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05/07/2023 | FRANCE | N°17/00287

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre sociale tass, 05 juillet 2023, 17/00287


ARRET N°

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05 Juillet 2023

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N° RG 17/00287 - N° Portalis DBVE-V-B7B-BXEJ

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Société CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE MARITIME



C/



[G] [E]-[B],



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE







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Décision déférée à la Cour du :

02 octobre 2017

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTE CORSE

21400285

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Copie exécutoire délivrée le :









à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE BASTIA



CHAMBRE SOCIALE





ARRET DU : CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT T...

ARRET N°

-----------------------

05 Juillet 2023

-----------------------

N° RG 17/00287 - N° Portalis DBVE-V-B7B-BXEJ

-----------------------

Société CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE MARITIME

C/

[G] [E]-[B],

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE

----------------------

Décision déférée à la Cour du :

02 octobre 2017

Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de HAUTE CORSE

21400285

------------------

Copie exécutoire délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : CINQ JUILLET DEUX MILLE VINGT TROIS

APPELANTE :

CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE MARITIME représenté par son président en exercice

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représentée par Me Sophie ALESSANDRI, avocat au barreau de BASTIA

INTIMEES :

Madame [G] [E]-[B]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Christian FINALTERI, avocat au barreau de BASTIA substitué par Me Charlotte ALBERTINI, avocat au barreau de BASTIA

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE

Service Contentieux

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 décembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre et Madame COLIN, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur JOUVE, Président de chambre

Madame COLIN, Conseillère

Madame BETTELANI, Conseillère

GREFFIER :

Madame CARDONA, Greffière lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 mai 2023, et a fait l'objet de prorogations au 21 juin et 05 juillet 2023.

ARRET

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

- Signé par Monsieur JOUVE, Président de chambre et par Madame CARDONA, Greffière, présente lors de la mise à disposition de la décision.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 23 octobre 2009, Mme [G] [E]-[B], attachée territoriale non titulaire exerçant les fonctions d'adjointe au chef de service chargé de l'Emploi au sein du conseil départemental (alors dénommé conseil général) de la Seine-Maritime, a fait l'objet de propos diffamatoires et agressifs sur son lieu de travail de la part d'un autre agent contractuel.

Le 17 septembre 2010, le conseil départemental de la Seine-Maritime a établi une déclaration d'accident du travail qu'il assortissait de réserves.

Le 10 mai 2011, cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Corse au titre de la législation professionnelle.

L'état de santé de l'assurée a été considéré comme consolidé le 08 septembre 2013 et un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 30% lui a été attribué.

Le 25 février 2014, Mme [E]-[B] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de la Haute-Corse aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement mixte du 18 janvier 2016, cette juridiction a retenu la faute inexcusable du conseil départemental de la Seine-Maritime, fixé au maximum la majoration de la rente allouée à la victime et, avant dire droit, ordonné une expertise médicale confiée au Dr [J] [I], lequel a déposé son rapport le 22 juin 2016.

A compter du 1er mars 2017, Mme [E]-[B] s'est vu attribuer une pension d'invalidité de catégorie 2.

Par jugement contradictoire du 02 octobre 2017, le TASS a, au visa de son précédent jugement, du rapport d'expertise du Dr [I] et du rapport d'expertise privée de la Dre [L] [T],

- alloué à Mme [E]-[B], au titre de l'indemnisation de ses préjudices, les sommes suivantes :

15 000 euros au titre des souffrances endurées (physiques, morales et psychologiques),

20 000 euros au titre de la perte de chance (incidence professionnelle),

16 175 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,

3 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- dit que la CPAM devra faire l'avance de ces sommes, à charge pour elle d'en obtenir le remboursement par l'employeur, à l'égard duquel le jugement régulièrement signifié tiendra lieu de titre exécutoire ;

- débouté les parties pour le surplus et autres demandes ;

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- condamné le conseil départemental de la Seine-Maritime à payer à Mme [E]-[B] la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par courrier électronique du 25 octobre 2017, le conseil départemental de la Seine-Maritime a interjeté appel partiel de ce jugement en ce qu'il a :

- visé le rapport d'expertise de la Dre [T] ;

- alloué à Mme [E]-[B] les sommes suivantes :

15 000 euros au titre des souffrances endurées,

20 000 euros au titre de la perte de chance de promotion professionnelle ;

16 175 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

3 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt avant dire droit du 19 décembre 2018, la présente cour a :

- ordonné une expertise psychiatrique confiée au Dr [K] [X], avec pour mission notamment de dégager les éléments propres à justifier une indemnité (hors livre IV du code de la sécurité sociale) selon la nomenclature habituelle, particulièrement au titre des souffrances morales endurées, du préjudice d'agrément, du préjudice résultant de la perte de chance de promotion professionnelle, et du déficit fonctionnel temporaire total ou partiel non indemnisé par les indemnités journalières de la sécurité sociale (gêne dans les actes de la vie courante causée par l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle antérieurement à la consolidation et incluant le temps d'hospitalisation éventuel, les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante pendant la maladie traumatique directement liée à l'accident) ;

- dit

que la CPAM récupèrera auprès de l'employeur les sommes dont elle devra faire l'avance à la victime ;

- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes ;

- réservé les dépens.

Le 10 avril 2019, le Dr [X] a informé la cour de son refus d'exécuter la mission qui lui était confiée.

Par ordonnance du 10 mai 2019, le conseiller chargé du contrôle des expertises a désigné en remplacement le Dr [H] [A], médecin psychiatre.

Le 12 mars 2020, le Dr [A] a rendu son rapport d'expertise établi le 08 février 2020.

L'affaire a été utilement appelée à l'audience du 13 décembre 2022, au cours de laquelle les parties, non comparantes, étaient représentées.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, le conseil départemental de la Seine-Maritime, appelant principal, demande à la cour de':

- 'Infirmer le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau :

- Fixer à la somme de 20 712 euros la réparation du Déficit Fonctionnel Temporaire (GFT) ;

- Débouter Mme [E]-[B] en sa demande formée au titre d'un préjudice d'agrément ;

A titre subsidiaire

Si une telle demande devait être accueillie, il conviendra de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fixé ce poste de préjudice à 3 000 euros ;

- Statuant à nouveau, évaluer les souffrances endurées à la somme de 12 000 euros ;

- Débouter Mme [E]-[B] en sa demande relative à une perte de chance de promotion.'

Au soutien de ses prétentions, l'appelant fait notamment valoir que :

- le calcul du DFT opéré en première instance est erroné ;

- il importe d'évaluer le DFT sur la base de 25 euros par jour et selon les taux proposés par le Dr [A] ;

- le préjudice d'agrément allégué n'est nullement justifié ;

- le préjudice lié à la perte de chance de promotion professionnelle doit être distingué de celui né du seul déclassement professionnel de la victime, les premiers juges ayant improprement assimilé la perte de chance de retrouver un emploi à la perte de chance de promotion ;

- la rente majorée indemnise d'ores et déjà les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et Mme [E]-[B] ne démontre pas avoir perdu une quelconque promotion professionnelle qui lui aurait permis d'accéder à des postes portant augmentation de salaire de 550 euros mensuels de la date de consolidation de son état à celle de sa retraite ;

- Mme [E]-[B] ne justifie pas s'être effectivement présentée au concours d'attaché territorial et en tout état de cause ne prouve pas qu'elle a perdu une chance d'intégrer la fonction publique territoriale ;

- Mme [E]-[B] avait connu d'autres périodes d'arrêt de travail antérieurement à l'accident du 23 octobre 2009 ainsi que des difficultés de management, le non-renouvellement de son contrat de travail n'étant pas dû à cet accident.

*

Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [G] [E]-[B], intimée et appelante incidente, demande à la cour de':

'CONFIRMER le jugement rendu le 02 octobre 2017 par le tribunal des affaires de la sécurité sociale de Haute-Corse en ce qu'il a :

- alloué la somme de 15 000,00 euros à Madame [E]-[B] au titre des souffrances endurées,

- alloué la somme de 3 000,00 euros à Madame [E]-[B] au titre de son préjudice d'agrément,

- alloué la somme de 2 500,00 euros à Madame [E]-[B] au titre des frais irrépétibles de première instance,

L'INFIRMER pour le surplus ;

Et, statuant à nouveau :

CONDAMNER la CPAM DE HAUTE-CORSE à payer à Madame [E]-[B] la somme de 102 539, 40 euros répartie comme suit :

- 260 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total du 25.03.2011 au 05.04.2011

- 10 774, 40 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 80% du 23.10.2009 au 25.03.2011

- 11 505 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à 50% du 06.04.2011 au 08.09.2013

- 80 000,00 euros au titre de la perte de chance d'évolution et de promotion professionnelle

à charge pour l'organisme social de solliciter le remboursement desdites sommes auprès du CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE-MARITIME ;

CONDAMNER le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE-MARITIME à payer à Madame [E]-[B] la somme de 3 500,00 euros en application des dispositions de l'article 700 de code de procédure civile ;

CONDAMNER le CONSEIL DEPARTEMENTAL DE SEINE-MARITIME aux entiers dépens (article 696 du code de procédure civile).'

Mme [E]-[B] réplique notamment que :

- elle a été plongée dans une grave dépression réactionnelle à la suite de cet accident, au point de tenter le 25 mars 2011 une autolyse avant d'être hospitalisée ;

- le Dr [U], médecin psychiatre traitant, qualifie son état de stress post-traumatique caractérisé ;

- le lourd traitement qu'elle est contrainte de suivre a généré une importante prise de poids, elle-même justifiant une intervention chirurgicale et provoquant in fine un véritable préjudice esthétique ;

- l'état de somnolence suscité par les médicaments absorbés la prive de toute vie sociale et la perte de libido de toute vie sexuelle ;

- le préjudice d'agrément s'entend de la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, et non de la seule impossibilité de pratiquer une activité sportive ou de loisir spécifique ;

- elle est sans activité professionnelle en rapport avec ses compétences depuis le 02 février 2010, date de son premier arrêt de travail, le défaut de renouvellement de son contrat d'engagement ayant porté un net coup d'arrêt à ses perspectives professionnelles puisqu'elle devait bénéficier d'un contrat à durée indéterminée dans le cadre du dispositif de résorption de l'emploi précaire dans la fonction publique ;

- elle s'était soumise à l'obligation qui lui était faite de passer le concours d'attaché territorial en 2006, 2007, 2008 et 2011 ;

- elle dispose de la qualité de travailleur handicapé depuis le 1er juin 2012 et s'est vu attribuer l'allocation aux adultes handicapés (AAH) ;

- la base journalière de calcul du DFT est de 26 euros et non de 25 euros et le nombre de jours couverts par le DFT de 50% est de 885 et non 416 comme retenu à tort par les premiers juges.

*

La CPAM de la Haute-Corse, intimée, s'en remet à la sagesse de la cour tout en précisant qu'elle ne saurait être condamnée au paiement des sommes dues au titre de la réparation des préjudices subis puisque sa seule obligation est de faire l'avance de ces sommes.

*

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

- Sur l'indemnisation des préjudices

L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que 'Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.'

L'article L. 452-3 du même code précise qu''Indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité permanente de 100 %, il lui est alloué, en outre, une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation.

De même, en cas d'accident suivi de mort, les ayants droit de la victime mentionnés aux articles L. 434-7 et suivants ainsi que les ascendants et descendants qui n'ont pas droit à une rente en vertu desdits articles, peuvent demander à l'employeur réparation du préjudice moral devant la juridiction précitée.

La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.'

Il est en outre admis que les dispositions de l'article L. 452-3 susvisé, tel qu'interprétées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010, ne font pas obstacle à ce que la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur puisse demander à ce dernier la réparation non seulement des chefs de préjudice énumérés par le texte susvisé, mais aussi de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Dès lors, les préjudices déjà couverts par le livre IV, ne serait-ce que partiellement, ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation complémentaire.

Il sera rappelé que sont couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale les postes de préjudice suivants :

- les dépenses de santé actuelles et futures,

- les frais de déplacement,

- les dépenses d'expertise technique,

- les dépenses d'appareillage actuelles et futures,

- les incapacités temporaires et permanentes,

- les pertes de gains professionnels actuelles et futures,

- l'assistance d'une tierce personne après la consolidation.

Il est en outre désormais jugé que la rente versée à la victime d'un accident du travail ne répare pas le déficit fonctionnel permanent, et que l'indemnisation des souffrances physiques et morales prévue à l'article L. 452-3 susvisé ne saurait être subordonnée à une condition tirée de la date de consolidation de l'état de la victime ou de la démonstration que ces souffrances n'ont pas déjà été indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent, de sorte que doit être pris en compte l'ensemble des souffrances physiques et morales éprouvées depuis l'accident (Cass. Ass. Plén. 20 janvier 2023 n°21-23.947).

