ARRET No
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29 Mai 2019
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R No RG 17/00346 - No Portalis DBVE-V-B7B-BXQF
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SARL CABINET F...- I... - T...
C/
U... B... H...
----------------------Décision déférée à la Cour du :
09 novembre 2017
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BASTIA
16/00093
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COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE SOCIALE
ARRET DU : VINGT NEUF MAI DEUX MILLE DIX NEUF
APPELANTE :
SARL CABINET F...- I... - T...
No SIRET : 501 45 5 8 36
[...]
[...]
[...]
Représentée par Me Hélène QUILICHINI de la SCP CABINET BARTHÉLÉMY, avocat au barreau de MARSEILLE, et Me Françoise ACQUAVIVA, avocat au barreau de BASTIA
INTIMEE :
Madame U... B... H...
[...]
[...]
Représentée par Me Pasquale VITTORI, avocat au barreau de BASTIA,
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 mars 2019 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président, faisant fonction de président, chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
M. EMMANUELIDIS, Conseiller
Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président
GREFFIER :
Mme POIRIER, lors des débats.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 15 mai 2019, puis prorogé au 29 mai 2019
ARRET
Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par M. EMMANUELIDIS, conseiller, en remplacement du président empêché et par Mme COMBET, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
Madame U... E... H... a été embauchée par le Cabinet Y... F... en qualité d'assistant technicien géomètre, niveau 2, échelon 1, coefficient 236, suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps plein à effet du 1er février 1999. Par avenant du 2 novembre 2015, ont été prévus un horaire de travail de vingt-huit heures par semaine et une rémunération brute de 1835,93 euros par mois. Dans le dernier état de la relation contractuelle, la salariée occupait les fonctions d'assistant technicien géomètre, niveau 2, échelon 3, coefficient 281.
La relation de travail entre les parties était soumise à la convention collective nationale des cabinets ou entreprises de géomètres-experts, géomètres-topographes, photogrammètres et experts fonciers.
Selon courrier en date du 1er mars 2016, la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T..., venant aux droits de l'employeur initial, a convoqué la salariée à un entretien préalable à un licenciement fixé au 10 mars 2016. Madame U... E... H... s'est vue notifier une lettre de licenciement pour motif économique par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 23 mars 2016. Elle a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle le 30 mars 2016.
Madame U... E... H... a saisi le Conseil de prud'hommes de Bastia, par requête reçue le 9 mai 2016, de diverses demandes.
Selon jugement du 9 novembre 2017, le Conseil de prud'hommes de Bastia a :
- condamné la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T..., prise en la personne de son représentant légal, à payer à Madame U... E... H... les sommes suivantes :
* 11 075,58 euros d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté Madame U... E... H... de ses autres chefs de demande,
- débouté la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... de sa demande reconventionnelle,
- condamné la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... aux dépens.
Par déclaration enregistrée au greffe le 7 décembre 2017, la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... a interjeté appel de ce jugement en chacune de ses dispositions.
Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 27 juin 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... a sollicité :
- à titre principal :
* d'infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
* de débouter Madame H... de l'ensemble de ses demandes,
- subsidiairement : de minimiser fortement le montant de la somme éventuellement allouée à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- en tout état de cause :
* de débouter Madame H... de sa demande relative à la condamnation de la Société au paiement de 2500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
* de condamner Madame H... à lui verser une somme de 2500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle a fait valoir :
- que la rupture pour motif économique était fondée, au motif d'une sauvegarde de compétitivité nécessitant une réorganisation de l'entreprise sur le marché sur lequel elle intervenait, puisque :
* la concurrence s'était nettement accrue sur le marché, en l'état de l'installation de plusieurs experts géomètres entre 2011 et 2014 dans la région,
* plusieurs marchés importants (auprès de la Collectivité territoriale de Corse et de la Mairie de Bastia) représentant plus du tiers de l'activité du cabinet avaient pris fin entre décembre 2015 et mars 2016, sans certitude aucune sur l'obtention ultérieure de ces marchés dans le cadre de procédure d'appels à candidature,
* l'entreprise n'avait pas été attributaire de marché auprès de la mairie de Bastia et si elle avait été attributaire d'un nouveau marché de la Collectivité territoriale en 2017, elle avait dû s'associer avec plusieurs
autres entreprises pour l'obtenir, avec un bénéfice dès lors réduit, étant observé qu'en tout état de cause, la réalité du motif économique s'appréciait au jour de la notification de la rupture économique de la salariée, soit en mars 2016,
* depuis 2013, une chute du chiffre d'affaires était existante, celui-ci ayant été divisé par deux, de même qu'une chute de la commande privée, outre un infléchissement du résultat d'exploitation de l'entreprise négatif en 2015, une nette chute du chiffre d'affaires à partir de 2013 de près de 50% (en 2016),
* malgré les mesures prises à partir de 2015, suite aux préconisations de l'expert comptable, aux fins de réduction des frais généraux (changement de locaux concrétisé en mars 2016, cession de véhicules professionnels), la situation de l'entreprise ne s'était pas améliorée,
* contrairement aux assertions adverses, les choix de gestion de l'employeur ne relevaient pas de l'appréciation des juges, de même que le choix effectué par l'employeur entre les différentes solutions possibles pour assurer la sauvegarde de la compétitivité,
* Madame H... était la seule assistante technicienne géomètre au sein de la société, donc la seule au sein de sa catégorie professionnelle, Monsieur K... étant technicien géomètre depuis 2012 et relevant du niveau III ; par suite, les critères d'ordre de licenciement n'avaient pas à être appliqués,
- que la lettre de rupture était suffisamment motivée, faisant état d'une nécessité de réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise et de la suppression du poste de Madame H...,
- que l'employeur n'avait pas manqué à son obligation de recherche de reclassement au sein de l'entreprise (en l'absence d'appartenance à un groupe), aucun poste n'étant vacant dans la période du licenciement, ni disponible pour un reclassement, et les recherches menées en externe (non obligatoires) s'étant avérées vaines au vu du contexte économique,
- que l'employeur avait informé, suivant courrier du 10 mars 2016, la salariée des difficultés rencontrées et de la nécessité d'une réorganisation de l'entreprise pour sauvegarde de compétitivité, et donc remis un document à la salariée lui permettant de faire son choix en ayant une totale connaissance du motif économique à l'origine de la rupture du contrat,
- que subsidiairement, les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse devaient être ramenés à de plus justes proportions, la salariée ayant bénéficié du contrat de sécurisation professionnelle et restant silencieuse sur sa situation actuelle d'emploi, étant précisé que son compagnon était installé comme géomètre expert dans la région.
Aux termes des dernières écritures de son conseil transmises au greffe en date du 11 septembre 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de
la partie, Madame U... E... H... a demandé :
- de confirmer le jugement de première instance, en ce qu'il a condamné la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et à verser une somme de 1 500 euros en frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens,
- d'infirmer le jugement s'agissant du quantum de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,
-de condamner l'employeur à verser les sommes suivantes :
* 20 000 euros d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse pour une absence de motif économique et violation de l'obligation de reclassement,
* 2 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle a exposé :
- que le licenciement économique, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, dans la mesure où :
* la baisse du résultat d'exploitation n'était pas démontrée, l'employeur ne versant notamment pas les bilans 2014 et 2015 et les liasses fiscales 2013, 2014 et 2015 étant incomplètes, tandis que les courriers de l'expert comptable ne faisait aucune analyse de la situation économique de l'entreprise ni de ses causes, s'agissant du 1er trimestre et dernier trimestre 2015,
* l'actif baissait certes depuis 2014, mais sans que les difficultés soient graves et préoccupantes, tandis que les dettes et charges d'exploitation ne cessaient de diminuer de 2013 à 2016,
* en outre, l'employeur ne justifiait ni des mesures envisagées avant de supprimer des emplois (le déménagement des locaux datant du 1er mars 2016 et une réduction antérieure du loyer n'ayant pas été envisagée, pas davantage qu'une fermeture d'un cabinet secondaire et d'une annexe), ni des difficultés économiques à venir, ni de la nécessité d'une réorganisation,
* l'installation de cinq nouveaux géomètres experts depuis 2011 prouvait que le secteur d'activité se portait bien et qu'il n'existait aucune menace sur la compétitivité,
* l'employeur ne démontrait pas de la fin des marchés invoqués, de l'impact généré pour l'entreprise, ni de la nécessité de s'associer avec d'autres cabinets pour obtenir un marché de la C.T.C. en 2017, et laissait croire que son activité était fondée sur les marchés publics, à tort,
* l'employeur devait démontrer que la suppression du poste de la salariée était la seule mesure envisageable pour faire face à la menace pesant sur la compétitivité et des motifs pour lesquels d'autres choix n'avaient pas été privilégiés : or, il ne produisait pas le livre d'entrées et sorties du personnel et la date de passage des fonctions de Monsieur K... (embauché en 2005) d'assistant technicien à technicien n'était pas mise en évidence au vu des éléments versés au
dossier,
* l'employeur ne justifiait pas de l'absence de poste disponible de reclassement de catégorie équivalente ou inférieure, ni de recherches concrètes de reclassement, y compris en externe auprès d'autres cabinets experts ou partenaires (les lettres adressées ne comportant pas le nom de la salariée, sa qualité, classification et nature de son emploi), et éventuellement par modification ou aménagement du contrat de travail (réduction du temps de travail ou baisse de salaire) ou recherche de formation,
- que des dommages et intérêts substantiels étaient dès lors justifiés, étant précisé que la salariée n'avait pas retrouvé de travail et que l'entreprise de son concubin générait un faible bénéfice, tandis que l'employeur ne pouvait se prévaloir du contrat de sécurisation professionnelle pour minorer sa demande.
