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05/05/2009 | FRANCE | N°06/02775

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Ct0256, 05 mai 2009, 06/02775


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05 Mai 2009
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Fatima X... veuve Y... Z...
C /
Le ministère de la défense
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06 / 02775
COUR D'APPEL DE BORDEAUX

COUR RÉGIONALE DES PENSIONS

ARRÊT DU :

cinq mai deux mille neuf

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

APPELANT :

d'un jugement (R. G. 04 / 45) rendu le 02 juin 2006 par l

e Tribunal Départemental des Pensions Militaires de la GIRONDE suivant déclaration d'appel en date du 12 juillet 2006,

M...

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05 Mai 2009
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Fatima X... veuve Y... Z...
C /
Le ministère de la défense
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06 / 02775
COUR D'APPEL DE BORDEAUX

COUR RÉGIONALE DES PENSIONS

ARRÊT DU :

cinq mai deux mille neuf

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

APPELANT :

d'un jugement (R. G. 04 / 45) rendu le 02 juin 2006 par le Tribunal Départemental des Pensions Militaires de la GIRONDE suivant déclaration d'appel en date du 12 juillet 2006,

Madame Fatima X... veuve Y... Z...
...,

absente,
représenté par maître Emmanuel BOURGEOIS, avocat au barreau de Bordeaux,
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2008 / 010154 du 03 / 07 / 2008 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Bordeaux)

INTIME :

Le Ministère de la défense
Cité Administrative, Rue Jules Ferry BP 80
33090 BORDEAUX CEDEX,

représenté par Madame A..., Commissaire du Gouvernement

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Monsieur Bernard BESSET, Président de Chambre,
Monsieur Bernard ORS, Conseiller,
Monsieur Michel BARRAILLA, Conseiller,
désignés par ordonnance de Monsieur le Premier Président en date du 12 décembre 2008,

En présence de Madame A..., Commissaire du Gouvernement,

Assistés de Madame Martine MASSÉ, Greffier,

DÉBATS :

A l'audience publique du 17 Mars 2009, l'affaire a été mise en délibéré au 05 Mai 2009.

Après quoi, la Cour a rendu l'arrêt contradictoire suivant prononcé par Monsieur Bernard Besset, Président, à l'audience publique du 05 Mai 2009, après qu'il en ait été délibéré par les magistrats du siège ayant assisté aux débats.

Vu le jugement du tribunal des pensions militaires de la Gironde en date du 2 juin 2006,

Vu l'appel de Mme veuve Y... formé le 3 août 2006,

Vu l'arrêt avant dire droit en date du 18 mars 2008.

Mme veuve Y... assistée de son conseil demande à la cour d'infirmer la décision du tribunal des pensions militaires et de condamner le ministère de la défense à lui verser :
- les arrérages de la pension d'invalidité dues à son mari du 7 septembre 1993 au 25 janvier 1999, date de son décès
-la pension de réversion à compter du 25 janvier 1999
- la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que son mari pouvait prétendre au renouvellement de sa pension d'invalidité en 1993 à l'issue de la seconde période triennale, en l'absence de décision de rejet. Elle invoque le principe de non discrimination résultant de l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme et également de l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen du 26 février 1996.
Elle conteste l'application de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 ainsi que l'application de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 telles que formulées par l'administration. Enfin elle considère qu'elle est fondée à solliciter une pension de réversion, en qualité de conjoint survivant, le décès de son mari ayant été causé par des maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service.

Le commissaire du gouvernement a conclu à la confirmation de la décision déférée. Il indique que la demande initiale de Mme veuve Y... ne concernait que les arrérages dont elle était susceptible de bénéficier dans le cadre du renouvellement de la pension dont bénéficiait son mari pour la période antérieure au 7 septembre 1993. Il soutient que l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 fixe au 31 décembre 1960 la date limite à partie de laquelle l'état français a cessé de reconnaître tout droit nouveau au titre du code des pensions militaires d'invalidité aux ressortissants marocains, que par ailleurs l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 ne peut s'appliquer que pour les demandes de révision de pension formulées postérieurement au 31 décembre 2002, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Il précise que la demande de pension de réversion doit en toute hypothèse être rejetée comme non conforme aux conditions exigées par les articles L 43 et 45 du code des pensions militaires d'invalidité.

Motifs de la décision

M. Y... Z..., de nationalité marocaine, a servi dans l'armée française entre 1939 et 1945 en Indochine. Il a bénéficié d'une pension militaire temporaire d'invalidité au taux de 20 % pour dysenterie amibienne, par arrêté du 28 novembre 1989 pour la période du 7 septembre 1987 au 6 septembre 1990, puis par arrêté du 23 octobre 1990 pour la période 7 septembre 1990 au 6 septembre 1993. Par lettre du 9 mai 1994, M. Y... Z... a demandé la reconduction de ses droits à pension ; il lui a été répondu par courrier du 1er juin 1994 que le dossier était gardé en instance dans l'attente de la parution du décret dérogatoire aux dispositions de l'article 71 de la loi de finances du 26 décembre 1959. M. Y... Z... étant décédé le 25 janvier 1999, il a été notifié à ses héritiers la décision en date du 15 mars 2004 rejetant le droit à renouvellement de pension d'invalidité à compter du 7 septembre 1993 en application de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959 et de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002. Mme veuve Y... s'est pourvue contre la décision le 25 juin 2004 devant le tribunal des pensions militaires de la Gironde qui a rendu le 2 juin 2006 le jugement soumis à l'appréciation de la cour.

Aux termes de l'article 71 de la loi du 26 décembre 1959, à compter du 1er janvier 1961, les pensions rentes ou allocations viagères imputées sur le budget de l'état ou d'établissements publics, dont sont titulaires les nationaux des pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française et à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France, seront remplacées pendant la durée normale de leur jouissance personnelle par des indemnités annuelles en francs, calculées sur la base des tarifs en vigueur pour lesdites pensions ou allocations à la date de leur transformation.

L'article 68-6 de la loi du 30 décembre 2002 prévoit que les prestations servies au titre de l'article 71 précédemment visé, peuvent faire l'objet à compter du 1er janvier 2003 d'une révision, que l'application du droit des pensions et la situation de famille sont appréciées à la date d'effet des dispositions visées par l'article 71 pour chaque état concerné, soit pour le Maroc au 1er janvier 1961.

Au regard de ces textes l'administration a considéré que Mme veuve Y... ne pouvait prétendre à aucun droit à pension au nom des son mari défunt, pour une demande formulée en 1994, soit avant le 1er janvier 2003, en l'absence de rétroactivité de la loi du 30 décembre 2002.

Il convient de relever que les pensions militaires d'invalidité représentent le paiement d'une dette de reconnaissance de la nation envers ceux qui ont lutté pour la défense de la patrie ou ont été victimes de cette lutte. La différence de situation existant entre d'anciens militaires de la France, selon s'ils ont la nationalité française ou sont ressortissants d'états devenus indépendants, ne justifie pas, eu égard à l'objet des pensions d'invalidité, une différence de traitement. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 26 décembre 1959 que les dispositions litigieuses avaient notamment pour objectif de tirer les conséquences de l'indépendance des pays mentionnés à cet article et de l'évolution désormais distincte de leur économie et de celle de la France qui privait de justification la revalorisation de ces pensions en fonction de l'évolution des traitements servis aux agents de l'état. Cependant la différence de traitement qu'elles créent en raison de leur nationalité, entre les bénéficiaires de pension, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif.

Une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue est discriminatoire, au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est à dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique, ou si elle n'est pas fondée sur des critères rationnels en rapport avec l'objet de la loi.

