ARRET N°
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15 Février 2023
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N° RG 20/00125 - N° Portalis DBVE-V-B7E-B64W
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[W] [O]
C/
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux
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Décision déférée à la Cour du :
08 juillet 2020
Pole social du TJ d'AJACCIO
19/00206
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Copie exécutoire délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUBLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : QUINZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS
APPELANTE :
Madame [W] [O]
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Sigrid FENEIS, avocat au barreau d'AJACCIO
INTIMEE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 février 2022 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur JOUVE, Président de chambre et Madame COLIN, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Conseillère
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 01 juin 2022, puis a fait l'objet de prorogations au 22 juin, 21 septembre, 11 janvier et 15 février 2023.
ARRET
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
- Signé par Monsieur JOUVE, Président de chambre et par Madame CARDONA, Greffière, présente lors de la mise à disposition de la décision.
FAITS CONSTANTS ET PROCEDURE
Le 17 juillet 2018, la Dre [M] [F], médecin psychiatre, a établi un certificat médical initial d'accident du travail au profit de Mme [W] [O], alors salariée de l'office de tourisme intercommunal Ouest Corsica.
Le 23 juillet 2018, l'employeur de Mme [O] a communiqué à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Corse-du-Sud une déclaration d'accident du travail faisant état d'un incident survenu le 31 mai 2018.
Le 26 novembre 2018, la CPAM a notifié à l'assurée son refus de prendre en charge cet événement au titre de la législation relative aux risques professionnels, au motif de l''absence de fait accidentel'.
Le 18 janvier 2019, Mme [O] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable (CRA) de la caisse.
Se trouvant en présence d'une décision implicite de rejet, Mme [O] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio par requête du 15 mai 2019.
Par décision explicite du 18 juin 2019, la CRA a débouté l'assurée des fins de son recours.
En parallèle, Mme [O] avait saisi le conseil de prud'hommes d'Ajaccio qui, par jugement du 03 mars 2020, a notamment ordonné la résiliation judiciaire de son contrat de travail, cette résiliation produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement contradictoire du 08 juillet 2020, le pôle social d'Ajaccio a :
- débouté Mme [W] [O] de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné Mme [O] aux entiers dépens.
Par lettre recommandée avec accusé de réception reçue au greffe de la cour le 31 juillet 2020 (la date d'adressage n'étant pas renseignée par les services postaux), Mme [O] a interjeté appel de l'entier dispositif de cette décision.
L'affaire a été appelée à l'audience du 08 février 2022, au cours de laquelle les parties, non-comparantes, étaient représentées.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, Mme [W] [O], appelante, demande à la cour'de :
' - Déclarer recevable l'appel interjeté ;
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 8 juillet [2020] par le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio en ce qu'il a débouté madame [O] de l'ensemble de ses demandes ;
- Infirmer la décision de la commission de recours amiable du 18 juin 2019 rejetant le recours formé par madame [O] le 15 janvier 2019 contre la décision du 26 novembre 2018 refusant de reconnaître le caractère professionnel de son accident du 31 mai 2018 ;
- Juger que le caractère professionnel de l'accident dont madame [O] déclare être victime le 31 mai 2018 a été implicitement reconnu par la caisse par application des articles R. 441-10 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale dans leur version applicable au litige ;
- Dire que la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud est tenue de prendre en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, l'accident dont madame [O] déclare être victime le 31 mai 2018 ;
- Condamner la CPAM de Corse-du-Sud à verser à madame [O] la somme de 3000 € au titre de l'article 700 CPC ;
- La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.'
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait notamment valoir :
- à titre principal, que le certificat médical initial du 17 juillet 2018 répond aux exigences réglementaires, que son dossier était complet au 23 juillet 2018 et que la caisse n'a pas respecté le délai de trente jours prévu à l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, de sorte qu'une reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident du 31 mai 2018 aurait dû intervenir ;
- à titre subsidiaire, qu'elle a été victime d'un accident survenu au temps et au lieu du travail, qu'elle doit à ce titre bénéficier du régime de la présomption d'imputabilité au travail de sa lésion d'ordre psychologique et que la caisse ne démontre nullement que cet accident aurait une cause totalement étrangère au travail.
