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26/11/2014 | FRANCE | N°10/05323

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 26 novembre 2014, 10/05323


COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------



ARRÊT DU : 26 novembre 2014

(Rédacteur : Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,)

No de rôle : 12/ 5596

Monsieur Jean-Michel X...


c/

Monsieur José Y...
Z...

Monsieur Raphael Z...

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE
Madame Mélanie Z...

Madame Priscilla Z...


Nature de la décision : AU FOND



Grosse délivrée le :

aux avocats
Décision déférée à la Cou

r : jugement rendu le 12 septembre 2012 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 6, RG 10/ 05323) suivant déclaration d'appel du 12 octobre 2012



APPELANT ...

COUR D'APPEL DE BORDEAUX

CINQUIÈME CHAMBRE CIVILE

--------------------------

ARRÊT DU : 26 novembre 2014

(Rédacteur : Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,)

No de rôle : 12/ 5596

Monsieur Jean-Michel X...

c/

Monsieur José Y...
Z...

Monsieur Raphael Z...

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE
Madame Mélanie Z...

Madame Priscilla Z...

Nature de la décision : AU FOND

Grosse délivrée le :

aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 septembre 2012 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX (Chambre 6, RG 10/ 05323) suivant déclaration d'appel du 12 octobre 2012

APPELANT :

Monsieur Jean-Michel X..., de nationalité Française, demeurant ...

représenté par Maître Michel PUYBARAUD de la SCP Michel PUYBARAUD, avocat postulant, et assisté de Maître PIGEANNE substituant Maître Marie-hélène LAPALUS-DIGNAC, avocat plaidant, au barreau de BORDEAUX

INTIMÉS :

Monsieur José Y...
Z..., né le 08 Novembre 1960 à LOUREIRA-VILA VERDE, de nationalité Portugaise, demeurant ...

Monsieur Raphael Z..., né le 04 Août 1987 à LA GARENNE COLOMBE, de nationalité Française, demeurant ...

représentés par Maître Delphine BRON, avocat au barreau de BORDEAUX,

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA GIRONDE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social Place de l'Europe-Cité du Grand Parc-33085 BORDEAUX CEDEX,

représentée par Maître Max BARDET, avocat au barreau de BORDEAUX

INTERVENANTES :

Madame Mélanie Z..., née le 26 Août 1993 à BORDEAUX, de nationalité Française, demeurant ...,

Madame Priscilla Z..., née le 26 Août 1993 à BORDEAUX, de nationalité Française, demeurant ...,

représentées par Maître Delphine BRON, avocat au barreau de BORDEAUX,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 octobre 2014 en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Henriette FILHOUSE, Président,
Monsieur Bernard ORS, Conseiller,
Madame Béatrice SALLABERRY, Conseiller,
qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Madame Sylvie HAYET

ARRÊT :
- contradictoire
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

***

OBJET DU LITIGE ET PROCÉDURE

Le 12 novembre 2003, Madame Y...
Z... a consulté le Docteur X... dermatologue pour une lésion au pied gauche. Ce médecin a procédé lors de cette consultation à la destruction par azote liquide d'un " prurigo du pied " selon la mention figurant sur la fiche informatique.

Le 5 février 2004, Madame Y...
Z... a été opérée d'un ganglion inguinal gauche de mélanome, première métastase décelée par le Docteur A..., puis, le 13 février 2004, elle a subi un curage ganglionnaire systématique, 4 des ganglions retirés étant des ganglions de mélanome. Le 13 mai 2004, une métastase de mélanome a été retirée de l'hypocondre droit

Madame Maria Adélaïde Y...
Z... est décédée le 1er août 2004 des suites d'un cancer par envahissement métastatique généralisé, laissant à sa survivance son époux, Monsieur José Julio Y...
Z..., et les 3 enfants du couple, Raphaël Z..., Mélanie Z... et Priscilla Z....

Sur assignation de Monsieur Y...
Z... à l'encontre du Docteur X..., par ordonnance en date du 24 septembre 2007, le juge des référés a désigné en qualité d'expert le Docteur B....

Le Docteur B... a établi son rapport définitif le 28 octobre 2008.