La clôture de l'instruction a été ordonnée le 4 décembre 2018, et l'affaire appelée à l'audience de plaidoirie du 15 janvier 2019, où un renvoi a été accordé à l'audience du 12 mars 2019, suite à un mouvement de grève du barreau.
A l'audience du 12 mars 2019, l'affaire a été appelée et la décision mise en délibéré par mise à disposition au greffe le 15 mai 2019.
MOTIFS
1) Sur la rupture pour motif économique
Attendu qu'il est admis qu'un salarié ayant accepté un contrat de sécurisation professionnelle n'est pas pour autant privé de la possibilité de contester la cause économique de la rupture ou le respect par l'employeur de son obligation de reclassement ; Que dès lors que la rupture a un motif économique, il doit être vérifié par le juge que ce motif existe et qu'il donne à la rupture de la relation de travail une cause réelle et sérieuse ; Que pour être justifié, le motif économique invoqué par l'employeur doit réunir deux éléments cumulatifs, au sens de l'article L1233-3 du Code du travail, dans sa version applicable aux données de l'espèce :
- l'élément matériel qui consiste soit en la suppression ou la transformation d'emploi, soit en une modification d'un élément essentiel du contrat de travail,
- l'élément causal, la loi citant notamment les difficultés économiques ou les mutations technologiques auxquelles il convient de rajouter les motifs jurisprudentiels, admis à l'époque du licenciement concerné, afférents à la réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité ainsi qu'à la cessation d'activité ;
Que la cause économique s'apprécie au niveau de l'entreprise ou, si celle-ci fait partie d'un groupe, au niveau du secteur d'activité du groupe dans lequel elle intervient ; que le périmètre du groupe à prendre à considération à cet effet est l'ensemble des entreprises unies par le contrôle ou l'influence d'une entreprise dominante dans les conditions définies à l'article L2331-1 du Code du travail, sans qu'il y ait lieu réduire le groupe aux entreprises situées sur le territoire national ;
Qu'en outre, il y a lieu de rappeler que, quel que soit le motif économique invoqué, l'employeur est tenu de rechercher, dans l'entreprise ou l'intérieur du groupe auquel appartient le cas échéant la société, toutes les possibilités de reclassement existantes et de proposer au salarié un emploi de même catégorie ou à défaut de catégorie inférieure, fut ce par voie de modification du contrat de travail, en assurant au besoin une simple formation d'adaptation du salarié à une évolution de son emploi ;
Que le périmètre de reclassement au sein d'un groupe s'entend des entreprises du groupe dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel ou la possibilité d'exercer des fonctions comparables ;
Que l'entreprise doit procéder à une recherche loyale et sérieuse de reclassement, étant relevé qu'il s'agit d'une obligation de moyens renforcée ;
Attendu que sur le fond, la lettre de notification de la rupture pour motif économique datée du
23 mars 2016 mentionne :
"Madame,
Comme suite à l'entretien que nous avons eu le 10 mars dernier, nous vous rappelons que vous avez jusqu'au 31 mars 2016 inclus pour nous faire connaître la décision d'adhérer au contrat de sécurisation professionnelle qui vous a été proposé le jour de votre entretien, soit le 10 mars 2016.
Nous vous rappelons également qu'en cas d'adhésion, votre contrat de travail se trouvera rompu à la date du 31 mars 2016, dans les conditions qui figurent dans le document d'information qui vous a été remis le 10 mars 2016.
A défaut d'adhésion de votre part, la présente lettre constituera alors la notification de votre licenciement, sa date de première présentation fixera le point de départ du préavis de 3 mois au terme duquel votre contrat sera définitivement rompu.
En ce qui concerne les motifs de ce licenciement, il s'agit de ceux qui vous ont été exposés lors de l'entretien précité du 10 mars 2016, à savoir :
La baisse durable de notre niveau d'activité et l'impact sur le résultat comptable qui en découle nous conduisent à nouveau à réorganiser notre société pour sauvegarder sa compétitivité.
Entre 2013 et 2014, le résultat d'exploitation a enregistré ainsi une baisse de près de -23%, le résultat de l'exercice étant quant à lui en baisse de près de -26%. Pourtant, en 2014, la masse salariale avait diminué du fait du congé maternité d'une collaboratrice et du départ d'une autre salariée. Cet allégement de charges n'a malheureusement pas été suffisant et la situation perdure aujourd'hui encore. Ainsi sur 2015, au regard des éléments comptables connus ce jour, et malgré un premier licenciement économique courant 2015, le résultat d'exploitation enregistrerait encore une baisse de 15% et le résultat de l'exercice serait d'environ -60000 euros.
Cette baisse significative de nos résultats s'explique principalement par un contexte économique particulièrement délicat. Comme vous avez pu le constater, les collectivités territoriales et les donneurs d'ordre privés (promoteurs, lotisseurs et entreprises de travaux publics) ont fait beaucoup moins appels à nos services.
Ainsi, les marchés que nous avions jusqu'à présent avec la Collectivité Territoriale de Corse et de la Mairie de Bastia ont pris fin. Nous avions en effet un marché très important avec la Région depuis quatre années, qui s'est terminé fin en décembre dernier. A ce jour, nous n'avons aucune perspective de renouvellement. De même, pour la mairie de Bastia, puisque nous devons répondre à de nouveaux appels d'offres, sans aucune certitude sur leurs obtentions.
En outre, nous faisons face, depuis plusieurs années maintenant, à une concurrence accrue sur Bastia et sa région. De nombreux géomètres-experts se sont installés dans un rayon de 15 kms et nous dénombrons aujourd'hui pas moins de huit cabinets avec douze géomètres-experts, au lieu de trois géomètres-experts il y a dix ans. Outre davantage de difficultés pour obtenir des marchés et des contrats, cette concurrence a aussi pour conséquence une baisse des tarifs pratiqués dans la profession.
Dans ces conditions et compte tenu des perspectives d'activité et de résultat, nous sommes contraints de réorganiser notre activité. Par exemple, cela passe notamment par la réduction de nos frais généraux puisque vous avez constaté que nous avons déménagé le 7 mars 2016 afin de diminuer le loyer de notre local.
Malheureusement, cette réorganisation passe également par la suppression de votre poste d'assistante technicienne géomètre.
Nous avons mis en oeuvre des recherches de reclassement qui n'ont pas aboutir en raison notamment d'un effectif limité. Nous n'envisageons évidemment aucune création de poste et n'avons aucun poste à pourvoir.
En l'absence de solution de reclassement, nous sommes contraints d'envisager votre licenciement.