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Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la CPAM de la Corse-du-Sud, intimée, demande à la cour de':
' DECERNER acte à la concluante de ce qu'elle a fait une exacte application des textes en vigueur ;
CONFIRMER le jugement entrepris ;
REJETER la demande de condamner la Caisse Primaire au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.'
L'intimée rétorque notamment que :
- le certificat médical initial ayant été jugé illisible par le service gestionnaire, il était irrecevable, de sorte que le délai de trente jours n'a commencé à courir qu'à compter de la réception du second certificat établi par la Dre [F] le 04 septembre 2018 ;
- Mme [O] n'ayant pas prévenu son employeur dans les 24 heures suivant la survenance de l'accident, elle ne peut plus bénéficier de la présomption d'imputabilité, et ne démontre pas l'existence d'un fait matériel anormal susceptible d'être qualifié de fait accidentel.
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Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues oralement à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle n'est tenue de statuer que sur les prétentions énoncées par les parties. Les "'dire et juger'", "'donner acte'" ou "'constater'" n'étant - hormis les cas prévus par la loi - que le rappel des moyens invoqués et non des demandes conférant des droits, la cour ne statuera pas sur ceux-ci dans son dispositif.
- Sur la recevabilité de l'appel
L'appel, interjeté dans les formes et délai légaux, sera déclaré recevable.
- Sur la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident
Aux termes de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, 'la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.
Il en est de même lorsque, sans préjudice de l'application des dispositions du chapitre Ier du titre IV du livre Ier et de l'article L. 432-6, il est fait état pour la première fois d'une lésion ou maladie présentée comme se rattachant à un accident du travail ou maladie professionnelle.
Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.'
Le premier alinéa de l'article R. 441-14 du même code ajoute que « lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu ».
De la lecture combinée de ces deux articles, il résulte qu'en matière d'accident du travail, la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date de réception de la déclaration d'accident et de celle de réception du certificat médical initial (la plus récente des deux dates étant retenue en cas de transmission non simultanée) pour :
- soit statuer sur le caractère professionnel de l'accident,
- soit notifier par lettre recommandée avec accusé de réception à l'assuré ainsi qu'à son employeur, la nécessité d'une instruction complémentaire.
A défaut de réponse dans ce délai, le caractère professionnel de l'accident est réputé acquis.
En l'espèce, le litige porte sur le point de départ du délai initial de trente jours. La CPAM admet avoir reçu la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur de Mme [O] le 23 juillet 2018. Le certificat médical initial a, quant à lui, été établi par la Dre [F] le 17 juillet 2018 et réceptionné par la caisse le 20 juillet 2018, ce que ne conteste pas l'intimée tant dans ses écritures que dans les pièces qu'elle produit aux débats.
Pour écarter ce certificat et considérer que le dossier présenté par Mme [O] était incomplet à la date du 23 juillet 2018, la CPAM soutient que ce premier certificat était illisible et qu'elle aurait donc demandé à l'assurée de solliciter la Dre [F] aux fins d'établissement d'un certificat rectificatif. La caisse se prévaut ainsi de l'établissement d'une attestation rédigée par ce même médecin le 28 août 2018 et réceptionnée le 04 septembre 2018 pour instaurer le point de départ du délai de trente jours à cette dernière date, portant dès lors au 03 octobre 2018 la date butoir pour instruire le dossier de Mme [O]. L'intimée estime ainsi qu'en notifiant le 27 septembre 2018 le recours à un délai complémentaire d'instruction de deux mois, et en rendant sa décision le 26 novembre 2018, elle aurait respecté les délais réglementaires.
Toutefois, cette analyse ne saurait prospérer dans la mesure où il ressort d'une lecture attentive des pièces communiquées que :
- la CPAM ne verse pas aux débats le courrier allégué par lequel elle aurait informé Mme [O] du caractère illisible du certificat médical initial et aurait sollicité d'elle la transmission d'un certificat rectificatif ;
- le caractère illisible des constatations opérées par la Dre [F] dans son certificat du 17 juillet 2018 n'est nullement constaté par la cour qui a pu en déchiffrer le contenu, à l'instar de la caisse elle-même qui les a reproduits avec exactitude dans la décision de la CRA du 18 juin 2019 ainsi qu'en page 4 de ses écritures : ' le certificat médical initial établi le 17 juillet 2018 par le Dr [M] [F] indique : 'Syndrôme dépressif réactionnel à un stress post traumatique sur son lieu de travail (le 31 mai 2018) avec tristesse pathologique, angoisse majeure, incapacité à se projeter dans l'avenir' ;
- de manière superfétatoire, ce certificat médical initial était d'ailleurs accompagné d'une attestation manuscrite datée du même jour et établie par la même médecin, détaillant de manière lisible les lésions psychologiques constatées (pièce n°4 de l'appelante) ;
- le document reçu le 04 septembre 2018 n'est qu'une simple attestation qui ne saurait être assimilée à un certificat médical initial d'accident du travail.
En conséquence, il sera jugé que le dossier de Mme [O] était complet au 23 juillet 2018 (date de réception de la déclaration d'accident du travail) et que la caisse - qui ne saurait valablement ajouter aux dispositions de l'article R. 441-10 un critère tenant à la recevabilité des pièces transmises - a considéré à tort que le point de départ du délai de trente jours n'était fixé qu'au 04 septembre 2018.
Dès lors, le point de départ de ce délai étant le 23 juillet 2018, la caisse avait jusqu'au 23 août 2018 (23 juillet + 30 jours) soit pour prendre une décision sur le caractère professionnel ou non de l'accident, soit pour faire savoir - au moyen d'une lettre recommandée avec accusé de réception - qu'elle entendait diligenter une enquête complémentaire auprès de l'assurée et de son employeur.
Il en résulte que le délai de trente jours était expiré lorsque la CPAM a décidé, le 26 novembre 2018, de refuser de prendre en charge l'accident du 31 mai 2018 au titre de la législation professionnelle.
Aussi, la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident déclaré par Mme [O] sera constatée, le jugement déféré - au sein duquel ne figure aucune réponse à ce moyen pourtant soulevé devant le premier juge - sera infirmé en ce qu'il a débouté l'assurée de l'ensemble de ses demandes, et la cour, statuant à nouveau, annulera la décision du 26 novembre 2018 et condamnera la CPAM à prendre en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.
Par ailleurs, il sera rappelé que si l'article L.142-4 du code de la sécurité sociale subordonne la saisine du tribunal judiciaire à la mise en oeuvre préalable d'un recours non contentieux devant la commission de recours amiable instituée par l'article R.142-1 au sein du conseil d'administration de chaque organisme social, ces dispositions ne confèrent pas pour autant compétence à la juridiction judiciaire pour statuer sur le bien-fondé de la décision de cette commission, qui revêt un caractère administratif. C'est pourquoi la décision de la C.R.A. du 15 mars 2018 ne saurait être ni confirmée ni infirmée.
- Sur les dépens
La CPAM succombant dans ses prétentions, elle devra supporter la charge des entiers dépens exposés en première instance et en cause d'appel. Le jugement querellé sera donc infirmé en ce qu'il a condamné Mme [O] au paiement des dépens de première instance.
- Sur les frais irrépétibles
Il serait inéquitable de laisser à l'appelante la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.
La CPAM sera donc condamnée à payer à Mme [O] la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et par décision contradictoire mise à disposition au greffe,
DECLARE recevable l'appel interjeté le 31 juillet 2020 par Mme [W] [O] ;
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 08 juillet 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
ANNULE la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud du 26 novembre 2018 refusant la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident survenu le 31 mai 2018 ;
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud à prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'accident survenu le 31 mai 2018 ;
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud au paiement des entiers dépens exposés tant en première instance qu'en cause d'appel ;
CONDAMNE la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud à verser à Mme [W] [O] la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT