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17/04/2019 | FRANCE | N°18/00126

France | France, Cour d'appel de Bastia, 17 avril 2019, 18/00126


ARRET No
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17 Avril 2019
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R No RG 18/00126 - No Portalis DBVE-V-B7C-BYXP
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Association CROIX ROUGE FRANCAISE
C/
S... U...
----------------------Décision déférée à la Cour du :
23 mars 2018
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AJACCIO
16/00209
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COUR D'APPEL DE BASTIA


CHAMBRE SOCIALE




ARRET DU : DIX SEPT AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF




APPELANTE :


Associati

on CROIX ROUGE FRANCAISE, exploitant le Centre d'hébergement d'urgence d'AJACCIO situé [...], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qu...

ARRET No
-----------------------
17 Avril 2019
-----------------------
R No RG 18/00126 - No Portalis DBVE-V-B7C-BYXP
-----------------------
Association CROIX ROUGE FRANCAISE
C/
S... U...
----------------------Décision déférée à la Cour du :
23 mars 2018
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AJACCIO
16/00209
------------------

COUR D'APPEL DE BASTIA

CHAMBRE SOCIALE

ARRET DU : DIX SEPT AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF

APPELANTE :

Association CROIX ROUGE FRANCAISE, exploitant le Centre d'hébergement d'urgence d'AJACCIO situé [...], agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège. [...]
Représentée par Me Anne-Laure PERIES de la SELARL CAPSTAN PYTHEAS, substituée par Me Stéphanie MASSIANE avocats au barreau de MONTPELLIER et Me Jean-pierre RIBAUT-PASQUALINI de la SCP RIBAUT-PASQUALINI, avocat au barreau de BASTIA,

INTIME :

Monsieur S... U...
[...]
Représenté par Me Sigrid FENEIS, avocat au barreau d'AJACCIO
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/1512 du 07/06/2018 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 février 2019 en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président, faisant fonction de président, chargée d'instruire l'affaire,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Mme LORENZINI, Présidente de chambre,
M. EMMANUELIDIS, Conseiller
Mme BETTELANI, Vice-présidente placée près Monsieur le premier président

GREFFIER :

Mme COMBET, Greffier lors des débats.

Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 17 avril 2019

ARRET

Contradictoire
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe.
Signé par Mme LORENZINI, Présidente de chambre faisant fonction de président et par Mme COMBET, Greffier présent lors de la mise à disposition de la décision.

***
EXPOSE DU LITIGE

Monsieur S... U... a été embauché par l'Association Croix Rouge Française en qualité d'agent d'accueil, suivant contrat de travail à durée déterminée à temps partiel du 2 décembre 2013 jusqu'au 1er janvier 2014, puis suivant contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel à effet du 1er janvier 2014.Les rapports entre les parties étaient soumis à la convention collective du personnel salarié de la Croix Rouge Française.

Selon lettre en date du 27 avril 2016, l'Association Croix Rouge Française a convoqué le salarié à un entretien préalable à un licenciement fixé au 4 mai 2016, avec mise à pied conservatoire et celui-ci s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec avis de réception adressée le 13 mai 2016.

Monsieur S... U... a saisi le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio, par requête du 5 juillet 2016, aux fins notamment de voir juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse et se voir payer diverses sommes en conséquence.

Selon jugement du 23 mars 2018, le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio a :
- condamné l'Association Croix Rouge prise en la personne de son représentant légal à verser à Monsieur S... U... les sommes suivantes :
9 600 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 230 euros au titre d'indemnité de préavis,
323 euros au titre de congés annuels sur préavis,
744,58 euros au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
74,45 euros au titre des congés payés y afférents,
2 190 euros au titre d'indemnité de licenciement,
- débouté le demandeur de toutes autres demandes,
- débouté l'Association Croix Rouge prise en la personne de son représentant légal de l'ensemble de ses demandes,
- condamné l'Association Croix Rouge prise en la personne de son représentant légal aux entiers dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe le 11 mai 2018, l'Association Croix Rouge Française a interjeté appel de ce jugement, en sollicitant :
- la réformation en ce qu'il l'a condamnée à verser à Monsieur S... U... les sommes suivantes :
9 600 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 230 euros au titre d'indemnité de préavis,
323 euros au titre de congés annuels sur préavis,
744,58 euros au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
74,45 euros au titre des congés payés y afférents,
2 190 euros au titre d'indemnité de licenciement,
l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens,
- la confirmation en ce qu'il a débouté le demandeur de ses autres demandes.

Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 18 juillet 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, l'Association Croix Rouge Française a sollicité :
- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à verser à Monsieur S... U... les sommes suivantes :
9 600 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
3 230 euros au titre d'indemnité de préavis,
323 euros au titre de congés annuels sur préavis,
744,58 euros au titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,
74,45 euros au titre des congés payés y afférents,
2 190 euros au titre d'indemnité de licenciement,
l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens,
- la confirmation en ce qu'il a débouté le demandeur de ses autres demandes,
- de débouter Monsieur U... de l'ensemble de ses demandes,
-subsidiairement de ramener les condamnations à de plus justes proportions,
- en tout état de cause, de condamner Monsieur U... à lui verser 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle a fait valoir :
- de manière liminaire, que le conseil de prud'hommes avait procédé à un exposé succinct et incomplet de ses moyens, à rebours des moyens adverses, et motivé très succinctement la décision, sans se prononcer sur les fautes invoquées à l'appui du licenciement, de sorte que la Cour ne pourra qu'annuler ou à tout le moins réformer le jugement entrepris,
- que l'impossibilité de prononcer une sanction disciplinaire non prévue par le règlement intérieur ne valait pas pour les licenciements, étant en sus observé que l'établissement qui comptait moins de vingt salariés n'avait pas obligation d'établir un règlement intérieur, que le règlement intérieur porté à la connaissance du salarié prévoyait en son article 6.1 le licenciement pour faute grave, et qu'en outre la convention collective applicable prévoyait la possibilité de notifier un licenciement sans indemnité, donc pour faute grave en son article 1.9,
- que la procédure disciplinaire, conforme aux dispositions de l'article 1.9 de la convention collective, avait été menée par Monsieur X... N... en sa qualité de directeur du Pôle PACA Corse, comprenant divers établissements dont celui d'Ajaccio, ce que Monsieur U... ne pouvait ignorer, les contrats de travail signés faisant figurer en tête la délégation de pouvoir accordée à Monsieur N..., qui était également directeur du Pôle de lutte contre l'exclusion, dont relevait l'établissement où travaillait Monsieur U..., étant en sus rappelé qu'une délégation pouvoir de licenciement pouvait en tout état de cause ne pas être écrite,
- que le licenciement pour faute grave était justifié, au regard des faits, constitutifs de manquements importants du salarié aux obligations inhérentes au regard du règlement intérieur expressément visé dans les contrats de travail, des rappels effectués en réunion de service les 16 mars et 12 avril 2016, de la nature du poste occupé, (violation de l'interdiction de laisser pénétrer un tiers au sein de l'établissement, de l'obligation de consigner les événements graves dans le cahier de liaison, non-respect des consignes de gestion des conflits), faits dont la réalité était démontrée et qui rendait impossible le maintien du salarié dans l'établissement pendant la durée du préavis,
- que l'erreur matérielle figurant dans la lettre de licenciement sur la date des premiers faits, soit le 22 avril 2016 au lieu du 26 avril 2016 n'avait aucune incidence compte tenu de la formulation de la lettre de licenciement (qui n'avait en outre pas nécessairement à dater les faits) et de ce que le salarié ne pouvait douter de la date exacte du grief,
- que subsidiairement, le salarié ne démontrait pas du préjudice qu'il alléguait, à l'appui de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et fondait ses demandes sur une base salariale de calcul erronée.

Aux termes des écritures de son conseil transmises au greffe en date du 5 octobre 2018 auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens de la partie, Monsieur S... U... a demandé :
- de confirmer le jugement rendu,
- de débouter l'appelante de l'intégralité de ses demandes,
- de condamner l'appelante à verser à Maître Sigrid Feneis une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
- de condamner l'appelante aux entiers dépens.

