaux aux fins notamment de voir prononcer la résolution de la vente et obtenir le remboursement de l'acompte de 40 000 euros.
La société Ocean Fresco et M. [V] sont intervenus volontairement à la procédure.
Par jugement contradictoire du 30 janvier 2020, le tribunal de commerce de Bordeaux a :
- donné acte à la société Ocean Fresco et à M. [V] de leur intervention volontaire
- prononcé la résolution de la vente du matériel Manitou objet de la facture de 72 000 euros
- condamné la société Airews à payer à M. [G] la somme de 40 000 euros
- débouté M. [G] de sa demande de dommages et intérêts
- ordonné l'exécution provisoire
- condamné la société Airews à payer à M. [G] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la société Airews aux entiers dépens de l'instance.
La société Airews a relevé appel du jugement par déclaration du 27 février 2020 énonçant les chefs du jugement expressément critiqués, intimant M. [G], la société Ocean Fresco et M. [V].
Par conclusions notifiées en dernier lieu par le RPVA 30 juillet 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Airews demande à la cour de :
- vu l'adage « le pénal tient le civil en l'état »
- surseoir à statuer sur l'ensemble des demandes de la société Ocean Fresco, de M. [G] et de M. [V] ou [X] [N] et plus largement sur l'ensemble de la procédure dans l'attente soit d'un classement sans suite, soit d'une décision définitive que rendra le tribunal correctionnel compétent suite à la plainte déposée par elle et M. [E]
- à titre subsidiaire,
- condamner le dénommé [L] [V] ou [X] [N] à la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée contre elle y compris celles au titre des dépens et de l'article 700 du code de procédure Civile.
La société Airews fait valoir que M. [V], qui aurait une seconde identité à savoir [X] [N], de nationalité mauritanienne, a sollicité son gérant M. [E] pour réaliser la transaction par son intermédiaire, sa propre société, la société Elcos, ayant été radiée du registre du commerce et des sociétés ; que M. [E], naïf, a accepté de faire transiter les fonds par sa société pour les adresser in fine à M. [V]/ [N] ; que la société Airews a émis une facture à destination de la société Ocean Fresco d'un montant de 70 000 euros ; qu'elle a encaissé l'acompte de 40 000 euros avant de le reverser intégralement en différents virements à M. [V]/ [N] ; que les consorts M. [G] et M.[V]/ [N] auraient un lien de parenté et auraient monté de concert l'opération frauduleuse de toute pièce afin de lui soustraire la somme de 40 000 euros par escroquerie au jugement ; qu'une plainte pénale a été déposée entre les mains du procureur de la République de Bordeaux.
Par conclusions notifiées en dernier lieu par le RPVA le 27 octobre 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, M. [G] et la société Ocean Fresco demandent à la cour de :
- vu les articles 1609 et suivants du code civil,
- vu l'article 1610 du code civil,
- vu l'article 1611 du code civil,
- vu l'article 1612 du code civil,
- vu l'article 1217 du code civil
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et en conséquence
- ordonner la résolution de la vente du matériel type Manitou MRT 2150 Privilège - année 2013
- ordonner en conséquence la restitution de la somme payée au titre du paiement partiel du prix de vente, soit la somme de 40 000 euros et condamner - en conséquence la société Airews à lui payer cette somme de 40 000 euros
- dire que la restitution du matériel est sans objet, le matériel n'ayant jamais été livré
- subsidiairement
- condamner la société Airews à lui régler une somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des conséquences de l'inexécution du contrat
- en toutes hypothèses,
- condamner la société Airews à lui régler une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Les intimés font valoir que les allégations de l'appelante sont dépourvues de vraisemblance ; que sa nouvelle thèse est démentie par ses écritures de première instance ; que le lien de parenté allégué entre M. [G] et M. [V] est totalement imaginaire ; que si des virements semblent avoir été réalisés par l'appelante au profit de M. [V], rien ne montre qu'ils sont en lien avec le litige ; qu'ils n'auraient en tout état de cause,, aucune incidence sur la réalité de l'achat, du paiement réalisé et l'absence de livraison.