Par actes d'huissier en date du 21 mai 2010, Monsieur José Julio Y...
Z... en son nom personnel et ès qualité de représentant légal de ses filles mineurs Mesdemoiselles Mélanie et Priscilla Z... et Monsieur Raphaël Z... ont assigné devant le Tribunal de Grande Instance de Bordeaux le docteur Jean-Michel X... et la CPAM de la Gironde aux fins de voir reconnaître la responsabilité de celui-ci dans la survenance du décès de Madame Y...
Z... et l'indemnisation de leur préjudicie en résultant.

Mesdemoiselles Mélanie et Priscilla Z... sont devenues majeures le 26 août 2011, en cours de procédure et sont intervenues personnellement à celle-ci.
Par jugement en date du 12 septembre 2012 le Tribunal de grande instance de Bordeaux a :
- Déclaré le Docteur Jean-Michel X... responsable par sa faute d'une perte de chance de 95 % d'éviter l'évolution fatale de la maladie dont a été victime Maria Adélaïde Y...
Z...,
- Condamné le docteur X... à verser à Monsieur José Y...
Z... :
* la somme de 66. 778, 86 ¿ au titre du préjudice économique, ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation annuelle de ceux-ci
* la somme de 28. 500 ¿ au titre du préjudice d'affection ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision
-Condamné le docteur X... à verser à Monsieur Raphael Z... :
* la somme de 7. 094, 60 ¿ au titre du préjudice économique ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation annuelle des intérêts,
* la somme de 26. 600 ¿ au titre du préjudice d'affection, ce, avec les intérêts au taux égal à compter de la décision,
- Condamné le docteur X... à verser à Mlle Mélanie Z... :
* la somme de 12. 871, 55 ¿ au titre du préjudice économique, ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation annuelle des intérêts,
- la somme de 23 750 ¿ au titre du préjudice d'affection, ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision
-Condamné le docteur X... à verser à Mlle Priscilla Z... :
* la somme de 10. 033, 71 ¿ au titre du préjudice économique, ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation annuelle des intérêts,
- la somme de 23 750 ¿ au titre du préjudice d'affection, ce, avec les intérêts au taux légal à compter de la décision
-Condamné le docteur X... à verser à Monsieur José Y...
Z..., Monsieur Raphael Z... et Mlles Mélanie et Priscilla Z... solidairement une somme de 3. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné le docteur X... à verser à la CPAM de la Gironde :
* la somme de 4. 246, 20 ¿ en remboursement du capital décès
* la somme de 960 ¿ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion
* les intérêts au taux légal de ces sommes avec capitalisation annuelle des intérêts,
* la somme de 300 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné le docteur X... aux entiers dépens y compris ceux de référé et le coût de l'expertise et autorise Maître Delphine Bron et Maître Max Bardet à recouvrer directement ceux dont ils ont fait l'avance,
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement à hauteur de moitié du montant des condamnations.

Par déclaration en date du 12 octobre 2012 le docteur Jean-Michel X... a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 15 mars 2013, il demande à la cour de :
A titre principal :
- Ordonner une nouvelle expertise pour établir la certitude du lien de causalité et désigner tel expert dermatologue qu'il plaira qui pourra s'adjoindre un sapiteur oncologue, avec mission classique complétée par les questions suivantes figurant au dispositif de ses écritures
A titre subsidiaire
-Dire qu'il n'a commis aucune erreur fautive
-Dire que les consorts Y...
Z... succombent dans l'administration de la preuve du caractère certain de la causalité entre la prétendue erreur de diagnostic et le décès de Madame Y...
Z...

- Débouter en conséquence les consorts Y...
Z... de l'intégralité de leurs demandes
A titre infiniment subsidiaire
-Dire que l'indemnisation ne peut concerner que la perte de chance de survie
-Inviter les consorts Y...
Z... à conclure en lien avec ce préjudice
A défaut
-Dire que la probabilité de chance perdue peut être évaluée à 20 %
- Limiter en conséquence les demandes au titre du préjudice économique et du préjudice moral
-Débouter Monsieur Y...
Z... de sa demande au titre du préjudice économique résultant de l'activité familiale de son épouse ainsi qu'au préjudice d'assistance
-Dire n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile
-Condamner les consorts Y...
Z... aux entiers dépens de l'instance en faisant application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions d'intimés et appelants incident, déposées et notifiées le 24 juillet 2014, Monsieur José Julio Y...
Z..., Monsieur Raphaël Z... et Mesdemoiselles Mélanie et Priscilla Z... demandent à la cour de :
- Dire et juger recevable l'intervention volontaire de Mlles Mélanie et Priscilla Z....
- Confirmer le jugement en date du 12 septembre 2012, en ce qu'il a déclaré le docteur Jean Michel X... responsable d'une erreur de diagnostic ayant entraîné une perte de chance de survie de Madame Y...
Z....
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que la perte de chance dont a été victime Madame Maria Adélaïde Z...
E... épouse Y...
Z... d'éviter l'évolution fatale de la maladie était de 95 % et non de 100 %.
En conséquence,
- Dire et juger que la perte de chance d'éviter l'évolution fatale de la maladie dont a été victime Madame Maria Y...
Z... est de 100 %.
- Condamner le docteur X... à payer à Monsieur José Y...
Z... :
* la somme de 87. 525, 35 ¿ au titre de son préjudice économique
* la somme de 15. 000 ¿ au titre de l'activité familiale
* la somme de 28. 500 ¿ au titre du préjudice d'affection
et, ce, avec intérêts au légal à compter du 12 septembre 2012
- Condamner le docteur Jean Michel X... à payer à Monsieur Raphaël Z... :
* la somme de 19. 416, 80 ¿ au titre du préjudice économique
* la somme de 28. 000 ¿ au titre du préjudice d'affection
ce avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2012
- Condamner le docteur Jean Michel X... à payer à Mlle Mélanie Z... :
* la somme de 12. 055, 20 ¿ au titre du préjudice économique
* la somme de 25. 000 ¿ au titre du préjudice d'affection
ce avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2012
- Condamner le docteur Jean Michel X... à payer à Mlle Priscilla Z... :
* la somme de 21. 016, 20 ¿ au titre du préjudice économique

* la somme de 25. 000 ¿ au titre du préjudice d'affection
ce avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2012
- Condamner le docteur X... à verser à Monsieur José Y...
Z..., à Monsieur Raphaël Z... et Mlles Mélanie et Priscilla Z... solidairement une somme de 5. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
-Statuer ce que de droit sur les demandes formulées par la CPAM de la Gironde
-Dire que les intérêts porteront capitalisation selon l'article 1154 du Code Civil
-Condamner le docteur X... aux entiers dépens de la procédure en ce compris ceux de référé et d'expertise judiciaire dont distraction pour ceux d'instance au profit de Maître Delphine BRON pour ceux d'Instance ce en vertu de l'article 699 du Code de procédure Civile.

Dans ses dernières conclusions déposées et notifiées le 30 septembre 2014, la CPAM de la Gironde demande à la cour de :
- Lui donner acte qu'elle s'en remet sur la demande d'expertise formulée par le docteur X...,
Pour le surplus,
- Confirmer le jugement entrepris,
- Condamner le docteur X... à lui verser la somme de 4. 246, 20 ¿, au titre du remboursement dés débours qu'elle a exposés
-Condamner le docteur X... à lui verser la somme de 1. 028 ¿ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
- Dire que ces sommes seront assorties des intérêts de retard au taux légal à compter de la décision à intervenir, et ce en application des dispositions de l'article 1153 du Code Civil et qu'il sera fait application des dispositions de l'article 1154 du Code Civil.
- Condamner le docteur X... à lui verser la somme de 300 ¿ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les frais éventuels d'exécution, dont distraction au profit de Maître Max BARDET, en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1 er octobre 2014.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les consorts Y...
Z... reprochent au Docteur X... d'avoir commis le 12 novembre 2003 une erreur de diagnostic qui n'a pas permis à Madame Y...
Z... de bénéficier d'un traitement approprié et d'avoir en outre appliqué un traitement à l'azote qui a accéléré le développement et la propagation du cancer par la veine saphène du dessus du pied gauche, cette maladie ayant provoqué son décès.

Le Docteur X... fait valoir que l'erreur éventuelle commise ne constitue pas une faute et qu'il n'existe pas de lien de causalité avec le décès, puisque, s'il s'agissait d'un mélanome déjà cancéreux, le pronostic n'aurait pas été changé, et, que l'hypothèse d'un mélanome non encore cancéreux ne repose pas sur une certitude scientifique. Il demande donc à tire principal à la cour d'ordonner une nouvelle expertise.

Sur la demande de nouvelle expertise

Le docteur B... commis par le juge des référés a réalisé son expertise en trois temps, un pré-rapport le 18 avril 2008, des réponses très précises et argumentées aux dires des parties le 18 septembre 2008 et un rapport final le 28 novembre 2008.

Il en ressort les éléments suivants :

- Le docteur X... n'est intervenu qu'une seule fois lors de la consultation du 12 novembre 2003 au cours de laquelle il a traité la zone dont se plaignait Madame Y...
Z..., par cryothérapie à l'azote liquide.

- Sur cette intervention, le Docteur X... n'a fourni qu'un seul élément : la fiche informatique contenant pour seule indication celle d'un prurigo du pied et a précisé oralement lors des opérations d'expertise qu'il se serait agi d'un prurigo simplex de région sus-talonnière. Aucun compte rendu d'examen, ni d'interrogatoire de la patiente n'a été produit faute d'avoir été réalisé.

- Les consorts Y...
Z... et une amie de la victime ont transmis à l'expert des attestations faisant référence à un grain de beauté situé sur le cou-de-pied, ceci étant confirmé par les constatations des autres intervenants qui situent tous la lésion sur le dessus du pied au niveau de la veine saphène.

- Il est établi que suite à l'intervention du 12 novembre 2003, une mauvaise cicatrisation a conduit très rapidement Madame Y...
Z... à consulter son médecin généraliste le docteur C... qui l'a orientée vers le docteur A...

- En ce qui concerne la localisation de la lésion traitée par le Docteur X..., le Professeur B... a pu démontrer qu'il s'agissait effectivement du cou-de-pied et non de la région sub-talonnière car d'une part le Docteur A... qui a opéré la cicatrice de cryothérapie a situé cette cicatrice sur le dos du pied, d'autre part une nouvelle analyse histologique des lames du prélèvement a permis de trouver des follicules pileux ce qui exclut la zone talonnière.

- Compte tenu de l'absence totale de précisions vérifiables données par le docteur X... sur la nature de la lésion traitée, description, situation exacte sur le pied, l'expert a examiné les deux hypothèses relatives à la lésion traitée, soit un prurit veineux soit un mélanome.

Examinant la première hypothèse, celle d'un prurit veineux, le Pr B... a précisé qu'avant de recourir au traitement direct par cryothérapie le dermatologue aurait dû faire pratiquer à la patiente un echodoppler qui lui aurait permis d'établir un diagnostic fiable. Il a indiqué en effet que l'échodoppler peut révéler un ganglion métastatique infraclinique, qu'il faut 3 mois pour qu'un ganglion déjà compressif passe à un stade palpable, qu'un ganglion compressif à l'aine peut être la cause d'un prurit du cou-de-pied, le caractère compressif orientant vers la malignité du ganglion. Si tel avait été le cas, " le pronostic aurait peut-être été meilleur ".

Examinant la deuxième hypothèse, celle d'un mélanome, le motif de la consultation étant un grain de beauté infecté tel que cela ressort des dires des consorts Y...
Z... confirmés par une amie de Madame Y...
Z... qui en atteste, le docteur B... indique que le phototype brun de la patiente et la relecture des lames par le Docteur D... orientent vers un mélanome de forme typique donc de diagnostic facile. L'expert a relevé dans cette hypothèse qu'un mélanome purement cutané, sans ganglion cancéreux le 12 novembre 2003, était encore curable par la simple chirurgie.

L'expert judiciaire après avoir analysé la totalité du dossier de la patiente, retraçant les différentes interventions et l'évolution rapide de la maladie a conclu que les cellules métastatiques ont suivi le trajet lymphatico-veineux, le 1er ganglion métastatique superficiel qui se trouvait isolé lors de la première intervention du chirurgien, à l'aine n'ayant pas encore contaminé les autres relais ganglionnaires en profondeur, et que, par élimination des diverses autres éventualités (mélanome des muqueuses, mélanome cutané du même membre inférieur ou du reste du revêtement cutané, mélanome métastasique d'emblée) le mélanome primitif était bien cette lésion du cou-de-pied faussement diagnostiquée par le docteur X..., dont le traitement à l'azote liquide a stimulé l'essaimage métastatique.

La conclusion finale de l'expert retient la présence d'un mélanome lors de la consultation du 12 novembre 2003 et écarte l'l'hypothèse d'un prurit veineux désigné par le docteur X... prurigo.

Le docteur X... n'apporte pas de critique pertinente de nature à invalider les opérations d'expertise qui se sont déroulées dans le respect total du débat contradictoire, les études et avis qu'il produit ne reposent que sur des éléments très partiels en méconnaissance de la totalité de l'histoire de la maladie et que dès lors une contre expertise n'est pas justifiée, l'expert judiciaire ayant quant à lui réalisé un travail complet et s'étant adjoint les avis de spécialistes.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise

Sur la responsabilité du docteur X...

Le régime de responsabilité applicable en l'espèce est celui défini à l'article L 1142-1 alinéa l du Code de la Santé Publique, selon lequel les professionnels de santé ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

L'expert, retenant que lors de la consultation du 12 novembre 2003, Madame Y...
Z... était porteuse d'un mélanome, affirme que l'erreur de diagnostic du docteur X... est une erreur grossière révélatrice de soins non attentifs.

L'absence de toute trace d'interrogatoire de la patiente, de toute description de la lésion traitée et l'erreur établie sur la localisation de celle-ci sont aussi des illustrations de cette négligence. Cette erreur est donc en elle-même fautive. Le traitement par cryothérapie est la suite de cette erreur fautive.

Il convient donc de retenir à l'encontre du Docteur X... l'existence d'une faute au sens de l'article L 1142-1 alinéa l du Code de la Santé Publique.

Le lien de causalité entre cette faute et le retard apporté aux soins appropriés, retard qui a abouti à un envahissement métastatique généralisé entraînant le décès de la patiente 9 mois plus tard, est établi par les constatations de l'expert selon lequel le mélanome primitif est la lésion du cou-de-pied faussement diagnostiquée par le docteur X... qui l'a traitée à l'azote liquide ce qui en a stimulé l'essaimage métastatique.

Il est donc établi que l'erreur de diagnostic et le traitement inapproprié appliqué, ont fait perdre à Madame Y...
Z... des chances très importantes d'éviter l'évolution rapide de la maladie et son issue fatale.

Les consorts Z...
Y... demandent par appel incident, d'évaluer cette perte de chance à 100 %, le docteur X..., demande à titre subsidiaire de la fixer à 20 %

Au regard des éléments précis du rapport d'expertise, rapportés ci-dessus et auxquels la cour se réfère, la perte de chance de survie pour Madame Y...
Z... sera évaluée à 70 %.

En conséquence le jugement déféré sera infirmé sur le taux de perte de chance de survie.

Sur l'indemnisation du préjudice des consorts Y...
Z...

1) Le préjudice économique

Les parties s'accordent sur le préjudice global de la famille : le revenu annuel du mari était de 14. 204 ¿, celui de son épouse de 11. 292 ¿, soit un revenu global de 25. 496 ¿. Compte tenu de la modicité de ce revenu et de la présence de 3 enfants au foyer, la part d'autoconsommation par Madame Y...
Z... doit être fixée à 15 % soit un solde de revenu de 21. 672 ¿ déduction faite du revenu du mari de 14. 204 ¿ la perte annuelle est de 7. 468 ¿. Elle doit être ventilée entre Monsieur Y...
Z... qui subit une perte de 40 % et les enfants qui subissent chacun une perte de 20 %.

a) Monsieur José Y...
Z... demande à la cour d'indemniser à 100 % son préjudice économique et de le fixer à la somme de 87. 525, 35 ¿.

Le docteur X... offre pour indemniser ce poste de préjudice la somme de 12. 223, 62 ¿ après application de la perte de chance à 20 %.

En ce qui concerne Monsieur Y...
Z..., celui-ci est né le 8 novembre 1960 ; son épouse était née le 1er avril 1959. Compte tenu des espérances de vie et du faible écart d'âge, il convient d'estimer que Monsieur Y...
Z... subira une perte annuelle de 2. 987, 20 ¿ (7468 ¿ X 40 %) jusqu'à son décès.

Du 1er août 2004 au 8 novembre 2013, date du dernier anniversaire de Monsieur Y...
Z... 53 ans la perte subie est de 27. 630 ¿.

En retenant l'euro de rente viagère 20, 052 la rente capitalisée pour l'avenir est de 59. 895, 35 ¿ (2. 987, 20 x 20, 052)

Le total du préjudice économique de Monsieur Y...
Z... doit donc être fixé à 87. 525, 35 ¿ (27. 630 ¿ + 59. 895, 35 ¿). Après application de la perte de chance de 70 %, le préjudice économique indemnisable de Monsieur Y...
Z... est de 61. 267, 75 ¿.

La CPAM de la Gironde lui a versé un capital décès de 4. 246, 20 ¿, après imputation de ce capital, il reviendra donc à Monsieur Y...
Z... la somme de 57. 021, 55 ¿.

b) Monsieur Raphaël Z... demande à la cour d'indemniser à 100 % son préjudice économique et de le fixer à la somme de 19. 416, 80 ¿

Le docteur X... offre pour indemniser ce poste de préjudice la somme de la somme de 1. 223, 26 ¿ en appliquant les 20 % et en limitant son préjudice économique à l'âge de 23 ans.

Le préjudice économique annuel de Raphaël Z... est de 20 % de 7. 468 ¿ soit 1. 493, 60 ¿. Contrairement à ce qu'il soutient dans ses écritures il n'est pas justifié qu'il soit encore totalement à la charge de son père et qu'il le sera jusqu'à l'âge de 30 ans. Il ressort des pièces qu'il produit lui même que depuis, au moins le mois de novembre 2011 et jusqu'en mai 2012 il a été bénéficiaire de l'allocation d'aide au retour à l'emploi pour un montant journalier de 31, 80 ¿ soit sur 30 jours la somme de 954 ¿. Il ne justifie ni de sa situation antérieure au mois de novembre 2011, ni de celle postérieure au mois de mai 2012.

C'est donc par de justes motifs, non contredits par les derniers éléments produits, que le jugement déféré a retenu le préjudice économique de Raphaël Z... sur une durée de 5 ans après le décès de sa mère.

Il s'ensuit que total de la perte est de 7. 468 ¿ (1. 493, 60 ¿ X 5) et après application du taux de perte de chance de 70 % il lui reviendra la somme de 5. 227, 60 ¿.

c) Mlle Mélanie Z... demande à la cour d'indemniser à 100 % son préjudice économique et de le fixer à la somme de 12. 055, 20 ¿.

Le docteur X... offre pour indemniser ce poste de préjudice la somme de 1. 782, 46 ¿.

Mlle Mélanie Z... était âgée de 11 ans au jour du décès de sa mère. Il est justifié par les pièces produites qu'elle n'est plus à la charge de son père depuis le 26 août 2012, son préjudice économique annuel évalué à la somme de 1. 493, 60 ¿ a donc duré 8 ans et 26 jours. Il sera donc fait droit à sa demande à hauteur de 12. 055, 20 ¿ (1. 493, 60 x 8 ans x (1. 493, 60/ 365 jrs) x 26 jrs) et après application du taux de perte de chance de 70 %, il lui reviendra la somme de 8. 438, 64 ¿

d) Mlle Priscilla Z... demande à la cour d'indemniser à 100 % son préjudice économique et de le fixer à la somme de 21. 016, 20 ¿

Le docteur X... propose en ce qui la concerne la somme de 2. 016, 36 ¿ au titre du préjudice économique en appliquant les 20 %, en limitant son préjudice économique à l'âge de 20 ans.

Contrairement à ce qu'elle soutient, elle ne rapporte pas la preuve que sa formation de coiffeuse déjà évoquée devant le tribunal n'ait pas abouti à un emploi. Les pièces qu'elle produit pour justifier sa demande d'indemnisation de son préjudice économique sont des bulletins scolaires des années 2005/ 2006 et 2006/ 2007 alors qu'elle était encore au collège. Elle ne fournit aucun élément sur sa situation actuelle

Le docteur X... propose d'indemniser son préjudice économique jusqu'à l'âge de 20 ans soit sur une durée de 9 ans. Ce mode de calcul sera donc retenu à défaut de justificatif actualisé de sa situation.

Son préjudice économique sera fixé à la somme de 13. 442, 40 ¿ (1. 493, 60 ¿ x 9 ans), il lui sera donc alloué à ce titre après application de la perte de chance de 70 % la somme de 9. 409, 68 ¿.

2) Le préjudice au titre de l'activité familiale de Madame Y...
Z...

Monsieur Y...
Z... demande la confirmation qui lui a été allouée à ce titre par le tribunal sauf à l'indemniser à 100 % soit la somme de 15. 000 ¿.

Le docteur X... conclut au débouté au titre de cette demande en raison du principe de réciprocité des conjoints dans la participation aux tâches domestiques et faute de démonstration d'un préjudice économiquement évaluable de ce chef.

C'est par de justes motifs auxquels la cour se réfère expressément et qu'elle adopte que le tribunal a évalué à la somme de 15. 000 ¿ le préjudice subi par Monsieur Y...
Z... de ce chef. Il lui reviendra donc après application de la perte de chance à 70 % la somme de 10. 500 ¿, que le docteur X... sera condamné à lui payer.

