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19/04/2023 | FRANCE | N°21/00128

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre sociale tass, 19 avril 2023, 21/00128


ARRET N°

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19 Avril 2023

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N° RG 21/00128 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CBGF

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CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 2], S.A. [1]

C/

[I] [S]







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Décision déférée à la Cour du :

10 mai 2021

Pole social du TJ de BASTIA

16/00482

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Copie exécutoire délivrée le :






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à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUBLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE BASTIA



CHAMBRE SOCIALE





ARRET DU : DIX NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS





APPELANTES :



CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 2]

[Adresse...

ARRET N°

-----------------------

19 Avril 2023

-----------------------

N° RG 21/00128 - N° Portalis DBVE-V-B7F-CBGF

-----------------------

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 2], S.A. [1]

C/

[I] [S]

----------------------

Décision déférée à la Cour du :

10 mai 2021

Pole social du TJ de BASTIA

16/00482

------------------

Copie exécutoire délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUBLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : DIX NEUF AVRIL DEUX MILLE VINGT TROIS

APPELANTES :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 2]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

[Adresse 7]

Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA

S.A. [1]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

non comparante, non représentée

INTIME :

Monsieur [I] [S]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représenté par Me Pasquale VITTORI, avocat au barreau de BASTIA

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro C2B0332022000095 du 10/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 octobre 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre et Madame COLIN, Conseillère.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur JOUVE, Président de chambre

Madame COLIN, Conseillère

Madame BETTELANI, Conseillère

GREFFIER :

Madame CARDONA, Greffière lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 15 février 2023, puis a été prorogé au 15 mars, 17 mai 2023 mais finalement avancé au 19 avril 2023.

ARRET

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

- Signé par Monsieur JOUVE, Président de chambre et par Madame CARDONA, Greffière, présente lors de la mise à disposition de la décision.

***

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 17 février 2014, M. [I] [S], agent d'exploitation en déchetterie au sein de la société anonyme [1], a sollicité de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de [Localité 2] la reconnaissance du caractère professionnel d'un syndrome du canal carpien bilatéral et d'une épicondylite bilatérale. A l'appui de sa demande, il produisait un certificat médical initial établi le 04 février 2014 par le Dr [E] [Z], médecin généraliste, en ces termes : 'canal carpien bilatéral + épicondylite bilatérale (EMG du 21/01/14)'.

La CPAM a procédé à l'instruction de quatre dossiers (syndromes du canal carpien droit et gauche, tendinopathie des muscles épicondyliens des coudes droit et gauche) dans le cadre du tableau n°57 des maladies professionnelles relatif aux 'affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail'. Outre l'envoi de questionnaires à l'assuré et à son employeur, l'audition de M. [S] a été recueillie par l'agent enquêteur de la caisse.

Le 17 avril 2014, le colloque médico-administratif de la caisse a préconisé la saisine d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) au motif que la condition relative à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer ces pathologies n'était pas remplie.

Dans son avis rendu le 07 juillet 2014, le CRRMP de [Localité 5] a conclu à l'absence de lien direct entre les pathologies déclarées et la profession exercée par M. [S].

Par quatre décisions du 29 juillet 2014, la CPAM a en conséquence notifié à l'assuré son refus de prendre charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, les maladies déclarées.

Le 28 août 2014, M. [S] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable (CRA) de la caisse.

Le 09 octobre 2014, se trouvant en présence d'une décision implicite de rejet de la CRA, l'assuré a porté sa contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de la Haute-Corse qui, par jugement avant dire droit du 25 mars 2015, a ordonné la mise en cause de la société [1] en sa qualité d'employeure de M. [S].

Le 24 octobre 2014, M. [S] a été licencié pour inaptitude.

A la suite de la radiation de l'affaire puis de sa réinscription au rôle, le TASS a, par jugement avant dire droit du 15 janvier 2018, désigné le CRRMP de [Localité 6] afin qu'il se prononce sur l'origine professionnelle des affections litigieuses.