M. [V], à qui la déclaration d'appel et les conclusions ont été régulièrement signifiées, n'a pas constitué avocat.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 19 septembre 2020 et l'audience fixée au 03 octobre 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
sur la demande principale :
La société Airew, qui se soutient victime d'une escroquerie montée de concert par MM. [G] et [V]/ [N], sollicite :
- à titre principal, un sursis à statuer dans l'attente du résultat de sa plainte ;
- à titre subsidiaire, que M.[V]/[N] soit condamné à la relever indemne de toute condamnation.
sur le sursis à statuer :
Aux termes des dispositions de l'article 378 du code de procédure civile, « la décision de sursis suspend le cours de l'instance pour le temps ou jusqu'à la survenance de l'évènement qu'elle détermine. »
Il s'agit d'une mesure d'administration judiciaire dont, hors les cas où elle est prévue par la loi, l'opportunité relève du pouvoir d'appréciation discrétionnaire du juge du fond, et qui ne se justifie que s'il est avéré que la décision à intervenir est susceptible d'exercer une influence sur la solution du litige.
En l'espèce, la société appelante invoque une procédure pénale qui serait en cours dans le cadre d'une plainte déposée le 30 juillet 2020 par elle et son gérant M. [E] contre par MM. [G] et [V]/[N] qu'elle accuse d'escroquerie.
Cependant cette plainte, qui, plus de deux ans après son dépôt, semble n'avoir connu aucune évolution, n'est pas de nature à influer de manière déterminante sur le présent litige qui concerne aussi d'autres parties, l'aboutissement de la procédure pénale ne pouvant en tout état de cause entraîner la nullité du jugement critiqué mais tout au plus une condamnation notamment à indemniser les plaignants du préjudice en résultant.
La demande de sursis à statuer, qui ne relève pas en l'état d'une bonne administration de la justice, sera rejetée.
sur le fond :
En l'absence de tout document contractuel, le seul élément confirmant la vente consiste en une facture du 20 mars 2018 d'un montant de 72 000 euros établie par la société Airews au nom de la société ELCO-S "pour son client [G] [S]" pour un Manitou MRT 2150 Privilège (pièce 6 de l'appelante). Il y est précisé un acompte payable à hauteur de 40 000 euros et le solde de 32 000 euros payable à réception. Il convient de relever que les caractéristiques du matériel décrit correspondent en tous points (année de fabrication, nombre d'heures, équipements etc) au matériel pour lequel la société ELCO-S a établi le même jour une facture du même montant sans précision du destinataire, mais destiné à être expédié en Mauritanie (pièce 5 de l'appelante).
La société Airews, qui ne conteste pas avoir encaissé de la société Ocean Fresco l'acompte de 40 000 euros (sa pièce 7), sollicite que M.[V]/[N] soit condamné à la relever indemne de toute condamnation en faisant valoir qu'elle a reversé intégralement la somme, en différents virements, à M. [V]/ [N] qui l'a d'ailleurs reconnu. Elle produit pour en attester :
- une copie de Grand Livre Général de Révision pour la période du 1er janvier 2018 au 30 juin 2018 mentionnant divers retraits et virements entre le 31 mars et le 07 mai 2018 à hauteur de 40 020 euros (sa pièce 8)
- et la copie d'un mail adressé le 16 juillet 2018 par M. [V] à son conseil dans lequel il confirme notamment avoir reçu les fonds de la part de M. [E] (sa pièce 10).
Comme le soulignent les intimés, cette argumentation est sans effet sur l'acheteur, qui reste fondé à réclamer à son cocontractant le remboursement de l'acompte versé, de sorte que le jugement qui a condamné la société Airews au paiement de la somme de 40 000 euros doit être confirmé.
C'est par ailleurs à bon droit que les intimés opposent que l'identité du destinataire des virements ne figure que pour certains d'entre eux. Par ailleurs, la copie du mail, obtenu dans des conditions sur lesquelles l'appelante ne s'explique pas, et dont M. [V] n'a pas pu confirmer les termes puisque la société Airews n'en a pas fait état devant le tribunal, ne constitue pas une preuve suffisante pour qu'il soit fait droit à cette demande de condamnation de M. [V] à la relever et garantir des condamnations que le tribunal a, à bon droit, mises à sa charge. La demande sera donc rejetée.
sur les demandes accessoires :
Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les sommes, non comprises dans les dépens, exposées par elle dans le cadre de l'appel. Les demandes sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
L'appelante sera condamnée aux dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer
Confirme le jugement rendu le 30 janvier 2020 par le tribunal de commerce de Bordeaux
Déboute les parties de leurs demandes plus amples et contraires
Dit n'y voir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la société Airews aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme Pignon, présidente, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.