COUR D'APPEL DE BESANÇON
ARRÊT DU 18 JANVIER 2006
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE SECTION A
Réputé contradictoire
Audience publique du 30 novembre 2005
No de rôle : 03/ 00503
S/ appel d'une décision du tribunal de grande instance de Dole en date du 12 février 2003 Code affaire : 28A Demande en partage, ou contestations relatives au partage Patrick X... C/ Marguerite Y..., divorcée X..., Marie-Josée Z..., épouse A..., Madeleine Y..., épouse B..., Marie-Antoinette B..., Fabrice B..., Marc Z...
PARTIES EN CAUSE :
Monsieur Patrick X...
né le 01 mars 1950 à DOLE (39100)
demeurant...- 64500 ST-JEAN-DE-LUZ APPELANT Ayant la SCP DUMONT-PAUTHIER pour Avoué et Me Karine DE LUCA pour Avocat
ET :
Madame Marguerite Y..., divorcée X...
née le 29 septembre 1918 à DOLE (39100)
demeurant...- 39100 DOLE (bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2003/ 005073 du 06/ 02/ 2004 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Besançon)
INTIMÉE Ayant Me Jean-Michel ECONOMOU pour Avoué et Me Yves-Marie LEHMANN pour Avocat
Madame Marie-Josée Z..., épouse A...
née le 30 juillet 1959 à DOLE (39100)
demeurant...-39100 DOLE INTIMÉE Ayant Me Jean-Michel ECONOMOU pour Avoué
Madame Madeleine Y..., épouse B...
née le 20 avril 1917 à DOLE (39100)
demeurant...-39100 DOLE
Madame Marie-Antoinette B...
née le 18 avril 1955 à DOLE (39100)
demeurant...-39100 DOLE
Monsieur Fabrice B...
né le 10 mars 1953 à DOLE (39100)
demeurant...-39100 DOLE INTIMÉS Ayant la SCP LEROUX pour Avoué et la SCP CHARMONT-UZAN pour Avocat
Monsieur Marc Z...
né le 03 novembre 1955 à DOLE (39100)
demeurant...-39100 DOLE INTIMÉ N'ayant pas constitué Avoué
COMPOSITION DE LA COUR : Lors des débats : MAGISTRAT RAPPORTEUR :
Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, faisant fonction de Président de Chambre, conformément aux dispositions des articles 786 et 910 du Nouveau Code de Procédure Civile, avec l'accord des Conseils des parties. GREFFIER : Madame M. DEVILLARD, Greffier.
Lors du délibéré : Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, faisant fonction de Président de Chambre, a rendu compte conformément à l'article 786 du Nouveau Code de Procédure Civile aux autres magistrats : Madame M. LEVYet Monsieur B. POLLET, Conseillers.
FAITS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les époux F... et Marguerite Y..., tous deux de nationalité espagnole, se sont mariés le 13 mars 1916 à Palma de Majorque (ESPAGNE), sans contrat de mariage, et ont fixé leur première résidence commune en FRANCE.
Ils sont décédés :
- l'épouse, le 2 février 1970 à Dole (JURA),
- le mari, le 9 octobre 1977 à Palma de Majorque (ESPAGNE), en laissant pour recueillir leurs successions leurs deux filles :
- Madeleine Y..., épouse B...,
- Marguerite Y..., divorcée X...
Par acte du 1er août 1973, F... Y... avait fait donation à Patrick X..., son petit-fils, de la nue-propriété de biens immobiliers situés à Palma de Majorque.
Suivant testament olographe du 28 août 1975 et codicille du 5 septembre 1977, F... Y... avait institué Patrick X... légataire universel, à charge pour lui d'exécuter des legs particuliers en faveur de son frère Marc Z..., de sa soeur Marie-Josée Z..., épouse A..., et de ses cousin et cousine germains, Fabrice et Marie-Antoinette B...
