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22/06/2022 | FRANCE | N°20/00135

France | France, Cour d'appel de Bastia, Chambre sociale tass, 22 juin 2022, 20/00135


ARRET N°

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22 Juin 2022

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N° RG 20/00135 - N° Portalis DBVE-V-B7E-B67T

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S.A. [3]

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux

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Décision déférée à la Cour du :

08 juillet 2020

Pole social du TJ d'Ajaccio

19/00249

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copie exécutoire



le :


>à :



COUR D'APPEL DE BASTIA



CHAMBRE SOCIALE





ARRET DU : VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX





APPELANTE :



S.A. [3] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Linda PIP...

ARRET N°

-----------------------

22 Juin 2022

-----------------------

N° RG 20/00135 - N° Portalis DBVE-V-B7E-B67T

-----------------------

S.A. [3]

C/

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux

----------------------

Décision déférée à la Cour du :

08 juillet 2020

Pole social du TJ d'Ajaccio

19/00249

------------------

copie exécutoire

le :

à :

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX

APPELANTE :

S.A. [3] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 5]

[Localité 1]

Représentée par Me Linda PIPERI, avocat au barreau de BASTIA

INTIMEE :

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA CORSE DU SUD - contentieux

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représenté par Me Valérie PERINO SCARCELLA, avocat au barreau de BASTIA

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 septembre 2021 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame COLIN, conseillère, faisant fonction de présidente,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur JOUVE, Président de chambre,

Madame COLIN, Conseillère,

Madame BETTELANI, Vice-présidente placée auprès Monsieur le premier président

GREFFIER :

Madame CARDONA, Greffière lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 08 décembre 2021, puis successivement prorogé au 02 mars 2022, 13 avril 2022 et 22 juin 2022,

ARRET

-Contradictoire

-Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

-Signé par Madame COLIN, conseillère, pour le président empêché, et par Madame CARDONA, Greffière présente lors de la mise à disposition de la décision.

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Le 11 octobre 2018 à 06h45, M. [N] [X], directeur des services administratifs et commerciaux au sein de la société anonyme (S.A.) [3], s'est suicidé sur son lieu de travail avec son arme personnelle.

Le 12 octobre 2018, la caisse primaire d'assurance maladie (C.P.A.M.) de la Corse- du-Sud a réceptionné la déclaration d'accident du travail assortie des réserves de l'employeur.

Le 25 octobre 2018, la C.P.A.M. a reçu le certificat de décès de M. [X], et a décidé le 10 janvier 2019 de prendre en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.

Le 08 mars 2019, la S.A. [3] a contesté cette décision devant la commission de recours amiable de la caisse, afin qu'elle lui soit déclarée inopposable.

En présence d'une décision implicite de rejet, la S.A. [3] a porté sa contestation, le 05 juillet 2019, devant le pôle social du tribunal de grande instance d'Ajaccio.

Par jugement contradictoire du 08 juillet 2020, la juridiction ' devenue tribunal judiciaire - a':

- débouté la S.A. [3] de sa demande d'inopposabilité';

- débouté la S.A. [3] de l'ensemble de ses demandes';

- confirmé la décision prise par la C.P.A.M. de la Corse-du-Sud le 10 janvier 2019 de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'événement du 11 octobre 2018 avec toutes ses conséquences de droit, opposable à l'égard de la S.A. [3]';

- condamné la S.A. [3] à verser à la C.P.A.M. de la Corse-du-Sud la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles';

- condamné la S.A. [3] aux dépens par application de l'article 696 du code de procédure civile.

Par courrier électronique du 19 août 2020, la S.A. [3] a interjeté appel à l'encontre de l'entier dispositif de ce jugement.

L'affaire a été appelée à l'audience du 14 septembre 2021, au cours de laquelle les parties, non-comparantes, étaient représentées.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Au terme de ses conclusions, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la S.A. [3], appelante, demande à la cour de':

' 'DIRE ET JUGER la Société [3] recevable en son action

' DECLARER son action bien fondée.

Ce faisant,

' INFIRMER le jugement rendu le 8 juillet 2020 par le tribunal judiciaire d'Ajaccio.

A TITRE PRINCIPAL

Vu les articles R. 441-11 et suivants, D. 461-29 et D. 461-30 du Code de la Sécurité Sociale alors en vigueur et le Principe du Contradictoire,

' DIRE ET JUGER que la CPAM n'a pas respecté le principe du contradictoire à l'égard de la Société [3] dans le cadre de l'instruction du suicide de Monsieur [X]';

Ce faisant,

' DECLARER inopposable à l'égard de la Société [3] la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'événement du 11 octobre 2018, avec toutes conséquences de droit.

À TITRE SUBSIDIAIRE

Vu l'article L441-1 du Code de la sécurité sociale

' CONSTATER que le lien de causalité entre le suicide de Monsieur [X] et ses conditions de travail n'est pas établi.

Ce faisant,

' DECLARER inopposable à l'égard de la Société [3] la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'évènement du 11 octobre 2018, avec toutes conséquences de droit.

Y ajoutant,

' CONDAMNER la Caisse au paiement de la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.'"

Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait grief à la C.P.A.M. de ne pas avoir respecté le principe du contradictoire au motif que la caisse ne lui aurait envoyé ni questionnaire lors de l'enquête qu'elle avait l'obligation de diligenter, ni courrier l'informant du recours au délai d'instruction complémentaire, ni lettre l'informant de la clôture de cette instruction, de la date de sa décision et de la possibilité de consulter le dossier contenant les éléments susceptibles de lui être défavorables. L'appelante soutient en outre que la caisse n'apporte pas la preuve de la date de réception desdits courriers.

L'appelante soutient également que la présomption d'imputabilité au travail qui profite au salarié ne joue plus lorsque l'événement dépasse le cadre spatial et temporel professionnel, et que la C.P.A.M. ne rapporte pas la preuve que le décès de M. [X] trouve son origine dans le travail.

*

Au terme de ses écritures, réitérées et soutenues oralement à l'audience, la C.P.A.M. de la Corse-du-Sud, intimée, demande à la cour de':

"DECERNER acte à la concluante de ce qu'elle a fait une exacte application des textes en vigueur';

CONFIRMER le jugement entrepris';

DECLARER opposable à la société [3] l'accident du travail mortel dont a été victime Monsieur [N] [X] le 11/10/2018';

REJETER la demande de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile

CONDAMNER la société [3] au paiement de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.'"

L'intimée réplique que les délais comme les modalités de notification à l'employeur ont été respectés, la preuve de la notification des courriers litigieux figurant sur les bordereaux des lettres recommandées électroniques versés aux débats. Elle fait en outre valoir que le moyen relatif à l'absence d'envoi d'un questionnaire à l'employeur est inopérant, la caisse disposant de la libre appréciation des moyens d'investigation à mettre en oeuvre.

La caisse indique en outre que la charge de la preuve du caractère non-professionnel de l'accident pèse sur l'employeur, et que faute pour ce dernier de le démontrer, la présomption d'imputabilité au travail de l'accident institué à l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale doit s'appliquer.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

A titre liminaire, la cour rappelle qu'en application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, elle n'est tenue de statuer que sur les prétentions énoncées par les parties. Les "'dire et juger'", "'donner acte'" ou "'constater'" n'étant - hormis les cas prévus par la loi - que le rappel des moyens invoqués et non des demandes conférant des droits, la cour ne statuera pas sur ceux-ci dans son dispositif.

En outre, la recevabilité de l'appel interjeté par la S.A. [3] n'étant pas contestée, il ne sera pas statué sur celle-ci.

- Sur l'instruction du dossier par la C.P.A.M.

L'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au présent litige, énonce que «'La caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu le dossier complet comprenant la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial et le résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prescrits par les tableaux de maladies professionnelles pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.

[...]

Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu ».

L'article R. 441-11 du même code, dans sa version applicable au présent litige, précise que 'I. - La déclaration d'accident du travail peut être assortie de réserves motivées de la part de l'employeur.

Lorsque la déclaration de l'accident en application du deuxième alinéa de l'article L. 441-2 n'émane pas de l'employeur, la victime adresse à la caisse la déclaration de l'accident. Un double est envoyé par la caisse à l'employeur à qui la décision est susceptible de faire grief par tout moyen permettant de déterminer sa date de réception. L'employeur peut émettre des réserves motivées. La caisse adresse également un double de cette déclaration au médecin du travail.