Nous vous informons que, conformément à l'article L1233-45 du Code du travail, vous pourrez bénéficier d'une priorité de réembauchage durant un délai d'un an à compter de la date de rupture de votre contrat de travail. [...]" ;
Attendu qu'après avoir évoqué la nécessité d'une réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... indique qu'une suppression de l'emploi de Madame H... est nécessaire ;
Qu'à l'appui du motif causal évoqué, l'employeur produit notamment :
- les fiches infogreffe des géomètres experts installés entre 2011 et 2015,
- le compte de résultat de l'exercice 2013 de l'entreprise, les comptes annuels de l'exercice 2014, les éléments comptables joints à la déclaration d'impôt sur les sociétés relatifs à l'exercice 2015 et à l'exercice 2016,
- les actes d'engagement de la Collectivité territoriale de Corse du 15 décembre 2011, le récépissé du 10 avril 2015 de dépôt de dossier de candidature de l'entreprise pour un appel d'offre auprès de la Collectivité territoriale, le courrier de ladite Collectivité du 22 juin 2016, la décision de reconduction du marché 2012/030 auprès de la Mairie de Bastia pour la période du 21 mars 2015 au 20 mars 2016,
- les courriers de Monsieur M... , expert-comptable adressés à l'entreprise, en date des 8 avril 2015 et 25 février 2016,
- des pièces relatives au nouveau bail commercial (locaux) de l'entreprise, signé le 15 février 2016 et déclaration de cession de véhicule,
- des documents relatifs à la répartition honoraires public/privé concernant notamment les années 2013 à 2016 et à l'évolution des salaires entre 2011 et 2016 ;
Qu'il convient d'observer que si l'intégralité des documents comptables n'est pas produit, sont néanmoins transmises les pièces essentielles de ceux-ci, permettant à la Cour de statuer utilement, sans procéder à une réouverture des débats ;
Qu'il ressort des diverses pièces susvisées qu'au sein d'un marché à la concurrence accrue (du fait de l'installation de nouveaux géomètres-experts dans les quatre années précédant la rupture pour motif économique), le résultat d'exploitation n'a cessé de décroître, passant de 70681 euros au 31 décembre 2012 à -40535 suros au 31 décembre 2015 tandis que le résultat de l'entreprise est passé de 41160 euros au 31 décembre 2012 à -60660 euros au 31 décembre 2015 ; qu'au vu des éléments comptables produits, l'activité de l'entreprise n'a pas connu de redressement significatif ou prévisible au jour de la rupture survenue en 2016 ; que contrairement à ce qu'affirme la salariée, il n'est aucunement démontré que la concurrence accrue sur le marché des géomètres-experts témoigne d'une santé particulièrement bonne de ce secteur, les difficultés évoquées concernant l'activité de géomètre-expert du propre compagnon de Madame H... venant confirmer l'existence d'une concurrentialité importante dans ce secteur ;
Qu'au vu des éléments versés au dossier par l'employeur, non contredits par des pièces émanant de la salariée, le marché de l'entreprise auprès de la Mairie de Bastia a pris fin le 20 mars 2016, soit concomitamment à la rupture pour motif économique, sans être reconduit au jour de celle-ci ; que parallèlement, il n'est pas mis en évidence que le marché détenu depuis 2011 auprès de la Collectivité territoriale de Corse était reconduit, au moment de la rupture pour motif économique du contrat de travail de Madame H... ; que l'impact en résultant pour l'entreprise n'est pas contestable, au vu des éléments produits aux débats par l'employeur, compte tenu de la part représentée par ceux-ci dans le chiffre d'affaire de l'entreprise ;
Que le chiffre d'affaires de l'entreprise a connu une nette chute, passant de 1079730 euros au 31 décembre 2012 à 696900 euros au 31 décembre 2015 ;
Que dans ce contexte, l'expert comptable de l'entreprise a adressé deux courriers à la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T..., en date du 8 avril 2015, puis du 25 février 2016 ; qu'il constatait dans le premier de ces courriers que "votre Société connaît une nette chute de chiffres d'affaires par rapport à l'exercice précédent qui déjà, vous le savez, était inférieur à celui de 2013. Je pense qu'il faudrait que vous envisagiez très rapidement une réduction des frais généraux annuels, d'au moins cent mille euros. Il est évident que, dans votre secteur d'activité, la réduction des charges passe inévitablement par une réduction de la masse salariale. Je vous informe que si vous ne prenez pas rapidement des mesures draconiennes, vous risquez de compromettre gravement la continuation de l'exploitation [...]" ; qu'il exposait dans le second courrier : "Je tiens à vous confirmer mes observations orales relatives à la situation financière de votre Société que je trouve préoccupante au 31 janvier 2016 [...] je vous conseille afin de ne pas compromettre la continuité de votre exploitation de procéder au licenciement économique d'une partie de votre personnel, d'autant que vous m'avez confirmé ne pas avoir de chantier important pour les six mois à venir [...]" ; que ces courriers sont pour le moins explicites sur l'importance des problématiques rencontrées, et sur la nécessité de trouver des solutions pour y remédier, notamment au travers d'une réduction des charges de l'entreprise et plus particulièrement de la masse salariale, étant rappelé qu'au jour du courrier précité du 25 février 2016, l'employeur avait déjà procédé à la signature d'un nouveau bail commercial (pour les locaux occupés par l'entreprise, venant réduire ce poste de charges) ;
Que les différents moyens de l'intimée relatif à la justification par l'employeur des choix réalisés ne sont pas opérants puisque la juridiction n'a pas la faculté d'apprécier lesdits choix, que ce soit en matière de gestion de l'entreprise ou concernant les solutions à apporter aux problématiques connues par l'entreprise ; qu'il convient d'ajouter qu'il n'est pas argué, ni mis en évidence de légèreté blâmable de l'employeur à cet égard ;
Qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, des menaces nettes pesant sur la compétitivité de l'entreprise, la nécessité de réorganisation de l'entreprise pour sauvegarder ladite compétitivité est caractérisée et de nature à justifier d'une suppression du poste de Madame H..., dont la durée de travail avait été précédemment revue à la baisse par avenant du 2 novembre 2015 et qui était le seul assistant technicien géomètre de l'entreprise, Monsieur K... n'occupant plus au vu du registre du personnel produit, de telles fonctions, étant devenu technicien géomètre ; Que la réalité de la suppression du poste de Madame H... n'est pas contestée ; Qu'il se déduit de ce qui précède que le motif économique de la rupture est fondé en ses éléments causal et matériel ;
Attendu que concernant le reclassement, il convient d'observer que l'employeur justifie, au travers des pièces produites (notamment le registre unique du personnel), qu'aucun poste n'était disponible au sein de l'entreprise ; que les six autres postes subsistants dans l'entreprise étaient pourvus ; qu'il n'est pas mis en évidence que des postes, supprimés antérieurement par l'employeur entre 2012 et 2015, aient été disponibles, une reprise de tâches en interne ayant été manifestement effectuée ; que, s'agissant du poste de Madame H..., il ne constituait pas un poste disponible et susceptible de modification, puisque devant être supprimé ;
Que les autres sociétés évoquées par l'intimée n'étaient pas des entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettaient la permutation de tout ou partie du personnel ou la possibilité d'exercer des fonctions comparables ;
Que dès lors, aucun manquement de l'employeur n'est caractérisé sur ce point ;
Attendu qu'au regard de ce qui précède, il y a lieu de constater que le caractère réel et sérieux de la rupture pour motif économique est démontré ;
Que consécutivement, la demande de Madame H... d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour une absence de motif économique et violation de l'obligation de reclassement, doit être rejetée ;
Que le jugement entrepris sera infirmé à cet égard ;
2) Sur les autres demandes
Attendu que Madame H..., partie perdante à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance (le jugement entrepris étant infirmé à cet égard) et de l'instance d'appel ;
Que Madame H..., étant partie perdante au procès et condamnée aux dépens, sa demande de condamnation de la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... au titre des frais irrépétibles ne peut prospérer ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point s'agissant de la somme allouée au titre des frais irrépétibles de première instance ;
Que l'équité ne commande pas de prévoir de condamnation de Madame H... sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance (le jugement entrepris étant confirmé sur ce point) et d'appel ;
Que les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards ;
PAR CES MOTIFS
L A C O U R,
Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
INFIRME le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Bastia le 9 novembre 2017, sauf en ce qu'il a :
- débouté la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... de sa demande reconventionnelle au titre des frais irrépétibles de première instance,
Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la rupture pour motif économique dont Madame U... E... H... a été l'objet de la part de la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... est fondée sur une cause réelle et sérieuse,
DÉBOUTE Madame U... E... H... de sa demande de condamnation de la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... au titre d'une indemnité pour licenciement
sans cause réelle et sérieuse, pour une absence de motif économique et violation de l'obligation de reclassement,
DÉBOUTE Madame U... E... H... de sa demande de condamnation de la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
DÉBOUTE la S.A.R.L. Cabinet F...-I...-T... de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irréptibles d'appel,
CONDAMNE Madame U... E... H... aux dépens de l'entière instance,
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
LE GREFFIER LE PRESIDENT