ARRET N°
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17 Mai 2023
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N° RG 19/00166 - N° Portalis DBVE-V-B7D-B4DU
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Société [7]
C/
[Z] [V], CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
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Décision déférée à la Cour du :
20 mai 2019
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de BASTIA
19/00105
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Copie exécutoire délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUBLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : DIX SEPT MAI DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANTE :
Société [7] prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 3]
Contentieux
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Ghislaine JOB-RICOUART, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES :
Madame [Z] [V]
[Adresse 9]
[Adresse 9]
[Localité 2]
Représentée par Me Pasquale VITTORI, avocat au barreau de BASTIA
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA HAUTE CORSE
Service Contentieux
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
L'affaire a été débattue le 13 décembre 2022 en audience publique devant la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre,
Madame COLIN, Conseillère,
Madame BETTELANI, Conseillère,
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 mai 2023
ARRET
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
- Signé par Monsieur JOUVE, Président de chambre président de chambre et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Mme [Z] [V], née le 24 octobre 1962, a été salariée de la société [7] sous contrat à durée indéterminée de 1989 à 2021 en qualité de 'technicienne trafic' au sein de l'escale de [Localité 1]-[10].
Mme [V] a également exercé les fonctions de secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de 2009 à 2016.
Le 22 mai 2015, M. [I] [K], chef d'escale, a déclaré à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Haute-Corse un événement survenu le 19 mai 2015 concernant Mme [V].
Le 16 septembre 2015, cet accident a été pris en charge par la CPAM au titre de la législation relative aux risques professionnels, et un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 20%, assorti d'une rente, a été attribué à l'assurée qui a ensuite été placée en invalidité de deuxième catégorie.
Le 11 avril 2016, Mme [V] a sollicité de la caisse la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et ainsi que la mise en oeuvre de la procédure de conciliation préalable.
Le 08 juin 2016, à l'issue de l'échec de cette tentative de conciliation, Mme [V] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de la Haute-Corse d'une demande tendant à voir reconnaître la faute inexcusable de la société [7] et à ordonner une mesure d'expertise médicale judiciaire.
Par jugement mixte rendu contradictoirement le 20 mai 2019, la juridiction - devenue pôle social du tribunal de grande instance de Bastia - a notamment :
- dit que l'arrêt de travail de Mme [V] du 19 mai 2015 avait une origine professionnelle ;
- dit que cet accident était dû à la faute inexcusable de son employeur, la société [7] ;
- fixé au maximum la majoration de la rente prévue à l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale ;
- dit que cette majoration suivrait l'évolution éventuelle du taux d'IPP ;
- avant dire droit sur l'indemnisation des préjudices personnels de Mme [V], désigné le Dr [D] [B] aux fins d'expertise médicale,
- débouté les parties pour le surplus et autres demandes différentes, plus amples ou contraires ;
- réservé la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
Par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour le 07 juin 2019, la société [7] a interjeté appel de l'entier dispositif de ce jugement, qui lui avait été notifié le 22 mai 2019.
Le 06 août 2021, Mme [V] a fait l'objet d'un licenciement pour inaptitude professionnelle en raison de l'impossibilité, médicalement constatée, de tout reclassement dans l'entreprise.
L'affaire a été utilement appelée à l'audience du 13 décembre 2022 au cours de laquelle la cour était réunie - à la demande de l'appelante - dans sa composition collégiale et les parties, non-comparantes, étaient représentées.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la société [7], appelante, demande à la cour de':
'REFORMER le jugement rendu le 20 mai 2019 par le Tribunal Judiciaire de BASTIA (Pôle Social), en toutes ses dispositions.
DEBOUTER Madame [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société [7], l'arrêt de travail du 19 mai 2015 n'ayant pas une origine professionnelle.
CONDAMNER la Caisse Primaire d'Assurance Maladie à prendre en charge les conséquences de l'accident, sans recours possible à l'encontre d'[7].
Subsidiairement, DEBOUTER Madame [V] de toutes ses demandes, fins et conclusions, faute de rapporter la preuve d'une faute inexcusable imputable à [7].
CONDAMNER Madame [V] au paiement d'une somme de 5 000,00 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.'
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait notamment valoir, à titre principal, qu'elle est recevable, dans le cadre de la procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur engagée par la salariée, à contester le caractère professionnel de l'accident invoqué par Mme [V], quand bien même elle ne l'aurait pas fait lors de la prise en charge de cet accident par la CPAM au titre de la législation professionnelle.
La société [7] conteste ainsi le caractère professionnel de l'accident du 19 mai 2015 au motif que la restructuration invoquée par la salariée comme étant à l'origine de son état anxieux ne constitue aucunement un fait soudain, les changements annoncés - connus des employés depuis plusieurs années et notamment de Mme [V] qui les avait contestés dans les media en février 2015 - résultant des plans Cible Avion et Transform 2015 qui avaient donné lieu à des réunions et actions de formation préalables.
L'appelante conteste au surplus la réalité d'une lésion psychologique engendrée par cet événement, l'intimée n'apportant selon elle aucune preuve de cette lésion, le certificat médical établi lors de son transport à l'hôpital de [Localité 1] n'étant pas même versé aux débats.
A titre subsidiaire, la société [7] conteste avoir commis une faute inexcusable :
- en expliquant avoir respecté son obligation de sécurité - qui n'est plus de résultat - en matière de risques psycho-sociaux;
- en affirmant n'avoir pu avoir conscience du danger auquel aurait été exposé la salariée qui ne présentait aucun antécédent laissant supposer une fragilité psychologique ;
- en énumérant les mesures prises en vue d'éviter tout danger en ce domaine : signature d'accords triennaux visant les conditions de travail, la qualité de vie et la prévention des risques ainsi que d'une charte de prévention des harcèlements au travail, mise en oeuvre d'une mission de 'recueil de perception', déploiement d'un dispositif d'évaluation du stress et de suivi professionnel (DESSP), création de groupes pluridisciplinaires locaux (GPL), nombreuses réunions du CHSCT dont Mme [V] était la secrétaire, déplacement du médecin psychiatre de la société en Corse, organisation d'entretiens collectifs et individuels visant au rétablissement d'un climat professionnel apaisé. L'appelante souligne par ailleurs que l'injonction qui lui avait été faite par la DIRECCTE de la Haute-Corse de mettre en oeuvre les mesures nécessaires à la prévention des risques psycho-sociaux a été annulée par la direction générale du travail du ministère du travail et de l'emploi.
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Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [Z] [V], intimée, demande à la cour de':
'Débouter la société [7] de ses demandes fin et conclusions,
Confirmer le jugement rendu le 20/05/2019 par le pôle social du TGI de Bastia en ce qu'il a pris la décision suivante :
« Dit que l'arrêt de travail de Madame [Z] [V] en date du 19 mai 2015 a une origine professionnelle ;
Dit que l'accident de travail dont Madame [Z] [V] a été victime le 19 mai 2015 est dû à la faute inexcusable de son employeur la S.A. [7] ;
Fixe au maximum la majoration de la rente prévue à l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité Sociale ;
Dit que cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'IPP ;
AVANT DIRE DROIT au fond sur I'indemnisation des préjudices personnels de Madame [Z] [V], désigne le Docteur [D] [B] en qualité d'expert, avec pour mission de :
- Prendre connaissance du dossier médical de Madame [Z] [V],
- Examiner celle-ci, les parties présentes ou appelées, y compris le médecin-conseil de la CPAM de la Haute-Corse, par lettres recommandées avec accusés de réception,
- Dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier les souffrances physiques, les souffrances morales, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément en en qualifiant l'importance (très léger, léger, modéré, etc... .),
- Donner tous éléments permettant d'apprécier le préjudice résultant le cas échéant pour la victime de la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle consécutivement audit accident,
- Dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier éventuellement une indemnité (hors Livre IV du Code de la sécurité sociale) selon la nomenclature habituelle dite « Dintilhac » et notamment au titre du déficit fonctionnel temporaire (DFT), non indemnisé par les indemnités journalières (gêne dans les actes de la vie courante causée par I'incapacité fonctionnelle totale ou partielle antérieurement à la consolidation et incluant le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante) et du déficit fonctionnel permanent (DFP) subsistant après la consolidation des lésions (entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien dans son environnement),
- Recueillir les dires des parties et y répondre,
- Donner tous éléments et faire toutes observations utiles à la solution du litige ;
Dit que l'expert pourra recueillir l'avis de toutes personnes informées et qu'il aura la faculté de s'adjoindre tout spécialiste de son choix, dans une spécialité autre que la sienne ;
Dit que I'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de Procédure Civile et que, sauf conciliation des parties, il disposera son rapport au Greffe dans les 4 mois de sa saisine.
Réserve la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile. »
ET STATUANT À NOUVEAU :
A titre principal :
Dire que l'arrêt de travail de Madame [Z] [V] en date du 19 mai 2015 a une origine professionnelle ;
Dire que l'accident de travail dont Madame [Z] [V] a été victime le 19 mai 2015 est dû à la faute inexcusable de son employeur la S.A. [7] ;
Fixer au maximum la majoration de la rente, prévue à l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité Sociale ;
Dire que cette majoration suivra l'évolution éventuelle du taux d'IPP ;
AVANT DIRE DROIT
Sur I'indemnisation des préjudices personnels de Madame [Z] [V], désigner le
Docteur [D] [B] en qualité d'expert, avec pour mission de :
- Prendre connaissance du dossier médical de Madame [Z] [V],
- Examiner celle-ci, les parties présentes ou appelées, y compris le médecin-conseil de la CPAM de la Haute-Corse, par lettres recommandées avec accusés de réception,
- Dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier les souffrances physiques, les souffrances morales, le préjudice esthétique et le préjudice d'agrément en en qualifiant l'importance (très léger, léger, modéré, etc... .),
- Donner tous éléments permettant d'apprécier le préjudice résultant le cas échéant pour la victime de la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle consécutivement audit accident,
- Dégager en les spécifiant les éléments propres à justifier éventuellement une indemnité (hors Livre IV du Code de la sécurité sociale) selon la nomenclature habituelle dite « Dintilhac » et notamment au titre du déficit fonctionnel temporaire (DFT), non indemnisé par les indemnités journalières (gêne dans les actes de la vie courante causée par I'incapacité fonctionnelle totale ou partielle antérieurement à la consolidation et incluant le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante) et du déficit fonctionnel permanent (DFP) subsistant après la consolidation des lésions (entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien dans son environnement),
- Recueillir les dires des parties et y répondre,
- Donner tous éléments et faire toutes observations utiles à la solution du litige ;
DIRE que l'expert pourra recueillir l'avis de toutes personnes informées et qu'il aura la faculté de s'adjoindre tout spécialiste de son choix, dans une spécialité autre que la sienne ;
DIRE que I'expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de Procédure Civile et que, sauf conciliation des parties, il disposera son rapport au Greffe dans les 4 mois de sa saisine ;
RÉSERVER la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile de première instance ;
Au surplus :
Condamner l'employeur à verser 5000 € au titre de l'article 700 du CPC de la procédure d'appel '.
L'intimée réplique notamment que 'la Corse est le laboratoire de la direction' d'[7] qui a entendu dénoncer, à compter de janvier 2012, 'l'ensemble des accords collectifs en vigueur'.
Selon elle, la société [7] a manqué à son obligation de sécurité - qui doit être appréhendée comme une obligation de résultat - en ne mettant pas en oeuvre de dispositif d'écoute et d'accompagement préalablement au plan de restructuration envisagé. Elle souligne que le CHSCT, le service de santé au travail, l'inspection du travail, la CARSAT ainsi que la DIRECCTE ont alerté la direction d'[7] sur la dégradation des rapports sociaux dans l'entreprise et sur l'existence de risques psycho-sociaux, que son employeur n'a pas respecté son obligation d'évaluation des risques en amont de leur survenance et que les mesures prises a posteriori se sont révélées insuffisantes, l'entreprise ayant même 'aggravé la situation par une stratégie managériale délétère'. L'un des élus de l'assemblée de Corse a pour sa part avisé le ministre des transports en 2012 de 'la politique destructrice de la société [7] sur les escales corses'.
Mme [V] affirme ainsi que dès 2011, l'employeur avait conscience du danger encouru par ses salariés et qu'il n'a pas pris les mesures de prévention nécessaires, 'la mise en place des chartes et des groupes de travail par [7] [n'étant] qu'une façade malhonnête pour prétendre ultérieurement avoir été respectueux de la santé des salariés'.
L'intimée souligne en outre avoir tenu de nombreuses réunions du CHSCT (10 pour la seule année 2014) et avoir assisté aux réunions de travail sur les grilles horaires ainsi qu'à celles du GPL. Elle indique au surplus avoir réceptionné une assignation devant le tribunal de grande instance de Bastia à la suite de la résolution votée par les membres du CHSCT tendant à la désignation d'un expert chargé de dresser un état des lieux des conditions de travail et d'évaluer les conséquences de la dénonciation des accords d'entreprise.
Mme [V] fait ainsi valoir l'existence d'une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail ainsi que celle d'un événement soudain le 19 mai 2015, dont il est résulté une lésion corporelle, caractérisant ainsi l'accident du travail dont elle a été victime.
L'intimée rapporte avoir fait l'objet d'actes d''intimidation' émanant de sa hiérarchie, avoir subi 'des crises de pleurs et d'angoisse' justifiant une prescription médicamenteuse par le Dr [T], médecin psychiatre de l'entreprise, dès octobre 2012.
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Lors de l'audience des plaidoiries, la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Corse, intimée, a indiqué s'en remettre à la sagesse de la cour.
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Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
La recevabilité de l'appel interjeté par la société [7] n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.
- Sur la faute inexcusable de l'employeur
L'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale dispose que 'Lorsque l'accident est dû à la faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles suivants.'
En outre, en application des dispositions des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, l'employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, en veillant notamment à mettre en place des actions d'information et de formation, à éviter les risques, à évaluer ceux ne pouvant être évités et à adapter le travail des salariés, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements et des méthodes de travail et de production.
Il résulte de l'ensemble de ces dispositions et d'une jurisprudence constante que le manquement à l'obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l'employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d'une faute inexcusable lorsque cet employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver, ces deux critères étant cumulatifs.
La conscience du danger exigée de l'employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective et précise de celui-ci. Elle s'apprécie au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.
Il est par ailleurs indifférent que la faute inexcusable commise par l'employeur ait été la cause déterminante de l'accident subi par le salarié, mais il suffit qu'elle en soit une cause nécessaire pour que sa responsabilité soit engagée, alors même que d'autres fautes - notamment celle de la victime - auraient concouru au dommage.
Toutefois, la reconnaissance de la faute inexcusable d'un employeur suppose pré-établie l'existence d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
Il importe donc de s'assurer en premier lieu que sont réunis les critères de prise en charge de l'accident du 19 mai 2015 au titre de la législation sur les risques professionnels, ainsi que le requiert l'employeur qui est en droit de contester, pour défendre à l'action en reconnaissance de la faute inexcusable, le caractère professionnel de cet accident, quand bien même il n'aurait pas initialement contesté la décision de prise en charge de la caisse.
L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu''Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise'.
Constitue ainsi un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, qu'elle soit d'ordre physique ou psychologique.
Le fait accidentel doit être précis et soudain, et présenter un caractère anormal, brutal, vexatoire, imprévisible ou exceptionnel.
La soudaineté est en effet le critère de distinction de l'accident du travail et de la maladie professionnelle. Ainsi, une pathologie dépressive, dès lors qu'elle survient de manière brutale et réactionnelle, consécutivement à un événement professionnel précis, peut être qualifiée d'accident du travail.
Le fait accidentel doit en outre être établi, dans sa matérialité, par la personne qui s'en estime victime.
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En l'espèce, il résulte d'une analyse attentive des nombreuses pièces versées aux débats - dont la majorité atteste du caractère enkysté du conflit collectif opposant une partie des salariés d'[7] à la direction de l'entreprise depuis 2011 - les éléments suivants.
Mme [V] soutient qu'alors qu'elle prenait son service le 19 mai 2015 à 16 heures, elle a découvert, en compagnie de ses deux collègues de travail, la suppression de son accès au système informatique lui permettant d'accomplir ses tâches et a constaté la présence de 'personnes étrangères à l'escale venues déployer un nouveau fonctionnement du service entraînant pour les agents concernés une perte de compétence technique importante', cette situation ayant alors généré une détresse psychologique tantôt qualifiée d'état de choc, tantôt de malaise, de crise de tremblement, d'hypertension ou de crise de panique.
La société [7] a indiqué pour sa part auprès de la CPAM que 'ce jour-là, Mme [V] comme tous ses collègues, débutait la formation pratique d'un outil informatique nommé Ramp FM', qu'elle 'n'a pas souhaité participer à cette formation et s'est absentée de son poste de travail'.
Il n'est pas contesté par les parties que ce 19 mai 2015, Mme [V] s'est trouvée en pleurs sur son lieu de travail durant ses heures de travail (l'heure exacte important peu dans le cas d'espèce), cet état ayant justifié un appel aux services de secours et un transport au centre hospitalier de [Localité 1], à l'instar de deux autres agents du même service.
S'il est regrettable, comme le souligne à juste titre l'appelante, que l'original du certificat médical initial (CMI) du 19 mai 2015 n'ait pas été versé aux débats (seul un duplicata établi le 02 juin 2015 étant produit), s'il est tout aussi regrettable qu'un second CMI ait été établi le 16 juin 2016 par le Dr [X] [C] qui a constaté un syndrome dépressif d'intensité sévère tout en fixant de manière erronée la date de l'accident au 15 mai 2015, et s'il importe de rappeler que les certificats médicaux produits n'ont de valeur probante que s'agissant des diagnostics posés et non des propos retranscrits relatifs aux conditions de travail résultant des seules affirmations de la salariée, il ressort néanmoins clairement des pièces médicales communiquées l'existence d'une lésion psychique.
En effet, le duplicata du premier CMI évoque un 'état anxieux', le médecin conseil de la CPAM fait état d'un suivi psychiatrique dès juin 2015 et constate encore, à la date du 05 juillet 2017, un 'état dépressif chronicisé important et invalidant avec asthénie persistante'.
Le critère de la soudaineté et de la brutalité de l'événement du 19 mai 2015 fait en revanche particulièrement défaut au regard des éléments suivants :
- l'après-midi du 19 mai 2015 était dédiée à une présentation du nouvel outil informatique ayant vocation à être utilisé au sein du service de Mme [V], les 'personnes étrangères' n'étant que des formateurs, ainsi que le confirme Mme [FX] dans son attestation du 05 avril 2018 ;
- Mme [V] elle-même indique dans sa déclaration d'accident du travail établie le 21 mai 2015, qu'en prenant son service 'le jour de la mise en place de Cible Avion', elle a eu une crise d'angoise, confirmant ainsi qu'elle avait eu connaissance en amont du jour de la mise en oeuvre de cette restructuration ;
- cette transformation du métier de technicien trafic, bien que non acceptée voire fermement rejetée par certains agents de la compagnie, avait été annoncée en amont par la direction de la société [7], ainsi qu'en attestent :
le témoignage de Mme [W] [Y] du 05 avril 2018 indiquant que 'les réunions de travail prévues en amont ne nous avaient pas préparées à cette situation, l'encadrement nous avait juste expliqué la fonction K théoriquement';
le témoignage de [R] [M] du 09 avril 2016 expliquant que 'nous entendions depuis quelques temps que ces changements allaient être mis en place au sein de notre escale mais avec une communication floue et inquiétante quant à l'avenir de nos postes et métiers' ;
le témoignage de [E] [P] du 10 avril 2016 précisant que Mme [V] avait 'vu progressivement perdre ses spécificités transférées dans d'autres escales et en cela, réduire sa qualification' ;
- la société [7] démontre que le plan Cible Avion visant à rationnaliser les métiers autour des 'touchées avion' avait été amorcé en 2004 et déployé à partir de 2008 en région parisienne et de 2014 en Corse, et que le plan Transform 2015 visant à restaurer la compétitivité du groupe [7]-[8] avait été initié dès 2012 ; elle produit notamment à cet effet ses bulletins de communication interne, celui du 28 novembre 2013 indiquant par exemple que le vol du 10 décembre 2013 serait 'traité en mode Cible Avion' afin de se 'familiariser avec cette nouvelle organisation de la touchée', avant d'informer ses agents par communiqué du 08 décembre 2013 que face à la nécessité de poursuivre le dialogue, les vols de familiarisation étaient reportés à janvier 2014 ;
- la participation de Mme [V] le 10 mai 2015, soit neuf jours l'accident déclaré, à une formation sur le logiciel 'Ramp FM' (ce qu'atteste la feuille de présence signée par ses soins) ainsi que l'organisation le 10 février 2015 d'une réunion avec les membres du service Trafic relative au déploiement de ce même logiciel démontrent que la mise en service de cet outil informatique étaient fortement prévisible ;
- le 31 mars 2015, soit moins de deux mois avant l'accident du 19 mai 2015, la direction de l'escale de [Localité 1] répondait aux questions des délégués du personnel en ces termes : '[Localité 1] rejoint les escales CIBLE AVION, avec process semblable et nos partenaires bénéficient d'un service identique d'une escale AF à une autre. Perspectives d'évolution pour les agents KN et montée en compétences pour les RZA' ;
- Mme [V] reconnaît en outre avoir participé à un 'nombre considérable de réunions' en sa qualité de secrétaire du CHSCT (page 13 de ses écritures) et avoir ainsi eu accès à un grand nombre d'informations sur l'entreprise. Il ressort notamment des pièces produites que plusieurs ateliers visant à analyser les risques psycho-sociaux au sein de l'escale de [Localité 1] ont été organisés entre 2010 et 2012 en présence de Mme [V]. Les travaux de ce groupe de travail ont été restitués le 16 octobre 2012 et il en résulte que 'l'évolution prévisible des méthodes de travail (e-services, BLS, B. Offices...)', et plus largement le projet Cible Avion, a été abordée.
- le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 10 janvier 2014 mentionne que 'par rapport à la pression psychologique que les membres du CHSCT avaient dénoncée lors de la dernière réunion, la direction a décidé de temporiser afin que les agents s'approprient les changements, les formations...', attestant ainsi de l'information communiquée quant aux changements à venir et de l'absence de passage en force de la direction d'[7] à cette date ;
- des entretiens collectifs réunissant 53 agents au cours de trois réunions ainsi que des entretiens individuels - dont a bénéficié Mme [V] - ont été menés en 2012 dans le cadre des tentatives de la direction d'apaiser le climat social au sein de l'entreprise.
Au surplus, Mme [V] procède par pure affirmation lorsqu'elle indique en page 57 de ses conclusions que la version 2015 du plan Cible Avion ne 'correspond pas au projet qui a été présenté en 2006", aucune pièce ne venant étayer ce constat.
Quant aux autres événements allégués antérieurs au 19 mai 2015, dont on suppose qu'il s'agit des fréquentes réunions auxquelles participait Mme [V] ainsi que de 'l'accumulation de la fatigue, de la pression de l'absence de mesure de prévention, du stress généré par le mépris de la direction, la transformation de l'entreprise et le mal-être général, sa position en première ligne l'obligeant à porter la souffrance collective' (page 41 des conclusions de l'intimée), soit ils ne revêtent pas un caractère anormal et brutal (hypothèse des réunions, quand bien même des tensions émanant de l'ensemble des acteurs aient pu exister au cours de certaines d'entre elles), soit ils n'ont aucune date certaine.
Les actes d'intimidations mentionnés par l'intimée dans ses écritures semblent évoquer le cas de l'expulsion d'une réunion du directeur des ressources humaines votée par les membres du CHSCT, et la réaction de ce cadre faisant remarquer qu'il n'auraient 'pas dû faire ça' et qu'ils auraient 'des nouvelles de son service juridique'. Toutefois, au-delà de la forte tension que cet épisode a pu générer tant auprès de ce cadre que des membres du comité, cet événement n'est pas rapporté dans des pièces autres que les documents établis par Mme [V] elle-même.
Surtout, dès le 31 octobre 2012, Mme [V] s'est vu prescrire par le Dr [U] [T], médecin psychiatre de la compagnie aérienne, un traitement composé d'un antidépresseur et d'un anxiolytique, étayant ainsi l'existence d'une lésion psychique antérieure au 19 mai 2015.
Mme [V] évoque en page 11 de ses conclusions reprises oralement que son 'burn out' est la 'conséquence immédiate' du 'management imposé par [7] dans le cadre de son plan de réorganisation [qui] visait avant tout à briser les salariés et particulièrement leurs représentants'. Ce terme de 'burn out' est également mentionné dans le certificat médical de prolongation établi le 11 janvier 2016 par la médecin psychiatre [L] [S], ainsi que par Mme [V] dans la main-courante qu'elle a déposée le 31 mai 2016 auprès des services de police, l'objet de cette main-courante étant de faire retranscrire un message téléphonique reçu de l'une de ses supérieures hiérarchiques lui signifiant qu'elle se sentait partiellement responsable de son arrêt de travail.
Or, le concept de 'burn out' témoigne par nature d'un processus de dégradation des relations professionnelles exempt de soudaineté. Il n'est dès lors susceptible de caractériser - à la condition que les critères en soient réunis - que la seule maladie professionnelle.
Les écritures de Mme [V] abondent en ce sens lorsqu'elle affirme, en page 16, qu''outre la fatigue physique accumulée et la tension palpable à chaque réunion, [elle] subissait une pression constante qui a dégradé petit à petit son état de santé. Celle-ci supportait déjà une souffrance au travail manifeste comme les autres salariés', puis en page 43, 'il est donc incontestable que l'équilibre psychologique de Mme [V] a été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail [...]'.
Le caractère progressif de la dégradation de son état de santé, principalement au regard de ses attributions de secrétaire du CHSCT, ressort également des témoignages produits et notamment ceux de M. [F] [N], de Mmes [A] [GX], [O] [J] et [G] [H].
En réponse au moyen relatif à la fréquence des réunions du CHSCT, il sera observé que les heures consacrées à ces réunions donnaient lieu à des journées de récupération.
Quant au 'plan de communication' préconisé par la direction de la société [7] auprès de ses managers, il se contente de décrire sans cynisme les bonnes pratiques usuelles en matière de conduite du changement.
Par ailleurs, les exemples de jurisprudence cités par l'intimée ne sauraient emporter la conviction de la cour en qu'ils se rapportent à des suicides, des agressions sur le lieu de travail ou encore des convocations à des entretiens de licenciement, dont la brutalité s'avère plus prégnante que la coupure d'un accès au système informatique dans le cadre d'une restructuration d'entreprise annoncée de longue date.
En tout état de cause, les 130 pièces produites par l'intimée démontrent essentiellement l'ancrage du conflit opposant Mme [V] à son employeur depuis l'annonce des projets de réorganisation de la société [7], sans que la cour n'ait à porter une quelconque appréciation sur la pertinence des choix économiques opérés par la direction de cette entreprise.
Si l'inquiétude suscitée par ces projets auprès des salariés était légitime, l'événement survenu le 19 mai 2015, pas plus que les événements antérieurs présentés par l'intimée comme constitutifs d'un accident du travail, ne saurait être appréhendé comme constituant la cause brutale et soudaine de la souffrance psychologique ressentie par la salariée, que la cour ne remet d'ailleurs pas en cause.
Mme [V] présente incontestablement une souffrance psychique liée au travail qui s'est progressivement installée au fil du temps. Toutefois, et contrairement à l'analyse qui en a été faite par les premiers juges, les faits invoqués ne constituent pas un accident au sens de la législation sur les risques professionnels.
Dès lors, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres éléments constitutifs de la faute inexcusable, le jugement querellé sera infirmé en toutes ses dispositions déférées et la cour, statuant à nouveau, déboutera Mme [V] de l'ensemble de ses demandes.
Par ailleurs, la faute inexcusable de l'appelante n'étant pas reconnue, la CPAM ne sera pas en capacité d'exercer son action récursoire contre elle, de sorte qu'il n'y a pas lieu de condamner la caisse à prendre en charge les conséquences de l'accident sans recours possible à l'encontre d'[7].
- Sur les dépens
L'alinéa 1er de l'article 696 du code de procédure civile dispose que 'la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie'.
Mme [V] devra donc supporter la charge du paiement des entiers dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel.
- Sur les frais irrépétibles
L'équité commande, au regard des circonstances de l'espèce et de la situation économique des parties, de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Les parties seront donc déboutées de leurs demandes formées sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
INFIRME en toutes ses dispositions déférées le jugement rendu le 20 mai 2019 par le pôle social du tribunal de grande instance de Bastia ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DEBOUTE Mme [Z] [V] de l'ensemble de ses demandes dirigées contre la société [7], l'accident du 19 mai 2015 n'ayant pas un caractère professionnel ;
CONDAMNE Mme [Z] [V] au paiement des entiers dépens exposés en première instance et en cause d'appel ;
DEBOUTE la société [7] de sa demande formée sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT