ARRET N°
-----------------------
21 Juin 2023
-----------------------
N° RG 21/00248 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CCSS
-----------------------
[R] [X]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
----------------------
Décision déférée à la Cour du :
08 novembre 2021
Pole social du TJ de Bastia
21/00301
------------------
Copie exécutoire délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
AVANT DIRE DROIT
ARRET DU : VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANTE :
Madame [R] [X]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Pierre-Henri VIALE, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
Service Contentieux
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée par Me Valérie PERINO-SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 décembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre et Madame COLIN, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Conseillère
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 mai puis a fait l'objet d'une prorogation au 21 juin 2023.
ARRET
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
- Signé par Madame COLIN, pour Monsieur JOUVE, Président de chambre empêché et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 06 décembre 2018, Mme [R] [X], alors âgée de 43 ans et agent au sein de la caisse d'allocations familiales de la Haute-Corse, a été victime d'un accident de trajet.
Cet accident a été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Corse au titre de la législation professionnelle et Mme [X] a été indemnisée à ce titre jusqu'au 31 octobre 2020, date de consolidation de son état de santé.
Le 24 novembre 2020, la caisse a notifié à Mme [X] sa décision de lui attribuer un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 10 % assorti d'une rente trimestrielle versée à compter du 1er novembre 2020.
Le même jour, la CPAM l'a rendue bénéficiaire de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés (OETH).
Mme [X] a contesté ce taux devant la commission médicale de recours amiable (CMRA) de la caisse qui, en sa séance du 09 avril 2021, a conclu à son maintien à hauteur de 10 %.
Le 28 juin 2021, Mme [X] a porté sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire de Bastia en sollicitant notamment la mise en oeuvre d'une mesure d'expertise médicale.
Par jugement contradictoire du 08 novembre 2021, la juridiction a :
- débouté Mme [X] de son recours ;
- confirmé la décision de la CMRA du 09 avril 20021, elle-même confirmant la décision du 24 novembre 2020 de la CPAM fixant à 10 % le taux d'IPP consécutif à l'accident du travail du 06 décembre 2018 subi par Mme [X] ;
- condamné Mme [X] au paiement des dépens.
Par courrier électronique du 06 décembre 2021, Mme [X] a interjeté appel de l'entier dispositif de ce jugement qui lui avait été notifié le 10 novembre 2021.
L'affaire a été appelée à l'audience du 13 décembre 2022 au cours de laquelle l'appelante était comparante et assistée et l'intimée, non-comparante mais représentée.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [R] [X], appelante, demande à la cour d'':
' Infirmer le jugement du 8 novembre 2021 en ce qu'il a débouté Mme [X] de son recours.
Statuant à nouveau,
Ordonner une expertise médicale confiée à tel médecin qu'il plaira pour évaluer le taux d'incapacité de Mme [X] suite à l'accident du 6 décembre 2018.
Condamner la CPAM de la Haute-Corse aux dépens et à 1 000 € au titre de l'article 700 du CPC.'
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait notamment valoir que le taux de 10% retenu par le médecin conseil de la CPAM n'est pas en adéquation avec la gravité des séquelles observées par les médécins chargés de son suivi, ce au regard des préconisations du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.
Si elle ne conteste pas l'existence d'un état antérieur, elle souligne que ses pathologies, tant physiques que psychiques, se sont considérablement aggravées depuis l'accident du 06 décembre 2018 et que de nouvelles lésions, uniquement imputables à cet accident, sont apparues, notamment une hyperthyroïdie, une surdité et des acouphènes.
Elle souligne également la gravité des répercussions de cet accident sur sa situation financière et ses perspectives de carrière.
*
Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse, intimée, demande à la cour de':
'Confirmer la décision du pôle social du 8 novembre 2021,
Dire que le taux d'incapacité permanente de Madame [X] est de 10%,
Débouter Madame [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner Madame [X] aux dépens.'
L'intimée réplique notamment que la détermination du taux d'IPP à hauteur de 10 %, tant par son médecin conseil que par les médecins composant la CMRA, résulte du barème indicatif d'invalidité et que ce taux est justifié au regard de l'existence d'un état antérieur conséquent s'agissant des cervicalgies, lombalgies et de l'état dépressif.
Elle fait en outre observer que les autres pathologies (surdité, vertiges, acouphènes, hypothyroïdie) évoquées dans les certificats médicaux produits par l'appelante - certificats ne contestant pas utilement le rapport du médecin conseil par ailleurs - ne résultent pas de l'accident de trajet du 06 décembre 2018,
La CPAM souligne enfin que Mme [X] bénéficie depuis février 2022 d'une pension d'invalidité de catégorie 2 pouvant être en relation avec le syndrome dépressif subi.
*
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
La recevabilité de l'appel interjeté par Mme [X] n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.
- Sur la demande d'expertise médicale judiciaire
L'article L. 141-1 du code de la sécurité sociale dispose que ' Les contestations d'ordre médical relatives à l'état du malade ou à l'état de la victime, et notamment à la date de consolidation en cas d'accident du travail et de maladie professionnelle et celles relatives à leur prise en charge thérapeutique, à l'exclusion des contestations relevant des 4° à 6° de l'article L. 142-1 donnent lieu à une procédure d'expertise médicale dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.'
L'article L. 142-1 du même code ajoute que ' Le contentieux de la sécurité sociale comprend les litiges relatifs :
[...]
4° A l'état ou au degré d'invalidité, en cas d'accident ou de maladie non régie par le livre IV du présent code, et à l'état d'inaptitude au travail ;
5° A l'état d'incapacité permanente de travail, notamment au taux de cette incapacité, en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle ;
6° A l'état ou au degré d'invalidité, en cas d'accidents ou de maladies régies par les titres III, IV et VI du livre VII du code rural et de la pêche maritime, à l'état d'inaptitude au travail ainsi que, en cas d'accidents du travail ou de maladies professionnelles régies par les titres V et VI du même livre VII, à l'état d'incapacité permanente de travail, notamment au taux de cette incapacité [...]'.
Il résulte de ces dispositions que les contestations relatives à l'état d'incapacité permanente en cas d'accident du travail ne sont pas au nombre de celles mentiionnées à l'article L. 141-1 susvisé, de telle sorte que l'expertise médicale n'est pas de droit et que les juges du fond ne sont pas tenus de l'ordonner.
Cependant, en application du premier alinéa de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, 'le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.'
Les deux premiers alinéas de l'article R. 434-32 du même code précisent qu''Au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit.
Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente d'une part en matière d'accidents du travail et d'autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au présent livre. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.'
En l'espèce, la Dre [C] [W], médecin conseil de la CPAM, a fixé dans son rapport du 13 octobre 2020 le taux d'IPP de Mme [X] à 10% au regard des éléments suivants :
'- Cervicalgies sans irradiation dans les membres supérieurs ni trouble moteur, sur état antérieur ; IP = 2%.
- Lombalgies sans irradiation dans les membres inférieurs ni trouble moteur, sur état antérieur ; IP = 2%.
- Syndrome anxio-dépressif sur état antérieur = 6%.
IP = 10% après application de la règle de Balthazar.'
Il n'est pas contesté par l'appelante que des cervicalgies et lombalgies pré-existaient à l'accident de trajet survenu le 06 décembre 2018, les premières à la suite d'un 'traumatisme' subi en 1992 en lien avec l'effondrement du stade de [Localité 9], les secondes à la suite d'une 'chute dans les escaliers' en 2015. Quant au syndrome anxio-dépressif, il n'est pas davantage contesté qu'il fait l'objet d'une prise en charge depuis 2011.
Le litige porte sur la prise en considération, pour la détermination du taux d'incapacité, de lésions (surdité, vertiges, acouphènes, hypothyroïdie) non mentionnées sur le certificat médical initial (CMI) du 07 décembre 2018, ainsi qu'en tout état de cause sur le taux imputé aux seules cervicalgies, lombalgies et trouble dépressif.
La cour observe, à l'instar du médecin conseil de la caisse, que le syndrome anxio-dépressif ne figurait pas non plus sur le CMI et a pourtant fait l'objet d'une prise en charge implicite par la CPAM. Les parties ne versant pas aux débats les certificats médicaux de prolongation, il n'est pas en l'état possible d'affirmer si la surdité, les vertiges, les acouphènes et l'hypothyroïdie n'ont pas reçu un traitement administratif équivalent.
En outre, les pièces médicales récentes produites par l'appelante font état d'une sous-évaluation des taux affectés aux cervicalgies, lombalgies et trouble dépressif préexistant, ces lésions ayant été - selon les médecins les ayant rédigées - sérieusement aggravées par l'accident de trajet du 06 décembre 2018.
Au surplus, ces soignants ont constaté que Mme [X] était dans l'incapacité de reprendre son activité professionnelle en dépit de son jeune âge, ce de façon définitive, alors que la Dre [W] n'aborde pas explicitement cette dimension professionnelle dans son rapport.
Enfin, la CPAM procède par pure affirmation lorsqu'elle indique dans ses écritures, sans autre précision, qu''il semblerait que' la pension d'invalidité de catégorie 2 attribuée à Mme [X] en février 2022 indemnise d'ores et déjà le syndrome anxio-dépressif.
Au regard de ces éléments, il est nécessaire de recourir avant dire droit à une expertise judiciaire en vue de déterminer avec précision le taux d'incapacité permanente pouvant être attribué à Mme [X], après avoir notamment :
- distingué les lésions imputables à l'accident de trajet du 06 décembre 2018 de celles qui ne le sont éventuellement pas ;
- déterminé si l'état antérieur de l'assurée a été aggravé par cet accident, conformément aux préconisations du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail figurant en annexe 1 à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale.
- Sur les autres demandes
Dans l'attente du retour de l'expertise ordonnée, il sera sursis à statuer sur les autres demandes formées par les parties et les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS,
La cour, avant dire droit,
ORDONNE une expertise médicale et désigne pour y procéder :
le Dr [D] [V]
Clinique [10] [Adresse 4]
[Localité 5]
Tél : [XXXXXXXX01] + 1
Fax : [XXXXXXXX02]
Port. : [XXXXXXXX03]
Courriel : [Courriel 8]
Lui donne pour mission, après avoir convoqué les parties, de :
- se faire remettre l'ensemble des documents médicaux présents ou mentionnés au dossier de la procédure et tout autre document qu'il estimera nécessaire ;
- procéder à l'examen de Mme [R] [X] ;
- décrire l'ensemble des troubles allégués ;
- dire s'il existe un lien de causalité direct et certain entre l'accident du travail du 06 décembre 2018 et les troubles physiques et psychiques invoqués ;
- dire si ces troubles surviennent sur un état antérieur et si l'accident du travail a, partiellement ou en totalité, aggravé cet état antérieur ;
- évaluer les troubles identifiés à la date du 31 octobre 2020, date de consolidation de l'état de l'assurée, au regard de tout ce qui précède ;
- dire si, à cette même date, Mme [R] [X] pouvait être considérée comme substantiellement et durablement restreinte dans son accès à l'emploi ;
- déterminer en conséquence le taux d'incapacité permanente présenté par Mme [R] [X], au regard notamment du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail figurant en annexe 1 à l'article R. 434-32 du code de la sécurité sociale ;
- faire toute observation médicale utile à la parfaite appréciation de la situation de Mme [R] [X] ;
DIT que Mme [R] [X] pourra se faire assister du médecin de son choix ;
DIT que les frais d'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse ;
DIT que l'expert déposera son rapport au greffe de la cour d'appel, chambre sociale, dans les quatre mois de sa saisine, et en transmettra une copie à chacune des parties ;
DESIGNE Gaëlle COLIN, conseillère, pour suivre les opérations d'expertise ;
RENVOIE l'affaire à l'audience de la chambre sociale de la cour d'appel de Bastia du 12 décembre 2023 à 9 heures 00 ;
DIT que la notification du présent arrêt par le greffe vaut convocation des parties à cette audience ;
SURSOIT à statuer sur les autres demandes ;
RESERVE les dépens.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT EMPECHE