ARRET N°
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21 Juin 2023
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N° RG 21/00167 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CBUA
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[A] [D] épouse [C]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
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Décision déférée à la Cour du :
12 juillet 2021
Pole social du TJ de BASTIA
20/00170
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Copie exécutoire délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
AVANT DIRE DROIT
ARRET DU : VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANTE :
Madame [A] [D] épouse [C]
[Adresse 10]
[Adresse 10]
[Localité 4]
Représentée par Me Anne-Marie VIALE, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 novembre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme COLIN, conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre,
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Conseillère
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 21 juin 2023.
ARRET
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
- Signé par Madame COLIN, pour Monsieur JOUVE, Président de chambre empêché et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision. Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 26 novembre 2019, Mme [A] [D] épouse [C], salariée de la [7] de [Localité 5] de 1987 à 2022, a sollicité de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Corse la reconnaissance du caractère professionnel d'un 'état dépressif lié au contexte professionnel'. A l'appui de sa demande, elle fournissait un certificat médical initial établi le 22 novembre 2019 par le Dr [R] [E], médecin psychiatre, constatant un 'état dépressif réactionnel à des difficultés relationnelles au sein de son emploi (harcèlement moral ressenti) associé à une forte composante anxieuse - Thymie triste - Repli' et retenant la date du 15 janvier 2019 comme celle de première constatation de la maladie.
La caisse a procédé à l'instruction du dossier dans le cadre des dispositions de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale relatives aux affections non-inscrites dans un tableau de maladie professionnelle.
Le 20 avril 2020, la CPAM a notifié à Mme [C] son refus de reconnaître le caractère professionnel de sa pathologie, le médecin-conseil de la caisse ayant estimé son taux d'incapacité permanente partielle (IPP) inférieur à 25%.
Le 24 mai 2020, l'assurée a contesté devant la commission de recours amiable (CRA) de la caisse tant le refus de prise en charge de sa pathologie au titre de la législation professionnelle que le taux d'incapacité attribué.
Le 17 août 2020, en présence d'une décision implicite de rejet de ses demandes, Mme [C] a porté sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire de Bastia.
Par jugement mixte du 25 janvier 2021, la juridiction a déclaré ce recours recevable et ordonné l'examen médical de Mme [C] par le Dr [N] [F].
Cet expert, dans son rapport du 22 février 2021, a fixé le taux d'IPP de Mme [C] à 15% en référence au barème relatif aux accidents du travail et a précisé que son état n'était pas stabilisé au jour de l'examen.
Par jugement contradictoire du 12 juillet 2021, la juridiction a :
- débouté Mme [C] de l'ensemble de ses demandes ;
- confirmé la décision de la CPAM refusant le caractère professionnel de la maladie présentée par Mme [C] ;
- rappelé que son jugement était assortie de l'exécution provisoire ;
- condamné Mme [C] au paiement des entiers dépens, à l'exception des frais issus de l'expertise médicale, pris en charge par la caisse nationale d'assurance maladie.
Par courrier électronique du 23 juillet 2021, Mme [A] [C] a interjeté appel de l'entier dispositif de cette décision qui lui avait été notifiée le 15 juillet 2021.
L'affaire a été appelée à l'audience du 08 novembre 2022, au cours de laquelle les parties, non-comparantes, étaient représentées.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [A] [D] épouse [C], appelante, demande à la cour de':
' Infirmer le jugement du 12 juillet 2021 en ce qu'il a confirmé la décision de la caisse refusant le caractère professionnel de la maladie présentée par Madame [A] [C], en ce qu'il a débouté Madame [C] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens,
Statuant à nouveau,
Juger le taux d'incapacité au moins égal à 25%,
A titre subsidiaire et avant dire droit, ordonner une expertise par un psychiatre et non un orthopédiste,
Annuler et réformer la décision implicite de la commission de recours amiable et la décision de la CPAM de refus de reconnaissance d'une maladie professionnelle du 14 avril 2020,
Ordonner à la CPAM de communiquer à Madame [C] les éléments du dossier d'enquête et notamment ceux transmis par l'employeur,
Ordonner à la CPAM de transmettre le dossier au CRRMP désigné par le tribunal dans le mois suivant la décision à intervenir,
Condamner la CPAM au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du CPC,
Condamner la CPAM aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Débouter la CPAM en toute demande contraire.'
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait notamment valoir que son taux d'IPP est supérieur à 25% et permet donc l'étude de l'imputabilité de sa maladie à son activité professionnelle par un CRRMP.
Elle considère en effet que :
- le taux d'IPP retenu n'est pas un taux définitif mais seulement prévisible et n'implique pas que son état soit consolidé ;
- il convient de prendre en considération les éléments présentés postérieurement à l'expertise médicale, notamment en vue de corriger les inexactitudes de celle-ci : perte d'autonomie, passage de sa pension d'invalidité du niveau 1 au niveau 2, inaptitude professionnelle constatée par la médecine du travail et renforcement de son traitement médicamenteux.
L'appelante se fonde notamment sur le système d'évaluation mis en place en 2012 par le groupe de travail sur les pathologies psychiques d'origine professionnelle du ministère du travail, plus fin selon elle que le barème indicatif d'invalidité des maladies professionnelles figurant en annexe II du code de la sécurité sociale.
Mme [C] souligne par ailleurs que le Dr [F] est chirurgien orthopédiste et n'est nullement spécialisé dans l'appréciation des troubles psychiques, de sorte qu'il aurait dû se faire assister d'un sapiteur psychiatre.
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Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse, intimée, demande à la cour de':
' Confirmer la décision du pôle social du 12 juillet 2021,
Dire que le taux d'incapacité prévisible mentionné au 7e alinéa de l'article L. 461-1 est inférieur à 25%,
Confirmer la notification de refus de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie du 20 avril 2020,
Débouter Mme [C] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Condamner Mme [C] aux dépens.'
L'intimée réplique notamment que l'affection dont souffre Mme [C] figure hors-tableau et que celle-ci ne remplit pas les conditions requises pour la transmission de son dossier à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), son taux d'incapacité prévisible ayant été considéré comme inférieur à 25% tant par son médecin-conseil que par le Dr [F]. Selon la caisse, ce double avis médical présente plus de poids que celui d'un juriste qui se fonde sur les recommandations d'un groupe de travail ayant remis son rapport en 2012.
L'intimée fait en outre valoir que l'attestation de la fille de l'assurée, faisant état de la dégradation de l'état de santé de sa mère et notamment de son besoin d'assistance pour les soins d'hygiène et la prise de médicaments, a été établie pour les besoins de la cause et entre en contradiction avec les propres déclarations de Mme [C] tenues seulement un mois auparavant devant le Dr [F].
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Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
La recevabilité de l'appel n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.
- Sur la demande d'expertise judiciaire
En application du premier alinéa de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale, 'le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.'
En outre, aux termes de l'article L. 461-1 du même code, en ses alinéas 5 à 9, « est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.
Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d'origine professionnelle, dans les conditions prévues aux septième et avant-dernier alinéas du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire.'
Trois hypothèses distinctes résultent de ces dispositions :
- soit la maladie est désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles et a été contractée dans les conditions précisées audit tableau : la victime bénéficie alors d'un régime de présomption d'imputabilité de la maladie à son activité professionnelle ;
- soit la maladie est désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles mais une ou plusieurs des conditions posées par ledit tableau ne sont pas remplies (délai de prise en charge, durée d'exposition, liste indicative ou limitative des travaux susceptibles de la causer) : la maladie pourra alors être qualifiée de professionnelle s'il est démontré, après recueil obligatoire de l'avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime ;
- soit la maladie n'est pas désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles : elle pourra être qualifiée de professionnelle s'il est démontré, préalablement au recueil de l'avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles quant au lien essentiel et direct entre la pathologie et le travail habituel, que la victime présente une incapacité permanente d'au moins 25 %, taux fixé par l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale.
En l'espèce, il n'est pas contesté que l'état dépressif présenté par Mme [C] n'est pas désigné dans un tableau de maladie professionnelle. Le litige porte sur le taux d'IPP déterminé par le médecin-conseil de la caisse et le Dr [F], et par ricochet sur la saisine d'un CRRMP aux fins d'avis sur le lien de causalité entre la pathologie et l'activité professionnelle de l'assurée.
Au terme de son rapport d'expertise, le Dr [F] constate que 'Mme [C] a 55 ans, l'humeur est très affaissée, les pleurs fréquents durant l'entretien. Elle est en repli social, n'a plus aucun loisir. Elle a toujours des troubles du sommeil, n'a plus aucune activité, elle est le plus souvent à la maison. Elle sort parfois avec son mari pour les courses au Drive. Elle fait partiellement le ménage et la cuisine. Son mari l'aide beaucoup. Elle est autonome pour la toilette, l'habillage et la prise des médicaments.'
Il retient également 'une interruption de travail de plus d'un an, puis un mi-temps thérapeutique toujours en cours à ce jour. [...] Mme [C] est dans une situation dont elle ne peut se sortir'.
Il en conclut que 'Mme [C] est donc atteinte d'une dépression réactionnelle sévère, secondaire à un conflit professionnel, avec souffrance au travail' et fixe le taux d'IPP à 15% 'en référence au barème accidents du travail' en précisant que 'l'état n'est pas stabilisé au jour de l'expertise'.
L'appelante argue d'une dégradation de son état de santé justifiant l'attribution d'un taux au moins égal à 25%. Pour démontrer cette dégradation, elle verse aux débats les éléments suivants, postérieurs à l'expertise médicale du Dr [F] :
- une élévation de catégorie de sa pension d'invalidité, passée au niveau 2 à compter du 10 février 2022 ;
- l'avis d'inaptitude au travail établi le 17 mars 2022 par la Dre [O] [P], médecin de prévention, constatant que 'tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé' ;
- le licenciement subséquent survenu le 08 avril 2022 ;
- diverses ordonnances du Dr [E] intensifiant son traitement à partir du 30 avril 2021 ;
- une attestation établie le 17 mars 2021 par sa fille, qui affirme notamment assister sa mère pour les soins d'hygiène, les tâches ménagères et la prise des médicaments.
Mme [C] démontre ainsi une aggravation de son état psychique depuis l'expertise du Dr [F], aggravation justifiant de recourir avant dire droit à une seconde expertise judiciaire confiée cette fois à un médecin psychiatre, en vue de déterminer avec précision le taux d'incapacité permanente pouvant lui être attribué.
S'agissant du barème auquel l'expert pourra se référer (tout en conservant toute latitude dans l'appréciation de l'intensité des symptômes subis et de leur impact sur la vie quotidienne de l'assurée), il sera précisé que si les pistes de réflexion dégagées par le groupe de travail invoqué par l'appelante revêtent une pertinence certaine, la cour ne peut que constater que ces travaux, initiés en 2012 par le ministère du travail, n'ont pas encore abouti à l'élaboration d'un barème indicatif au sens de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale susvisé.
- Sur les autres demandes
Dans l'attente du retour de l'expertise ordonnée, il sera sursis à statuer sur les autres demandes formées par les parties et les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS,
La cour, avant dire droit,
ORDONNE une expertise psychiatrique et désigne pour y procéder :
le Dr [I] [Z]
médecin psychiatre
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 5]
Tél : [XXXXXXXX01]
Fax : [XXXXXXXX02]
Port. : [XXXXXXXX03]
Courriel : [Courriel 8]
Lui donne pour mission, après avoir convoqué les parties, de :
- se faire remettre l'ensemble des documents médicaux présents ou mentionnés au dossier de la procédure et tout autre document qu'il estimera nécessaire ;
- procéder à l'examen de Mme [A] [D] épouse [C] ;
- décrire les troubles psychiatriques allégués ;
- déterminer le taux d'incapacité permanente présenté par Mme [A] [D] épouse [C] à la date de l'accedit, au regard notamment du guide-barème pour l'évaluation des déficiences et incapacités des personnes handicapées figurant en annexe 2-4 du code de l'action sociale et des familles ;
- faire toute observation médicale utile à la parfaite appréciation de la situation de Mme [A] [D] épouse [C] ;
DIT que Mme [A] [D] épouse [C] pourra se faire assister du médecin de son choix ;
DIT que les frais d'expertise seront avancés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse ;
DIT que l'expert déposera son rapport au greffe de la cour d'appel, chambre sociale, dans les quatre mois de sa saisine, et en transmettra une copie à chacune des parties ;
DESIGNE Gaëlle COLIN, conseillère, pour suivre les opérations d'expertise ;
RENVOIE l'affaire à l'audience de la chambre sociale de la cour d'appel de Bastia du 12 décembre 2023 à 9 h 00 ;
DIT que la notification du présent arrêt par le greffe vaut convocation des parties à cette audience ;
SURSOIT à statuer sur les autres demandes ;
RESERVE les dépens.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT EMPECHE