[...]

III. - En cas de réserves motivées de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la caisse envoie avant décision à l'employeur et à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés. Une enquête est obligatoire en cas de décès.'

L'article R. 441-14 du même code, dans sa version applicable au présent litige, ajoute que «'Lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. A l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.

[...]

Dans les cas prévus au dernier alinéa de l'article R. 441-11, la caisse communique à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception, l'information sur les éléments recueillis et susceptibles de leur faire grief, ainsi que sur la possibilité de consulter le dossier mentionné à l'article R. 441-13.

La décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou ses ayants droit, si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n'est pas reconnu, ou à l'employeur dans le cas contraire. Cette décision est également notifiée à la personne à laquelle la décision ne fait pas grief ».

En l'espèce, il ressort d'une lecture attentive des pièces communiquées par les parties que la C.P.A.M. a réceptionné la déclaration d'accident du travail établie par la S.A. [3] le 12 octobre 2018 et le certificat de décès de M. [X] le 25 octobre 2018.

Conformément aux dispositions des articles R. 441-10 et R. 441-14 susvisés, la caisse avait donc jusqu'au 23 novembre 2018 inclus pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou informer l'employeur de la nécessité de recourir à un délai d'enquête complémentaire, ce qu'elle a fait par lettre recommandée avec avis de réception électronique du 19 novembre 2018 - soit avant l'expiration du délai de trente jours - lettre faisant courir un nouveau délai d'instruction de deux mois expirant le 19 janvier 2019.

Contrairement à ce qu'affirme l'appelante, la C.P.A.M. apporte la preuve de la notification de ce courrier à l'employeur ainsi que celle de sa réception, via un "'bordereau de preuves électronique'", dont l'utilisation a nécessairement été approuvée en amont par le destinataire et n'est nullement prohibée par le premier alinéa de l'article R. 441-14 susvisé.

Ce bordereau mentionne en effet':

- le nom du signataire de la lettre,

- la date d'émission de la notification au 19 novembre 2018,

- l'identification du service duquel émane le courrier,

- le même début de numéro de lettre recommandée que celui porté sur ledit courrier, à savoir "'001-b73932db-9...",

- la mention "'Accepté' cochée par Mme [T] [L], assistante de direction au sein de la S.A. [3] et signataire de la déclaration d'accident du travail,

- la date de réception de la lettre par Mme [L] établie au 20 novembre 2018.

Il ressort ainsi clairement de ces éléments que la lettre recommandée du 19 novembre 2018 informant l'employeur du recours au délai complémentaire d'instruction a bien été portée à la connaissance de ce dernier dans le délai réglementaire.

S'agissant de la notification du courrier du 21 décembre 2018 informant la S.A. [3] de la clôture de la procédure d'instruction et de la faculté de consultation du dossier avant décision devant intervenir le 10 janvier 2019, la C.P.A.M. soutient qu'elle a été faite dans le respect des prescriptions réglementaires, par la même voie électronique.

L'employeur indique pour sa part avoir appris la décision de la caisse de prendre en charge le suicide de M. [X] au titre de la législation professionnelle en consultant son compte employeur et de n'avoir ainsi pu faire valoir ses observations.

Aux termes du troisième alinéa de l'article R. 441-14 susvisé, la caisse est tenue de communiquer à l'employeur, 'au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception', le courrier l'avisant de la clôture de l'instruction et de la possibilité de consulter le dossier avant décision.

Le courrier invoqué par la caisse est daté du 21 décembre 2018 et fait état d'une décision devant intervenir le 10 janvier 2019, soit plus de dix jours francs après la date de réception de ce courrier par l'employeur.

De nouveau, cette date de réception est établie par le bordereau de preuves électronique rattaché à ce courrier.

En effet, ce bordereau mentionne :

- le nom du signataire de la lettre,

- la date d'émission de la notification au 21 décembre 2018,

- l'identification du service duquel émane le courrier,

- le même début de numéro de lettre recommandée que celui porté sur ledit courrier, à savoir "'001-c9f40e51-95...",

- la mention "'Avisé' et l'adresse électronique du destinataire, en l'espèce la même Mme [T] [L] qui avait accusé réception du courrier du 19 novembre 2018,

- enfin la mention 'Non réclamé'.

