ORDONNANCE N°30
du 23 JUILLET 2024
N° RG 24/00042 - N° Portalis DBVE-V-B7I-CINH
S.A.R.L. ARTDECOPLAST
C/
[X]
COUR D'APPEL DE BASTIA
ORDONNANCE DE REFERE
DU
VINGT TROIS JUILLET DEUX MILLE VINGT QUATRE
Audience publique tenue par Hélène DAVO, première présidente, assisté de Elorri FORT, greffier lors des débats et du prononcé,
DEMANDERESSE :
S.A.R.L. ARTDECOPLAST
Prise en la personne de son représentant légal en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
non comparante représentée par Me Thibault POMARES de la SAS ABP AVOCATS CONSEILS, avocat au barreau de TARASCON, Me Gilles ANTOMARCHI, avocat au barreau de BASTIA substitués par Me TOUSSAINT Doris, avocat au barreau de BASTIA
DEFENDEUR :
Maître [V] [X]
Pris en sa qualité de liquidateur de la SARL ARTDECOPLAST
[Adresse 3]
[Localité 1]
non comparant représenté par Me Stéphane RECCHI de la SCP MORELLI MAUREL ET ASSOCIES, avocat au barreau d'AJACCIO substitué par Me Liria PRIETTO, avocat au barreau d'AJACCIO
DEBATS :
A l'audience publique du 09 juillet 2024,
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 23 juillet 2024.
ORDONNANCE :
Contradictoire,
Prononcée publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signée par Hélène DAVO, première présidente, et par Elorri FORT, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
2
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par jugement en date du 04 mars 2024, le tribunal de commerce d'Ajaccio a notamment :
« Constaté l'état de cessation des paiements de la société ARTDECOPLAST (S.A.R.L.) ;
Prononcé, conformément aux dispositions de l'article L. 631-20-1 du code de commerce, la résolution du plan de redressement de la société ARTDECOPLAST (S.A.R.L.) ;
Ouvert à son encontre une procédure de liquidation judiciaire simplifiée prévue par les dispositions des articles L. 644-1 et suivants du code de commerce ;
Fixé au 5 septembre 2022 la date de l'état de cessation des paiements, sans préjudice de l'exercice de l'action prévue par l'article L. 641-1 du code de commerce ;
Désigné M. Paul André QUILICHINI en qualité de juge commissaire et M. André PIETRI, juge commissaire suppléant ;
Nommé Me [V] [X] en qualité de liquidateur ;
[..]
Ordonne la vente aux enchère publiques ou la vente de gré à gré de la totalité des biens de la société ARTDECOPLAST (S.A.R.L.) à la valeur minimale de prisée dans les quatre mois suivant la présente décision »
Par déclaration en date 15 mars 2024, la S.A.R.L. Artdecoplast a interjeté appel du jugement.
Par assignation en référé, délivrée le 11 avril 2024 à Maître [V] [X], es qualité de liquidateur aux termes du jugement querellé, a saisi la Première présidente de la cour d'appel de Bastia afin d'obtenir l'arrêt de l'exécution provisoire.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par conclusions écrites auxquelles il est renvoyé à l'audience, la S.A.R.L. Artdecoplast demande à la Première présidente de la cour d'appel de Bastia de :
« Vu l'article R. 661-1 du code de commerce,
Vu les pièces versées aux débats,
Vu les présentes écritures,
ORDONNER l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement n° RG 2023004212 de résolution de plan de redressement et d'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société ARTDECOPLAST du tribunal de commerce d'Ajaccio en date du 4 mars 2024 ;
DÉBOUTER Maître [X] de l'ensemble de ses prétentions, fins et moyes ;
CONDAMNER Maître [X] à verser à la société ARTDECOPLAST la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
LAISSER à la charge de Maître [X] les dépens de l'instance ».
« - JUGER que l'exécution provisoire du jugement 11 juin 2024 rendu par le tribunal de commerce de Bastia est arrêtée jusqu'à la date à laquelle il sera statué sur l'appel qu'il a interjeté ;
- DIRE que les frais du référé seront joints aux dépens de la procédure d'appel »
Liminairement, sur la caducité de l'appel soulevée par Me [V] [X], la S.A.R.L. Artdecoplast fait valoir que :
- le premier président n'a pas compétence pour statuer sur un incident de la procédure au fond ;
- la jurisprudence citée par Me [V] [X] n'est pas transposable à l'espèce ;
- Me [V] [X] a été désigné comme liquidateur par le jugement dont il est interjeté appel. En tout état de cause, elle précise qu'une déclaration d'appel peut faire l'objet d'une régularisation.
Pour justifier de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire, la S.A.R.L. Artdecoplast déclare qu'il existe :
- des moyens sérieux à l'appui de son appel découlant de :
un risque d'annulation de la décision dès lors qu'il ne ressort pas du jugement que la résolution du plan a été prononcé après avis du ministère public. Elle souligne que Me [V] [X] admet qu'il n'est pas établi que le parquet ait pu émettre un avis. Elle ajoute que c'est à tort que Me [V] [X] soutient que si la décision est annulée la cour d'appel ne pourra statuer que sur les points-non jugés en première instance, l'article 568 du code de procédure civile concernant exclusivement les jugements qui ont soit ordonné une mesure d'instruction, soit mis fin à l'instance en statuant sur une exception de procédure ;
l'absence de motivation suffisante quant à la caractérisation de l'état de cessation de paiement. Elle précise que le non-respect du plan de redressement ne peut, à lui seul, caractériser un état de cessation de paiement et ajoute que les premiers juges avaient pour obligation de procéder à une analyse, même sommaire, de l'actif de la société d'autant plus que la société a allégué avoir effectué des paiements directement dans les mains de créanciers. Elle estime ainsi que la décision de résolution a pour finalité de sanctionner la société qui n'a pas réglé directement ses dettes dans les mains de Me [V] [X] ;
la mauvaise compréhension ou mauvaise retranscription des propos du gérant de fait puisque celui-ci a déclaré que c'était le passif de la société qui était à zéro et non l'actif.
- des conséquences manifestement excessives puisque les comptes sont gelés empêchant la société d'avoir toute activité.
*
Par conclusions écrites auxquelles il est renvoyé à l'audience, Me [V] [X] demande à la Première présidente de la cour d'appel de Bastia de :
« Rejeter la demande de suspension de l'exécution provisoire à défaut de moyens sérieux d'annulation ou de réformation du jugement de liquidation judiciaire en date du 04.03.2024 ;
Condamner la société ARTDECOPLAST à payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC et les entiers dépens de l'instance ».
Liminairement, Me [V] [X] fait valoir que l'appel est caduc car la déclaration d'appel intime le liquidateur judiciaire et non le commissaire à l'exécution au plan qui était à l'origine de la requête. Il précise que si la régularisation est possible, elle doit intervenir dans le délai d'appel. Il en conclut que l'appel étant irrecevable, il n'y a aucune chance de réformation de la décision.
Pour s'opposer à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire, il soutient que :
- si le jugement ne fait pas état de l'avis du parquet, cela ne signifie pas que le parquet n'a pas fait connaître son avis. En tout état de cause, il ajoute que si le jugement devait être annulé, la cour d'appel ne pourra statuer que sur les points non jugés en première instance ;
- la société Artdecoplast ne produit aucune pièce pour justifier du règlement de son plan directement auprès des créanciers.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions et aux pièces déposées et soutenues à l'audience.
MOTIVATION
Sur la demande tendant à voir arrêter l'exécution provisoire
Aux termes du 4e alinéa de l'article R. 661-1 du code de commerce, « par dérogation aux dispositions de l'article 514-3 du code de procédure civile, le premier président de la cour d'appel, statuant en référé, ne peut arrêter l'exécution provisoire des décisions mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article que lorsque les moyens à l'appui de l'appel paraissent sérieux. L'exécution provisoire des décisions prises sur le fondement de l'article L. 663-1-1 peut être arrêtée, en outre, lorsque l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives. Dès le prononcé de la décision du premier président arrêtant l'exécution provisoire, le greffier de la cour d'appel en informe le greffier du tribunal ».
En l'espèce, la lecture du jugement montre que la liquidation judiciaire n'a pas été prononcée sur le fondement de l'article L. 663-1-1 du code de commerce de sorte que la caractérisation de moyens sérieux à l'appui de l'appel est, à elle seule, suffisante pour ordonner l'arrêt de l'exécution provisoire.
* Sur la caducité de la déclaration d'appel soulevée par Me [V] [X]
Il convient de rappeler que la présente juridiction n'a pas compétence pour statuer sur un incident de procédure au fond, lequel relève de la compétence du conseiller de la mise en état ou, si l'affaire a été fixée à bref délai, du président de la chambre concernée ou du magistrat désigné par le premier président. Il appartiendra donc au magistrat compétent de trancher sur la qualité qu'avait l'intimé au moment où a été formé la déclaration d'appel.
Ainsi, tant qu'il n'a pas été tranché sur la régularité de l'appel, le premier président demeure compétent pour statuer sur une demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Il sera souligné, de manière surabondante, que si Me [V] [X] remet en cause la régularité de l'appel, il ne remet pas en cause la régularité de la présente procédure alors qu'il a été assigné en sa qualité de liquidateur et qu'il se désigne « es qualité de liquidateur » dans le cadre des écritures présentées devant nous.
* sur les moyens présentés à l'appui de l'appel :
La S.A.R.L. Artdecoplast soutient qu'il existe un moyen sérieux à l'appui de son appel caractérisé par le risque d'annulation de la décision.
Il résulte de l'article L. 631-20-1 du code de commerce, tel qu'applicable au litige (la procédure collective ayant été ouverte par jugement en date du 30 septembre 2013), que la résolution du plan ne peut être prononcé qu'après avis du procureur de la république.
De plus, il est constant que la seule communication du dossier est insuffisante pour satisfaire aux prescriptions de l'article précité, le ministère public devant faire connaître son avis sous quelque forme que ce soit.
En l'espèce, et sans préjuger de ce que sera la décision au fond sur une éventuelle nullité de la décision querellée, force est de constater que la décision du tribunal de commerce ne fait pas mention de l'avis de procureur de la République.
En outre, par application combinée des articles 556 et 568 du code de procédure civile, contrairement à ce que soutient Me [V] [X], si la cour d'appel devait annuler le jugement querellé, une dévolution sur le tout serait opérée en raison de la nature dudit jugement.
Ce premier élément constitue donc un moyen sérieux au sens de l'article R. 661-1 du code de commerce.
Par ailleurs, si la décision du tribunal de commerce d'Ajaccio semble, au prime abord, motivée, il n'en demeure pas moins que la motivation est manifestement insuffisante s'agissant de la caractérisation de l'état de cessation de paiement, ce dernier ne pouvant découler du seul non-respect du plan de redressement et nécessitant une analyse tant de l'actif que du passif.
En effet, pour caractériser l'actif disponible de la société, les premiers juges se sont fondés sur les seules déclarations du gérant de fait, qui aurait indiqué que l'actif était nul. Outre le fait que la S.A.R.L. Artdecoplast soutient que ledit gérant faisait état du passif et non de l'actif, il appartenait aux premiers juges de démontrer que cet actif était effectivement égal à zéro en présentant, à minima, un descriptif sommaire de la situation financière de la S.A.R.L. Artdecoplast (actif et passif).
S'agissant du passif exigible, la S.A.R.L. Artdecoplast soutient que la juridiction n'a pas analysé le passif tel qu'apuré par les paiements du gérant de fait, hors du cadre de plan de redressement.
Sur ce point, force est d'observer que la motivation du tribunal de commerce est, là encore, insuffisante.
En effet, les premiers juge se prévalent uniquement du non-respect du plan de redressement sans préciser la teneur du passif exigible.
De plus, après avoir formellement rappelé qu'aux termes de l'article 1342-2 du code civil « le paiement doit être fait ['] à la personne désignée pour le recevoir. Le paiement fait à une personne qui n'avait pas qualité pour le recevoir est néanmoins valable si le créancier le ratifie ou s'il en a profité », le tribunal de commerce conclut que « les éventuels versements effectués en contradiction de l'article 1342-2 du code civil seraient dépourvus de tout effet libératoires » sans pour autant justifier en quoi les dits versement ne seraient pas valables au sens de l'article qu'il cite intégralement.
Enfin, le fait que la S.A.R.L. Artdecoplast ne justifie pas devant nous des différents paiements effectués hors plan est, contrairement à ce que soutient Me [V] [X], sans incidence puisque la présente juridiction n'a pas compétence pour trancher sur le fond. En revanche, il appartenait aux premiers juges d'expliquer en quoi ces paiements ne pouvaient être considérés libératoires en démontrant, soit que le créancier ne les avaient pas ratifiés, soit que le créancier n'en avait pas profités.
Ainsi, l'ensemble de ces éléments permet de caractériser l'existence de moyens sérieux à l'appui de l'appel interjeté par la S.A.R.L. Artdecoplast.
Il sera donc fait droit à la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formulée la S.A.R.L. Artdecoplast.
Sur les autres demandes
M. [V] [X] succombant, il sera, es qualité, condamné aux dépens de la présente instance.
L'équité justifie qu'il soit fait application de l'article 700 du code de procédure civile. M. [V] [X] sera condamné, es qualité, à payer à la S.A.R.L. Artdecoplast la somme de 3 000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS
Nous, Hélène DAVO, Première Présidente, statuant publiquement, en référé, par ordonnance contradictoire,
- ORDONNONS l'arrêt de l'exécution provisoire attachée au jugement du tribunal de commerce d'Ajaccio en date du 4 mars 2024 ;
- CONDAMNONS M. [V] [X] es qualité au paiement des dépens de la présente instance ;
- CONDAMNONS M. [V] [X] es qualité à payer à la S.A.R.L. Artdecoplast la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER, LA PREMIERE PRESIDENTE,
Elorri FORT Hélène DAVO