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12/03/2001 | FRANCE | N°99/00812

France | France, Cour d'appel de Bordeaux, 12 mars 2001, 99/00812


ARRET RENDU PAR LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX -------------------------- Le : 12 MARS 2001 PREMIERE CHAMBRE SECTION A N° de rôle : 99/00812 LA SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DU CHATEAU LATOUR c/ LA SOCIETE CIVILE DU CHATEAU LA TOUR GAYET Nature de la décision : AU FOND Grosse délivrée le : :

Prononcé en audience publique,

Le 12 MARS 2001

Par Monsieur BIZOT, Président,

en présence de Madame X... Y... ve, Greffi re,

La COUR d'APPEL de BORDEAUX, PREMIERE CHAMBRE SECTION A, a, dans l'affaire opposant :

LA SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DU CHATEAU LATOU

R, ayant son si ge 33250 PAUILLAC prise en la personne de son représentant légal,

Représe...

ARRET RENDU PAR LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX -------------------------- Le : 12 MARS 2001 PREMIERE CHAMBRE SECTION A N° de rôle : 99/00812 LA SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DU CHATEAU LATOUR c/ LA SOCIETE CIVILE DU CHATEAU LA TOUR GAYET Nature de la décision : AU FOND Grosse délivrée le : :

Prononcé en audience publique,

Le 12 MARS 2001

Par Monsieur BIZOT, Président,

en présence de Madame X... Y... ve, Greffi re,

La COUR d'APPEL de BORDEAUX, PREMIERE CHAMBRE SECTION A, a, dans l'affaire opposant :

LA SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DU CHATEAU LATOUR, ayant son si ge 33250 PAUILLAC prise en la personne de son représentant légal,

Représentée par la SCP HENRI etamp; LUC BOYREAU, avoués à la Cour assistée de Me DE BOISSESON, avocat la Cour,

Appelante d'un jugement rendu le 01 février 1999 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX suivant déclaration d'appel en date du 12 Février 1999,

:

LA SOCIETE CIVILE DU CHATEAU LA TOUR GAYET, ayant son si ge SAINT ANDRONY - 33390 BLAYE prise en la personne de son représentant légal, Représentée par la SCP CASTEJA-CLERMONTEL, avoués à la Cour et assistée de Me PICOTIN, avocat la Cour,

Intimée,

Rendu l'arr t contradictoire suivant apr s que la cause a été débattue en audience publique, le 08 Janvier 2001 devant :

Monsieur BIZOT, Président,

Monsieur CHEMINADE, Conseiller,

Madame Z..., Conseill re,

Assistés de Madame X..., Greffi re,

Et qu'il en a été délibéré par les Magistrats du Si ge ayant assisté aux débats ; EXPOSE DU LITIGE =================

La société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR a saisi la présente Cour de l'appel d'un jugement rendu le 1er février 1999 par le Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX qui, statuant sur son action en nullité de la marque déposée par la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET sur le fondement de la contrefaçon et du parasitisme, l'a déboutée de toutes ses demandes et a rejeté également les demandes de la société CHATEAU LA TOUR GAYET.

Vu les articles 455 et 954 du Code de Procédure Civile (rédaction applicable compter du 1er mars 1999),

Vu les derni res écritures de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR signifiées et déposées le 11 janvier 2OOO,

Vu les derni res écritures de la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET signifiées et déposées le 2 novembre 1999,

Vu la clôture de l'instruction du 26 décembre 2OOO. M O T I F A... : =========

I - SUR L'ACTION DE LA SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR EN NULLITE DE L'ENREGISTREMENT DE LA MARQUE "CHATEAU LATOUR GAYET"

1°) Sur la fin de non-recevoir opposée par la

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Société Civile CHATEAU LA TOUR GAYET raison de l'article

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4 alinéa 2 de la loi n°64-1360 du 31 décembre 1964

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Comme le soutient bon droit la société appelante, l'article 4 alinéa 2 de la loi du 31 décembre 1964, qui autorisait le "titulaire d'une marque notoirement connue mais dépourvu d'un droit de propriété légal raison d'une dépôt régulier antérieur de cette marque" réclamer l'annulation du dépôt d'une marque susceptible de créer une confusion avec la sienne pendant une durée de cinq ans compter de la date du dépôt effectué de bonne foi, n'est pas applicable l'esp ce, d s lors qu'il est constant qu' la date, 31 juillet 1978, o la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET a déposé sa marque "CHATEAU LATOUR GAYET", la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR était elle-m me déj titulaire de ses propres marques enregistrées CHATEAU LATOUR, déposées pour la premi re fois en 1891, et constamment renouvelées depuis lors, y compris sous l'empire de la loi du 31 décembre 1964, en sorte que, premi re déposante, la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR ne saurait se voir opposer, dans le cadre du présent litige introduit le 11 décembre 1996, la déchéance de son droit réclamer l'annulation de la marque CHATEAU LA TOUR GAYET par l'effet de cette disposition légale antérieure, inapplicable.

2°) Sur la recevabilité de la demande d'annulation

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de marque au regard des dispositions de la loi n°91-7 du 4 janvier 1991

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a - L'article L 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle (CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE) énonce (ancien article 25 de la loi du 4

janvier 1991) : "Est déclaré nul par décision de justice l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L.711-1 L.711-4. Le minist re public peut agir d'office en nullité en vertu des articles L.711-1, L.711-2 et L.711-3. Seul le titulaire d'un droit antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l'article L.711-4. Toutefois, son action n'est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et s'il en a toléré l'usage pendant cinq ans. La décision d'annulation a un effet absolu".

b - Ce texte a ainsi institué en son alinéa 4 une forclusion nouvelle, non prévue par les lois antérieures, fondée sur la tolérance, par le titulaire du droit (de la marque) antérieure, de l'usage par autrui de la marque arguée de non-conformité l'article L 711-4 CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE, d s lors que cette marque a été déposée de bonne foi et que cette tolérance d'usage a duré cinq ans au moins.

c - La loi du 4 janvier 1991 ultérieurement codifiée est entrée en vigueur le 28 décembre 1991. Conformément aux articles 1er et 2 du Code Civil, elle est sans effet rétroactif mais s'applique la situation juridique des parties telle qu'elle est la date de sa prise d'effet. Or, en ce qui concerne la fin de non-recevoir de l'article 25 (L 714-3 CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE susvisé), la situation juridique des marques "CHATEAU LATOUR" et "CHATEAU LATOUR GAYET" n'a point été définitivement établie sous l'empire de la loi du 31 décembre 1964, qui ne prévoyait pas le cas de la forclusion pour tolérance. Il s'ensuit qu'au 28 décembre 1991, sauf faire produire la loi du 4 janvier 1991 un effet rétroactif prohibé d s lors qu'elle ne l'a pas expressément prévu, la tolérance antérieure, par la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR de l'usage de la marque "CHATEAU LATOUR GAYET" n'a pu engendrer aucun effet de droit ni au profit de la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET titulaire

de cette marque tolérée, ni au détriment de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR , titulaire d'un droit antérieur sur ses marques "CHATEAU LATOUR", fussent-elles notoires.

d - D s lors, la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR est recevable réclamer l'application de l'article L. 714-3 CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE susvisé et, ayant introduit l'instance le 11 décembre 1996, soit dans un délai inférieur cinq années suivant la date d'entrée en vigueur de la nouvelle forclusion de tolérance, ne saurait se voir opposer cette fin de non-recevoir. Il importe peu, d s lors, que la marque CHATEAU LA TOUR GAYET ait été tolérée depuis son dépôt de 1978, encore moins que les auteurs de la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET aient vendu leur vin depuis 1908 sous la dénomination ou marque "TOUR GAYET", et que cette marque ait été en son temps (1922) l'apanage d'un propriétaire ayant aussi alors la qualité de président de chambre la Cour d'Appel de Bordeaux, toutes circonstances qui n'ont conféré aux propriétaires successifs de cette dénomination puis de cette marque, m me déposée de bonne foi, aucun droit acquis de tolérance d'usage susceptible de s'opposer l'application du texte susvisé.

e - Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande d'annulation de marque fondée sur l'article L.714-3 CPI et de statuer sur le mérite de cette demande.

3°) Sur la demande d'annulation de la marque

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"CHATEAU LATOUR GAYET" sur le fondement de l'article

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L.711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle

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a - L'article L.711-4 du Code de la Propriété Intellectuelle dispose :

"Ne peut tre adopté comme marque un signe portant atteinte des droits antérieurs, et notamment : a) A une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle ; b) A une dénomination ou raison sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; c) A un nom commercial ou une enseigne connus sur l'ensemble du territoire national, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public ; d) A une appellation d'origine protégée ; e) Aux droits d'auteur ; f) Aux droits résultant d'un dessin ou mod le protégé ; g) Au droit de la personnalité d'un tiers : notamment son nom patronymique, son pseudonyme ou son image ; h) Au nom, l'image ou la renommée d'une collectivité territoriale".

b - Il est de principe constant, depuis le 1er août 1965 (date d'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1964) que la propriété d'une marque appartient au premier déposant, que ce droit de propriété est absolu et exclusif, et que, par voie de conséquence, encourt la nullité une marque portant atteinte des droits antérieurs, notamment une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue.

c - L'antériorité du dépôt de la marque "CHATEAU LATOUR" est ici indiscutée et indiscutable, depuis 1891 au moins, et sans solution de continuité tant sous l'empire de la loi du 23 juin 1857 que sous celui de la loi du 31 décembre 1964. Elle a été enregistrée sous sa forme semi-figurative actuelle le 3O ao t 1967 et régulièrement renouvelée depuis (en dernier lieu le 19 juin 1997 sous le

n°1418751). Cette antériorité se double d'une notoriété séculaire tout aussi incontestable et incontestée, comme se rapportant des vins A.O.C. de grande renommée produits par un vignoble sis sur la commune de PAUILLAC (33) planté sur des t nements majoritairement dénommés "LATOUR". Cette marque est constituée, par son signe distinctif essentiel "LATOUR", d'un nom toponymique. De plus, en raison de sa notoriété et de l'implantation d'un château s'élevant sur une terre de LATOUR, les deux signes "CHATEAU" et "LATOUR" constituent ensemble les parties essentielles et caractéristiques d'une marque verbale toponymique réelle, digne de protection contre toute atteinte par une marque postérieure comportant ces m mes vocables, qu'ils soient en deux mots "CHATEAU LATOUR" ou en trois mots "CHATEAU LA TOUR". Elle fait enfin l'objet de dépôts internationaux depuis 1913.

d - La marque "CHATEAU LA TOUR GAYET", déposée postérieurement (premier dépôt du 31 juillet 1968 rappelé lors du renouvellement du 21 juillet 1978) porte incontestablement atteinte aux droits antérieurs du propriétaire de la marque "CHATEAU LATOUR". Cette atteinte n'est pas légitime. Il ressort en effet des productions que la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET , qui exploite sa marque partiellement homophone pour produire SAINT ANDRONY (33390) des vins A.O.C. Côtes de Blaye n'est propriétaire d'aucun t nement cadastral planté en vignes désigné sous le toponyme LATOUR ou LA TOUR (ces toponymes sont GAYET, AUX QUARTIERS-OUEST, AUX AYQUEMS, LA FONTENELLE, LA MANCEAU, PAS DE LA VIELLE, LES TONNELLES, AUX SABLES, LES BARAILLOTS et TERRES DE GAYET). Si, antérieurement au dépôt de cette marque, les vins de ce domaine ont pu tre commercialisés sous la dénomination "GAYET" puis "TOUR GAYET" ou enfin "LA TOUR GAYET" raison de l'existence, d'ailleurs alléguée mais non démontrée (aucun cliché photographique ou constat produit), sur la propriété, d'une construction de type "tour", le choix pour désigner ces vins du signe

verbal "CHATEAU LA TOUR GAYET" (dépôt du 31 juillet 1968 enregistré sous le n° 771512, renouvelé le 21 juillet 1978 puis le 19 juillet 1988 sous le n°1071731) n'est pas légitime, la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET ne soutenant et ne justifiant pas avoir, lors du premier dépôt du 31 juillet 1968 effectué en application de la loi du 31 décembre 1964, mentionné ses droits antérieurs acquis ou fait reconnaître de tels droits dans le délai fixé, formalité qui seule, en application de l'article 35 aliéna 3 de ladite loi, lui e t permis de les conserver.

e - Il convient, en conséquence, d'accueillir la demande de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR et de prononcer, en application des articles L.711-4 et L.714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, l'annulation de la marque verbale CHATEAU LA TOUR GAYET comme portant atteinte la marque verbale antérieure enregistrée et en outre notoirement connue "CHATEAU LATOUR" avec toutes conséquences de droit comme précisé ci-apr s au dispositif.

II - SUR L'ACTION DE LA SC DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR FONDEE SUR LA CONTREFACON DE MARQUE (ARTICLE L.713-2 ET L.713-3 DU CODE DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE)

a - Il résulte des textes susvisés qu'est interdite sauf autorisation du propriétaire la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque, ainsi que l'usage d'une marque reproduite pour des produits ou des services identiques ceux désignés dans l'enregistrement, ou l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée pour des produits ou services identiques ou similaires ceux désignés dans l'enregistrement.

b - Par ailleurs, suivant l'article L.716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, et raison des principes d'application immédiate de la loi nouvelle rappelés ci-dessous (cf. paragraphe I-2 du présent arr t), la forclusion pour tolérance pareillement applicable l'action

civile en contrefaçon n'est pas acquise en l'esp ce, l'assignation de la SCI DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR ayant été délivrée moins de cinq ans apr s l'entrée en vigueur de la loi du 4 janvier 1991.

c - Il doit tre enfin relevé que si l'article L.716-5 édicte que l'action civile en contrefaçon se prescrit par trois ans, la SC CHATEAU LA TOUR GAYET n'a point invoqué en l'esp ce l'exception de prescription, ni en premi re instance, ni en cause d'appel, en sorte que l'action doit tre déclarée recevable en tant qu'elle porte sur des faits de contrefaçon constatés entre le 29 décembre 1991 et la date de l'assignation.

d - Ainsi qu'il a été dit plus haut, la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET n'est pas fondée, pour s'opposer l'action, se prévaloir des droits antérieurs acquis antérieurement la promulgation de la loi du 31 décembre 1964 d s lors qu'en s'abstenant d'en faire état dans les conditions fixées par l'article 35 de ladite loi, elle en a perdu le bénéfice. Il convient, d s lors, de passer outre et d'examiner le bien-fondé de l'action.

e - Il est de principe que la contrefaçon est établie du chef de la reproduction identique ou quasi-identique de la marque, de bonne foi ou de mauvaise foi, d s lors que, s'agissant d'une marque complexe, elle se rapporte l'élément distinctif essentiel de celle-ci. L'appréciation de la contrefaçon doit porter sur les éléments intrinsèques des signes en cause, tels qu'enregistrés et non dans l'usage qui en est fait pour le conditionnement des produits qu'ils désignent (étiquettes). En mati re de contrefaçon par reproduction ou imitation d'une marque se rapportant des produits identiques, la condition de l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public n'est pas requise.

f - Ainsi qu'il a été rappelé plus haut, les marques verbale et semi- figurative propriétés de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU

LATOUR se caractérisent par le signe verbal distinctif essentiel "CHATEAU LATOUR" qui, en dépit de la banalité propre de chacun des deux vocables, a acquis le statut d'une marque verbal toponymique indicatrice de nom de lieu, le vignoble exploité sous cette marque s'élevant, autour dudit château, sur une terre connue et cadastrée sous ce nom depuis au moins trois si cles.

D s lors, comme le soutient bon droit l'appelante, la reproduction, dans la marque "CHATEAU LA TOUR GAYET" de mani re quasi-identique, de ce signe distinctif essentiel "CHATEAU LATOUR", m me par coupure du vocable substantif LATOUR en un substantif TOUR précédé de l'article défini LA, constitue la contrefaçon invoquée. La présence du patronyme GAYET comme suffixe du signe en cause n'a pas pour effet de priver de son caract re distinctif essentiel propre le signe verbal vedette "CHATEAU LA TOUR", qui, n'ayant, ainsi qu'il a été dit plus haut, aucune légitimité se rapporter au t nement sur lequel seraient produits les vins qu'il désigne, constitue une contrefaçon. Il importe peu, pour constater cette faute, que les produits identiques (des vins de la classe 33, l'un et l'autre d'appellation d'origine contrôlée) que les signes confrontés désignent soient d'origine géographique différente (Pauillac et Côtes de Blaye) et de qualité différente, la contrefaçon s'appréciant exclusivement, dans ce cas, au regard de l'atteinte objective la propriété de la marque usurpée. g - Il convient, en conséquence, d'accueillir la demande de la société civile DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR avec ses conséquences de droit, comme précisé ci-apr s.

IV - SUR L'ACTION EN REPARATION DE LA SC DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR

FONDEE SUR LES "AGISSEMENTS PARASITAIRES" (ARTICLE L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle)

a - L'article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle permet au propriétaire d'une marque "jouissant d'une renommée" ou d'une marque "notoirement connue au sens de l'article 6 bis de la Convention de Paris pour la protection industrielle" d'agir en réparation contre celui qui emploie une telle marque "pour des produits ou services non similaires ceux désignés dans l'enregistrement" si cet emploi est "de nature porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cet emploi constitue une exploitation injustifiée de cette derni re".

b - Ce texte n'a pas vocation s'appliquer la présente cause, d s lors que les produits pour la désignation desquels la marque CHATEAU LA TOUR GAYET a été employée sont identiques ceux désignés sous les marques CHATEAU LATOUR notoirement connues et enregistrées (vins - classe 33), et que l'appelante ne prétend pas que la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET aurait utilisé cette marque, par ailleurs déclarée contrefaisante, pour désigner d'autres produits que des vins (les enregistrements successifs de cette marque en 1968, 1978 et 1988 ne visant que les vins en classe 33).

c - Cette demande en réparation doit tre rejetée.

V - SUR L'ACTION DE LA SC DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR EN ANNULATION DE LA DENOMINATION SOCIALE "CHATEAU LA TOUR GAYET"

a - La Société appelante sollicite l'annulation de la dénomination sociale "CHATEAU LA TOUR GAYET" adoptée par la société civile intimée raison de son indisponibilité, en faisant valoir que cette derni re s'est appropriée ainsi sa propre dénomination sociale et sa propre marque protégée "CHATEAU LATOUR".

b - Le droit pour une société civile d'utiliser une dénomination sociale n'est permis qu' la condition qu'elle ne constitue pas une reproduction ou une imitation d'une dénomination sociale antérieurement utilisée, générant un risque de confusion, a fortiori une reproduction ou une imitation d'une marque protégée ou notoirement connue. Un tel fait démontré engage la responsabilité civile quasi-délictuelle de son auteur.

c - En l'esp ce, suivant les productions, il apparaît que les vins classés premier cru bourgeois ou premi res côtes de Blaye ont été produits et commercialisés depuis 1908 sous l'appellation "CHATEAU LA TOUR GAYET" successivement par M. Louis B..., puis par son petit-fils, M. Gaston C..., puis par M. Michel D..., enfin, et apparemment depuis 1974, par une société civile particuli re gérée par M. D... et d'abord dénommée "CHATEAU TOUR GAYET", puis au moins depuis 1978 dénommée "CHATEAU LA TOUR GAYET" et enfin, survint les étiquettes du millésime 1997 produits en photocopie, dénommée désormais société civile "LA TOUR GAYET-GRAZILHON".

Il est donc clairement établi que, bien postérieurement la création de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR dont l'existence est attestée déj lors du dépôt des trois marques verbales ou semi-figuratives des 9 juin 1891 et 18 mars 1913 au greffe du Tribunal Civil de LESPARRE, le choix de la dénomination sociale "CHATEAU LA TOUR GAYET" a constitué une appropriation partielle délibérée de la dénomination "CHATEAU LATOUR" indentifiant le producteur de ce vin de grande renommée et propriétaire de la marque notoire et enregistrée antérieure identique ; il constitue en outre la source évidente d'un risque de confusion raison du caract re commercialement tr s attractif des vocables "CHATEAU LATOUR". Le choix récent de la dénomination commerciale (sinon sociale, aucune pi ce ne permettant de vérifier la modification en ce sens des statuts

de la société intimée) "LA TOUR GAYET-GRAZILHON", exempte de tout reproche, en constitue rebours l'aveu non équivoque.

d - Il convient en conséquence d'accueillir en son principe cette demande de la société appelante qui ne saurait cependant conduire l'annulation, et en application des articles 1382 et 1383 du Code Civil, d'interdire la société intimée d'utiliser une dénomination sociale composant les vocables "CHATEAU LATOUR" ou "CHATEAU LA TOUR" sans préjudice d'une réparation pécuniaire le cas échéant, ainsi qu'il sera ci-apr s examiné.

VI - SUR LES REPARATIONS DUES A LA SOCIETE CIVILE DU VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR

a - Il doit tre fait droit aux demandes d'interdiction d'usage et de radiation réclamées par la Société Civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR au dispositif de ses derni res écritures ci-dessus visées, auxquelles la société intimée n'a opposé, f t-ce seulement titre subsidiaire, aucune contestation.

b - L'atteinte portée aux marques CHATEAU LATOUR doit tre réparée également sous la forme d'une indemnité pécuniaire. Il en va de m me pour l'utilisation fautive d'une dénomination sociale indisponible et source d'un risque de confusion. Toutefois,, il échet d'observer que la marque CHATEAU LA TOUR GAYET annulée et contrefaisante ayant été renouvelée en 1988 par la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET, la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR qui avait alors, depuis des décennies, toléré la coexistence des marques en cause, a attendu pour agir plus de huit ans encore, jusqu' la limite du délai quinquennal de forclusion institué par la loi du 4 janvier 1991 tant pour l'action en nullité de l'article L.714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle que pour l'action en contrefaçon de l'article L.716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle et pour l'action en réparation fondée sur l'indisponiblité de la dénomination sociale (CHATEAU LA

TOUR GAYET ), laquelle paraît en outre abandonnée, sous ce libellé critiquable, depuis 1997. Par ailleurs, la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR n'invoque aucun préjudice commercial vérifiable pour la période comprise entre le 29 décembre 1991 et la date de son assignation.

c - Il s'ensuit que seule l'atteinte la propriété des marques "CHATEAU LATOUR" justifie réparation pécuniaire. La Cour dispose des éléments d'appréciation pour en fixer, compte tenu de l'ensemble des circonstances et données du litige, la somme de 50.000 Frs.

d - Ces m mes circonstances autorisent cependant la société appelante réclamer réparation complémentaire sous la forme de publication par voie de presse, comme ci-apr s précisé.

VII - SUR LES DEMANDES ANNEXES ET LES DEPENS

a - La demande incidente en réparation de la société civile CHATEAU LA TOUR GAYET du chef de "procédure abusive et injustifiée" est sans objet et doit tre rejetée.

b - Les dépens de premi re instance et d'appel sont la charge de la société intimée.

c - L'article 700 du Code de Procédure Civile doit tre appliqué, en équité, au seul bénéfice de la société appelante, comme précisé ci-apr s.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Recevant en la forme l'appel de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR,

Le déclare fondé,

Infirme le jugement déféré,

Statuant nouveau,

Vu les articles L.711-4, L.713-2, L.713-3, L.713-5, L.714-3 et L.716-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, 1382 et 1383 du Code

Civil,

Rejette l'exception de forclusion de l'action en annulation de marque fondée sur l'article L. 714-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, Dit que la marque "CHATEAU LA TOUR GAYET" déposée et enregistrée en France le 31 juillet 1968, renouvelée le 21 juillet 1978 (enregistrement n°1.071.731) et renouvelée le 19 juillet 1988 (enregistrement n°148.32.39) est nulle et de nul effet en ce qu'elle porte atteinte aux droits antérieurs de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR sur ses marques "CHATEAU LATOUR", semi-figuratives et verbales, renouvelées en dernier lieu le 19 juin 1997 (enregistrements n°1600408 et n°1418751),

Dit que la marque "CHATEAU LA TOUR GAYET" ci-dessus désignée constitue une contrefaçon des marques "CHATEAU LATOUR" propriétés de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR,

En conséquence,

Ordonne la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET de faire radier ladite marque annulée et contrefaisante "CHATEAU LA TOUR GAYET" du Registre National des Marques tenu l'Institut National de la Propriété Industrielle dans le mois de la signification du présent arr t, sous peine, passé ce délai, d'une astreinte de 1.OOO Frs par jour de retard,

Fait défense la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET d'utiliser l'avenir, sous quelque forme et de quelque mani re que ce soit, la dénomination ou la marque "CHATEAU LA TOUR" ou "CHATEAU LATOUR", sous peine, passé un délai d'un compter compter de la signification du présent arr t, d'une astreinte de 1.OOO Frs par infraction constatée, Fait défense la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET d'utiliser l'avenir comme dénomination sociale ou raison commerciale les

vocables "CHATEAU LATOUR" ou "CHATEAU LA TOUR", sous peine, passé un délai d'un mois compter de la signification du présent arr t, d'une astreinte de 5.OOO Frs par infraction constatée,

Constate, en tant que de besoin, que la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET du chef du millésime 1997 "CHATEAU LA TOUR GAYET" PREMIERES COTES DE BLAYE" Appellation Premi res Côtes de Blaye Contrôlée, est désignée sous la dénomination sociale "SOCIETE CIVILE LA TOUR GAYET-GRAZILHON",

Condamne la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET payer la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR, en réparation de l'atteinte sa propriété des marques "CHATEAU LATOUR" une indemnité de 5O.OOO Frs (cinquante mille francs),

Déboute la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR du surplus de sa demande indemnitaire,

Ordonne titre de réparation complémentaire du chef de l'atteinte la propriété des marques "CHATEAU LATOUR", la publication d'extraits du dispositif du présent arr t dans quatre journaux de diffusion nationale ou régionale, au choix de la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR et aux frais de la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET, sans que le coût de chaque insertion excède 1O.OOO Frs,

Déboute la société civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR de sa demande en réparation fondée sur l'article L.713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle,

Dit qu'une expédition du présent arr t sera transmis l'Institut National de la Propriété Industrielle la diligence du greffe,

Déboute la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET de sa demande incidente en réparation du chef de l'abus d'appel,

Condamne la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET aux dépens de premi re instance et d'appel,

Condamne la société civile du CHATEAU LA TOUR GAYET payer la société

civile du VIGNOBLE DE CHATEAU LATOUR, en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, la somme de 2O.OOO Frs, et la déboute de sa pareille demande,

Autorise la S.C.P. Henri etamp; Luc BOYREAU, Avoué, recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens d'appel dont elle a fait l'avance sans en avoir reçu provision,

Signé par Monsieur BIZOT, Président et par la Greffi re.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro d'arrêt : 99/00812
Date de la décision : 12/03/2001

Analyses

MARQUE DE FABRIQUE - Perte - Déchéance - Défaut d'exploitation - Loi du 4 janvier 1991 - Application dans le temps - /

L'article L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle (ancien article 25 de la loi du 4 janvier 1991), institue en son alinéa 4 une forclusion nouvelle, non pré- vue par les lois antérieures, fondée sur la tolérance par le titulaire du droit (de la marque) antérieure, de l'usage par autrui de la marque arguée de non-confor- mité à l'article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, dès lors que cette marque a été déposée de bonne foi et que cette tolérance d'usage a duré cinq ans au moins.La loi du 4 janvier 1991 ultérieurement codifiée et entrée en vi- gueur le 28 décembre 1991 est sans effet rétroactif, conformément aux articles 1er et 2 du Code civil, mais s'applique à la situation juridique des parties telle qu'elle est à la date de sa prise d'effet. La situation juridique des marques de l'espèce n'ayant point été définitivement établie sous l'empire de la loi du 31 décembre 1964, qui ne prévoyait pas le cas de la forclusion pour tolérance, il s'ensuit qu'au 28 décembre 1991, sauf à faire produire à la loi du 4 janvier 1991 un effet rétroactif prohibé, la tolérance antérieure de l'usage de la marque n'a pu engendrer aucun effet de droit. Bien que la marque contestée ait été toléré depuis son dépôt en 1978, aucun droit acquis de tolérance d'usage ne s'oppose à la demande d'annulation de marque fondée sur l'article 714-3 du Code de la propriété intellectuelle, la demande est donc recevable, l'instance ayant été introduite dans un délai inférieur à cinq années suivant la date d'entrée en vigueur de la nouvelle forclusion de tolérance


Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.bordeaux;arret;2001-03-12;99.00812 ?
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