Il en résulte que la C.P.A.M. s'est conformée aux règles prescrites afin d'assurer le caractère contradictoire de la procédure d'instruction. Il appartenait à la S.A. [3] de réclamer la lettre recommandée qui lui avait été transmise à l'adresse électronique qu'elle avait elle-même communiquée ([Courriel 4]).

Le courrier n'étant pas revenu porteur de la mention 'destinataire inconnu à cette adresse' ou 'n'habite pas à l'adresse indiquée', la caisse n'était nullement dans l'obligation de procéder à un nouvel envoi et ne saurait se voir imputer la carence de l'employeur dans le processus de réception des lettres recommandées par le secrétariat de direction.

Dès lors, le respect du principe de la contradiction a été satisfait par l'envoi le 21 décembre 2018 à la S.A. [3], selon les formes réglementaires, de la lettre l'informant de la clôture de la procédure d'instruction et de la possibilité de consulter le dossier avant le 10 janvier 2019, date à laquelle la caisse a statué sur le caractère professionnel de l'accident du 11 octobre 2018.

S'agissant des moyens mis en oeuvre par la C.P.A.M. pour instruire le dossier, il importe de rappeler qu'aux termes de l'article R. 441-11 III. susvisé, la caisse est tenue, en cas de réserves émises par l'employeur sur un accident n'ayant pas entrainé le décès du salarié, d'envoyer un questionnaire OU de procéder à une enquête. Cette option disparaît en revanche en présence d'un accident ayant provoqué le décès de la victime, seule l'enquête devant être mise en oeuvre par l'organisme social.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la S.A. [3] a émis des réserves motivées sur le lien entre le décès de M. [X] et son activité professionnelles, la déclaration d'accident du travail du 12 octobre 2018 mentionnant que "'toutes réserves sont émises quant à l'implication du travail sur l'acte en lui-même'".

L'employeur reproche à la caisse de ne pas avoir diligenté l'instruction au moyen d'un questionnaire. Or, en présence d'un suicide, la caisse ne pouvait se contenter de l'envoi d'un questionnaire aux ayants droit du défunt et à l'employeur, mais était tenue de mener une enquête confiée à l'un de ses agents assermentés.

Il résulte des pièces versées aux débats par les parties que cette enquête a bien été diligentée par la C.P.A.M.

Figurent en effet au sein du dossier d'enquête clôturé le 21 décembre 2018 :

- le certificat médical de constat de décès établi le 27 octobre 2018 par le Dr [V] [P],

- la copie intégrale de l'acte de décès établi le 13 octobre 2018,

- un procès-verbal relatant deux attaches téléphoniques avec la S.A. [3],

- une attache par courrier électronique avec la S.A. [3],

- le compte-rendu de la réunion extraordinaire des membres du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (C.H.S.C.T.) du 24 octobre 2018,

- un procès-verbal de contact téléphonique avec M. [K] [X], fils de la victime.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré que la C.P.A.M. avait rempli son devoir d'information à l'égard de l'employeur, et diligenté la procédure d'instruction relative à l'accident du 11 octobre 2018 dans le respect du contradictoire et des prescriptions réglementaires.

- Sur le caractère professionnel de l'accident

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose qu'"'Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise.'"

Constitue ainsi un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines, par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, qu'elle soit d'ordre physique ou psychologique.

L'article susvisé instaure une présomption d'imputabilité de l'accident au travail lorsque cet accident est intervenu sur le lieu de travail et pendant les horaires habituels du salarié.

Ainsi, toute lésion survenue au temps et lieu du travail doit être considérée comme trouvant sa cause dans le travail, sauf à établir, par celui qui s'en prévaut, que la lésion a une origine totalement étrangère à celui-ci.

En l'espèce, le certificat de décès établi par le Dr [V] [P] le 27 octobre 2018 conclut à un suicide survenu le 11 octobre 2018, et la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur situe l'accident au "'lieu de travail habituel'" de la victime, à 06h45, soit durant les horaires de travail de celle-ci compris entre 06h00 et 12h00.

