ARRET N°
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22 Juin 2022
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N° RG 20/00164 - N° Portalis DBVE-V-B7E-B7GI
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[T] [W]
C/
MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CORSE
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Décision déférée à la Cour du :
09 septembre 2020
Pole social du TJ D'AJACCIO
20/00052
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copie exécutoire
le :
à :
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX
APPELANT :
Monsieur [T] [W]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représenté par Me Marylène CAMMILLI-BUCQUET, avocat au barreau d'AJACCIO
INTIMEE :
MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE DE LA CORSE
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par Me Gilles ANTOMARCHI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 septembre 2021 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame COLIN, Conseillère,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur JOUVE, Président de chambre,
Madame COLIN, Conseillère
Madame BETTELANI, Vice-présidente placée auprès Monsieur le premier président
GREFFIER :
Madame CARDONA, Greffière lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 08 décembre 2021 et a fait l'objet de prorogations au 02 mars 2022, 13 avril 2022 et 22 juin 2022.
ARRET
-CONTRADICTOIRE
-Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
-Signé par Madame COLIN, Conseillère, pour Monsieur JOUVE Président de chambre empêché et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le 31 octobre 2019, la mutualité sociale agricole (M.S.A.) de la Corse a notifié à M. [T] [W], directeur d'agence au sein de la [3], son refus de prendre en charge, au titre de la législation relative aux risques professionnels, un événement survenu le 05 août 2019.
M. [W] avait en effet transmis le 05 août 2019 à son employeur un certificat médical initial établi par le Dr [F] [I], médecin généraliste. Le même jour, la [3] avait adressé à la M.S.A. une déclaration d'accident du travail assortie de réserves.
Par lettre reçue le 12 décembre 2019, M. [W] a contesté la décision de refus de prise en charge du 31 octobre 2019 devant la commission de recours amiable (C.R.A.) de la M.S.A.
En présence d'une décision implicite de rejet de la C.R.A., M. [W] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio par requête du 10 avril 2020.
Par jugement contradictoire du 09 septembre 2020, la juridiction a :
- déclaré recevable le recours formé par M. [T] [W] ;
- débouté M. [W] de son recours contre la décision de la commission de recours amiable de la MSA prise à son encontre ;
- condamné M. [W] aux dépens de l'instance.
Par courrier électronique du 07 octobre 2020, M. [T] [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision en ce qu'elle a :
- débouté M. [W] de son recours contre la décision de la commission de recours amiable de la MSA prise à son encontre ;
- condamné M. [W] aux dépens de l'instance.
L'affaire a été appelée à l'audience du 14 septembre 2021, au cours de laquelle M. [W] était comparant et assisté et la M.S.A., non-comparante, était représentée.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, M. [T] [W], appelant, demande à la cour de':
' INFIRMER LE PREMIER JUGEMENT rendu le 9/09/2020 en ce qu'il a confirmé le refus de prise en charge de l'accident de Monsieur [T] [W] au titre des accidents de travail.
En conséquence
Infirmer la décision de la commission de recours amiable de la CAISSE MSA portant refus de prise en charge de cet accident au titre de la législation professionnelle ;
Constater que Monsieur [T] [W] a été victime d'un accident du travail survenu le 05/08/2019 avec toutes les conséquences de droit.
Condamner la MSA au règlement de la somme de 3000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.'
L'appelant soutient avoir été victime le 05 août 2019 d'une crise d'angoisse suivie d'un malaise dans son bureau après avoir pris connaissance d'une évaluation professionnelle transmise par courrier électronique un samedi et mentionnant un prétendu entretien d'évaluation réalisé également un samedi.
Il précise que cet événement constitue un fait soudain, que ses lésions d'ordre psychique ont été médicalement constatées à plusieurs reprises et que la présomption d'imputabilité au travail doit jouer, la réalité de l'accident, le lien de subordination, l'existence de la lésion et sa survenue aux lieu et temps du travail étant caractérisées.
Il fait également valoir que l'intimée ne démontre pas qu'il se livrait au moment de l'accident à une activité totalement étrangère au travail.
L'appelant ajoute que son employeur ne peut valablement prétendre ne pas avoir eu connaissance des circonstances de survenance de l'accident au regard des mentions que celui-ci a portées sur la déclaration d'accident du travail, que le témoin cité ne pouvait répondre au questionnaire transmis par la M.S.A. compte tenu de son lien de subordination avec la C.R.C.A.M. et que la cour pourrait enjoindre la comparution personnelle de ce témoin défaillant.
Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la mutualité sociale agricole de la Corse, intimée, demande à la cour de':
' - Statuer ce que de droit sur la recevabilité en la forme de l'appel interjeté par Monsieur [T] [W]
- Au fond l'en débouter.
- Confirmer en conséquence le Jugement déféré en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
- Condamner Monsieur [T] [W] au paiement d'une somme de 840 € par application des dispositions de l'Article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens.'
L'intimée rétorque que la lecture d'une simple évaluation de travail ne saurait constituer un fait accidentel au sens de l'article L. 751-6 du code rural et de la pêche maritime, que l'appelant ne démontre pas avoir fait l'objet de propos humilants ou vexatoires, que l'expression de reproches professionnels relève du pouvoir de direction de l'employeur et que la matérialité de l'accident n'est pas établie faute de témoin corroborant les allégations de M. [W].
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIF :
La recevabilité de l'appel interjeté par M. [W] n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.
- Sur le caractère professionnel de l'événement survenu le 05 août 2019
Il résulte des dispositions du premier alinéa de l'article L. 751-6 du code rural et de la pêche maritime qu''Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne mentionnée à l'article L. 751-1, salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole.'
Constitue ainsi un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, qu'elle soit d'ordre physique ou psychologique.
L'article susvisé instaure une présomption d'imputabilité de l'accident au travail lorsque cet accident est intervenu sur le lieu de travail et pendant les horaires habituels du salarié.
Ainsi, toute lésion survenue au temps et lieu du travail doit être considérée comme trouvant sa cause dans le travail, sauf à établir, par celui qui s'en prévaut, que la lésion a une origine totalement étrangère à celui-ci.
Ainsi, il appartient à celui qui se prévaut de la présomption d'imputabilité d'un accident au travail de prouver :
- d'une part, la matérialité du fait accidentel au temps et au lieu du travail, en établissant autrement que par ses seules affirmations les circonstances exactes de l'accident ;
- d'autre part, l'apparition d'une lésion en relation avec ce fait accidentel, en établissant, s'agissant de la lésion psychique, que l'arrêt de travail a été causé par une brusque altération psychique en relation avec l'événement invoqué.
La soudaineté étant le critère de distinction entre l'accident du travail et la maladie professionnelle, le fait accidentel doit être précis et brutal, et présenter un caractère anormal, vexatoire, imprévisible ou exceptionnel.
En l'espèce, M. [W] soutient que le fait accidentel réside dans la lecture de l'évaluation réalisée par son supérieur hiérarchique dont il a pris connaissance le 05 août 2019 à son retour de congés alors qu'il se trouvait sur son lieu de travail.
Même si la déclaration d'accident du travail établi par l'employeur ne mentionne ni l'heure de l'incident ni les horaires habituels du salarié, les parties ne contestent pas que les faits allégués se soient déroulés au temps et au lieu du travail de M. [W].
En outre, bien que M. [Z] [B], témoin cité par M. [W], n'ait pas retourné le questionnaire qui lui avait été envoyé par la M.S.A., et sans qu'il soit nécessaire de rouvrir les débats afin d'ordonner la comparution personnelle de ce témoin - demande ne figurant d'ailleurs pas parmi les prétentions de l'appelant - la présence de ce témoin ressort clairement de la déclaration d'accident du travail qui précise qu' 'un collègue de Mr [W] est entré dans son bureau et l'a trouvé en pleurs. Il lui a demandé s'il souhaitait qu'il appelle quelqu'un mais Mr [W] a décliné toute aide. 20 ms après, il a quitté l'entreprise et a fait parvenir à 13 h de son mail personnel un arrêt de travail pour accident du travail sans autres précisions'.
La [3] ayant affirmé dans le courrier de réserves accompagnant la déclaration d'accident du travail qu'elle n'avait eu aucun contact avec M. [W], il s'en déduit que les précisions retranscrites dans cette déclaration ont été apportées à l'employeur par M. [B], et qu'il est donc établi que M. [W] a été en pleurs sur son lieu de travail le 05 août 2019.
Il convient donc de rechercher si la lecture de l'évaluation professionnelle réceptionnée par M. [W] le 05 août 2019 est de nature à constituer un fait accidentel.
