La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/09/2009 | FRANCE | N°09/00286

France | France, Cour d'appel de Besançon, PremiÈre chambre civile, 30 septembre 2009, 09/00286


ARRÊT No

BP/AR

COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2009

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

SECTION A

Contradictoire

Audience publique

du 24 juin 2009

No de rôle : 09/00286

S/appel d'une décision

du tribunal de grande instance de MONTBÉLIARD

en date du 27 janvier 2009 RG No 08/370

Code affaire : 64B

Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels

Nicolas X... C/ SOCIÉTÉ ALSACIENNE DE PUBLICATIONS "L'ALSACE - LE PAYS"

M

ots clés : Présomption d'innocence - Atteinte - Liberté de la presse - Affirmation de culpabilité

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur Nicolas X...

né le 16 mai 193...

ARRÊT No

BP/AR

COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -

ARRÊT DU 30 SEPTEMBRE 2009

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

SECTION A

Contradictoire

Audience publique

du 24 juin 2009

No de rôle : 09/00286

S/appel d'une décision

du tribunal de grande instance de MONTBÉLIARD

en date du 27 janvier 2009 RG No 08/370

Code affaire : 64B

Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels

Nicolas X... C/ SOCIÉTÉ ALSACIENNE DE PUBLICATIONS "L'ALSACE - LE PAYS"

Mots clés : Présomption d'innocence - Atteinte - Liberté de la presse - Affirmation de culpabilité

PARTIES EN CAUSE :

Monsieur Nicolas X...

né le 16 mai 1938 à METZ (57) , demeurant ...

APPELANT

Ayant la SCP LEROUX pour Avoué

et Me Eric MULLER pour Avocat

ET :

SOCIÉTÉ ALSACIENNE DE PUBLICATIONS "L'ALSACE - LE PAYS"

ayant son siège 18, rue de Thann - 68100 MULHOUSE

INTIMÉE

Ayant Me Jean-Michel ECONOMOU pour Avoué

et Me Philippe SOLAL pour Avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats :

PRÉSIDENT : Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame M. LEVY et Monsieur B. POLLET, Conseillers.

GREFFIER : Madame A. ROSSI, Greffier.

lors du délibéré :

PRÉSIDENT : Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, faisant fonction de Président de chambre.

ASSESSEURS : Madame M. LEVY et Monsieur B. POLLET, Conseillers.

L'affaire, plaidée à l'audience du 24 juin 2009 a été mise en délibéré au 30 septembre 2009. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.

**************

FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le 28 et le 29 novembre 2007 sont parus dans les journaux "L'Alsace" et "Le Pays", tous deux édités par la Société Alsacienne de Publications, des articles relatant l'interpellation de Nicolas X... dans le cadre de plusieurs affaires de meurtres.

Mis en examen du chef de meurtres, Nicolas X... n'a pas été placé en détention, mais sous contrôle judiciaire, par ordonnance du juge des libertés et de la détention en date du 29 novembre 2007.

Les charges réunies contre lui étant apparues insuffisantes, il a bénéficié le 9 mai 2008 d'une mainlevée du contrôle judiciaire et le 1er juillet 2008 de l'octroi du statut de témoin assisté.

Estimant que les articles publiés par la Société Alsacienne de Publications avaient porté atteinte à sa présomption d'innocence, Nicolas X... l'a fait assigner en réparation de son préjudice.

Par jugement en date du 27 janvier 2009, le tribunal de grande instance de MONTBÉLIARD a condamné la Société Alsacienne de Publications à payer à Nicolas X... la somme de 20 000 € à titre de dommages-intérêts.

*

Ayant régulièrement interjeté appel de ce jugement, Nicolas X... demande que le montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués soit porté à 150 000 €. Il sollicite en outre une somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de son recours, il fait valoir, pour l'essentiel, qu'il a été présenté dans les articles de presse édités par l'intimée comme un tueur en série coupable de dix-huit meurtres, qu'ont également été publiées sa photo et des révélations concernant sa vie privée, et qu'il subit en conséquence un préjudice très important.

*

Formant appel incident, La Société Alsacienne de Publications conclut au débouté de l'appelant, au motif que les articles litigieux ne comportaient aucune conclusion définitive tenant pour acquise sa culpabilité et qu'ils ne portaient donc pas atteinte à la présomption d'innocence.

*

Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la Cour se réfère aux dernières conclusions de l'appelant déposées le 20 avril 2009 et à celles de l'intimée déposées le 9 avril 2009.

La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance en date du 21 avril 2009.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que Nicolas X... fonde sa demande sur les dispositions de l'article 9-1 du code civil, selon lesquelles chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, le juge pouvant ordonner la réparation du préjudice subi lorsqu'une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l'objet d'une enquête ou d'une instruction judiciaire ;

Attendu que le principe de la présomption d'innocence doit être concilié avec celui, tout aussi fondamental, de la liberté d'information et de la liberté de la presse ;

Attendu que cette dernière liberté comporte le droit de rendre compte des affaires judiciaires, notamment d'informer le public du placement en garde à vue et de la mise en examen d'une personne suspectée de meurtres, et de révéler son identité ;

Attendu qu'il y a en revanche atteinte à la présomption d'innocence lorsque les informations publiées contiennent des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne concernée ;

Attendu qu'en l'espèce, dans les articles incriminés, Nicolas X... est qualifié non pas de coupable, mais de "principal suspect" ou de "personne soupçonnée" de plusieurs meurtres ; qu'il y est précisé "qu'à ce stade de la procédure, il est présumé innocent" ;

Que les articles du 28 novembre 2007 révélant l'arrestation de l'appelant et son placement en garde à vue ajoutent "qu'en fonction des charges pesant sur les principaux suspects et d'éventuels aveux, on devrait s'acheminer vers une présentation au juge d'instruction" ;

Que les éditions du 29 novembre 2007 faisant état de la prolongation de la garde à vue de Nicolas X... mentionnent que les suspects "nient farouchement", que, selon le parquet, "il est prématuré de parler de tueur en série", et que"si les charges retenues sont estimées suffisantes, ils seront présentés au juge d'instruction";

Attendu par ailleurs que les articles litigieux ne comportent aucun élément fallacieux ou erroné relatif à la culpabilité de Nicolas X... ; qu'en effet, si ces articles rappellent longuement l'existence de plusieurs meurtres non élucidés, et s'ils rapportent la thèse policière d'un tueur en série, fondée sur des rapprochements effectués entre ces différentes affaires au moyen d'un logiciel, ils ne mentionnent, au titre des charges pesant sur Nicolas X..., que le fait "qu'il gravitait dans le milieu ou l'environnement des victimes" et "qu'il s'est présenté spontanément comme témoin" dans certaines affaires, ce qui, d'une part, était exact, et, d'autre part, ne pouvait suffire à persuader le lecteur de sa culpabilité ;

Attendu qu'il peut certes être observé que, compte tenu de la fragilité de ces éléments à charge, l'intimée a donné à l'arrestation de Nicolas X... une place démesurée dans les journaux publiés les 28 et 29 novembre 2007 (gros titre et photographie sur toute la largeur de la première page, deux pages intérieures entières dans la rubrique faits divers) ;

Qu'en outre, certains éléments ont été présentés de manière quelque peu tendancieuse, par exemple la perquisition effectuée au domicile de Nicolas X..., dont le journaliste a écrit "qu'on se dit qu'elle est fructueuse", aux seuls motifs qu'elle a duré huit heures et que les policiers sont ressortis avec des cartons ;

Que, toutefois, cette présentation, qualifiée à juste titre d'accrocheuse par les premiers juges, ne suffit pas, eu égard à l'indigence des informations publiées sur les charges réunies contre Nicolas X..., aux précautions prises par ailleurs pour rappeler son statut de simple suspect, et à l'absence de conclusion définitive sur sa culpabilité, à caractériser une atteinte à la présomption d'innocence ;

Attendu enfin que l'appelant ne fonde sa demande que sur l'atteinte à la présomption d'innocence, et non sur son droit au respect de sa vie privée ou sur son droit à l'image ; que, par conséquent, il ne peut être tenu compte, dans le cadre de la présente instance, du fait que les articles litigieux comportaient des révélations sur sa vie privée, notamment son adresse précise, et qu'ils étaient illustrés de photographies permettant aisément son identification par le lecteur ;

Attendu qu'il convient, en conclusion, de débouter Nicolas X... de sa demande fondée sur l'atteinte à la présomption d'innocence, et d'infirmer le jugement déféré ;

Attendu que l'appelant qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel, cette condamnation emportant nécessairement rejet de sa demande tendant à être indemnisé de ses frais irrépétibles ;

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et après en avoir délibéré ;

DÉCLARE l'appel principal de Nicolas X... recevable, mais non fondé, l'appel incident de la Société Alsacienne de Publications recevable et bien fondé ;

INFIRME le jugement rendu le 27 janvier 2009 par le tribunal de grande instance de MONTBÉLIARD ;

Statuant à nouveau ;

DÉBOUTE Nicolas X... de ses demandes ;

CONDAMNE Nicolas X... aux dépens de première instance et d'appel, avec droit pour Me ECONOMOU, avoué, de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LEDIT ARRÊT a été signé par M. B. GAUTHIER, Conseiller faisant fonction de Président de Chambre, Magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme A. ROSSI, Greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT DE CHAMBRE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Besançon
Formation : PremiÈre chambre civile
Numéro d'arrêt : 09/00286
Date de la décision : 30/09/2009
Sens de l'arrêt : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Type d'affaire : Civile

Analyses

PRESSE - Abus de la liberté d'expression - Définition - Atteinte à la présomption d'innocence

Le principe de la présomption d'innocence doit être concilié avec celui de la liberté d'information et de la liberté de la presse, qui comporte le droit de rendre compte des affaires judiciaires, notamment d'informer le public du placement en garde à vue et de la mise en examen d'une personne suspectée de meurtres, et de révéler son identité. Ainsi, une présentation dans divers articles de journaux, qualifiée d'accrocheuse par des juges, ne suffit pas à caractériser une atteinte à la présomption d‘innocence, dès lors que sont constatées l'indigence des informations publiées sur les charges réunies contre la personne suspectée, la prise de précautions pour rappeler son statut de simple suspect, et l'absence de conclusion définitive sur sa culpabilité. Il ne peut alors être tenu compte, pour réparer le préjudice de celle-ci, du fait que les articles litigieux comportent des révélations sur sa vie privée, dès lors qu'elle ne fonde sa demande que sur l'atteinte à la présomption d'innocence


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Montbéliard, 27 janvier 2009


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.besancon;arret;2009-09-30;09.00286 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award