Le 26 juillet 2018, ce comité a émis un nouvel avis défavorable quant au caractère professionnel des maladies déclarées par M. [S].

Par jugement avant dire droit du 30 août 2019, la juridiction - devenue pôle social du tribunal de grande instance de Bastia - a désigné le CRRMP de [Localité 3] afin d'obtenir son avis sur l'origine professionnelle de ces pathologies.

Ce comité n'a pas été en mesure de se réunir avant l'audience du 15 mars 2021 qui s'est tenue devant les premiers juges.

Par jugement contradictoire du 10 mai 2021, la juridiction - devenue tribunal judiciaire de Bastia - a :

- infirmé les décisions de la CPAM du 29 juillet 2014 ainsi que la décision implicite de rejet de la CRA portant refus de la prise en charge des affections déclarées par M. [S] au titre de la législation sur les risques professionnels ;

- dit que les pathologies présentées par M. [S] étaient d'origine professionnelle et devaient être prises en charge au titre de la législation professionnelle ;

- invité la CPAM à tirer toutes les conséquences de droit de cette décision ;

- condamné la CPAM au paiement des entiers dépens.

Par lettre recommandée adressée au greffe de la cour le 31 mai 2021, la CPAM de [Localité 2] a interjeté appel de l'entier dispositif de cette décision qui lui avait été notifiée le 11 mai 2021. Cette déclaration d'appel a été enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/128.

Par courrier électronique du 09 juin 2021, la société [1] a interjeté appel de l'entier dispositif de ce jugement, sauf en ce qu'il a condamné la CPAM au paiement des entiers dépens. Cette seconde déclaration d'appel a été enrôlée sous le numéro de répertoire général 21/137.

Par ordonnance du 18 juin 2021, le conseiller chargé d'instruire a joint ces deux procédures sous le numéro le plus ancien.

Le CRRMP de [Localité 3] a finalement rendu son avis le 15 septembre 2021 en concluant à son tour à l'absence de lien direct entre les maladies déclarées par M. [S] et son activité professionnelle.

L'affaire a été appelée à l'audience du 11 octobre 2022, au cours de laquelle la CPAM et M. [S], non-comparants, étaient représentés. La société [1] n'était en revanche ni comparante ni représentée.

EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2], appelante et intimée, demande à la cour de':

'Reformer le jugement du 10 mai 2021 dans toutes ses dispositions,

Homologuer les avis des CRRMP de [Localité 5], [Localité 6] et [Localité 3],

Confirmer la décision de la Caisse Primaire du 29 juillet 2014,

Condamner Monsieur [S] aux entiers dépens.'

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait notamment valoir que trois CRRMP, représentant au total l'avis de sept médecins, ont conclu de façon claire et non équivoque à l'absence de lien de causalité directe entre les pathologies déclarées et l'activité professionnelle de M. [S], et que ces comités ont eu accès à l'intégralité du dossier de l'assuré incluant notamment la demande motivée de ce dernier.

*

Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, M. [I] [S], intimé, demande à la cour de :

' Débouter la CPAM et la société [1] de leurs demandes, fins et conclusions

CONFIRMER le jugement du 10/05/2021 en toutes ses dispositions en ce qu'il :

- INFIRME les décisions de la CPAM de [Localité 2] du 29 juillet 2014 ainsi que la décision implicite de rejet de la commission de recours amiable portant refus de la prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels des affections déclarées par monsieur [I] [S] ;

- DIT que les pathologies présentées par monsieur [I] [S] sont d'origine professionnelle et doivent être prises en charge au titre de la maladie professionnelle ;

- INVITE la CPAM de [Localité 2] à tirer toutes les conséquences de droit de la présente décision ;

- CONDAMNE la CPAM de [Localité 2] aux entiers dépens

Au surplus : condamner solidairement la CPAM et la société [1] à verser la somme de 2500 € au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de la procédure d'appel'.

L'intimé réplique notamment que la condition relative à la liste limitative des travaux est remplie et que sa maladie est directement causée par son travail d'agent d'exploitation en déchetterie, travail l'amenant à effectuer des mouvements répétés de préhension et d'extension des mains, poignets et avant-bras, comme exigé par le tableau n°57 des maladies professionnelles.

Il fait également valoir que le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste ainsi qu'à tout poste nécessitant des travaux d'entretien répétés, des mouvements de pronation de la main et de la manutention de charges supérieures à 7,5 kg.

Il fait en outre grief aux CRRMP de s'être fondés uniquement sur les éléments communiqués par l'employeur, qui ne peuvent qu'être sujets à caution au regard du litige prud'homal les opposant dans le cadre de son licenciement.

*

La cour constate que la société [1], à la fois appelante et intimée, n'a produit aucun écrit (autre que sa déclaration d'appel) dans le cadre de la présente instance et n'était en tout état de cause ni comparante ni représentée le jour de l'audience des plaidoiries.

*

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

- Sur l'appel interjeté par la CPAM

L'appel de la caisse, interjeté dans les formes et délai légaux, sera déclaré recevable.

- Sur l'appel interjeté par l'employeur

En application des dispositions des articles R. 142-11 du code de la sécurité sociale, et 931 et 946 du code de procédure civile, la procédure est orale devant la cour d'appel.


Les parties comparaissent soit en se présentant personnellement à l'audience, soit en s'y faisant représenter.


Bien que convoquée à l'adresse figurant sur sa propre déclaration d'appel et bien qu'ayant pris connaissance de la date de l'audience en signant le 04 mars 2022 l'avis de réception de la lettre de convocation adressée par le greffe de la cour, la société [1] n'a pas comparu le 11 octobre 2022, ne s'est pas fait représenter ni n'a sollicité de dispense de comparution.

En conséquence, il convient de constater que la société [1] ne soutient pas son appel.

- Sur le caractère professionnel de la pathologie de l'assuré

L'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, dispose en ses alinéas cinq à neuf qu''Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1.

Les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies d'origine professionnelle, dans les conditions prévues aux septième et avant-dernier alinéas du présent article. Les modalités spécifiques de traitement de ces dossiers sont fixées par voie réglementaire.'

Trois hypothèses distinctes résultent de ces dispositions :

- soit la maladie est désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles et a été contractée dans les conditions précisées audit tableau : la victime bénéficie alors d'un régime de présomption d'imputabilité de la maladie à son activité professionnelle ;

- soit la maladie est désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles mais une ou plusieurs des conditions posées par ledit tableau ne sont pas remplies (délai de prise en charge, durée d'exposition, liste indicative ou limitative des travaux susceptibles de la causer) : la maladie pourra alors être qualifiée de professionnelle s'il est démontré, après recueil obligatoire de l'avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime ;

- soit la maladie n'est pas désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles : elle pourra être qualifiée de professionnelle s'il est démontré, après recueil obligatoire de l'avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, que le travail habituel de la victime a, de manière essentielle et directe, entraîné son décès ou une incapacité permanente partielle d'au moins 25 %, taux fixé par l'article R. 461-8 du code de la sécurité sociale.

En l'espèce, M. [S] a sollicité la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de 'canal carpien bilatéral + épicondylite bilatérale (EMG du 21/01/14)', désignés au tableau n°57 B et C relatif aux affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail, figurant en annexe II du code de la sécurité sociale.

Les conditions tenant à la désignation de la maladie, au délai de prise en charge et à la durée d'exposition ne sont pas contestées par les parties.

Le litige porte donc sur la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette pathologie et plus largement, depuis la saisine des CRRMP, sur le lien de causalité directe entre les maladies et le travail habituel de M. [S].

Le tableau n° 57 B et C, dans sa version applicable à la présente espèce, est ainsi rédigé :

DESIGNATION DES MALADIES

DELAI de prise en charge

LISTE LIMITATIVE DES TRAVAUX susceptibles de provoquer ces maladies

- B -

Coude

Tendinopathie d'insertion des muscles épicondyliens associée ou non à un syndrome du tunnel radial

14 jours

Travaux comportant habituellement des mouvements répétés de préhension ou d'extension de la main sur l'avant-bras ou des mouvements de pronosupination.

Tendinopathie d'insertion des muscles épitrochléens

14 jours

Travaux comportant habituellement des mouvements répétés d'adduction ou de flexion et pronation de la main et du poignet ou des mouvements de pronosupination.

Hygroma : épanchement des bourses séreuses ou atteintes inflammatoires des tissus sous-cutanés des zones d'appui du coude.

- forme aiguë ;

- forme chronique.

7 jours

90 jours

Travaux comportant habituellement un appui prolongé sur la face postérieure du coude.

Syndrome canalaire du nerf ulnaire dans la gouttière épithrochléo-oléocranienne confirmé par électroneuromyographie (EMG)

90 jours (sous réserve d'une durée d'exposition de 90 jours)

Travaux comportant habituellement des mouvements répétitifs et/ou des postures maintenues en flexion forcée.

Travaux comportant habituellement un appui prolongé sur la face postérieure du coude.

- C -

Poignet - Main et Doigt

Tendinite

7 jours

Travaux comportant de façon habituelle des mouvements répétés ou prolongés des tendons fléchisseurs ou extenseurs de la main et des doigts.

Ténosynovite

7 jours

Syndrome du canal carpien

30 jours

Travaux comportant de façon habituelle,soit des mouvements répétés ou prolongés d'extension du poignet ou de préhension de la main, soit un appui carpien, soit une pression prolongée ou répétée sur le talon de la main.

Syndrome de la loge de Guyon

30 jours

Le CRRMP de [Localité 5] a conclu à l'absence de travaux de manutention répétés, l'essentiel du temps de travail de M. [S] ne comportant pas, selon lui, 'd'hyper sollicitations musculo-squelettiques'. Le CRRMP de [Localité 6] a confirmé cette analyse en retenant que l'assuré effectuait des tâches variées 'n'impliquant pas de contraintes biomécaniques en terme de répétitivité, force et amplitude'. Quant au CRRMP de [Localité 3], il a lapidairement fini par émettre un avis similaire (versé aux débats par la CPAM en cause d'appel) en considérant que le poste de travail de M. [S] ne comportait pas 'de gestes suffisamment nocifs [...] en termes de répétitivité, amplitudes ou résistance'.

Cependant, au-delà des vaines critiques formulées par M. [S] à l'encontre de la procédure suivie par ces comités pour émettre leur avis, il résulte de l'ensemble des pièces produites que, contrairement à l'analyse rapide opérée par les médecins les composant, le travail habituel de l'assuré imposait la réalisation de mouvements répétés de préhension et d'extension des mains sur les avant-bras ainsi que des mouvements répétés et prolongés d'extension des poignets et de préhension des mains.

En effet, M. [S], âgé de seulement 44 ans au moment de la déclaration de maladie professionnelle, a indiqué dès le 17 juin 2014 auprès de l'agent assermenté de la caisse l'ayant auditionné : 'Je balaie la plateforme de la déchetterie toute la journée', 'Je passe 5 heures de mon temps de travail à manipuler les déchets [...]'.

Dans une attestation rédigée ultérieurement à l'attention des premiers juges, il ajoutait : 'C'était un poste très physique, et continuellement difficile, mes tâches journalières étant très lourdes et imposantes. J'ai beaucoup forcé durant toutes ces années, sur mes épaules, mes coudes, mes avants bras, mes mains. Mes douleurs sont toujours là. Je suis continuellement sous traitement anti inflammatoire et antalgiques. Je ne dors plus ou très difficilement la nuit. Je souffre énormément chaque jour. Je ne peux plus soulever de poids. Mes mains lâchent une tasse de café.'

Les déclarations de M. [S] quant à la nature des tâches effectuées sont corroborées par d'autres pièces, et notamment par les documents établis par son employeur.

Ainsi, la société [1] décrit une partie des attributions du salarié en ces termes :

- 'Veiller à la netteté permanente des installations (rangement, propreté, abords, zone de dépotage des cuves, zone du compacteur, zone des contenants à déchets [bennes et autres] et abords, zone de stockage des contenants vides et propres, zones de la déchetterie, zone du parking visiteur)' ;

- 'Faire la chasse aux déversements et salissures accidentels sur le site'.

L'importance et la nécessaire récurrence des travaux d'entretien (balayage, débrouissaillage, souffleuse) ressort nettement de la rédaction de cette fiche de poste.

L'employeur, puis la caisse, considère néanmoins qu''hormis le balayage, les tâches effectuées par M. [S] ne comportent aucun travail de manutention'.

Pourtant, il résulte de la note interne n°1/2012, rédigée par la société [1] et signée le 11 avril 2012 par M. [S], que des travaux de manutention étaient également attendus de celui-ci :

- 'A l'ouverture le matin vous devez rentrer les éventuels déchets déposés par des usagers indélicats devant l'entrée de la déchetterie ainsi que dans la rue côté hangar [...]';

- 'Responsabilité concernant l'enlèvement et le remplacement des contenants : Vous veillerez à prévoir l'enlèvement des bennes pleines, des compacteurs et des bornes ainsi que leur remplacement et vous enlèverez et remplacerez les autres contenants ( Fûts - bacs - cages etc...) lorsque ceux-ci seront pleins.'

La place centrale accordée aux travaux d'entretien y est en outre rappelée : 'Responsabilité concernant la propreté de certaines zones : Vous devez veiller à la propreté permanente de la plate forme et plus précisément les zones :

- Déchetterie plateforme du haut.

- Déchetterie plateforme du bas de l'angle ou se trouve la benne DEE à l'alvéole gravats jusqu'au grillage de clôture du terrain

- Parking personnel jusqu'à la zone de dépotage local cuverie

- Zone dépotage cuverie.

Aucun objet ne devra se trouver sur ces zones sans justification.

Le nettoyage courant - balayage au droit de dépotage des usagers dans les bennes sur la plate-forme du haut sera réalisé autant que de besoin durant les heures d'ouverture de la déchetterie.

Le nettoyage des autres zones sera réalisé obligatoirement, par vous-même, en dehors des heures d'ouverture de la déchetterie car il est totalement exclu de réduire la vigilance nécessaire concernant la surveillance des usagers. [']'

Quant au caractère répétitif de ces différents travaux, il ressort clairement des attestations versées aux débats et particulièrement de celle du 23 août 2014 émanant de M. [F] [W], employé communal tenu de se rendre quotidiennement à la déchetterie, qui 'certifie avoir vu Mr [S] [I], employé en tant que responsable de déchetterie à [1], effectuer chaque jour, des travaux de manutention sur son site : décharger les véhicules, porter les objets lourds, encombrants, et les ranger dans les bennes qui leur est destinées, balayer les plates formes du haut et du bas, rentrer dans les bennes pour faire le tri des déchets verts, ranger les bennes et nettoyer leurs pourtours, ranger, transporter et changer les fûts de bidons d'huile, les fûts de piles et les bacs de batteries... utiliser le chariot élévateur et le souffleur... tailler les arbres, demander les cartes et utiliser le dispositif de pesées des véhicules.., accompagner chaque usager, aux bennes et contrôler le bon déroulement de leurs besoins... En effet, je suis agent d'entretien et mon travail m'emmène chaque jour sur la déchetterie... ».

L'ancien directeur de la société [1] indique quant à lui avoir confié à M. [S] non seulement la mission d'entretenir la déchetterie et d'en accueillir les usagers, mais également de collecter les déchets, de trier et de conditionner ceux-ci, outre des 'travaux de nettoyages pétroliers en milieux confinés'.

Ces affirmations sont étayées par le contrat de travail de M. [S], dont l'avenant n°3 stipule, en son article premier, que le salarié 'exercera, à compter du 01 janvier 2004, la fonction d'agent d'exploitation. Il effectuera des travaux de collecte, de tri des déchets et tous travaux s'y rapportant.'

Enfin et surtout, la société [1] affirme elle-même, dans un document intitulé Attestation remis à M. [S] le 10 septembre 2014 : 'Monsieur [S], nous présente ce jour, une fiche d'aptitude médicale de la médecine du travail qui stipule : « Apte à la reprise sur un poste aménagé ne comportant pas de manutention ni de travaux d'entretien répétés. » Cette mention, actuellement l'empêche de remplir les fonctions afférentes au poste d'agent de déchetterie qu'il a toujours assuré au sein de notre société. Ne disposant à ce jour d'aucun poste pouvant être tenu par M. [S] [I] en raison des restrictions sur son aptitude, nous lui demandons dans un premier temps de ne pas se présenter à son travail, le temps d'étudier son dossier afin de proposer une solution satisfaisante et réglementaire. En cette attente, sa rémunération lui sera versée normalement malgré son absence.'

Il résulte de cette pièce que l'employeur de M. [S] a explicitement reconnu dans un premier temps l'existence de travaux de manutention et d'entretien répétés parmi les missions habituelles confiées au salarié.

Dès lors, il sera jugé que M. [S] démontre l'existence d'un lien de causalité direct entre son activité d'agent d'exploitation d'une déchetterie et la survenance des pathologies dont il souffre.

Par conséquent, c'est à bon droit que les premiers juges ont reconnu le caractère professionnel des affections déclarées le 17 février 2014 par M. [S].

Le jugement querellé sera donc confirmé en ce qu'il a :

- infirmé les décisions de la CPAM du 29 juillet 2014 ainsi que la décision implicite de rejet de la CRA portant refus de la prise en charge des affections déclarées par M. [S] au titre de la législation sur les risques professionnels ;

- dit que les pathologies présentées par M. [S] étaient d'origine professionnelle et devaient être prises en charge au titre de la législation professionnelle ;

- invité la CPAM à tirer toutes les conséquences de droit de cette décision.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l'homologation vise à donner, par décision judiciaire, force légale à un accord intervenu entre les parties. Il n'y a donc pas lieu d'y procéder s'agissant des avis des CRRMP, simples mesures d'instruction destinées à éclairer le juge, lequel n'est pas lié, en application des dispositions de l'article 246 du code de procédure civile, par les constatations ou les conclusions des techniciens.

- Sur les dépens

L'alinéa 1er de l'article 696 du code de procédure civile dispose que 'la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie'.

La CPAM de [Localité 2] devra donc supporter la charge du paiement des entiers dépens exposés en cause d'appel et le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée au paiement des entiers dépens de première instance.

- Sur les frais irrépétibles

Partie succombante, la CPAM de [Localité 2] sera condamnée à payer à M. [S] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

DECLARE les appels recevables en la forme, mais CONSTATE que celui interjeté le 09 juin 2021 par la société [1] n'est pas soutenu ;

CONFIRME en toutes ses dispositions déférées le jugement rendu le 10 mai 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Bastia ;

Y ajoutant,

DEBOUTE la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2] de l'ensemble de ses demandes ;

CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2] au paiement des entiers dépens exposés en cause d'appel ;

CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 2] à payer à M. [S] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre sociale tass
Numéro d'arrêt : 21/00128
Date de la décision : 19/04/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-04-19;21.00128 ?
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