Il résulte des pièces produites par les parties que cette évaluation, intitulée 'Suivi de la performance', est manifestement intermédiaire puisque transmise à l'issue du premier semestre 2019. Il ne s'agit donc pas d'une évaluation annuelle.
De manière étonnante, et comme le souligne à juste titre M. [W], cette évaluation fait état d'un entretien daté du samedi 27 juillet 2019. Toutefois, cette simple circonstance, dont il est ignoré si elle résulte d'une erreur informatique ou d'un acte intentionnel, ne saurait constituer en lui-même un fait grave, brutal ou vexatoire.
Quant au contenu de l'évaluation, il est rédigé en ces termes :
-'Bilan qualitatif : inférieur aux attendus / agent qui doit faire preuve de davantage d'esprit de discipline et doit se conformer aux directives de sa hiérarchie, s'approprier les outils mis à sa disposition de manière beaucoup plus forte afin de monter en compétence, et pour cela investir en temps passé sur le poste de travail ;
-Bilan quantitatif : insuffisant / agent qui doit rationaliser et optimiser davantage sa démarche commerciale'.
Des points forts relatifs à la 'prise de rendez-vous' sont également soulignés.
Il résulte d'une lecture attentive de cette évaluation intermédiaire qu'aucun propos vexatoire, dégradant ou humiliant n'est tenu par son rédacteur. En effet, contrairement à ce qu'affirme l'appelant et conformément aux pièces versées par l'intimée, le recours au terme d''agent' ne traduit aucune velléité de dénigrement de la part de l'employeur, cette terminologie étant fréquemment employée, sans aucune connotation péjorative, tant dans la fonction publique que dans les relations professionnelles de droit privé. En outre, si la performance décrite est jugée insuffisante, cette appréciation relève du pouvoir normal de direction de l'employeur et ne revêt aucun caractère d'anormalité ni de brutalité. Quant à la volonté de discrédit 'non seulement au sein du [3] mais également aux yeux de tous [ses] collègues', prêtée par M. [W] à son employeur, elle n'est nullement établie puisque cette évaluation est contenue dans un courriel strictement privé auquel les collègues de l'appelant ne peuvent avoir accès.
Dès lors, l'événement survenu le 05 août 2019 ne saurait être qualifié de brutal, anormal, vexatoire, imprévisible ou exceptionnel, et par là-même de fait accidentel.
Quant aux notions de 'harcèlement moral' figurant dans les pièces médicales produites, et de 'processus de déstabilisation engagé depuis des mois' figurant dans les écritures de l'appelant, outre qu'elles ne sont étayées par aucune pièce versée aux débats, elles témoignent par nature d'un processus de dégradation des relations professionnelles exempt de soudaineté.
S'agissant enfin de la lésion alléguée, M. [W] soutient avoir subi une crise d'angoisse suivie d'un malaise immédiatement après avoir lu le courriel litigieux. Si le certificat médical de prolongation établi le 08 août 2019 par le Dr [E] [P], médecin psychiatre, mentionne un 'état de choc anxieux dans les suites d'une forte dégradation des conditions de travail avec vécu de harcèlement moral allégué' ainsi qu'une 'thymie dépressive réactionnelle', il ne peut qu'être déploré que le certificat médical initial établi le 05 août 2019 par le Dr [F] [I] soit totalement illisible, tant sur les pièces produites en appel qu'en première instance. La preuve de la lésion médicalement constatée le jour de l'incident n'est donc pas rapportée par l'appelant.
Dès lors, et sans remettre en cause la réalité de la souffrance psychique éprouvée par M. [W], c'est par une juste appréciation des circonstances de l'espèce que les premiers juges ont considéré que l'incident survenu le 05 août 2019 ne revêtait pas le caractère d'un accident du travail au sens de l'article L. 751-6 susvisé.
Le jugement entrepris sera donc confirmé sur ce point.
- Sur les dépens et les frais irrépétibles
L'article 696 alinéa 1 dispose que 'la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie'.
M. [W], partie succombante, devra supporter la charge des dépens exposés en cause d'appel, et le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il l'a condamné aux dépens de première instance.
Par ailleurs, l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les parties seront donc déboutées de leurs demandes formées sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
CONFIRME en ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 09 septembre 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio ;
Y ajoutant,
CONDAMNE M. [T] [W] aux entiers dépens d'appel ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes formées sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIÈRE P/ LE PRÉSIDENT