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21/12/2007 | FRANCE | N°06/03536

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, Ct0123, 21 décembre 2007, 06/03536


ARRET RENDU PAR LA
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
--------------------------
Le : 21 Décembre 2007
No de rôle : 06 / 03536
Madame Claire X... épouse Y...
C /
Le BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE PERIGUEUX
Nature de la décision : AU FOND MATIERE DISCIPLINAIRE

Grosse délivrée le :
à :
Le 21 Décembre 2007
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, Première et Troisième Chambres réunies, a, dans l'affaire opposant :
Madame Claire X... épouse Y... née le 02 Décembre 1961 à PAU (64000) de nationalité Française demeurant ...

prés

ente et assistée de la SCP TONNET-GOUYON-LESPRIT-BAUDOUIN, avocats au barreau de BORDEAUX
auteur d'un recours à ...

ARRET RENDU PAR LA
COUR D'APPEL DE BORDEAUX
--------------------------
Le : 21 Décembre 2007
No de rôle : 06 / 03536
Madame Claire X... épouse Y...
C /
Le BATONNIER DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE PERIGUEUX
Nature de la décision : AU FOND MATIERE DISCIPLINAIRE

Grosse délivrée le :
à :
Le 21 Décembre 2007
La COUR d'APPEL de BORDEAUX, Première et Troisième Chambres réunies, a, dans l'affaire opposant :
Madame Claire X... épouse Y... née le 02 Décembre 1961 à PAU (64000) de nationalité Française demeurant ...

présente et assistée de la SCP TONNET-GOUYON-LESPRIT-BAUDOUIN, avocats au barreau de BORDEAUX
auteur d'un recours à l'encontre de la décision du Conseil de discipline des barreaux de la Cour d'appel de Bordeaux en date du 15 juin 2006
D'une part,
ET :
Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats du barreau de Périgueux (Dordogne) représenté par Maître Patrice Z... bâtonnier, présent
D'autre part,
Rendu par mise à disposition au Greffe l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue en audience solennelle et publique le 07 Décembre 2007 devant :
Monsieur Bertrand LOUVEL, Premier Président,
Monsieur Franck LAFOSSAS, Président de Chambre,
Madame Catherine MASSIEU, Président de Chambre,
Monsieur Michel BARRAILLA, Conseiller,
Madame Elisabeth LARSABAL, Conseiller,
En présence de Monsieur Jacques DEFOS DU RAU, Avocat Général,
assistés de Madame Martine MASSÉ, Greffier,
et qu'il en a été délibéré par les magistrats du siège ci-dessus désignés.
A l'ouverture des débats, Monsieur le Premier Président a présenté le rapport suivant :
Le 16 décembre 2005 se tenait au Palais de Justice de PERIGUEUX l'élection du nouveau Bâtonnier suivie de celle de quatre membres du Conseil de l'Ordre partiellement renouvelable. Le Bâtonnier sortant, Maître Y...-X..., candidate à l'élection au Conseil de l'Ordre, présidait l'assemblée générale du barreau et se trouvait pour ce faire sur l'estrade de la cour d'assises.
L'élection du successeur de Maître Y..., Maître Z..., s'est déroulée normalement et l'assemblée est ensuite passée à celle des quatre membres du Conseil de l'Ordre.
A l'issue de ce dernier vote, Maître Y... a procédé à la lecture des bulletins, assistée de 2 scrutateurs, Maître B... et Maître C..., et d'un secrétaire, Maître A....
Sur 72 votes et 71 suffrages exprimés, le résultat a alors donné 56 voix à Maître Y... et 54 à Maître E..., les autres candidats n'obtenant pas la majorité absolue, de sorte que Maître Y... a fait procéder à un second tour pour les deux derniers membres du Conseil de l'Ordre à élire.
Alors qu'il venait d'être procédé à ce second tour, des avocats qui s'étaient étonnés des résultats du premier tour sollicitèrent qu'on recompte le résultat de ce premier tour dont les bulletins avaient été déposés sur un fauteuil situé derrière Maître Y... puis rangés par Maître B... dans la sacoche de Maître A....
Maître Y... s'étant opposée à ce nouveau comptage, l'assemblée décida de passer outre, et il fut alors procédé à deux recomptages successifs du premier tour avec deux bureaux différents constitués de trois avocats chacun. Ces deux recomptages donnèrent le même résultat, différent de celui obtenu à l'issue de la lecture de Maître Y..., à savoir que celle-ci, au lieu d'obtenir 56 voix, n'en avait plus que 12. Trois avocats obtenaient la majorité absolue, à savoir, outre Maître E..., Maître F... et Maître A... qui passaient respectivement de 34 à 49 voix et de 29 à 49 voix entre le dépouillement par Maître Y... et les deux autres qui l'ont suivi.
En l'état de cet incident auquel Maître Y... ne fournissait aucune explication, il fut décidé de reporter le second tour, qui eut lieu le 13 janvier 2006 et où fut élu Maître G..., et d'appeler un huissier, Maître DEXTERAT, auquel fut confié le matériel électoral.
Cet incident fut suivi le 19 décembre 2005 de la démission du barreau de PERIGUEUX de Maître Y... qui reprit cette démission le lendemain.
Maître Z..., nouveau Bâtonnier, saisit le 2 janvier 2006 le Conseil de discipline régional d'une action disciplinaire contre Maître Y... fondée sur l'altération des résultats du vote du 16 décembre 2005, et le 13 janvier 2006, le Conseil de l'Ordre autorisa Maître Z... à délivrer à Maître Y... une citation correctionnelle pour fraude électorale, tout en désignant à la même réunion deux rapporteurs pour instruire sur l'action disciplinaire, Maître I... et Maître J....
De son côté, Maître Y... introduisait deux actions devant la cour d'appel. L'une tendait à l'annulation du scrutin des 16 décembre 2005 et 13 janvier 2006 concernant l'élection des membres du Conseil de l'Ordre. Par arrêt du 17 mars 2006, la Cour annulait ces élections en raison des irrégularités concernant le dépouillement et la conservation des bulletins du premier tour, ce qui ne permettait pas de s'assurer de la sincérité du scrutin. Les nouvelles élections auxquelles il a été procédé le 6 avril 2006 ont confirmé les résultats annulés : les quatre avocats dont l'élection avait été invalidée ont été réélus dès le premier tour avec des scores compris entre 60 et 70 voix.
Maître Y... saisit aussi la Cour d'une requête en suspicion légitime contre les rapporteurs qui avaient participé au vote du 13 janvier 2006 autorisant le Bâtonnier à exercer des poursuites correctionnelles, mais, par arrêt du 27 février 2006, la Cour considérait que cette circonstance ne permettait pas de retenir un parti pris sur la culpabilité.
La Cour était saisie par ailleurs d'une troisième action tendant à la suspension provisoire de Maître Y..., mais elle rejetait aussi cette requête par arrêt du 28 avril 2006 en raison du caractère exceptionnel d'une telle mesure.
Parallèlement, les rapporteurs procédaient à leur enquête au cours de laquelle ils entendraient notamment une quarantaine d'avocats témoins des faits à qui ils présentèrent les photographies des bulletins de vote de l'élection litigieuse prises par Maître FLEUREUX, huissier désigné par ordonnance présidentielle ayant procédé le 25 janvier 2006 à un quatrième comptage des bulletins remis le 16 décembre 2005 à Maître DEXTERAT. Le résultat de ce quatrième comptage fut conforme aux deuxième et troisième comptages réalisés le jour de l'élection. Devant les rapporteurs,62 bulletins furent reconnus comme écrits de leurs mains par les avocats entendus sur les photographies qui leur furent présentées.
Le 11 mai 2006, les rapporteurs déposaient leurs conclusions selon lesquelles ils estimaient que Maître Y... avait énoncé des noms qui ne figuraient pas sur les bulletins qu'elle était chargée de lire, aucune autre possibilité logique ne pouvant être présentée pour expliquer l'anomalie constatée.
Par décision du 15 juin 2006, le Conseil de discipline rejetait d'abord diverses exceptions de nullité affectant le rapport soulevées par Maître Y....
En premier lieu, Maître Y... faisait valoir que la désignation des rapporteurs était nulle puisque faite le 13 janvier 2006 avec la participation d'élus dont l'élection a été ultérieurement annulée. Sur ce point, le Conseil de discipline a estimé que le recours en annulation des élections de Maître Y... n'avait pas d'effet suspensif et donc que la composition du Conseil de l'Ordre était régulière au jour où il s'est prononcé.
En second lieu, Maître Y... a fait valoir que la désignation des rapporteurs violait le principe d'impartialité dès lors qu'ils avaient participé à la délibération autorisant le Bâtonnier à exercer des poursuites pénales, et que l'associé d'un des deux rapporteurs avait accusé publiquement Maître Y... de " tricherie éhontée et flagrante " en utilisant le papier à lettre de la SCP. Sur ces deux points, le Conseil de discipline a répondu que les rapporteurs ne forment pas une juridiction de jugement à laquelle s'applique le principe d'impartialité, et que Maître J... n'était pas engagé par les écrits personnels de son associé Maître L....
En troisième lieu, Maître Y... a soutenu que les auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé étaient nulles pour avoir méconnu le principe de la contradiction posé par l'article 189 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat selon lequel le rapporteur peut entendre contradictoirement toute personne susceptible d'éclairer l'instruction. Or, les confrères entendus par les rapporteurs l'ont été sans que Maître Y... soit appelée à assister à ces auditions.
A ce moyen, le Conseil de discipline a répondu que le texte, en usant du verbe pouvoir, n'offre qu'une faculté au rapporteur d'entendre contradictoirement les témoins, mais ne le lui impose pas. D'ailleurs, ajoute le Conseil de discipline, Maître Y... a eu connaissance de l'ensemble des dépositions et elle n'a pas
demandé d'actes complémentaires aux rapporteurs qui lui ont accordé un délai pour cela avant de remettre leurs conclusions.
En quatrième lieu, Maître Y... a encore fait valoir que les rapporteurs auraient eu recours à des moyens de preuve non légalement admissibles. Il en serait allé ainsi de l'audition du Bâtonnier, autorité de poursuite, qui n'aurait pu être entendu comme témoin. De même, le procédé consistant à faire identifier leurs bulletins de vote par les avocats sur des photographies sans qu'ils désignent précisément le bulletin qu'ils reconnaissent, ne permet pas la contradiction. D'ailleurs, ces bulletins auraient été saisis par l'huissier irrégulièrement en raison de l'heure tardive à laquelle il a été appelé.
Le Conseil de discipline a écarté aussi ces moyens en relevant que le bâtonnier avait été témoin des faits et pouvait être entendu comme tel, que le secret du vote ne permettait pas d'exiger des témoins qu'ils désignent leur bulletin, et qu'enfin l'huissier pouvait instrumenter à toute heure pour de simples opérations de constat.
Passant à l'examen du fond, le Conseil de discipline estimait que les bulletins lus par Maître Y... au premier comptage n'avaient pas pu être remplacés avant les deuxième et troisième comptages. Ceci aurait supposé que d'éventuels fraudeurs fabriquent dans un temps très court estimé à une demi-heure par les rapporteurs le même nombre de bulletins (71 exprimés) rédigés d'écritures différentes si bien imitées que les votants auraient reconnu ces bulletins comme étant les leurs, et que ces fraudeurs parviennent à remplacer les vrais bulletins par des faux en s'introduisant sur l'estrade où siégeait le bureau de vote, alors que personne n'a été vu agissant de la sorte.
Le Conseil de discipline concluait que les bulletins de vote relus deux fois, photographiés par huissier et authentifiés par les électeurs, étaient bien ceux que Maître Y...-X... avait eus entre les mains mais qu'elle a lus de manière erronée, en s'attribuant en particulier 44 voix qui ne s'étaient pas portées sur son nom.
En conséquence, considérant la nature des faits contraires à la probité et à l'honneur et estimant que seule la radiation leur était adaptée, le Conseil de discipline prononçait cette sanction contre Maître Y... qui a relevé appel de la décision.
Le tribunal correctionnel de Poitiers saisi des poursuites pénales par ailleurs exercées contre Maître Y... ne s'étant pas encore prononcé, la Cour de BORDEAUX, saisie du recours disciplinaire de Maître Y..., a décidé de surseoir à statuer par arrêt du 15 décembre 2006 dans l'attente de l'issue de la procédure pénale afin d'éviter tout risque de contrariété de décisions, tout en relevant que les charges pesant sur Maître Y... étaient établies non par des preuves positives mais par un raisonnement négatif excluant toute autre explication qu'une fraude de sa part.
Depuis cet arrêt, le tribunal correctionnel a statué par un jugement du 26 avril 2007 définitif qui a relaxé Madame Y... après avoir constaté, d'une part, que sa saisine reposait sur l'article L. 94 du code électoral applicable aux élections politiques mais non aux élections ordinales, et, d'autre part, que la qualification de faux qui lui était proposée à titre subsidiaire ne pouvait être retenue en l'absence de rédaction d'un support écrit, en l'espèce le procès-verbal falsifié de l'élection dont l'établissement a été empêché par la découverte de la supercherie. En effet, le tribunal correctionnel n'a pas recherché si cette circonstance permettait de retenir la qualification de tentative de faux qui ne paraît pas lui avoir été proposée, de sorte que la relaxe a été prononcée faute d'élément légal.
Toutefois, le tribunal a procédé à l'audition contradictoire de 12 avocats témoins dont il rapporte dans son jugement les dépositions. Le tribunal a notamment relevé qu'il résultait de ces témoignages que les bulletins de vote, après avoir été déposés par Claire Y...-X... sur un siège derrière elle, avaient été remis par Maître B... à Maître A... qui les a recomptés en présence de deux nouveaux assesseurs, que l'hypothèse d'un complot supposant la fabrication puis la substitution des 72 bulletins de vote à l'insu ou avec la complicité des 47 avocats confrères de la prévenue n'apparaît dès lors absolument pas crédible, que Maître Y...-X... n'apporte aucun élément permettant d'imaginer dans quelles conditions une machination consistant, pour lui nuire, à élaborer en moins d'une heure 72 nouveaux bulletins contenant tous chacun 4 noms et portant des écritures différentes, aurait pu être mise en oeuvre, et qu'il existe en conséquence un faisceau d'indices permettant de se convaincre que Madame Y...-X... a faussement lu les bulletins de vote qu'elle dépouillait.
Devant la cour où l'instance disciplinaire est aujourd'hui poursuivie à la suite de ce jugement correctionnel, Madame Y...-X... reprend les divers moyens de nullité dont le Conseil de discipline a déjà eu à connaître. Elle précise que les moyens présentés à l'appui de la nullité du rapport ont pour effet de vicier la procédure de telle manière que la cour ne serait pas autorisée à évoquer si elle devait annuler le rapport. En effet, selon Madame Y...-X..., le rapport est un élément substantiel de la procédure disciplinaire sans lequel l'instance disciplinaire ne peut être régulièrement saisie. Si le rapport est nul, c'est donc la saisine du conseil de discipline qui s'en trouve affectée, sa décision encourt elle-même ipso facto la nullité de ce chef, et la cour ne peut évoquer et statuer après avoir prononcé cette nullité, comme dans tous les cas de nullité du jugement pour irrégularité de la saisine du premier juge.
Ce n'est qu'à titre subsidiaire que Madame Y...-X... aborde le fond pour indiquer qu'il ne lui appartient pas de fournir d'explication à la différence opposant son décompte de bulletins à ceux qui l'ont suivi, que c'est à l'autorité de poursuite qu'il incombe de démontrer sa culpabilité, ce qu'elle ne fait pas positivement ainsi que la cour l'a relevé dans son arrêt de sursis à statuer, et que les motifs du tribunal correctionnel sont dépourvus de l'autorité de la chose jugée.
Monsieur le Bâtonnier de PERIGUEUX a pris des écritures qui s'appuient pour l'essentiel sur la décision su Conseil de discipline. Toutefois, elles comportent deux éléments nouveaux au regard des moyens développés en première instance.
Tout d'abord, le Bâtonnier soutient que les motifs par lesquels le tribunal correctionnel de POITIERS a estimé matériellement établie la fraude imputée à Madame Y...-X... auraient acquis l'autorité de la chose jugée en dépit de la relaxe prononcée seulement pour absence d'élément légal.
Ensuite, le Bâtonnier soutient que le bulletin de vote de Madame Y...-X... dans le scrutin contesté est reconnaissable sur les photographies faites par l'huissier et il désigne ce bulletin, alors que Madame Y...-X... prétend ne pas reconnaître son bulletin de vote à la différence de ses confrères qui ont reconnu les leurs. Le Bâtonnier produit des pièces de comparaison de l'écriture de Madame Y...-X... qui pourraient servir à une expertise de cette écriture si la cour estimait cette expertise nécessaire.
Sur le premier point, Madame Y...-X... invoque que les motifs du jugement du tribunal correctionnel qui ne sont pas le soutien nécessaire du dispositif de relaxe n'ont aucune autorité, et que décider le contraire reviendrait à la priver d'un procès équitable puisqu'elle n'avait aucun intérêt à relever appel de ce jugement qui la relaxait et qu'elle ne pouvait donc en critiquer seulement les motifs par la voie d'un appel.
Sur le second point, Madame Y...-X... fait valoir que l'arrêt de la cour du 17 mars 2006 qui a annulé les élections ordinales est irrévocable par l'effet de la déchéance du pourvoi de l'Ordre constaté le 22 novembre 2007 faute de dépôt de mémoire dans le délai légal, et que le matériel de ces élections, et en particulier les bulletins de vote, sont ainsi privés de tout crédit. A tout le moins, ajoute-t-elle, il conviendrait de comparer le bulletin contesté avec ceux qu'elle a rédigés pour l'élection du Bâtonnier et le second tour de l'élection des membres du Conseil de l'Ordre.
Outre ces éléments nouveaux, la cour est saisie des questions de procédure déjà soumises à l'instance disciplinaire du premier degré et qu'il convient pour la clarté des débats d'examiner chronologiquement en trois groupes : 1. Celles qui intéressent la régularité de la désignation des rapporteurs et les effets d'une irrégularité sur la validité du rapport.

2. Celles qui intéressent les conditions dans lesquelles les rapporteurs ont rempli leur mission et leurs effets sur la validité de tout ou partie du rapport.
3. L'effet d'une éventuelle nullité du rapport sur la régularité de l'instance disciplinaire.
Enfin, les débats aborderont le fond des griefs imputés à Maître Y....
1. Pour ce qui est de la désignation des rapporteurs, trois moyens de nullité sont soulevés qui seraient de nature à affecter en totalité la validité du rapport s'ils étaient retenus.
a. Le premier concerne la régularité même de la délibération du Conseil de l'Ordre datée du 13 janvier 2006 qui a désigné les rapporteurs, alors que cet organe était composé pour partie de membres dont l'élection allait être annulée par l'arrêt de la cour du 17 mars suivant. La question posée est celle de la validité des actes accomplis par une autorité instituée par la loi pour administrer une profession réglementée tant qu'il n'a pas été statué sur le recours en annulation de sa désignation. Les actes accomplis par une telle autorité dont l'élection de tout ou partie des membres est annulée doivent-ils être eux-mêmes rétroactivement annulés ? C'est la question que devra trancher la Cour, étant précisé que la contestation ne portait que sur l'élection de 4 membres du Conseil de l'Ordre, que le quorum était atteint avec les autres membres présents, et que les rapporteurs n'ont pas été choisis parmi les membres dont l'élection était contestée.
b. Le second moyen de nullité tient à l'impartialité des rapporteurs qui aurait été compromise par leur participation à la délibération du même jour,13 janvier 2006, qui a autorisé le Bâtonnier à engager des poursuites pénales contre Madame Y.... Ce moyen pose la question de l'autorité de l'arrêt de la cour du 27 février 2006 qui a rejeté la requête en suspicion légitime des deux rapporteurs au regard de ladite délibération.

c. Le troisième moyen concerne le parti pris adopté par l'associé d'un rapporteur dans une circulaire à en-tête de la SCP, étant précisé que seul l'associé a signé cette lettre.
2. En ce qui concerne maintenant les conditions d'établissement du rapport, elles sont contestées à deux titres : au regard des auditions auxquelles les rapporteurs ont procédé, et au regard des moyens de preuve qu'ils ont retenus. Il faudra aussi rechercher la portée des éventuelles irrégularités retenues sur la validité du rapport lui-même, en totalité ou en partie.
a. Sur le premier point concernant les auditions, il existe deux contestations. La première tient à l'audition du Bâtonnier en qualité de témoin ayant assisté aux faits alors qu'il est par ailleurs l'organe des poursuites. La cour aura à dire si cette dernière qualité crée un empêchement, restant à préciser si, en ce cas, la nullité de l'audition du Bâtonnier aurait pour effet d'annuler le rapport.
La seconde contestation intéressant les auditions repose sur l'article 189, alinéa 2, du décret relatif à la profession d'avocat. Le texte dispose : " Toute personne susceptible d'éclairer l'instruction peut être entendue contradictoirement ". Le débat porte sur le choix du verbe, pouvoir ou entendre, auquel se rapporte l'adverbe contradictoirement. Autrement dit, la liberté laissée au rapporteur d'entendre un témoin recouvre-t-elle aussi la liberté de l'entendre hors la présence de l'avocat poursuivi, ou bien, le rapporteur ayant choisi d'entendre un témoin comme la faculté lui en est reconnue par le texte, est-il tenu alors de l'entendre en présence de l'avocat poursuivi ou celui-ci appelé ?
La question pose celle des règles de procédure subsidiaires en matière disciplinaire, soit celles de la procédure pénale (qui permettent au juge d'instruction d'entendre un témoin hors la présence des parties-article 102 du Code de Procédure pénale), soit celles de la procédure civile (qui ne le permettent pas en principe,-articles 208 et 209 du Nouveau Code de Procédure Civile). Si la subsidiarité de la procédure civile en matière disciplinaire devait conduire en l'espèce à l'annulation de la quarantaine d'auditions d'avocats par les rapporteurs sans que Madame Y...-X... ai été appelée, la question se poserait de l'incidence de cette annulation sur le rapport lui-même qui ne contient pas que ces auditions puisqu'il a été procédé par ailleurs, notamment, à l'audition de Madame Y...-X... elle-même.
Pour être complet, il faut encore observer qu'il a été procédé par le tribunal correctionnel de POITIERS, contradictoirement et en présence de Madame Y...-X..., à l'audition de 12 avocats témoins et la régularité de leurs dépositions dans ce cadre n'est pas discutée.
b. Le rapport est encore discuté en ce que les rapporteurs auraient eu recours à des moyens de preuve déloyaux. D'abord, les témoins ont été invités à reconnaître leurs bulletins de vote sans les désigner, ce qui ne permet pas la contradiction. 62 bulletins ont été reconnus de la sorte par leurs auteurs. La question posée est celle de la portée du principe du secret du vote qui pourrait constituer en quelque sorte une limite au principe de la contradiction.
Ensuite, l'huissier auquel le matériel électoral a été remis en dehors des heures légales le soir du 16 décembre 2005 n'aurait pas pour cette raison procédé régulièrement. La question posée ici est celle de la validité ou non à toute heure d'opérations de constat menées par un huissier appelé à l'improviste sur le lieu d'une contestation sans qu'il y ait matière à exécution d'une décision ou à une signification.
3o) La dernière question de procédure sur laquelle la Cour aurait à se pencher pour le cas où elle annulerait le rapport dans sa totalité, serait celle de la régularité de la saisine du conseil de discipline. En effet, il n'est pas douteux que le rapport sur l'instruction de l'affaire est une condition préalable nécessaire aux débats devant l'instance disciplinaire, à la différence de l'enquête déontologique qui n'est qu'une simple faculté.
Le conseil de l'ordre est tenu de procéder à la désignation d'un rapporteur, sans quoi l'autorité de poursuite doit saisir le premier président à cette fin (article 188 du décret) et c'est la transmission du rapport d'instruction au président du conseil de discipline qui provoque la fixation de la date de l'audience (article 191).
La cour aura donc éventuellement à se prononcer sur le point de savoir si l'annulation du rapport équivaut à l'absence de rapport et ne permet pas la saisine régulière du conseil de discipline, juge du 1er degré, de telle sorte que la cour, saisie du recours contre sa décision et annulant le rapport, n'aurait pas la faculté d'évoquer le fond en l'absence d'effet dévolutif du recours, et devrait renvoyer l'autorité de poursuite à recommencer la procédure.
Enfin, une fois ces questions de procédure débattues, les parties auront à aborder le fond et l'examen des circonstances qui sont à l'origine de la poursuite.
Sur ce point, il résulte de l'audition de Maître Y...-X... par les rapporteurs qu'elle soutient avoir lu sincèrement les bulletins de vote tels qu'elle les dépouillait et donc que ce ne seraient pas les mêmes bulletins qui auraient été lus aux 2ème et 3ème comptages.
La recherche doit donc porter sur les conditions dans lesquelles aurait pu se produire une substitution des bulletins dans le délai séparant la lecture de Maître Y...-X... et les deux lectures suivantes, délai qui peut être mesuré à la durée du 2ème tour, commencé aussitôt après le 1er comptage, et avant le dépouillement duquel le 2ème comptage a été demandé.
Indépendamment de la vraisemblance ou non de cette substitution impliquant la rédaction de nouveaux bulletins, (quand ? par qui ? pourquoi ? et comment ?), la question est aussi liée à la traçabilité des bulletins entre le 1er et le 2ème comptages.
Maître Y...-X... conteste avoir déposé elle-même les bulletins après comptage sur le fauteuil situé derrière elle, ainsi que l'affirme Maître O... entendue par le tribunal correctionnel de POITIERS devant lequel elle a déclaré comme témoin qu'elle a vu Maître Y...-X... se lever et poser les bulletins derrière elle.
Ensuite, il n'est pas discuté que Maître B..., un des deux assesseurs de Maître Y...-X..., s'est levé à son tour pour prendre les bulletins posés sur le fauteuil et les déposer dans la sacoche de Maître A..., secrétaire du bureau, d'où ils ont été extraits pour être recomptés.
