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23/10/2019 | FRANCE | N°17/04490

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 23 octobre 2019, 17/04490


COUR D'APPEL DE BORDEAUX



QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE



--------------------------







ARRÊT DU : 23 OCTOBRE 2019



(Rédacteur : Monsieur PETTOELLO, Conseiller)





N° RG 17/04490 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J6MO





- La SAS AGROVIN FRANCE

- La SA BRENNTAG





c/



- La SA [Adresse 4]

- La SA AXA FRANCE IARD























Nature de la décision : AU FOND

























Grosse délivrée le :



aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 juillet 2017 (R.G. 2016F00353) par la 7ème Chambre du Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclarations d'appel des 24 juillet et 31 août 2017









APPEL...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 23 OCTOBRE 2019

(Rédacteur : Monsieur PETTOELLO, Conseiller)

N° RG 17/04490 - N° Portalis DBVJ-V-B7B-J6MO

- La SAS AGROVIN FRANCE

- La SA BRENNTAG

c/

- La SA [Adresse 4]

- La SA AXA FRANCE IARD

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 juillet 2017 (R.G. 2016F00353) par la 7ème Chambre du Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclarations d'appel des 24 juillet et 31 août 2017

APPELANTE et INTIMEE :

La SAS AGROVIN FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège, sis [Adresse 5]

représentée par Maître Michel PUYBARAUD de la SCP MICHEL PUYBARAUD, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Charlotte BELLET de la SCP BOURGEON MERESSE GUILLIN BELLET & Associés, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE :

La SA BRENNTAG, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 3]

représentée par Maître Luc BOYREAU de la SCP LUC BOYREAU, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Benjamin DUFRAICHE de la SELARL ADRIEN & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS

INTIMÉES :

La SA [Adresse 4], agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège sis [Adresse 1]

représentée par Maître Annie TAILLARD de la SCP ANNIE TAILLARD AVOCAT, avocat au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Catherine COULOU de la SCP MACL, avocat au barreau de PARIS

La SA AXA FRANCE IARD, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentée par Maître Emilie PECASTAING de la SELARL RACINE, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 et 910 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 18 septembre 2019 en audience publique en double rapporteur, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Elisabeth FABRY, Conseiller et Monsieur Dominique PETTOELLO, Conseiller chargé du rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Robert CHELLE, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Monsieur Dominique PETTOELLO, Conseiller,

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

- contradictoire

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

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FAITS ET PROCÉDURE

La SA [Adresse 4] exerce une activité de négoce de vins.

La SAS Agrovin France commercialise des produits et des machines pour le traitement des vignes et des vins.

Elle est assurée au titre de sa responsabilité civile professionnelle par la société Axa France IARD.

La SAS Agrovin France commercialise notamment des appareils de stabilisation tartrique destinés au traitement électrostatique du vin par des résines échangeuses de cations évitant la précipitation de sels de tartre dans le vin en bouteille. Le procédé prévoit notamment la régénération des résines par l'utilisation d'acide chlorhydrique après chaque utilisation. En septembre 2011, elle a proposé des démonstrations gratuites de ses appareils de stabilisation tartrique à quatre caves.

La SA Brenntag exerce une activité de gestion, stockage et distribution de produits chimiques industriels. D'août à décembre 2011, à cinq reprises, son agence Midi-Pyrénées a fourni de l'acide chlorhydrique à la société Agrovin, lequel a été utilisé pour la régénération des résines de ses appareils de démonstration.

Ainsi, fin septembre 2011, les sociétés [Adresse 4] et Agrovin ont été en contact à l'occasion d'une proposition commerciale de fourniture d'un système de stabilisation tartrique ayant donné lieu à un essai de la machine en janvier 2012. Cet essai a consisté, dans les chais de la société [Adresse 4], au traitement en trois fois de 4 lots de vins qu'elle a ensuite vendus à divers clients.

Dès avril 2012, la société [Adresse 4] a reçu des plaintes de ses clients dénonçant une altération des propriétés organoleptiques des vins achetés.

D'autres clients de la société Agrovin ont connu les mêmes difficultés,

les conduisant à engager des procédures devant le tribunal de commerce de Béziers (Les vignerons de la Méditerranée, l'union des coopératives de Foncalieu et la société Domaines Montariol-Degroote SAS), et le tribunal de grande instance d'Avignon (la société Union des vignerons des côtes du Lubéron).

C'est dans ces conditions que différentes actions en référé ont été introduites aboutissant à la désignation d'un expert unique, M. [O] [I]. Il a déposé son rapport le 15 septembre 2015.

À la suite, la société [Adresse 4] a, par acte du 6 avril 2016, assigné devant le tribunal de commerce de Bordeaux la société Agrovin, son assureur Axa et la société Brenntag aux fins de réparation du préjudice par elle subi.

Par jugement contradictoire du 7 juillet 2017, le tribunal de commerce de Bordeaux a ainsi statué :

In limine litis,

Déboute la société Brenntag SA de sa demande de nullité du rapport d'expertise,

Au fond,

Condamne la société Agrovin France SAS à régler a la société [Adresse 4] SA la somme de 245.648,20 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2016, date de assignation.

Condamne la société Brenntag SA à régler à la société [Adresse 4] SA la somme de 105 277,80 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2016, date de I'assignation.

Ordonne la capitalisation des intérêts par année entière à compter du 6 avril 2016.

Condamne la compagnie Axa France IARD SA à relever indemne la société Agrovin France SAS dans la limite de l'épuisement du plafond de sa garantie de 120.000,00 euros avec une unique application de la franchise contractuelle pour les différents sinistres,

Déboute la société [Adresse 4] SA de se demande de remboursement des frais d'expertise avancée,

Ordonne l'exécution provisoire,

Condamne solidairement le société Agrovin France SAS, la société Brenntag et la compagnie Axa France IARD SA, à payer à la société [Adresse 4] SA le somme de 5.000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne solidairement le société Agrovin France SAS, la société Brenntag SA et la compagnie Axa France IARD SA, aux dépens de l'instance.

Par déclaration faite au greffe le 24 juillet 2017, la société Agrovin a interjeté appel de la décision.

Par déclaration faite au greffe le 31 août 2017, la société Brenntag a interjeté appel de la décision.

Cet appel enregistré sous le numéro 17/05132 a fait l'objet d'une jonction à la présente affaire enregistrée sous le numéro 17/04490 par mention au dossier le 7 décembre 2017.

Par ordonnance en date du 26 octobre 2017, la société Agrovin a été déboutée de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire disposée au jugement querellé.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières écritures en date du 31 janvier 2018 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Agrovin demande à la Cour de :

Vu les articles 1101, 1134, 1156, 1162, 1147, 1148, 1150, 1151, 1162, 1382, 1641 du Code civil, dans leur version applicable aux faits de l'espèce,

Vu l'article 9 du Code de procédure civile ;

Vu les rapports d'expertise ;

Vu la jurisprudence citée ;

Vu les pièces versées aux débats ;

- Infirmer en toutes des dispositions le jugement rendu le 13 juillet 2017 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux, sauf en ce qu'il a débouté la société Brenntag de sa demande de nullité du rapport d'expertise ;

Et par conséquent :

A titre principal :

- Débouter la société Maisons [Adresse 4] de toutes ses demandes à l'encontre de la société Agrovin aux motifs qu'elle ne prouve ni la faute alléguée, ni le lien de causalité entre cette prétendue faute et les préjudices invoqués ;

A titre subsidiaire :

- Débouter la société Maisons [Adresse 4] de toutes ses demandes à l'encontre de la société Agrovin aux motifs que cette dernière bénéfice d'une cause d'exonération liée à la force majeure et/ou à la faute d'imprudence commise par la société [Adresse 4] ;

A titre infiniment subsidiaire :

- Dire et juger que les sommes éventuellement allouées à la société [Adresse 4] ne sauraient excéder la somme de 242.489 euros, à laquelle il faut encore déduire la part de 30 %, soit 72.746 euros, s'imputant à la cave, et débouter la société [Adresse 4] de toute demande plus ample au titre des frais de stockage, de cave et d'entreposage, de frais supplémentaires de personnel et de frais financiers, des frais de sauvetage du vin, ainsi que du préjudice commercial et d'image ;

En toute hypothèse :

- Débouter la société Brenntag de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Agrovin.

- A toutes fins utiles, Condamner la société Brenntag à garantir et relever indemne la société Agrovin de l'ensemble des condamnations pouvant être prononcées à son encontre.

- Débouter la société Axa de toutes ses demandes, fins et conclusions en ce qu'elles ont pour finalité de contester son obligation de garantir la société Agrovin.

- Dire et juger que le plafond de la garantie d'assurance ne s'applique pas pour l'ensemble des quatre sinistres déclarés par la société Agrovin, mais uniquement pour le sinistre déclaré par la seule société [Adresse 4] ;

- Dire et juger que le litige s'inscrit dans la catégorie « Dommages matériels et immatériels consécutifs confondus » du contrat d'assurance litigieux, garantis à hauteur de 1.500.000 euros, après déduction d'une franchise de 10 % et de 2.200 euros maximum ;

- Condamner par conséquent la société Axa à garantir la société Agrovin des éventuelles condamnations mises à sa charge à hauteur de 1.500.000 euros, après déduction d'une franchise de 10 % et de 2.200 euros maximum ;

- Condamner la société [Adresse 4] et/ou, in solidum, la société Brenntag, à payer à la société Agrovin la somme de 50.000 euros, représentant les frais d'avocat, de son propre expert et les frais d'analyse, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Condamner la société [Adresse 4] et/ou, in solidum, la société Brenntag, aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de référé.

Elle considère que les opérations d'expertise ont respecté le principe du contradictoire. Elle invoque une contradiction dans les motifs du jugement. Elle fait valoir que la cause du sinistre provient uniquement d'une molécule ayant pollué l'acide fourni par la société Brenntag et que la décision fait l'impasse sur le fait d'un tiers revêtant les caractères de la force majeure et sur la limitation de l'indemnisation au dommage prévisible. Elle conteste tout manquement à ses obligations contractuelles faisant valoir que l'obligation n'a pas même été précisée et qu'elle ne pourrait être que de moyens. Elle considère avoir fait preuve de toute la prudence requise alors que les textes autorisent l'utilisation d'un acide chlorhydrique technique pour un usage alimentaire et que la fiche de données de sécurité de la société Brenntag permettait cet usage. Elle conteste qu'on puisse lui opposer un principe de précaution et considère que la seule cause des désordres est la fourniture par la société Brenntag d'un acide pollué alors que la commande qui lui est reprochée est sans lien de causalité avec ces désordres puisqu'un acide alimentaire aurait pu être également pollué. Subsidiairement, elle invoque des causes d'exonération considérant que la pollution de l'acide revêt les caractères de la force majeure et que la [Adresse 4] a commis des fautes notamment en ne procédant pas à une analyse du vin et en le commercialisant sans vérification. Plus subsidiairement, elle discute les préjudices et s'explique sur la garantie de son assureur considérant que la garde du vin ne lui a jamais été transférée et que le sinistre ne peut être considéré comme sériel alors qu'à tout le moins les termes de la police doivent être interprétés en faveur de l'assuré. Elle invoque un plafond de garantie à 1 500 000 euros avec une franchise de 10%.

Dans ses dernières écritures en date du 19 juillet 2019 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Axa France IARD demande à la Cour de :

Vu les articles 1230 et 1241-1, 1641 et suivants du code civil,

Infirmer partiellement le jugement du tribunal de commerce du 7 juillet 2017, en ce qu'il a :

- Dit et jugé que la société Agrovin avait commis des fautes susceptibles d'engager sa responsabilité,

- Dit et jugé que la société [Adresse 4] n'avait pas commis de faute à l'origine de son préjudice,

- Rejeté sa demande de garantie et relevé indemne intégral par la société Brenntag sur le fondement des vices cachés ou subsidiairement sur le fondement de sa responsabilité contractuelle

- Fixé les répartitions de responsabilité entre la société Agrovin et Brenntag à concurrence de 70% pour la première et 30% pour la seconde,

- Fixé le préjudice subi par la société [Adresse 4] à la somme totale de 350.926 euros,

- Condamné la société Agrovin à régler à la société [Adresse 4] la somme de 245.648,20 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2016, date de l'assignation,

Le réformant,

Dire et juger que la société Agrovin n'a pas commis de faute qui soit en lien avec les préjudices revendiqués par la société [Adresse 4],

Débouter la société [Adresse 4] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la compagnie Axa,

Débouter pareillement la société Brenntag de ses éventuelles demandes récursoires formées à l'encontre de la Compagnie Axa,

Subsidiairement,

Dire et juger que la société Brenntag est tenue de la garantie des vices cachés envers la société Agrovin France, ou subsidiairement, qu'elle est tenue de répondre de ses manquements contractuels à l'encontre de la société Agrovin

Dire et juger que la société [Adresse 4] a commis des fautes ayant concouru à la réalisation de son propre préjudice, de nature à engager sa responsabilité,

Condamner in solidum la société Brenntag et la société [Adresse 4] à garantir et relever indemne la compagnie Axa de l'ensemble des condamnations pouvant être prononcées à son encontre,

Plus subsidiairement,

Dire et juger que la société Agrovin ne saurait conserver une part prépondérante de responsabilités au titre des dommages subis par la société [Adresse 4],

Dire et juger que les sommes éventuellement allouées à la société [Adresse 4] ne sauraient excéder la somme de 310.926 euros tels que retenus par l'expert judiciaire,

Débouter la société [Adresse 4] de toute demande plus ample au titre des frais de stockage, de cave et entreposage, de frais supplémentaires de personnel et de frais financiers, des frais de sauvetage du vin, ainsi que du préjudice commercial et d'image,

Confirmer purement et simplement le jugement du 7 juillet 2017 pour le surplus, à savoir :

Dire et juger que le rapport de Monsieur [I] est valable, en ce qu'il a respecté le principe du contradictoire

Rejeter en conséquence la demande de nullité du rapport formée par la société Brenntag,

Dire et juger que seule la garantie « dommages aux biens confiés » souscrite par la société Agrovin auprès de la compagnie Axa a vocation à recevoir application,

Dire et juger le plafond de garantie et la franchise contractuelle prévus dans la police souscrite par la société Agrovin France auprès de la compagnie Axa opposables à l'assuré mais également à la société [Adresse 4], ou à la société Brenntag qui revendiquent la garantie d'Axa,

Dire et juger que l'ensemble des quatre sinistres déclarés par la société Agrovin (concernant les Vignerons de la Méditerranée, la [Adresse 4], le domaine Montariol Degroote, et L'union des Vignerons du Luberon) ont pour origine une cause technique unique,

Dire et juger qu'il existe donc un sinistre sériel, au sens de la police

Dire et juger qu'en conséquence, le plafond de garantie de 120.000 euros, prévu pour les «dommages aux biens confiés» s'applique pour l'ensemble des quatre sinistres déclarés,

Limiter en conséquence les condamnations éventuelles de la compagnie Axa à la somme de 117.800 euros de laquelle viendra s'imputer les sommes éventuellement allouées dans le cadre des autres instances actuellement pendantes,

Si les condamnations prononcées à l'encontre de la société Agrovin devaient être réformées, et inférieures au plafond de garantie contractuel,

Condamner la société Agrovin à rembourser à la compagnie Axa les sommes trop perçues

En tout état de cause

Condamner in solidum la société Brenntag et la société [Adresse 4] à payer à la compagnie Axa la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire et de référé.

Elle soutient que c'est à tort que les premiers juges ont retenu une responsabilité partielle de la société Agrovin. Elle invoque une responsabilité exclusive de la société Brenntag dès lors que l'acide était pollué par une molécule exogène qui aurait pu affecter tout autant un acide alimentaire alors que l'usage de l'acide technique était autorisé. Elle conteste tout lien de causalité entre les manquements reprochés à son assuré et les préjudices invoqués. Subsidiairement, elle entend exercer un recours à l'encontre de la société Brenntag sur le fondement de la garantie des vices cachés et subsidiairement sur celui de la responsabilité contractuelle. Elle invoque en outre une négligence fautive de la victime. Plus subsidiairement, elle discute les préjudices et considère que c'est la garantie dommages aux biens confiés qui doit s'appliquer avec un plafond unique à 120 000 euros dans le cadre d'un sinistre sériel. Elle s'oppose enfin à la nullité du rapport d'expertise.

Dans ses dernières écritures en date du 27 août 2019 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société Brenntag demande à la Cour de :

Vu l'article 784 du Code de Procédure Civile,

Vu les articles 15, 16, 175 et 238 du Code de Procédure Civile,

Vu l'article 1382 du Code civil,

Vu les articles 1641 et suivants du Code civil,

Vu le rapport d'expertise judiciaire de Monsieur [I] en date du 17 septembre 2015

Vu le jugement rendu le 7 juillet 2017 par le Tribunal de Commerce de Bordeaux

- Dire et juger les présentes conclusions recevables et bien fondées.

In limine litis :

- Dire et juger que l'Expert [I] n'a pas respecté le principe de contradiction ni satisfait à l'ensemble des chefs de sa mission qui lui ont été impartis par ordonnance de référé du 15 juillet 2014,

En conséquence,

- Prononcer la nullité du rapport d'expertise judiciaire de Monsieur [I].

- Infirmer le jugement rendu en première instance et rejeter toutes demandes dirigées contre la société Brenntag fondées sur ce rapport.

Sur les responsabilités :

- Constater que les conclusions du rapport d'expertise judiciaire ne sont pas fondées, - Constater que la société [Adresse 4] ne rapporte pas la preuve d'une quelconque faute délictuelle à l'encontre de la société Brenntag,

- Constater que la société Brenntag n'a commis aucune faute dans l'exécution de son contrat vis-à-vis de la société Agrovin France,

- Dire et juger que la société Brenntag n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de la société Agrovin France, ni délictuelle à l'égard de la société [Adresse 4],

- Constater que les sociétés Agrovin France et Axa France IARD ne rapportent pas la preuve d'un vice caché au sens de l'article 1641 du Code civil,

- Dire et juger que la société Brenntag n'a pas engagé sa responsabilité sur le fondement de la garantie des vices cachés,

- Dire et juger que les désordres sont imputables à la seule erreur fautive de la société Agrovin France,

- Dire et juger que les sociétés Agrovin France et [Adresse 4] ont été défaillants dans le système de contrôle qualité mise en oeuvre lors des essais de stabilisation tartrique des vins ;

- Dire et juger que les sociétés Agrovin France et [Adresse 4] sont seules responsables de l'aggravation des dommages, et devront en supporter les conséquences financières.

En conséquence,

- Déclarer la concluante tant recevable que bien fondée en son appel ;

Et y faisant droit,

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu une part de responsabilité de la société Brenntag à hauteur de 30%,

Et statuant à nouveau,

- Débouter les sociétés [Adresse 4], Agrovin France et Axa France IARD de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions dirigées contre la société Brenntag.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour entrait en voie de condamnation à l'encontre de la société Brenntag, sur les préjudices :

- Dire et juger que le montant des préjudices réclamé par la société [Adresse 4] est excessif et non justifié,

- Dire et juger que leur montant ne saurait, en toute hypothèse, être supérieur à celui que l'Expert judiciaire a arrêté dans son rapport d'expertise judiciaire.

En tout état de cause,

- Condamner la société [Adresse 4] et/ou toute autre partie succombante, à payer à la société Brenntag la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.

Elle soulève la nullité du rapport d'expertise faisant valoir que la mission imposait des investigations sur l'acide utilisé et que le rapport ne fait référence qu'à des travaux antérieurs à l'ordonnance lui rendant les opérations opposables alors qu'Agrovin n'a jamais informé l'expert de la disparition du dernier lot d'acide. Elle invoque une disparition des preuves portant atteinte aux droits de la défense et considère en outre que les opérations n'ont pas été contradictoires à son endroit. Elle estime que sa responsabilité ne peut être engagée alors qu'il lui a été commandé de l'acide technique et non de l'acide alimentaire qui relève de filières distinctes et que la présence d'impuretés dans l'acide de qualité technique ne peut caractériser une pollution. Elle soutient que dès lors qu'Agrovin achetait de l'acide technique elle devait s'assurer qu'il répondait à la qualité alimentaire et que cette société se prévaut d'une fiche de données sécurité postérieure à la commande. Elle fait valoir qu'il n'est pas démontré la présence d'un vice caché dans l'acide. Elle conclut à la responsabilité exclusive d'Agrovin à raison du choix de la qualité d'acide et qui a dès lors pris un risque qui s'est réalisé. Elle considère en outre que les sociétés Agrovin et [Adresse 4] ont concouru à l'aggravation des dommages. Plus subsidiairement, elle discute des préjudices.

Dans ses dernières écritures en date du 21 août 2019 auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens et arguments, la société [Adresse 4] demande à la Cour de :

Vu l'article 1147 du Code Civil,

Vu l'article 1641 et suivants du Code Civil,

Vu l'article 1382 du Code Civil,

Vu le rapport d'expertise de Monsieur [O] [I],

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu les manquements des sociétés Agrovin et Brenntag à l'égard de la société [Adresse 4] et l'a mis hors de cause.

En conséquence :

- Dire et juger que la responsabilité de la société Agrovin France est engagée sur le fondement de l'article 1147 du Code Civil.

- Dire et juger que la responsabilité de la société Brenntag est engagée sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil. ,

- Déclarer les sociétés Agrovin France et Brenntag responsables des conséquences dommageables de cette pollution survenue en avril 2012.

- Débouter la société Agrovin de toutes ses demandes fins et conclusions dirigées contre la société [Adresse 4].

- Débouter la société Brenntag de toutes ses demandes fins et conclusions dirigées contre la société [Adresse 4].

- Débouter la société Axa de toutes ses demandes fins et conclusions en ce qu'elles ont pour but de contester son obligation de garantie à l'encontre de la société Agrovin.

- Condamner la société Axa à garantir la société Agrovin des condamnations mises à sa charge.

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé le montant du préjudice a la somme de 350.926 euros et statuant à nouveau.

- Condamner in solidum la société Agrovin France et son assureur, la compagnie Axa France ainsi que la société Brenntag à payer à la société [Adresse 4] la somme de 646.631euros au titre des préjudices matériels et immatériels subis par elle et consécutifs à la pollution d'Avril 2012 avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation.

- Prononcer la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du Code Civil.

- Condamner in solidum la société Agrovin France et son assureur, la compagnie Axa France ainsi que la société Brenntag à verser à la société [Adresse 4] la somme de 40.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens.

Elle soutient que les opérations d'expertises ont été contradictoirement menées y compris vis-à-vis de la société Brenntag. Elle considère que c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu la responsabilité de la société Agrovin qui n'a jamais indiqué à son fournisseur la destination de l'acide et n'a effectué que des contrôles à minima ainsi que de la société Brenntag qui a fourni un acide pollué. Elle conteste avoir commis une faute de nature à engager sa responsabilité alors que la molécule n'est pas nécessairement détectable par un individu et qu'elle a réalisé les contrôles habituels. Elle soutient que s'agissant d'Axa c'est la garantie dommages matériels et immatériels qui doit s'appliquer et qu'il ne peut être fait application de la notion de sinistre sériel.

Par ordonnance en date du 28 août 2019, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 18 septembre 2019.

La société Brenntag a déposé de nouvelles écritures le 11 septembre 2019 avec un dispositif identique à ses conclusions du 27 août 2019 sauf à ajouter la demande de rabat de l'ordonnance de clôture pour répondre à la communication par la société Agrovin, en date du 28 août d'une nouvelle pièce n 43 présentant le jugement du tribunal de grande instance d'Avignon prononcé le 26 août 2019 en lien avec la présente affaire.

Compte tenu de l'accord des parties, il a été procédé à la révocation de l'ordonnance de clôture, à l'admission des écritures et pièces tardives et, avant les débats à la clôture à nouveau de la procédure.

EXPOSE DES MOTIFS

La cour doit d'abord répondre à la question de la nullité du rapport d'expertise invoquée par la société Brenntag.

C'est par l'ordonnance du 15 juillet 2014 que les opérations d'expertise ont été étendues à cette société.

Pour conclure à la nullité, la société Brenntag fait valoir que l'expert et son sapiteur ne se sont référés qu'à des travaux accomplis antérieurement et alors que toute analyse de l'acide a été impossible à raison de la destruction de la partie du lot subsistant, ce dépérissement des preuves la privant de la possibilité de discuter les analyses antérieures.

Il est exact que l'acide entreposé chez Agrovin a subi des dommages à la suite d'un incendie dans les locaux d'une entreprise voisine le 7 mars 2014 et qu'il n'était plus possible d'envisager de nouveaux prélèvements. Toutefois cette circonstance n'est pas imputable à l'expert, alors en outre que la société Brenntag ne fait état que de suspicions ou de doutes sur les conditions de disparition du produit, lesquelles restent accidentelles au regard des éléments produits devant la cour.

Il reste qu'à partir du 15 juillet 2014, la société Brenntag n'avait manqué que les premières opérations d'expertise en étant absente lors des prélèvements d'échantillons au contradictoire des autres parties. Elle était néanmoins présente lors de la mission du sapiteur chargé par le juge des référés de qualifier l'acceptabilité de l'acide utilisé pour la régénération des résines et de rechercher les causes de la présence de la molécule 2-Bromo-p-cresol dans l'acide livré (chaîne d'élaboration, transports, erreurs humaines '). Elle a bien reçu toute information sur ce point, elle a d'ailleurs établi un certain nombre de dires qui ont reçu réponse et participé aux accédits les 10 décembre 2014 puis les 18 et 24 mars 2015.

Il s'en déduit que le principe du contradictoire a bien été respecté dès lors que la société Brenntag a pu disposer de l'ensemble des documents d'expertise, exposer ses arguments en ayant disposé d'un temps suffisant pour le faire et recevoir réponse.

Il n'y a pas lieu à nullité de l'expertise.

Au fond, la société [Adresse 4] recherche la responsabilité contractuelle de sa prestataire au motif que la prestation et le produit fournis n'étaient pas conformes, les vins traités présentant des désordres sensoriels les rendant impropres à la commercialisation.

Alors que la prestation consistait dans la démonstration de l'utilisation d'un matériel « Free k » destiné au traitement électrostatique du vin par des résines échangeuses de cations évitant la précipitation de sels de tartre dans le vin en bouteille, le vin issu du traitement s'est révélé corrompu par la présence d'une molécule 2bromo-para-crésol (2-b-p-c) affectant ses qualités organoleptiques et le rendant impropre à sa destination.

Il n'est pas discuté que l'appareil de la société Agrovin fonctionne selon une technique d'échange cationique utilisant des résines spécifiques qui doivent être régulièrement régénérées par l'utilisation d'acide chlorhydrique ou sulfurique.

En l'espèce, la société Agrovin a fait le choix d'utiliser de l'acide chlorhydrique qu'elle a acheté à la société Brenntag. Au terme de l'expertise, il est établi que le lot litigieux est celui de référence Arkema (fabricant) FR13011157 devenu référence Brenntag FR 13032053 à sa réception le 10 octobre 2011, commande du 7 décembre 2011 livré le lendemain.

L'expert a établi que la molécule 2-b-p-c provenait d'une pollution exogène de l'acide utilisé, en ce qu'elle ne peut pas provenir du procédé de fabrication de l'acide. Dès lors, il a identifié plusieurs origines possibles à sa présence dans l'acide livré en considérant comme étant plus probable une pollution lors des opérations de conditionnement, de transport, de rempotage ou de reconditionnement, en particulier chez le fabricant ou chez le fournisseur Brenntag.

S'agissant de l'acide litigieux, il existe un débat sur sa qualité. L'expert, reprenant les conclusions de son sapiteur expose que l'acide chlorhydrique est inscrit dans le tableau 3 du codex alimentarius et peut donc être utilisé dans les aliments. Il expose qu'il est proposé sur le marché un acide technique et un acide alimentaire, que ces dénominations commerciales distinguent simplement des traitements différents de l'acide en termes de purification, de conditionnement ou de contrôles qualité. La qualité alimentaire présente une purification supérieure en termes de dosages et traces de métaux et de moindre pollution du fait de traitements spécifiques, notamment l'utilisation de containers neufs. Ainsi, le risque de désordre tel que retenu est toujours possible quelle que soit la dénomination commerciale, la probabilité de sa survenance étant moindre pour l'acide alimentaire.

En l'espèce, pour sa démonstration, la société Agrovin a fait le choix d'une commande et d'une utilisation d'acide technique.

Il ressort des débats que ce choix était théoriquement possible tout en comportant un risque plus important de désordre en lien avec une qualité moindre de traitement du produit, ce d'autant que :

- le fournisseur du matériel, maison mère de la société Agrovin, préconisait l'utilisation d'acide alimentaire,

- le fournisseur de l'acide n'a pas reçu de cahier des charges ou d'informations sur l'utilisation du produit commandé par la société Agrovin,

- la société Agrovin n'a donné aucune information sur ce choix à sa cliente ;

- elle ne l'a pas non plus informée des obligations réglementaires prévoyant les conditions de mise en oeuvre de ce traitement, notamment la présence d'un oenologue ou technicien qualifié veillant à la bonne conduite technique des opérations, même s'il n'a pas été relevé de désordres en lien avec cette absence ; que toutefois, aucune précaution particulière, notamment aucune vérification ou contrôles qualitatifs n'ont été effectués en rapport avec le choix d'un acide de moindre qualité pour un traitement de produit sensible.

Il s'en déduit une faute de la société Agrovin à l'occasion de sa prestation de traitement des vins de la société [Adresse 4], étant rappelé qu'aux termes de la plaquette de présentation de sa machine, son traitement, outre l'obtention de vins stables du point de vue tartrique, du point de vue organoleptique, les qualités sont en général favorables au Free K lorsqu'on les compare aux techniques traditionnelles, qu'il n'est apporté absolument aucune substance étrangère au vin. Il est inopérant que des démonstrations antérieures aux mêmes conditions, excepté un lot différent d'acide provenant de la société Brenntag, n'aient pas produit de désordres.

Dès lors que la société Agrovin connaissait l'existence des diverses qualités d'acide, notamment la qualité alimentaire préconisée par sa maison mère qu'elle avait notamment utilisé pour une démonstration dans une filiale de la société [Adresse 4], le choix d'acide technique, même théoriquement utilisable, sans demande d'information sur les risques encourus ou les contrôles utiles à l'utilisation envisagée et sans avoir procédé à aucun contrôle est constitutif d'une faute au regard des engagements contractuels à tout le moins d'obtention d'un vin marchand.

La société Agrovin recherche la responsabilité de son fournisseur d'acide la société Brenntag, laquelle n'aurait pas délivré un produit conforme à sa commande, soit un acide chlorhydrique technique conforme à la réglementation en vigueur et à sa destination c'est à dire non pollué par une molécule exogène.

Aux termes de l'expertise, il apparait d'abord que l'origine du désordre est bien la pollution d'un lot d'acide technique livré par la société Brenntag à la société Agrovin.

Si dans son pré-rapport, le sapiteur relevait que cette pollution pouvait provenir des manipulations après fabrication par les sociétés Arkema et Brenntag, sa réponse au dire n°4 de la société Brenntag est plus précise. Dans ce dire, la société Brenntag faisait valoir que sur deux livraisons à Agrovin d'un même lot vrac, celui de la première livraison le 1er décembre n'avait suscité aucune réclamation alors que la seconde livraison concernait l'acide litigieux. Le sapiteur lui répondait que cette explication confirme que la pollution serait intervenue suites aux manipulations internes de Brenntag puisque le lot incriminé provient du même lot vrac initialement reçu chez Brenntag.

La société Brenntag expose qu'elle effectue diverses opérations sur les produits reçus de ses fabricants s'agissant d'acides de qualité technique mais qu'elle n'intervient pas sur la qualité alimentaire. En tout état de cause, elle invoque les documents accompagnant le produit dont il ressort que :

- la fiche de données de sécurité, quelle que soit la version, puisque acheteur et vendeur en proposent chacun une (fiche révisée le 2 février 2012 pour Agrovin et fiche révisée le 24 mars 2011 pour Brenntag), n'est pas pertinente pour apprécier la garantie ou les spécifications qualité du produit et n'a aucune valeur contractuelle, s'agissant uniquement d'informations réglementaires destinées à la sécurité des utilisateurs ;

- ses conditions générales de vente rappellent expressément (article 5) que les produits sont de qualité industrielle standard, sauf stipulation contraire, que l'acheteur doit s'assurer de la compatibilité du produit avec l'utilisation qu'il veut en faire, qu'il relève de sa responsabilité de contrôler à réception la conformité du produit ;

- que la fiche technique de l'acide mentionne que s'agissant d'un produit reconditionné, les données de départ du site de production ne peuvent être garanties.

Il s'en déduit que la responsabilité du vendeur ne peut être engagée de ce chef, alors que la société Brenntag a bien livré un acide chlorhydrique technique conforme au bon de commande de la société Agrovin qui ne comportait pas de cahier des charges particulier ou d'indications sur son usage prévu.

Les parties recherchent également la garantie de la société Brenntag au visa des dispositions de l'article 1641 du code civil sur les vices cachés.

Les vices évoqués par l'article 1641 du code civil doivent s'entendre de défauts qui rendent la chose impropre à l'usage auquel on la destine ou, du moins, qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. Toutefois, la garantie du vendeur requiert que l'usage soit contractuel et qu'il ait donc été convenu par les parties.

En l'espèce, la société Agrovin concède qu'elle a acheté l'acide chlorhydrique technique sans information ou cahier des charges particuliers destinés au fournisseur.

Les sociétés Agrovin et Brenntag discutent sur la version de la fiche de sécurité remise avec la commande litigieuse de décembre 2011, toutefois, la société Agrovin ne peut soutenir qu'elle aurait disposé à cette date d'une version au 2 février 2012 alors que, selon la société Brenntag, elle lui aurait été remise par erreur lorsqu'elle en a fait la demande après avoir eu connaissance des désordres querellés en mars 2012. C'est donc bien de la version révisée au 24 mars 2011 dont elle a pu disposer. Aux termes de cette fiche réglementaire, même si elle fournit principalement des explications sur les risques de santé liés à l'exposition, l'utilisation et la manipulation des produits dangereux, elle comporte également une rubrique utilisations identifiées pertinentes de la substance ou du mélange et utilisations déconseillés indiquant l'absence d'informations relatives aux usages identifiés et aux restrictions d'usages. Il ne s'en déduit pas un produit utilisable pour des produits alimentaires sans aucune précaution. Dès lors, la pollution générée dans le cas d'espèce ne peut ressortir des vices cachés alors que cette pollution n'a produit des effets délétères qu'en raison de l'usage, non prévu spécifiquement pour un produit alimentaire, qui en a été fait.

En l'absence d'information sur l'usage alimentaire qui pouvait en être fait et particulièrement de traitement de vins, le fournisseur, sans cahier des charges spécifique, sollicité pour une qualité technique admettant des impuretés sans effets particuliers pour l'usage industriel auquel il est normalement destiné, ne peut être tenu de la garantie des vices cachés.

Il n'est donc admis ni une faute contractuelle de la société Brenntag, ni la garantie des vices cachés. Les demandes de la société [Adresse 4] à l'encontre de cette société, sur un fondement délictuel, mais procédant de la même faute qu'articulée par la société Agrovin ne peuvent donc prospérer. Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a condamné la société Brenntag et les parties déboutées de leur demandes à l'encontre de cette société.

Si la faute d'Agrovin a été caractérisée supra, reste à déterminer si la société [Adresse 4] a elle-même commis une faute ayant contribué à son préjudice, faute que lui oppose Agrovin. La question de la force majeure est ici inopérante, aucun des caractères n'en étant réuni, la présence en particulier de molécules polluant le vin n'ayant sur de l'acide technique aucun caractère imprévisible, mais il doit être apprécié la question d'une faute éventuelle.

Le traitement du vin proposé par la société Agrovin consistait en fait à n'en traiter qu'une partie prédéterminée, le résultat escompté étant obtenu par réincorporation de cette part au reste du lot. Agrovin reproche à la société [Adresse 4] de ne pas avoir détecté la pollution du vin au moment où la concentration était maximum c'est à dire juste avant réincorporation dans un lot plus important, ce qui n'a fait que rendre non marchand une quantité bien supérieure de vin.

Il résulte de l'expertise qu'un certain nombre d'obligations réglementaires n'ont pas été respectées en particulier sur la tenue d'un registre. Toutefois l'expert a exclu que cette omission ait pu avoir une incidence, dès lors que les règles techniques avaient été respectées. La cour ne dispose pas d'éléments de fait permettant de remettre en cause cette appréciation. Quant à l'absence de détection de la pollution olfactive même au moment où sa concentration était la plus importante, outre qu'on ne peut reprocher à une victime de ne pas avoir cherché à limiter son préjudice, il apparaît surtout qu'aucun élément ne permet d'affirmer que la société [Adresse 4] pouvait détecter cette pollution ou en tout cas commettait une faute en ne la détectant pas, étant rappelé que le démonstrateur de la société Agrovin, même présenté par celle-ci comme simplement commercial était également oenologue et n'a rien objecté au cours de l'opération. L'expert a ainsi indiqué, là encore sans être utilement contredit, que cette perception est très variable selon plusieurs facteurs notamment les qualités de perception de chaque individu. Il a d'ailleurs effectué des tests avec plusieurs personnes y compris des experts et relevé que la perception n'a pas été unanime. En d'autres termes il aurait été statistiquement possible qu'un ou plusieurs opérateurs constatent la pollution mais d'autres pouvaient ne pas le faire et sans envisager une faute.

Il s'en déduit que la responsabilité de la société [Adresse 4] ne peut être retenue et que la société Agrovin ne peut lui opposer une faute. Cette dernière doit en conséquence être tenue de réparer l'entier préjudice.

Sur l'évaluation de ce préjudice, compte tenu des appels interjetés tant à titre principal qu'incident, c'est l'ensemble de la discussion qui est dévolue à la cour. C'est dans ces conditions qu'il convient de reprendre chacun des postes articulés.

La valorisation des vins,

Le tribunal suivant les conclusions de l'expertise a retenu à ce titre la somme de 218 311 euros. La société [Adresse 4] soutient, sans guère s'expliquer, que c'est non pas le prix de revient qui doit être envisagé mais le prix de vente alors qu'Agrovin soutient que c'est la somme de 190 000 euros qui devrait être envisagée au titre du prix de revient.

On ne saurait retenir le prix de vente comme sollicité au demeurant sans grande précision. L'expert s'est complètement expliqué sur la question en retenant le prix de revient des vins outre un taux de marge corrigé qui n'est pas utilement remis en cause. La somme de 218 311 euros sera retenue.

Les frais exposés,

Il a été justifié de frais exposés par la société [Adresse 4] suite au remplacement ou à la destruction des vins par certains clients. Ces frais pour la somme de 71 665 euros ont été débattus devant l'expert et ne sont pas utilement contredits de sorte que c'est à juste titre que le tribunal les a retenus.

Le stockage extérieur,

La société [Adresse 4] sollicite à ce titre la somme de 72 196 euros mais ne justifie pas que la facture Dartess, qu'elle indique avoir réglée pour ce montant, soit bien en lien de causalité avec le sinistre alors qu'il apparaît qu'elle avait en toute hypothèse et en dehors du sinistre recours à un stockage extérieur. C'est donc à juste titre que le tribunal s'est limité à retenir la somme de 950 euros correspondant non à un stockage mais au coût de déplacement de bouteilles qui est justifié comme en lien de causalité avec le sinistre.

L'élimination des bouteilles stockées,

Le tribunal a retenu à ce titre une indemnisation à hauteur de 20 000 euros. Il s'agit de l'évaluation de l'expert quant au coût de destruction des bouteilles contaminées. Cette évaluation procède des devis produits et sera donc admise, comme l'a fait le tribunal, puisqu'il s'agit bien d'un préjudice en lien de causalité avec le sinistre, la destruction ayant un coût inévitable.

Les frais financiers,

Il est sollicité à ce titre la somme de 30 870 euros correspondant selon la société [Adresse 4] aux conséquences du sinistre. Toutefois, cette somme ne saurait être admise. Outre que la société [Adresse 4] ne s'explicite guère de ce chef se contentant d'indiquer qu'elle maintient sa demande, elle ne justifie pas d'un tel préjudice. En effet, il n'apparaît pas d'augmentation de ses frais financiers de sorte que la cour ne peut caractériser de tels frais comme en lien de causalité avec la faute d'Agrovin. Cette demande sera rejetée.

Le préjudice commercial,

Il est invoqué un préjudice commercial à hauteur de 154 896 euros. Faisant masse avec d'autres postes analysés ci-dessus, le tribunal a retenu une somme forfaitaire de 40 000 euros. La cour ne saurait procéder de manière forfaitaire et il appartient à la société [Adresse 4] de rapporter la preuve de son préjudice, dans son principe et dans son quantum. Elle ne le fait pas. En effet, elle ne produit aucune pièce de nature à établir la réalité objective d'un tel préjudice. Outre une « attestation sur l'honneur » de son dirigeant correspondant à un document établi pour soi-même dépourvu de toute force probante, elle ne produit à ce titre que des documents établis par elle-même sauf à affirmer qu'ils sont issus de son système d'information. Elle assortit ces documents de considérations générales sur la sensibilité des clients japonais ce qui ne saurait constituer une démonstration en matière de préjudice. Cette demande sera rejetée.

Pour le surplus, la société [Adresse 4] demande une somme globale de 646 631 euros dans son dispositif sans expliciter comment elle parvient à ce montant au delà des postes analysés ci-dessus et surtout sans produire de justificatif permettant de caractériser un préjudice indemnisable à ce montant.

C'est ainsi la somme totale de 310 926 euros qui sera retenue, somme correspondant à des dommages prévisibles, et Agrovin condamnée au paiement de cette somme. La question des 30% devant être mis à la charge de la cave est inopérante, la cour n'ayant pas retenu la faute de la société [Adresse 4].

S'agissant de la garantie d'Axa, l'assureur oppose une limitation de garantie en faisant valoir que seule la garantie dommage aux biens confiés serait mobilisable. Elle fait valoir qu'il s'agit pour elle de garantir les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile incombant à l'assuré en raison des dommages causés aux biens qui lui sont confiés dans le cadre des activités définies aux conditions particulières. Elle ajoute que les biens confiés sont définis comme tout bien meuble appartenant à un tiers, y compris aux clients de l'assuré, et dont ce dernier a le dépôt, la garde ou qu'il détient à titre quelconque.

Toutefois en l'espèce, le vin ayant subi les dommages n'a jamais été confié en dépôt à la société Agrovin qui n'en a jamais acquis la garde, s'étant rendue dans les locaux de la société [Adresse 4] pour procéder au traitement de ses vins et ce en présence de préposés de son client. Il apparaît au contraire que ce qui est en cause dans le présent litige c'est la responsabilité civile contractuelle de la société Agrovin à l'occasion des moyens humains et matériels qu'elle a mis en oeuvre ainsi que définis à l'article 1 du contrat. Ceci rentre donc dans l'objet principal du contrat et non dans la garantie souscrite, à titre d'extension, pour les biens confiés. Une telle extension n'a pas en effet pour objet de garantir ce qui entrait d'ores et déjà dans l'objet principal du contrat. Il convient de rappeler que l'activité déclarée comprenait la vente en gros d'articles de chais et de caves, de produits oenologiques et de produits d'entretien destinés aux viticulteurs, vente d'un appareil permettant la stabilisation tartrique des vins avec essais chez les clients. Dès lors, la responsabilité que pouvait encourir Agrovin lors de l'essai chez le client procédait bien de son activité par les moyens humains et matériels qu'elle mettait en oeuvre et non d'un dommage à des biens qui lui étaient confiés.

Il s'en déduit que l'assureur ne peut opposer le plafond de garantie lié à l'extension, soit 120 000 euros mais qu'il doit sa garantie dans la limite du plafond de 1 500 000 euros et sous réserve de sa franchise contractuelle.

La cour n'est pas saisie d'autre sinistre et la question de l'épuisement du plafond de garantie est à ce stade purement théorique alors qu'il n'est pas invoqué la condamnation d'Agrovin garanti par son assureur pour d'autres sommes. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur la question d'un sinistre sériel qui demeure purement éventuel.

Au total, le jugement sera infirmé et la société Agrovin, in solidum avec son assureur sous réserve de la franchise contractuelle, condamnée à payer à la société [Adresse 4] la somme de 310 926 euros. Il y aura lieu à cours des intérêts depuis la date de l'assignation au fond du 6 avril 2016. La capitalisation sera ordonnée par année entière à compter du cours des intérêts.

La société Agrovin et son assureur Axa sont tenus de l'ensemble des dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 10 000 euros à la société [Adresse 4] et la somme de 8 000 euros à la société Brenntag par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux du 7 juillet 2017 sauf en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du rapport d'expertise,

Statuant à nouveau,

Condamne la SAS Agrovin in solidum avec la SA Axa France IARD à payer à la SA [Adresse 4] la somme de 310 926 euros avec intérêts au taux légal à compter du 6 avril 2016 ;

Ordonne la capitalisation par année entière à compter du 6 avril 2016 ;

Dit que la SA Axa France IARD est tenue dans la limite de 1 500 000 euros et sous réserve de sa franchise contractuelle ;

Dit que la demande au titre du sinistre sériel est sans objet devant la cour ;

Déboute la SA [Adresse 4] et la SAS Agrovin de toutes leurs demandes envers la SA Brenntag ;

Condamne in solidum la SAS Agrovin et son assureur la SA Axa France IARD à payer la somme de 10 000 euros à la SA [Adresse 4] et la somme de 8 000 euros à la SA Brenntag par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SAS Agrovin et son assureur la SA Axa France IARD aux dépens de première instance et d'appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Robert CHELLE, Président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, Greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre commerciale
Numéro d'arrêt : 17/04490
Date de la décision : 23/10/2019

Références :

Cour d'appel de Bordeaux 02, arrêt n°17/04490 : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-23;17.04490 ?
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