Saisi d'une demande de partage des successions des époux F... et Marguerite Y..., le tribunal de grande instance de Dole, par jugement en date du 12 février 2003, a, notamment :
- déclaré irrecevable l'exception d'incompétence territoriale soulevée par Patrick X...,
- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions des époux F... et Marguerite Y..., et désigné Maître H..., notaire à Dole, pour y procéder,
- dit que les époux Y... étaient mariés sous le régime légal de la communauté de meubles et acquêts,
- déclaré inopposable aux consorts B... la donation consentie le 1er août 1973 par feu F... Y... à Patrick X..., cette donation ayant porté sur des biens dépendant de la communauté ayant existé entre le donateur et son épouse, dont le donateur n'avait donc pas le pouvoir de disposer seul,
- ordonné en conséquence la réintégration dans l'actif de la communauté Y... des biens donnés, en nature pour ceux n'ayant pas été cédés à titre onéreux par Patrick X..., en valeur pour les autres, celle-ci étant fixée conformément aux dispositions de l'article 680, alinéa 2, du Code civil,
- condamné Patrick X... à rapporter à l'indivision successorale les fruits produits par ces biens depuis le 9 septembre 1997,
- dit que, pour la détermination des droits des parties sur les immeubles situés aux Baléares ou sur leur valeur déterminée en application de l'article 860, alinéa 2, du Code civil, le notaire-liquidateur devra tenir compte du testament en date du 28 août 1975 et de son codicille du 5 septembre 1977 et faire application de la loi espagnole, ou majorquine si elle y déroge, en ce qui concerne la quotité disponible en présence d'enfants,
- réservé expressément aux parties la faculté de contester la conformité de ces dispositions législatives à l'ordre public interne français,
- dit que le mobilier successoral susceptible de se trouver dans les immeubles situés en ESPAGNE se verra appliquer avec les immeubles et le mobilier situé en FRANCE les règles françaises relatives à la quotité disponible en présence d'enfants, pour la détermination de l'assiette du legs universel consenti à Patrick X... et des legs particuliers et de leur éventuelle réduction.
Ayant régulièrement interjeté appel de ce jugement, Patrick X... demande à la Cour :
- à titre principal, de se déclarer incompétente et de renvoyer les intimés à mieux se pourvoir devant les juridictions majorquines,
- à titre subsidiaire, au fond, de dire que le régime matrimonial des époux Y... était le régime légal majorquin, à savoir la séparation de biens, qu'en conséquence, F... Y... étant seul propriétaire des immeubles donnés le 1er août 1973, il n'y a pas lieu à annulation de cette donation, ni au rapport des fruits,
- de condamner les intimés au paiement d'une somme de 3. 000 ç sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Au soutien de son recours, l'appelant fait valoir :
- que, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal, il a bien soulevé son exception d'incompétence avant toute défense au fond, puisque ses conclusions du 5 juin 2002 par lesquelles il a soulevé cette exception n'avaient été précédées que de conclusions où il s'en rapportait à justice, étant observé que l'assignation en partage qui lui avait été délivrée ne faisait aucunement mention des biens situés en ESPAGNE,
- qu'en toute hypothèse, la compétence, en matière successorale, du lieu d'ouverture de la succession, situé, selon l'appelant, en ESPAGNE, est d'ordre public et aurait donc dû être soulevée d'office par les premiers juges,
- qu'en effet, F... Y... ayant, après le décès de son épouse, fixé définitivement son domicile à Palma de Majorque, seules les juridictions majorquines peuvent connaître du règlement de la succession,
- qu'enfin, si les époux F... et Marguerite Y... étaient venus s'installer en FRANCE après leur mariage en 1916, ils avaient gardé des liens étroits avec leur pays d'origine, où ils se rendaient régulièrement, et manifesté leur intention d'être soumis au régime matrimonial légal majorquin de séparation de biens, notamment en précisant, à chaque fois qu'ils ont acquis des biens immobiliers, si ces acquisitions étaient faites, suivant le cas, par le mari seul, ou par les deux époux.
Madeleine Y..., épouse B..., et ses enfants Fabrice et Marie-Antoinette B... concluent la confirmation du jugement déféré et à la condamnation de l'appelant à leur payer une somme de 3. 000 ç au titre de leurs frais irrépétibles.
Ils font valoir :
- que l'exception d'incompétence soulevée par l'appelant et déclarée irrecevable par les premiers juges est au surplus mal fondée, F... Y... ayant conservé son domicile en FRANCE jusqu'à son décès, et n'ayant qu'une résidence secondaire à Palma de Majorque,
- que la loi applicable au régime matrimonial des époux Y... est celle du pays où ils ont fixé leur premier domicile après leur mariage, donc la loi française, ce qui est confirmé par plusieurs actes notariés où les époux ont déclaré être soumis au régime légal de communauté de biens.
Marguerite Y..., divorcée X..., et sa fille Marie-Josée Z..., épouse A..., s'en rapportent à justice.
Bien que régulièrement assigné à sa personne par acte d'huissier en date du 15 novembre 2003, Marc Z... n'a pas constitué avoué. En application des dispositions de l'article 473, alinéa 2, du nouveau code de procédure civile, le présent arrêt sera réputé contradictoire.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée par ordonnance en date du 22 novembre 2005.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la compétence territoriale
Attendu que, par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont déclaré l'exception d'incompétence soulevée par
Patrick X... irrecevable, sur le fondement de l'article 74 du nouveau code de procédure civile, pour n'avoir pas été invoquée avant toute défense au fond, l'appelant ayant, avant de soulever cette exception par conclusions du 5 juin 2002, conclu au fond le 9 mai 2001 en s'en rapportant à justice sur la demande de partage des biens successoraux, laquelle, comme l'a relevé le tribunal, n'était nullement limitée aux biens situés en FRANCE ;
Attendu qu'il sera ajouté qu'aux termes de l'article 74 précité du nouveau code de procédure civile, l'obligation de soulever l'exception d'incompétence avant toute défense au fond s'impose aux parties alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public ; qu'en outre, à supposer que la compétence des juridictions espagnoles ait été, en l'espèce, d'ordre public, le tribunal, selon l'article 92 du nouveau code de procédure civile, n'aurait pas eu l'obligation, mais seulement la faculté, de relever d'office son incompétence ;
Attendu que la décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a retenu la compétence des juridictions françaises ;
* Sur la loi applicable au régime matrimonial
Attendu que, selon la règle française de conflit de lois, la loi applicable au régime matrimonial des époux est celle qu'ils ont choisie, soit expressément soit, à défaut, implicitement ;
Attendu qu'en l'absence de contrat de mariage exprimant leur volonté sur ce point, les époux sont, sauf preuve contraire, présumés avoir adopté la loi de l'Etat où ils ont fixé leur première résidence après le mariage ;
Attendu qu'en l'espèce, les époux Y..., après leur mariage le 13 mars 1916 à Palma de Majorque (ESPAGNE), ont fixé leur domicile commun en FRANCE, où, jusqu'au décès de l'épouse en 1970, soit pendant cinquante-quatre ans, ils ont non seulement résidé, mais aussi exercé leur activité professionnelle, acquis et cédé plusieurs biens immobiliers, fixant ainsi en FRANCE le centre principal de leurs intérêts patrimoniaux ;
Attendu que, si les époux avaient conservé des liens étroits avec leur pays d'origine, s'y rendant fréquemment, y faisant l'acquisition de certains biens, dans le dessein, peut-être, d'y retourner définitivement pour leur retraite, il n'est pas établi qu'ils aient eu l'intention de soumettre leur union au régime matrimonial majorquin de séparation de biens ;
Attendu en effet que, dans aucun des actes produits par l'appelant, les époux n'ont déclaré être mariés sous le régime de séparation de biens ; qu'au contraire, dans deux actes du 9 septembre 1955 et du 26 juin 1958, ils est mentionné que leur régime est celui de la communauté légale française ; que, dès lors, si certaines acquisitions ont été effectuées pendant le mariage par le mari agissant seul, celui-ci a agi pour le compte de la communauté ;
Attendu que, mieux encore, selon l'attestation immobilière dressée par le notaire le 29 mars 1976, après le décès de l'épouse, le mari, qui avait donné procuration au notaire, a expressément admis l'application du régime de communauté ;
Attendu que, pour le surplus, la Cour fait siens les motifs des
premiers juges, dont la décision sera donc confirmée en ce qu'elle a déclaré la loi française applicable au régime matrimonial des époux et en a tiré les conséquences quant à la donation effectuée par le mari le 1er août 1973 en faveur de l'appelant, cet acte étant inopposable aux intimés dès lors que, les biens donnés ayant fait partie de la communauté entre époux et dépendant donc pour moitié, après le décès de l'épouse, de la succession de celle-ci, le mari n'avait pas le pouvoir d'en disposer sans le consentement des autres héritiers ;
* Sur la loi applicable aux biens successoraux
Attendu que le jugement déféré n'est pas remis en cause en ce qu'il a déclaré la loi espagnole ou, pour autant qu'elle déroge à cette dernière, la loi majorquine, applicable aux immeubles situés aux Baléares ;
Attendu que, s'agissant du mobilier successoral, la loi applicable est celle de l'Etat dans lequel le défunt avait fixé son dernier domicile ;
Attendu que la succession mobilière de l'épouse, Marguerite Y..., est soumise à la loi française, dès lors que les époux avaient leur domicile en FRANCE à la date du décès de l'épouse, survenu le 2 février 1970 à Dole ;
Attendu en revanche qu'après le décès de l'épouse, le mari a transféré son domicile à Majorque où il est décédé le 9 octobre 1977 ; que la preuve en est rapportée par le fait que sa dernière carte d'identité, délivrée le 26 octobre 1975, porte mention de son domicile à Majorque, que c'est à ce domicile qu'était adressé son
courrier (par exemple une lettre de la MSA du 6 novembre 1972), qu'enfin plusieurs attestations font état de sa présence, à titre principal, à ce domicile, et de la cessation de toutes ses activités en FRANCE ;
Attendu que ces éléments ne sont pas contredits par les attestations produites par les intimés, selon lesquelles F... Y... a été aperçu à Dole dans le courant des années 1971 à 1973 ; qu'en effet, il ne résulte pas de ces attestations que durant cette période F... Y... ait résidé durablement en FRANCE, où il pouvait se rendre temporairement pour voir sa famille ;
Attendu qu'il convient donc de déclarer la loi espagnole applicable à la succession mobilière de F... Y..., et de réformer sur ce point le jugement déféré ;
* Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Attendu que, dès lors que chaque partie succombe partiellement en ses prétentions en cause d'appel, il convient de laisser à chacune la charge de ses dépens et de ses frais non compris dans les dépens exposés en cause d'appel ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant en audience publique, par arrêt réputé contradictoire, après débats en audience publique et après en avoir délibéré,
DÉCLARE l'appel de Patrick X... recevable et partiellement fondé ;
CONFIRME le jugement rendu le 12 février 2003 par le tribunal de
grande instance de Dole, sauf en ses dispositions afférentes aux biens mobiliers successoraux ;
Statuant à nouveau sur ce point,
DIT que la loi française est applicable à la succession mobilière de Marguerite Y..., décédée le 2 février 1970, et la loi espagnole applicable à la succession mobilière de F... Y..., décédé le 9 octobre 1977 ;
REJETTE toutes les demandes des parties fondées sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
DIT que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.
LEDIT ARRÊT a été prononcé en audience publique et signé par Monsieur B. GAUTHIER, Conseiller, faisant fonction de Président de Chambre, Magistrat ayant participé au délibéré, et par Mademoiselle C. BARBIER, Greffier.