SUR QUOI LA COUR
Attendu que le Conseil de l'Ordre a siégé le 13 janvier 2006 dans sa composition alors régulière ;
Que les délibérations qu'il a prises à cette date ne sont donc pas affectées par l'annulation ultérieure de l'élection d'une partie de ses membres ;
Attendu que par arrêt du 27 février 2006 la cour a rejeté la requête en suspicion légitime concernant les rapporteurs désignés et a fait expressément référence à la décision du Conseil de l'Ordre du 13 janvier 2006 d'engager une procédure pénale pour fraude électorale ;
Que la désignation des rapporteurs ne peut donc à nouveau être critiquée pour ce motif ;
Attendu que la circulaire distribuée par l'associé d'un rapporteur ne concerne que lui-même et ne peut affecter l'impartialité de ce dernier ;
Attendu que le Bâtonnier a été témoin des faits ;
Que son audition en tant que personne susceptible d'éclairer l'instruction est donc régulière ;
Attendu qu'en revanche, l'article 189 du décret du 27 novembre 1991 imposait aux rapporteurs de procéder à des auditions contradictoires, l'avocat poursuivi devant donc nécessairement y être appelé ;
Que, faute par eux d'avoir appelé Maître Y...-X... à ces auditions, celles-ci sont nulles ;
Que cette nullité n'affecte pas le rapport lui-même qui ne se limite pas à ces auditions ;
Attendu que le moyen tiré de ce que les avocats n'ont pas expressément désigné leurs votes est sans intérêt dès lors que leurs dépositions sont déjà frappées de nullité pour une autre cause ;
Attendu que l'huissier appelé à faire des constatations au soir de l'élection du 16 décembre 2005 a instrumenté régulièrement au regard de l'heure où il a procédé qui est indifférente à la validité de telles opérations ;
Attendu que l'annulation des auditions de témoins auxquelles les rapporteurs ont procédé n'affecte pas leur rapport en tout ce que celui-ci ne concerne pas lesdites auditions ;
Que le Conseil de Discipline a donc été régulièrement saisi d'un rapport et la cour doit évoquer le fond ;
Attendu qu'il résulte des éléments d'appréciation régulièrement versés aux débats que Madame Y...-X... a lu en dépouillant les bulletins que 56 voix s'étaient portées sur elle ;
Qu'elle a déposé les bulletins sur un siège placé derrière elle, ainsi que cela résulte du témoignage de Maître O... contradictoirement recueilli par le tribunal correctionnel de POITIERS ;
Qu'aucun témoignage recueilli par cette juridiction, et pas davantage la relation de Madame Y...-X... devant les rapporteurs comme dans ses écritures devant la cour, n'établissent qu'une substitution des bulletins se soit alors produite sur une estrade surélevée placée au vu de toute l'assemblée ;
Que ce sont donc bien les mêmes bulletins qui ont été pris par Maître B... pour les déposer dans la sacoche de Maître A..., ainsi que Maître Y...-X... l'indique elle-même dans ses écritures ;
Que ces mêmes bulletins sont ceux qui ont été extraits de la sacoche et ont fait l'objet des 2ème et 3ème comptages ;
Qu'en effet, nul ne soutient ni, a fortiori, ne rapporte la preuve que d'autres bulletins que ceux qui ont été ainsi retirés de la sacoche de Maître A..., aient pu faire l'objet des 2ème et 3ème comptages ;
Qu'ainsi, la preuve est rapportée que la lecture de ces mêmes bulletins par Maître Y...-X... a été falsifiée par elle ;
Que ce comportement frauduleux, contraire à l'honneur et à la probité, gravissime de la part d'un Bâtonnier, et aggravé encore par l'obstination persistante depuis 2 ans à nier l'évidence, ce qui exclut toute possibilité d'indulgence, ne peut être justiciable que de la radiation de l'avocat qui en a été l'auteur ;
Que c'est donc à juste raison que le Conseil de Discipline a prononcé cette sanction ;
PAR CES MOTIFS
Juge régulière la désignation des rapporteurs ;
Valide leur rapport à l'exception des auditions auxquelles ils ont procédé sans avoir appelé Maître Y...-X... ;
Juge régulière la saisine du Conseil de Discipline ;
Confirme sa décision sur le fond en ce qu'il a déclaré Madame Y...-X... coupable d'avoir, le 16 décembre 2005, altéré les résultats de premier tour de l'élection des membres du Conseil de l'Ordre en proclamant d'autres noms (en particulier le sien) que ceux qui figuraient sur les bulletins de vote, et, pour ces faits, a prononcé la radiation de Madame Y...-X... du tableau de l'Ordre des avocats au barreau de PERIGUEUX.
Condamne Madame Y...-X... aux dépens.
Le présent arrêt est signé par le Premier Président Bertrand LOUVEL et par Martine MASSÉ, greffier auquel la minute de l'arrêt a été remise par le magistrat signataire.
Le greffierLe premier président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Formation : Ct0123
Numéro d'arrêt : 06/03536
Date de la décision : 21/12/2007

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2007-12-21;06.03536 ?
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