En conséquence, le régime de la présomption d'imputabilité de l'accident au travail doit recevoir application, et il appartient à l'employeur qui entend renverser cette présomption, de démontrer que le suicide a une cause totalement étrangère au travail.

Au soutien de sa demande d'inopposabilité, la S.A. [3], sur laquelle pèse la charge de la preuve, fait uniquement valoir que : - M. [K] [X], fils de la victime, témoigne que "'depuis le départ de ma mère, mon père n'allait pas très bien'", ce témoignage confirmant selon elle que 'des faits d'origine extraprofessionnelle ont vraisemblablement été à l'origine de l'acte de M. [X]'';

- l'emploi de son arme personnelle démontrerait une préméditation du passage à l'acte par M. [X]';

- les conclusions du C.H.S.C.T. soulignant les "'horaires importants'" et les "'difficultés à supporter les situations de conflits normales du travail' avec ses collaborateurs, n'établissent pas de lien entre le suicide et le travail mais 'visent à mettre en place des actions de prévention d'intérêt général';

- elle n'a relevé "'aucun élément de nature à provoquer un tel acte de la part du salarié'" et fait état d'un 'doute sérieux quant à l'imputabilité du décès de M. [X] à son activité professionnelle'.

Il ressort de ces éléments que la S.A. [3] n'apporte aucune preuve tangible permettant de renverser le régime de présomption institué par l'article L. 411-1 susvisé. Le seul témoignage du fils de M. [X], non étayé par diverses attestations que l'employeur aurait pu produire dans le cadre de la présente instance, est insuffisant. Le recours à une arme personnelle n'est nullement incompatible avec une cause d'origine professionnelle. Surtout, un 'doute sérieux' ou une 'vraisemblance' de cause personnelle ne sauraient constituer une preuve démontrant que l'accident a une cause totalement étrangère au travail.

Au surplus, et alors que la S.A. [3] affirme ne pas avoir eu l'opportunité de faire valoir ses observations au cours de l'enquête diligentée par la C.P.A.M., il sera observé que l'agent assermenté de la caisse a pris attache téléphoniquement avec elle le 18 décembre 2018, a été orienté vers trois interlocuteurs successifs, avant de recevoir le lendemain un courrier électronique de Mme [T] [D], chargée de gestion en ressources humaines, au contenu succinct voire expéditif.

C'est donc par une juste appréciation des circonstances de l'espèce que les premiers juges ont considéré que la décision de la C.P.A.M. de la Corse-du-Sud, intervenue le 10 janvier 2019, de prendre en charge l'accident du 11 octobre 2018 au titre de la législation professionnelle, était opposable à la S.A. [3].

Par conséquent, le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il a :

- débouté la S.A. [3] de sa demande d'inopposabilité';

- débouté la S.A. [3] de l'ensemble de ses demandes';

- confirmé la décision prise par la C.P.A.M. de la Corse-du-Sud le 10 janvier 2019 de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, l'événement du 11 octobre 2018 avec toutes ses conséquences de droit, opposable à l'égard de la S.A. [3].

- Sur les dépens

La S.A. [3] succombant dans ses prétentions, elle devra supporter la charge des entiers dépens exposés en cause d'appel, et le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée aux dépens de première instance.

- Sur les frais irrépétibles

Il serait inéquitable de laisser à l'intimée la charge des frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer en cause d'appel.

La S.A. [3], partie succombante, sera donc condamnée au versement de la somme de 1 500 euros à la C.P.A.M. de la Corse-du-Sud, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle sera en outre déboutée de sa propre demande formée sur ce fondement, et le jugement querellé sera confirmé en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME en ses dispositions soumises à la cour le jugement rendu le 08 juillet 2020 par le pôle social du tribunal judiciaire d'Ajaccio ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société anonyme [3] au paiement des entiers dépens exposés en cause d'appel ;

CONDAMNE la société anonyme [3] à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Corse-du-Sud la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles';

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

La greffièreLe président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Formation : Chambre sociale tass
Numéro d'arrêt : 20/00135
Date de la décision : 22/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-22;20.00135 ?
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