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27/01/2020 | FRANCE | N°17/03439

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 27 janvier 2020, 17/03439


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



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ARRÊT DU : 27 JANVIER 2020



(Rédacteur : Monsieur Robert CHELLE, Président)





N° RG 17/03439 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J32A









- La SELARL EKIP

- Monsieur [V] [S]





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- Monsieur [T] [Y]

- Monsieur [J] [Z]

- Monsieur [M] [P]

- La Société ET TOQUE!

















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Nature de la décision : AU FOND

























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 mai 2017 (R.G. 2016F00327) par la 7ème Chambre du Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 07 juin...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 27 JANVIER 2020

(Rédacteur : Monsieur Robert CHELLE, Président)

N° RG 17/03439 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J32A

- La SELARL EKIP

- Monsieur [V] [S]

c/

- Monsieur [T] [Y]

- Monsieur [J] [Z]

- Monsieur [M] [P]

- La Société ET TOQUE!

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 mai 2017 (R.G. 2016F00327) par la 7ème Chambre du Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d'appel du 07 juin 2017

APPELANTS :

La SELARL EKIP, Mandataires Judiciaires, ayant son établissement concerné [Adresse 2], venant aux droits de la SELARL Christophe MANDON selon jugement du Tribunal de Commerce de BORDEAUX du 23 avril 2019, en qualité de Mandataire judiciaire de la Société TRAITEUR LANDES GIRONDINES, désignée par jugement du 28 octobre 2015 de conversion de la procédure de redressement judiciaire en liquidation judiciaire

Monsieur [V] [S], né le [Date naissance 3] 1977 à [Localité 16], de nationalité Française, domicilié [Adresse 11]

représentés par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistés de Maître Nathalie CASTAGNON (SELARL), avocat au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur [T] [Y], né le [Date naissance 1] 1948 à [Localité 12],de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]

représenté par Maître Hélène MONEGER substituant Maître Benoit

DARRIGADE, avocats au barreau de BORDEAUX

Monsieur [J] [Z], de nationalité Française, demeurant [Adresse 15]

Monsieur [M] [P], de nationalité Française, demeurant [Adresse 14]

La Société ET TOQUE!, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social, sis [Adresse 4]

représentés par Maître Bertrand LUX de la SCP KPDB, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 16 décembre 2019 en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Robert CHELLE, Président chargé du rapport,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Robert CHELLE, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Monsieur Gérard PITTI, Vice-Président placé,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

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FAITS ET PROCÉDURE

Par acte authentique du 7 novembre 2011, la Sarl Landes Girondines, dont le gérant est M. [Y], a cédé un fonds de commerce de traiteur et organisateur d'évènements, exploité à [Localité 13] (Gironde) depuis 2004, à la Sarl Traiteur Landes Girondines (la société TLG) constituée et gérée par M. [S], pour la somme de 180 000 euros, cession incluant le bail consenti sur le local d'exploitation, appartenant à la SCI La Rocherie, dont le gérant est M. [Y]. L'acte comporte une clause d'interdiction de concurrence pendant un délai de 5 ans.

La société TLG a déménagé ses activités à [Localité 10] (Gironde) au mois d'août 2013.

Alléguant une baisse de son chiffre d'affaires à partir de septembre 2013, qu'elle imputait à MM. [Y], [P] et [Z] en ce qu'ils se seraient installés à l'enseigne « Et Toque ! » dans les locaux initiaux de [Localité 13], la société TLG a obtenu une ordonnance sur requête le 23 décembre 2014 du président du tribunal de commerce de Bordeaux, aux fins de constat.

Le 24 juin 2015, la société TLG a été placée en redressement judiciaire, puis sa liquidation a été prononcée par jugement du 28 octobre 2015, la Selarl Mandon étant désignée comme mandataire judiciaire puis liquidateur.

Par acte d'huissier du 18 mars 2016, la Selarl Mandon ès-qualités et M. [S] ont fait assigner devant le tribunal de commerce de Bordeaux MM. [Y], [Z] et [P], ainsi que la société « Et Toque ! », pour demander leur condamnation pour concurrence déloyale à leur payer les sommes de 235 227,15 euros, 60 000 euros et 30 000 euros.

Par jugement du 19 mai 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a débouté le mandataire liquidateur et M. [S] de l'ensemble de leurs demandes, et les a condamnés aux dépens.

Par déclaration du 7 juin 2017, La Selarl Mandon, en qualité de mandataire liquidateur de la société TLG, et M. [S] ont interjeté appel de cette décision, intimant M. [Y], M. [Z], M. [P], et la société « Et Toque ! ».

PRETENTIONS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 16 septembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la Selarl Ekip', venant aux droits de la Selarl Mandon, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société TLG, et M. [S] demandent à la cour de :

DECLARER la SELARL EKIP', ès qualité de liquidateur de la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES, et M. [V] [S], agissant en son nom personnel et pour son compte personnel, recevables en leur appel;

INFIRMER en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 19 mai 2017,

Réformant ledit jugement :

DIRE ET JUGER que Monsieur [T] [Y] a violé la clause de non-concurrence figurant dans l'acte de cession du fonds de commerce en date du 7 septembre 2011 qui lui est opposable ;

DIRE ET JUGER que [J] [Z], [M] [P] et la société ET TOQUE se sont rendus complices de la violation de la clause de non-concurrence ;

DIRE ET JUGER que [T] [Y], [J] [Z], [M] [P] et la société ET TOQUE se sont rendus auteurs d'agissements de concurrence déloyale et parasitaire, et de détournement fautif de clientèle au préjudice de la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES et de Monsieur [V] [S] ;

DIRE ET JUGER que ses agissements fautifs engagent leur responsabilité à l'égard des appelants ;

DIRE ET JUGER que Monsieur [Y] doit la garantie de son fait personnel à la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES pour l'avoir évincée ;

En conséquence,

CONDAMNER in solidum Messieurs [T] [Y], [J] [Z], [M] [P] et la société « ET TOQUE » à indemniser les préjudices économiques subis par la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES, représentée par la SELARL EKIP' ès qualité, et par Monsieur [V] [S] :

Pour la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES représentée par la SELARL EKIP' liquidateur judiciaire :

100.000 euros au titre des manques à gagner,

206.341,85 euros au titre des pertes subies,

30.000 euros en réparation du préjudice moral,

Pour Monsieur [V] [S] :

221.532,65 euros au titre des pertes subies ;

60.000 euros au titre des manques à gagner ;

30.000 € en réparation du préjudice moral.

Subsidiairement,

CONDAMNER Monsieur [Y], au titre de la garantie de son fait personnel, à indemniser les préjudices matériels et moraux subis par la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES, représentée par la SELARL EKIP' ès qualité, et par Monsieur [V] [S] ainsi justifiés.

En tout état de cause,

CONDAMNER Monsieur [Y], au titre de la garantie de son fait personnel, à restituer à la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES, représentée par la SELARL EKIP' ès qualité, la somme de 180.000 euros au titre du prix de cession du fonds de commerce payé par elle ;

CONDAMNER in solidum Messieurs [T] [Y], [J] [Z], [M] [P] et la société « ET TOQUE » au paiement d'une indemnité de 10.000 euros pour chacun des appelants au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

CONDAMNER in solidum Messieurs [T] [Y], [J] [Z], [M] [P] et la société « ET TOQUE » aux entiers dépens de la procédure, en ce y compris les dépens exposés aux fins des constats d'huissier de Maître [G] [H], Huissier de justice ;

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus en italique qui demandent de « constater » ou « dire que » ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés à ce stade.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 19 septembre 2019, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [Y] demande à la cour de :

DIRE ET JUGER irrecevable et mal fondé l'appel interjeté par la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [S] contre le jugement du 19 mai 2017.

DIRE ET JUGER que la clause de non concurrence telle que ressortant de 1'acte de cession de fonds de commerce du 7 novembre 2011 n'est pas opposable à Monsieur [T] [Y], personne physique.

EN CONSEQUENCE,

DEBOUTER purement et simplement la SELARL EKIP' et Monsieur [V] [S] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions.

A TITRE SUBSIDIAIRE,

DIRE ET JUGER caduque et a défaut inapplicable la clause de non concurrence à l'encontre de Monsieur [Y]

au double motif de d'établissement du cessionnaire hors périmètre de non concurrence et du changement d'activité de celui ci,

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE

CONSTATER que la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES, ainsi que Monsieur [V] [S] ne justifient pas d'acte positif de détournement ou de captation de clientèle émanant de Monsieur [T] [Y] justifiant l'engagement de sa responsabilité civile délictuelle, et/ou une violation de la garantie légale d'éviction,

CONSTATER que la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES, ainsi que Monsieur [V] [S] ne justifie pas non plus d'un préjudice en lien avec la prétendue faute de Monsieur [Y],

CONSTATER au contraire que les difficultés financières rencontrées par la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [S] ont pour origine une incompétence et un défaut de gestion de ce dernier,

CONSTATER que les préjudices invoqués par la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES, ainsi que Monsieur [V] [S] ne sont pas justifies et en tout état de cause sans lien avec les faits reprochés,

DEBOUTER la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [V] [S] de leur action engagée contre Monsieur [T] [Y] au titre de sa responsabilité civile délictuelle,

DEBOUTER la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [V] [S] de leur action engagée contre Monsieur [Y] au titre de la garantie de son fait personnel

EN CONSEQUENCE ET EN TOUT ETAT DE CAUSE,

CONFIRMER purement et simplement le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Bordeaux en date du 19 mai 2017 en ce qu'il a debouté les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes,

DEBOUTER la SELARL EKIP' agissant es-qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES, ainsi que Monsieur [V] [S], de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

Y AJOUTANT

CONDAMNER in solidum la SELARL EKIP' agissant es qualité de liquidateur de la SARL TRAITEUR LANDES GIRONDINES, ainsi que Monsieur [V] [S] au paiement de la somme de 6.500 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

LES CONDAMNER in solidum aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel en ce compris les frais d'huissier engages par les appelants aux fins de constat.

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus en italique qui demandent de « constater » ou « dire que » ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés à ce stade.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 3 novembre 2017, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société « Et Toque ! », M. [P] et M. [Z] demandent à la cour de :

DIRE ET JUGER que la société ET TOQUE ! et Messieurs [P] et [Z] n'ont commis aucune faute

DIRE ET JUGER au surplus que ies préjudices revendiqués par SELARL MANDON es qualités de mandataire liquidateur de la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [V] [S] ne sont pas justifiés

En conséquence,

DIRE l'appel de la SELARL MANDON es qualités de mandataire liquidateur de la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [V] [S] non fondé

CONFIRMER le jugement du Tribunal de Commerce de Bordeaux du 19 mai 2017 en ce qu'il a débouté la SELARL MANDON és qualités do mandataire liquidateur de la société TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [V] [S] de l'ensemble de leurs demandes,

CONDAMNER enfin fin solidum la SELARL MANDON es qualités de mandataire Iiquidateur de Ia société TRAITEUR LANDES GIRONDINES et Monsieur [V] [S] à payer à chacun des co-défendeurs la somme de 6 700 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les diverses dispositions reprises intégralement ci-dessus en italique qui demandent de « constater » ou « dire que » ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, qui se trouvent ainsi suffisamment exposés à ce stade.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 novembre 2019.

Malgré les prescriptions de l'article 912 alinéa 3 du code de procédure civile qui l'imposent, ni M. [Y], ni MM. [Z] et [P] et la société « Et Toque ! » n'ont déposé à la cour quinze jours avant la date fixée pour l'audience de plaidoiries le dossier comprenant les copies des pièces visées dans les conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la concurrence interdite ou déloyale

Le mandataire liquidateur de la société TLG et M. [S] soutiennent d'abord des agissements de concurrence interdite de MM. [Y], [P] et de la société « Et toque ! », par violation de la clause d'interdiction de concurrence figurant à l'acte de cession, ainsi que par le détournement de la clientèle de TLG.

L'acte authentique du 7 novembre 2011 (pièce n° 2 des appelants) comporte une clause d'interdiction de concurrence (page 30), par laquelle le cédant s'interdit formellement, pendant un délai de 5 ans et dans un rayon de 20 km du fonds objet de l'acte de se rétablir et d'exploiter ou faire valoir un fonds similaire ou de s'intéresser dans l'exploitation d'un semblable fonds, ou d'entrer au service d'une maison concurrente exploitant un fonds similaire en tout ou partie.

En l'espèce, les appelants font valoir qu'il résulte des pièces versées au débat et des procès-verbaux de constat d'huissier, que les anciens salariés de M. [Y], avec le concours de celui-ci notamment en qualité de salarié, ont créé la société « Et Toque » et l'ont établie dans les locaux appartenant à M. [Y] et précédemment occupés par la société TLG (leurs pièces 16 à 26).

Plus exactement, un huissier de justice missionné par ordonnance du président du tribunal de commerce du 20 octobre 2015 (pièce n° 12 des appelants) a extrait d'un support numérique de type « clé USB » divers documents relatifs à une activité de traiteur, et les a imprimés, constituant ainsi les pièces visées.

Ces documents provenaient d'un pli placé sous scellés en exécution d'une précédente ordonnance du 23 décembre 2014 (pièce n° 7 des appelants), désignant un huissier de justice aux fins de constater si les locaux des 6 et [Adresse 6] sont occupés par une entreprise exploitant une activité de traiteur et organisateur d'évènements, décrire le matériel et les aménagements, et prendre copie sur tout support USB des documents concernant les clients du fonds cédé.

Dans son constat du 8 janvier 2015, l'huissier (pièce n° 8 des appelants) avait rencontré sur place MM. [Z], président, et [P], associé de la société « Et Toque ! », et, si M. [Y] n'était pas présent, avait constaté la présence dans l'ordinateur de certains documents se rapportant à lui.

La société Et Toque, son président et son associé, de même que par ailleurs M. [Y], opposent toutefois à bon droit que la clause de non concurrence invoquée ne leur est pas opposable, dans la mesure où ils ne sont pas partie à la convention qui l'inclut.

Il résulte en effet de l'acte authentique de cession du fonds de commerce que cette convention a été passée seulement entre les société Landes Girondine, cédant, et TLG, cessionnaire, de sorte que la clause à la charge du cédant qui y figure ne concerne que la seule société Landes Girondines.

Aux termes de l'article 1165 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er octobre 2016 et applicable aux faits de la cause, lconventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; elles ne nuisent point aux tiers, et elles ne lui profitent que dans le cas prévu à l'article 1121, cas qui n'est pas pertinent dans le présent litige.

Ainsi, ni la société « Et Toque » et ses associés, ni M. [Y] dont il n'est même pas établi qu'il serait dirigeant de droit ou de fait de cette société, ni encore le même M. [Y] en sa qualité d'ancien dirigeant de la société cédante, qui ne sont pas parties à l'acte de cession, n'y sont pas cités ni n'en ont accepté les stipulations dans un documents ultérieur, ne sont redevables de l'interdiction de concurrence prévue par cet acte.

Au surplus, M. [Y] peut faire valoir sans être utilement démenti que la clause d'interdiction de concurrence valait pour le lieu d'exploitation originel à [Localité 13], lieu que le cessionnaire a volontairement quitté dès l'année suivant l'achat du fonds pour aller s'installer à [Localité 10], à 22 km du lieu d'exercice d'origine.

La clause d'interdiction de concurrence invoquée par les appelants n'est donc pas ici opposable aux intimés.

L'ensemble des longues considérations des appelants fondées sur la clause non opposable de l'acte de cession (pages 17 à 26 de leurs conclusions) sont en conséquence inopérantes.

Ces mêmes appelants soutiennent ensuite des actes de concurrence déloyale et parasitaire imputables aux intimés.

La concurrence déloyale est constituée de l'ensemble des procédés concurrentiels contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d'une faute intentionnelle ou non et de nature à causer un préjudice aux concurrents.

Fondée sur les dispositions des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, dans leur rédaction antérieure au 1er octobre 2016 et applicable aux faits de la cause, désormais prévus par les articles 1240 et 1241 du même code, la concurrence déloyale est une forme particulière de faute engageant la responsabilité civile de droit commun en raison d'un abus de la liberté de la concurrence caractérisé par un comportement déloyal. Par conséquent, il revient au demandeur de démontrer l'existence d'une faute, d'une préjudice et d'un lien de causalité entre les deux. A ce titre, la faute, conformément à la responsabilité civile de droit commun, n'a pas à être intentionnelle.

Le parasitisme est un acte de concurrence déloyale qui est défini comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire.

En l'espèce, les appelants font valoir que, dès avant la création de la société Et Toque, les intimés sont parvenus de concert à s'approprier illicitement la clientèle pourtant cédée à TLG, se sont placés dans le sillage de celle-ci et ont réalisé une économie injustifiée, en profitant indument de ses investissements.

Ils exposent que des documents publicitaires font l'annonce de l'ouverture ou réouverture d'une activité de traiteur et organisateur d'évènements (leurs pièces n° 18, 24, extraits annexes 3 et 9).

Or, les pièces invoquées, si elles portent publicité pour l'entreprise « Et Toque ! » ne font nullement allusion à une réouverture. C'est tout particulièrement le cas de la pièce n° 24 invoquée, qui est un courriel présentant au contraire une « jeune et nouvelle entreprise crée (sic) en octobre 2013 ».

Seule la pièce n° 4, qui est une photocopie non circonstanciée et non datée, tout en annonçant l'ouverture d'un « nouveau » traiteur et organisateur d'évènements, mentionne le nom de M. [Y] et précise « L'ancienne équipe de Mr [Y] reprend du service ».

Ces documents isolés, qui ne tentent d'ailleurs pas de présenter l'entreprise nouvelle comme étant la continuatrice de la société Landes Girondines, ne sont pas constitutifs de parasitisme.

Le seul fait de s'installer dans « les anciens locaux de la société Landes Girondines » ne saurait non plus être qualifié de parasitisme, dès lors que la société TLG les avait abandonnés plusieurs mois auparavant, et qu'une activité de traiteur et de créateur d'évènements s'exerce chez le client, et non dans les installations de l'entreprise, dont le rôle est limité à la préparation des plats et à la gestion sociale, hors la vue du client.

S'agissant du démarchage allégué de la clientèle cédée, les appelants citent plusieurs noms comme le [Adresse 9], [Adresse 7], et les anciens combattants de [Localité 12] et [Localité 17], ce qui est insuffisant pour caractériser un parasitisme et qui relève du jeu normal de la concurrence, dans un secteur du département de la Gironde où le nombre de clients est plus limité que dans l'aire de la métropole de [Localité 8].

D'ailleurs, la société « Et Toque ! » et ses associés, qui signalent que des fournisseurs leur ont réclamé à plusieurs reprise des impayés de M. [S], peuvent affirmer sans être démentis qu'ils n'ont jamais eu intérêt à usurper l'identité commerciale de TLG et à créer une confusion avec une société exsangue, non professionnelle et à la réputation calamiteuse.

Les intimés peuvent aussi faire valoir utilement l'ouverture par M. [S] à [Localité 10] centre en 2012 d'une boutique de vente de plats à emporter, puis d'un restaurant dans un autre secteur de [Localité 10], puis le regroupement des trois activités, ainsi que le changement de nom de sa société sur Internet, faits de nature à désorienter sa propre clientèle.

La société « Et Toque ! », M. [P] et M. [Z] soutiennent en définitive que si la société de M. [S] s'est trouvée en déconfiture, c'est en raison de son absence de professionnalisme et de respect de la clientèle, qui s'est naturellement détournée de ses divers établissements.

Il en est de même pour M. [Y], qui souligne que les clients se sont tournés vers la société « Et Toque ! » en raison de leur insatisfaction relativement aux prestations de la société TLG. Il produit 5 attestations de clients mécontents en ce sens (ses pièces n° 1 à 5). Il conclut lui aussi que c'est la manque de professionnalisme et l'incompétence de la société TLG qui sont à l'origine exclusive de la perte de clientèle invoquée.

Ainsi, les faits de concurrence déloyale par parasitisme invoqués par les appelants ne sont pas caractérisés.