3) Le préjudice d'affection

Les consorts Y...
Z... demandent la confirmation des sommes qui leur ont été allouées de ce chef par le tribunal sauf à leur accorder une indemnisation à 100 %

Le docteur X... s'en remet à l'appréciation du tribunal sur l'évaluation du préjudice d'affection de chacun des consorts Y...
Z... sauf à y appliquer le taux de perte de chance à 20 %.

La cour ayant retenu une perte de chance de 70 %, les sommes revenant aux consorts Y...
Z... de ce chef seront fixées comme suit :
* Monsieur José Y...
Z... 21. 000 ¿ (30. 000 ¿ X 70 %)
* Monsieur Raphaël Z... 19. 600 ¿ (28. 000 ¿ X 70 %)
* Mlle Mélanie Z... 17. 500 ¿ (25. 000 ¿ X 70 %)
* Mlle Priscilla Z... 17. 500 ¿ (25. 000 ¿ X 70 %)

Les sommes dues par le docteur X... au titre des préjudices des consorts Y...
Z... porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et seront capitalisés par année entière conformément à la demande.

Sur la demande de la CPAM de la Gironde

La CPAM de la Gironde demande la condamnation du docteur X... à lui verser à la somme de 4 246, 20 ¿, au titre du remboursement des débours qu'elle a exposés pour son assurée, la somme de 1. 028 ¿ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion avec intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, et application des dispositions de l'article 1154 du Code Civil, ainsi que la somme de 300 ¿ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Il sera fait intégralement droit à sa demande justifiée par les pièces produites et non contestée par les parties.

* * *

Il sera fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des consorts Y...
Z... et de la CPAM.

Le docteur X... qui succombe en toutes ses demandes sera condamné à supporter les entiers dépens de la procédure, de référé de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS
La cour

-Déclare recevable l'intervention volontaire de Mlles Mélanie et Priscilla Z...

- Dit n'y avoir lieu d'ordonner une nouvelle expertise

-Infirme le jugement déféré

Statuant à nouveau

-Déclare le Docteur Jean-Michel X... responsable par sa faute d'une perte de chance de 70 % d'éviter l'évolution fatale de la maladie dont a été victime Maria Adélaïde Y...
Z...,

- Condamne le docteur X... à verser à Monsieur José Y...
Z... :
* la somme de 57. 021, 55 ¿ au titre du préjudice économique
* la somme de 21. 000 ¿ au titre du préjudice d'affection
* la somme de 10. 500 ¿ au titre de l'activité familiale

-Condamne le docteur X... à verser à Monsieur Raphael Z... :
* la somme de 5. 227, 60 ¿ au titre du préjudice économique
* la somme de 19. 600 ¿ au titre du préjudice d'affection

-Condamne le docteur X... à verser à Mlle Mélanie Z... :
* la somme de 8. 438, 64 ¿ au titre du préjudice économique,
* la somme de 17. 500 ¿ au titre du préjudice d'affection

-Condamne le docteur X... à verser à Mlle Priscilla Z... :
* la somme de 9. 409, 68 ¿ au titre du préjudice économique
* la somme de 17. 500 ¿ au titre du préjudice d'affection

-Condamne le docteur X... à verser à Monsieur José Y...
Z..., Monsieur Raphael Z... et Mlles Mélanie et Priscilla Z... la somme de 2. 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que sommes dues par le docteur X... au titre des préjudices des consorts Y...
Z... porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et seront capitalisés par année entière

-Condamne le docteur X... à verser à la CPAM de la Gironde :
* la somme de 4. 246, 20 ¿ en remboursement du capital décès avec intérêts au taux légal et capitalisation annuelle des intérêts,
* la somme de 1. 028 ¿ au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion avec intérêts au taux légal et capitalisation annuelle des intérêts,
* la somme de 300 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne le docteur X... aux entiers dépens de l'instance y compris ceux de référé et le coût de l'expertise et autorise Maître Delphine Bron et Maître Max Bardet à recouvrer directement ceux dont ils ont fait l'avance.

Le présent arrêt a été signé par Henriette Filhouse, Présidente, et par Sylvie Hayet, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

S. Hayet H. Filhouse


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 10/05323
Date de la décision : 26/11/2014

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-11-26;10.05323 ?
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