Sur le déficit fonctionnel temporaire

Ce préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de la qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément et éventuellement le préjudice sexuel temporaire (mais pas le préjudice esthétique temporaire).

L'évaluation de ce préjudice résulte notamment de la durée de l'incapacité temporaire, du caractère partiel ou total de cette incapacité et du degré de pénibilité entourant celle-ci en raison par exemple de l'hospitalisation ou non de la victime, du nombre d'interventions chirurgicales subies ou encore de la nature des soins imposés.

En l'espèce, le Dr [A] a évalué ce déficit fonctionnel temporaire (DFT) comme suit :

- 100% pendant 'la période d'hospitalisation de 10 jours à compter du 25 mars 2011",

- 80% durant la période de maladie 'jusqu'au 31 mars 2011 (en dehors de la période d'hospitalisation)',

- 50% 'jusqu'à la date de consolidation fixée au 08 septembre 2013".

A l'image de celles des Drs [I] et [T], ces conclusions manquent de précisions quant aux dates exactes considérées.

La cour constate que la maladie traumatique a été médicalement constatée pour la première fois le 02 février 2010 - date du premier arrêt de travail de Mme [E] -[B], et non le 23 octobre 2009, jour de l'accident du travail.

Ainsi, au cours de la période considérée, comprise entre le 02 février 2010 et le 08 septembre 2013 - soit durant 1 314 jours (3 ans, 7 mois et 6 jours) - Mme [E]-[B] a été hospitalisée à une reprise durant 7 jours (et non 10) du 25 au 31 mars 2011 comme l'indique le Dr [I] qui est le seul a être précis sur ce point, a subi un lourd traitement psychotrope associé à un suivi psychiatrique depuis février 2010 en raison de la sévérité du syndrome dépressif réactionnel diagnostiqué. Ces troubles psychiques et le traitement associé ont considérablement impacté la vie sexuelle et sociale de la victime, ainsi que le décrit son psychiatre traitant dans les multiples certificats produits.

Au regard des pièces versées aus débats, les différents taux retenus par le Dr [A] sont conformes à la situation médicale de Mme [E]-[B], sous réserve des précisions apportées infra par la cour sur les dates exactes à prendre en considération.

Quant à la somme due au titre du DFT, il est de jurisprudence constante de prendre pour base de calcul la moitié du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), soit une base forfaitaire journalière de 26 euros au moment où le premier juge a statué.

Le calcul sera donc opéré comme suit :

- DFT de 100% (du 25 au 31 mars 2011) : 7 jours x 26 euros = 182 euros

- DFT de 80% (du 02 février 2010 au 24 mars 2011) : 415 jours x 20,8 euros (80% de 26 euros) = 8 635 euros

- DFT de 50% (du 1er avril 2011 au 08 septembre 2013 : 891 jours x 13 euros (50% de 26 euros) = 11 583 euros

soit un total de 20 400 euros.

Cependant, la somme sollicitée par l'appelant étant de 20 712 euros, la cour ne saurait le condamner au paiement d'une somme inférieure.

Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a alloué à Mme [E]-[B] la somme de 16 175 euros et le conseil départemental de la Seine-Maritime sera condamné à lui payer la somme de 20 712 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire.

Sur le préjudice d'agrément

Le préjudice d'agrément vise exclusivement à réparer le préjudice lié à l'impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs.

Ce préjudice concerne donc les activités sportives, ludiques ou culturelles devenues impossibles ou limitées en raison des séquelles de l'accident. Il appartient à la victime de justifier de la pratique de ces activités (licences sportives, adhésions d'associations, attestations...) et de l'évoquer auprès du médecin expert afin que celui-ci puisse confirmer l'incapacité dans laquelle elle se trouve de pratiquer ces activités.

Il convient de rappeler que les juridictions de sécurité sociale mettent en oeuvre cette approche restrictive du préjudice d'agrément depuis 2013 (Civ. 2e, 28 février 2013, n° 11-21.015), les jurisprudences antérieures citées par l'intimée étant donc désormais inopérantes.

En l'espèce, Mme [E]-[B], âgée de 45 ans au moment de l'accident, ne soutient pas avoir été contrainte d'interrompre ou de limiter la pratique régulière d'une quelconque activité sportive, culturelle ou de loisirs. Aucune attestation de ses proches n'est versée aux débats, ni aucune licence ni preuve d'adhésion à une association ou un club sportif.

Il en résulte que c'est sans fondement que le Dr [A] conclut lapidairement et sans aucune précision à un 'préjudice d'agrément modéré'.

C'est de manière tout aussi surprenante que le jugement querellé indique que 'la somme de 3 000 € est raisonnablement réclamée en l'absence de justificatifs particuliers et sera admise'.

Dès lors, ce jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué à Mme [E]-[B] la somme de 3000 euros et cette dernière sera déboutée de sa demande d'indemnisation au titre de ce poste de préjudice.

Sur les souffrances endurées

Ce poste de préjudice recouvre désormais les souffrances psychiques et physiques endurées par la victime depuis la maladie traumatique.

En l'espèce, le Dr [A], à l'instar de la Dre [T], évalue à 4/7 les souffrances endurées par Mme [E]-[B] au regard des 'éléments dépressifs et anxieux chronicisés associés à une modification durable de la personnalité'.

Selon cet expert, 'ces troubles sont en relation directe et déterminante avec l'agression du 23/10/2009 et ce malgré la présence dans les antécédents du sujet d'un épisode dépressif réactionnel à un événement de vie (divorce) qui avait été résolu après 6 mois de prise en charge'.

La cour observe également que Mme [E]-[B], qui en 2021 faisait toujours l'objet d'un suivi psychiatrique mensuel, a commis deux passages à l'acte auto-agressifs en 2011 et 2017, actes témoignant de l'ancrage de l'intense souffrance éprouvée.

Cette souffrance chronique ressort également des nombreuses pièces médicales produites par l'intimée.

Au regard de la cotation médico-légale des souffrances endurées, celles-ci seront qualifiées de moyennes et justifient l'allocation d'une somme comprise entre 8 000 et 20 000 euros.

En l'espèce, la somme de 15 000 euros déterminée par les premiers juges sera considérée comme satisfactoire.

Le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu'il alloué à la victime la somme de 15 000 euros en réparation des souffrances endurées.

Sur la perte ou la diminution des possibilités de promotion professionnelle

Il est constant que la perte de revenus professionnels consécutive à un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur est compensée, pendant la période précédant la consolidation, par le versement d'indemnités journalières.

Il est également admis que la perte de gains professionnels résultant de l'IPP subsistant au jour de la consolidation, ainsi que l'incidence professionnelle de cette incapacité sont couverts, de manière forfaitaire, par la rente majorée, qui présente un caractère viager et a donc notamment vocation à réparer la perte de droits à la retraite.

En revanche, l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale autorise la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, qui ne doit pas être confondue avec la perte de gains professionnels futurs ni l'incidence professionnelle.

La victime d'un accident du travail peut donc légitimement solliciter une indemnisation sur ce seul fondement, à charge pour elle de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que l'événement dont elle a été privé était certain avant la survenance de l'accident du travail.

En l'espèce, le contrat de travail conclu par Mme [E]-[B] avec le conseil départemental de la Seine-Maritime avait pour terme initial le 14 novembre 2010 et n'avait donc pas une durée indéterminée.

Mme [E]-[B] a été recrutée en qualité d'attachée terrioriale non titulaire le 1er février 2002 et son dernier contrat d'engagement a pris fin le 31 janvier 2011, le terme initalement fixé au 14 novembre 2010 ayant été reculé afin de lui permettre à la fois de passer le concours interne obligatoire d'attaché territorial prévu le 17 novembre 2010 et d'ajuster la durée du contrat sur celle de son congé grave maladie, comme en atteste le courrier de son employeur du 25 mars 2011.

A la date du 23 octobre 2009, jour de l'accident, l'intimée disposait donc d'une ancienneté de 7 ans et 8 mois, et non de '11 années' comme elle le soutient dans ses écritures.

Par ailleurs, il ressort de la pièce n°13 versée aux débats par l'appelant qu'entre le 1er février 2002 et le 23 octobre 2009, Mme [E]-[B] a présenté 210 jours d'arrêt de travail pour 'maladie ordinaire', outre 4 mois de 'congé de grave maladie', soit un total de 11 mois d'absence pour des motifs médicaux par ailleurs parfaitement légitimes. La cour constate que si l'origine de ce document est questionnée par l'intimée, celle-ci ne conteste cependant pas les arrêts de travail qui y sont mentionnés puisqu'elle en précise même la cause (endométriose, divorce).

Le Dr [A] qualifie le 'préjudice professionnel' de 'sévère avec interruption de la carrière professionnelle après l'accident du travail et perte de possibilités de promotion professionnelle et peu de chances de reprise d'une quelconque activité'.

Cependant, à l'instar des premiers juges, outre la confusion opérée entre perte de chance de promotion et incidence de l'accident sur l'emploi, l'expert ne précise pas la nature de la promotion professionnelle perdue.

La cour observe que si son évolution au sein du conseil départemental de la Seine-Maritime peut être qualifiée d'ascendante (animatrice d'insertion puis agent de développement d'insertion, experte qualité pédagogie et enfin adjointe au chef du service Emploi), Mme [E]-[B] ne démontre pas avoir perdu l'accès certain à un quelconque poste qui lui aurait permis d'accéder à l'augmentation de salaire de 550 euros mensuels sollicitée, de la date de consolidation de son état à celle de son départ à la retraite.

En effet, il sera constaté que Mme [E]-[B] ne justifie pas s'être effectivement présentée au concours d'attaché territorial auquel elle se serait présentée à quatre reprises, ni surtout y avoir été admise, de sorte qu'elle ne prouve pas avoir perdu une chance d'intégrer la fonction publique territoriale.

L'intimée ne verse pas davantage aux débats une promesse d'embauche ou toute offre d'emploi supérieur à celui qu'elle occupait au moment de l'accident, auquel elle aurait pu prétendre de manière certaine.

Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a alloué à Mme [E]-[B] la somme de 20 000 euros au titre de la perte de possibilité de promotion professionnelle, et cette dernière sera déboutée de sa demande de réparation de ce poste de préjudice formée à hauteur de 80 000 euros.

-Sur l'avance des sommes par la CPAM

La CPAM fera l'avance de ces sommes auprès de Mme [E]-[B] et en récupèrera le montant auprès du conseil départemental de la Seine-Maritime, en application des dispositions de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale.

-Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le conseil départemental de la Seine-Martime devra supporter la charge des entiers dépens exposés postérieurement au 31 décembre 2018, date à laquelle a pris fin le principe de gratuité de la procédure dans les contentieux de la sécurité sociale.

Le jugement querellé sera également confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance.

En revanche, il ne parait pas inéquitable, au regard du présent dispositif faisant principalement droit aux demandes de l'appelant, de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés. Mme [E]-[B] sera donc déboutée de sa demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME le jugement rendu le 02 octobre 2017 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Haute-Corse en ce qu'il a :

- alloué à Mme [G] [E]-[B] la somme de 15 000 euros des souffrances endurées ;

- dit que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse devrait faire l'avance de cette somme, à charge pour elle d'en obtenir le remboursement auprès du conseil départemental de la Seine-Maritime ;

- condamné le conseil départemental de la Seine-Maritime à payer à Mme [G] [E]-[B] la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procéduire civile ;

L'INFIRME pour le surplus de ses dispositions soumises à la cour, soit en ce qu'il a alloué à Mme [G] [E]-[B] les sommes de :

- 16 175 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 3 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- 20 000 euros au titre de la perte de possibilité de promotion professionnelle ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE le conseil départemental de la Seine-Maritime à payer à Mme [G] [E]-[B] la somme de 20 712 euros en réparation de son déficit fonctionnel temporaire ;

DIT que la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse devra faire l'avance de cette somme, à charge pour elle d'en obtenir le remboursement auprès du conseil départemental de la Seine-Maritime ;

DEBOUTE Mme [G] [E]-[B] de ses demandes d'indemnisation au titre du préjudice d'agrément et de la perte de possibilité de promotion professionnelle ;

CONDAMNE le conseil départemental de la Seine-Maritime au paiement des entiers dépens exposés à compter du 1er janvier 2019 ;

DEBOUTE Mme [G] [E]-[B] de sa demande formée en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procéduire civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre sociale tass
Numéro d'arrêt : 17/00287
Date de la décision : 05/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-07-05;17.00287 ?
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