Il en résulte que, comme le soutient Mme veuve Y..., les dispositions des articles 71 et 68-6 précités créent une différence de traitement en fonction de la seule nationalité et qu'elles sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne qui prévoit l'absence de distinction fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

Par ailleurs au surplus, Mme veuve Y... invoque également l'article 65 de l'accord euro-méditerranéen CE-Maroc du 26 février 1996 qui prévoit que les travailleurs de nationalité marocaine et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient dans le domaine de la sécurité sociale, visant expressément les prestations d'invalidité, d'un régime caractérisé par l'absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux ressortissants des états membres dans lesquels ils sont occupés. La CJCE a expressément jugé que cet accord était applicable aux bénéficiaires d'une pension militaire d'invalidité (ordonnance en date du 13 juin 2006). Si la maladie de M. Y... Z... est survenue avant l'entrée en vigueur de l'accord euro-méditerranéen, les conséquences futures telles que la possibilité de bénéficier d'une pension militaire d'invalidité au titre des séquelles de cette maladie sont régies par ledit accord, l'application de ce dernier à une telle demande de pension ne pouvant être considérée comme affectant une situation acquise antérieurement à cette entrée en vigueur. Ainsi la demande de M. Y... Z... formulée en 1994 aurait dû recevoir une réponse en application du droit conventionnel (accord euro-méditerranéen) et non en application de la loi interne du 31 décembre 2002.

Dès lors ces textes conventionnels (articles 71, 68-6 et 65) doivent s'appliquer au nom de la hiérarchie des normes posée par l'article 55 de la constitution.

Sur le fond, comme le soutient Mme veuve Y..., en application des articles L 7 et L 8 du code des pensions militaires son mari, en l'absence de décision de rejet susceptible de produire effet à l'issue de la deuxième période triennale (7 septembre 1990-6 septembre 1993), était fondé à obtenir le renouvellement de sa pension temporaire d'invalidité pour une troisième période triennale et à l'issue d'un délai total de 9 ans, soit à compter du 7 septembre 1996, à obtenir la conversion de sa pension temporaire en pension définitive, l'incurabilité des infirmités étant établie (certificat du 20 septembre 1990 portant la mention " maintien consolidé ").

Par contre Mme veuve Y... ne peut prétendre à pension de réversion en application de l'article 43 du code des pensions militaires : d'une part la pension de son mari étant inférieure au taux minimum de 60 % prévu par le texte, d'autre part à défaut de pouvoir établir que le décès est imputable au service.

La décision du tribunal des pensions militaires sera en conséquence pour partie infirmée.

Mme veuve Y... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle, son avocat est fondé à se prévaloir des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et 700 du code de procédure civile. Il y a lieu, sous réserve que maître Bourgeois renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'état, de condamner le ministre de la défense à payer à Mme veuve Y... la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS

LA COUR :

Vu le Code des Pensions Militaires d'Invalidité et des victimes de guerre ;

Vu le décret du 20 Février 1959, relatif aux juridictions des pensions ;

Après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Confirme la décision du tribunal des pensions militaires de la Gironde en date du 2 juin 2006 en ce qu'elle a débouté Mme veuve Y... de sa demande de pension de réversion.

Infirme pour le surplus,

Dit que Mme veuve Y... peut prétendre aux arrérages de la pension d'invalidité que son mari aurait dû percevoir du 7 septembre 1993 au 25 janvier 1998 pour dysenterie amibienne au taux de 20 %.

Condamne le ministère de la défense à payer à Mme veuve Y... la somme de 800 € au titre des frais irrépétibles en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Signé par Bernard Besset, président, et par Martine Massé, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Ct0256
Numéro d'arrêt : 06/02775
Date de la décision : 05/05/2009

Analyses

SECURITE SOCIALE, REGIMES SPECIAUX - Militaires - Assurances sociales -

Les dispositions de l'article 71de la loi de finances du 26 décembre 1959 et de l'article 68-6 de la loi de finances du 30 décembre 2002, fixant notamment les conditions d'application du droit des pensions militaires pour les ressortissants marocains ayant combattu dans l'armée française, créent une différence de traitement en fonction de la seule nationalité et sont incompatibles avec les stipulations de l'article 14 de la convention européenne des droits de l'homme.


Références :

article 71de la loi de finances n° 59-1454 du 26 décembre 1959, article 68-6 de la loi de finances n° 2002-1575 du 30 décembre 2002, article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'hommme et des libertés fondamentales.

Décision attaquée : Tribunal départemental des Pensions militaires de la Gironde, 02 juin 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2009-05-05;06.02775 ?
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