Les développements consacrés par les appelants à une responsabilité personnelle de MM. [P] et [Z] ne sont donc pas pertinents en l'absence de concurrence déloyale établie.

Il en est de même sur les développements relatifs aux préjudices invoqués par les appelants (pages 34 à 42 de leurs conclusions).

Sur les demandes subsidiaires des appelants

A titre subsidiaire, mais en quelques lignes seulement sur le cas d'espèce (3 derniers § de la page 49 de leurs conclusions), les appelants soutiennent une garantie par M. [Y] au visa de la garantie d'éviction de l'acquéreur par le vendeur, prévue par l'article 1626 du code civil.

L'éviction est le fait que l'acheteur soit évincé de la chose, c'est à dire qu'il subisse un trouble dans sa possession sur la totalité ou partie de la chose vendue.

La garantie d'éviction a pour objet d'assurer à l'acquéreur la possession paisible de la chose vendue après la délivrance de celle-ci. Elle constitue ainsi le prolongement naturel de l'obligation de délivrance dont elle assure la pérennité.

L'argument selon lequel l'écran de la personnalité morale ne ferait pas obstacle à ce que soit reconnue l'existence d'une obligation à la charge du dirigeant social, peut être admis en matière de garantie légale d'éviction, alors que, comme analysé ci-dessus, il ne l'est pas en matière d'interdiction de concurrence.

Or, en l'espèce, les appelants se bornent à affirmer (2° §) que « délibérément et au prix d'une véritable tromperie dans sa communication, M. [Y] a évincé la société TLG, en détournant la clientèle attachée au fonds cédée ».

Pour autant, ils opèrent ainsi une confusion entre M. [Y] et la société « Et Toque ! » et ses dirigeants ou associés.

Si des clients ont cessé de faire appel à TLG pour se tourner vers « Et Toque ! », tiers au contrat entre les sociétés Landes Girondines et TLG, les appelants ne démontrent nullement que TLG aurait fait l'objet d'une quelconque éviction par ce tiers au sens de ce texte, les faits, comme analysés ci-dessus, relevant de la simple concurrence.

En effet, La garantie d'éviction du fait d'un tiers n'est due que si le trouble subi par l'acheteur est un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l'acheteur.

Tel n'est nullement le cas en l'espèce.

De plus, ils ne démontrent nullement que M. [Y] aurait joué un rôle quelconque dans l'organisation et la gestion de la société « Et Toque ! », puisque le seul élément matériel qu'ils produisent est un courriel faisant office de contrat d'embauche très ponctuelle de M. [Y] en la seule qualité de serveur en extra entre le 18 et le 31 octobre 2013, ni dans une quelconque éviction de l'acquéreur du fonds de commerce de la société Landes Girondines.

Ainsi, les pertes de clientèle dont se prévaut le dirigeant de la société TLG ne constituent pas une éviction qui pourrait être imputée à M. [Y], et le moyen est mal fondé.

* * *

Le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur les autres demandes

Comme déjà relevé ci-dessus, les diverses dispositions du dispositif des conclusions qui demandent de « constater » ou « dire que » ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais les moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer davantage.

Les appelants paieront in solidum à la société « Et Toque ! », à M. [Z] et à M. [P] la somme totale de 3 000 euros, et à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Ces frais irrépétibles et les dépens d'appel de la présente instance, nés pour les besoins du déroulement de la procédure au sens de l'article L. 622-17 du code de commerce, seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société TLG.

Contrairement à ce que demande M. [Y], les frais de constat d'huissier exposés à l'initiative d'une partie ne constituent pas des dépens, mais des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu entre les parties par le tribunal de commerce de Bordeaux le 19 mai 2017,

Condamne in solidum la Selarl Ekip', en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Traiteur Landes Girondines, et M. [S] à payer à la société « Et Toque ! », à M. [Z] et à M. [P] la somme totale de 3 000 euros, et à M. [Y] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Dit que ces frais irrépétibles et les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective de la société Traiteur Landes Girondines.

Le présent arrêt a été signé par M. Chelle, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17/03439
Date de la décision : 27/01/2020

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 02, arrêt n°17/03439 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-01-27;17.03439 ?
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