Elle a exposé :
- qu'aucune annulation du jugement n'était justifiée, au visa de l'article 455 du code de procédure civile,
- que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, les griefs (dont l'un était affecté d'une erreur matérielle s'agissant de la date retenue) étant infondés et l'employeur n'apportant en outre pas la preuve que le règlement intérieur avait été porté à la connaissance du salarié le jour de la signature du contrat ou de ses avenants, ou au cours d'une réunion de service du 16 mars 2016,
- que consécutivement, des dommages et intérêts substantiels (équivalents à six mois de salaire) devant lui être alloués, en réparation du préjudice subi, outre un rappel de salaire sur mise à pied conservatoire et diverses indemnités (de licenciement, de préavis), calculées sur la base d'un salaire mensuel de 1615,41 euros.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 4 décembre 2018, et l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoirie du 12 février 2019, où la décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 17 avril 2019.

MOTIFS

1) Sur la recevabilité de l'appel et la rectification de mentions nominatives du jugement déféré

Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée ; que les éléments du dossier n'ont pas conduit la Cour à le faire d'office ;

Attendu qu'il y a lieu de procéder immédiatement à la rectification du jugement déféré, s'agissant du nom de l'employeur mentionné dans le dispositif, en ce qu'il se dénomme Association Croix Rouge Française et non Association Croix Rouge ;

2) Sur les limites de l'appel

Attendu qu'aux termes de la déclaration d'appel, l'appel interjeté tend à la réformation du jugement et non à son annulation ;

Qu'aucune demande d'annulation n'a, au surplus, été formée dans les dispositifs des écritures d'appel, étant rappelé que la Cour est uniquement tenue de statuer sur les prétentions figurant dans les dispositifs des écritures, en vertu des dispositions de l'article 954 alinéa 4 du Code procédure civile ;

Que dès lors, la Cour n'a pas à statuer sur une annulation du jugement ;

3) Sur le licenciement

Attendu que l'article L 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à une cause réelle et sérieuse ; qu'en application de l'article L 1235-1 du code du travail, lorsqu'il est saisi du bien fondé d'une mesure de licenciement, le juge se détermine au vu des éléments qui lui sont fournis par les parties, le doute devant profiter au salarié ; qu'il est néanmoins admis qu'il appartient à l'employeur d'établir de façon certaine la réalité des faits et de fournir au juge des éléments permettant de caractériser leur caractère suffisamment sérieux pour légitimer le licenciement ;

Attendu qu'il convient donc, en premier lieu, d'apprécier la réalité des faits énoncés par la lettre de licenciement fixant de manière irrévocable les limites du litige, puis le sérieux du motif invoqué ; que ce n'est que dans un second temps, lorsque la légitimité du licenciement est tenue pour acquise que l'employeur peut chercher à s'exonérer des indemnités de rupture en invoquant la faute grave du salarié, étant précisé que la charge de la preuve de la gravité de la faute incombe exclusivement à l'employeur ; que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;

Attendu que sur le fond, la lettre de licenciement datée du 13 mai 2016 mentionne :
"Monsieur,
Par lettre remise en main propre contre décharge du 27avril 2016, vous avez été convoqué à un entretien préalable sur une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement prévu le mercredi 4 mai 2016 à 14h00.
Lors de l'entretien préalable du mercredi 4 mai 2016 auquel vous vous êtes présenté accompagné de Mr A... Z... O... vous avez reconnu les faits. En conséquence, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave.
Les faits fautifs qui vous sont reprochés sont les suivants :
Le 22 avril 2016, une personne non hébergée s'est introduite dans le centre d'hébergement en demandant, de manière agressive, une cigarette auprès des salariés et résidents présents. Face au refus de tous, cette personne vous a alors demandé le numéro de chambre d'un usager afin de pouvoir lui demander une cigarette. C'est alors que vous lui avez donné le numéro de chambre de l'usager en question, à la suite de quoi cette personne a tapé vigoureusement à la porte de l'usager, allant jusqu'à le réveiller, et est entré sans accord de l'usager.
Nous vous rappelons que conformément au règlement intérieur de l'établissement et aux règles de fonctionnement d'un CHU, il est formellement interdit de laisser pénétrer une tierce personne au sein de l'établissement. Or, en laissant entrer cette personne, en ne lui demandant à aucun moment de quitter les lieux, et de surcroît en l'orientant vers la chambre d'un résident, vous avez manifestement violé cette obligation.
En outre, nous vous rappelons également que de par notre activité, nous accueillons un public particulièrement vulnérable. Or, en laissant pénétrer dans nos locaux une tierce personne, qui plus est au comportement agressif, et en l'orientant vers la chambre d'un de nos usagers vous avez mis en danger l'intégrité physique et mentale de nos usagers et de nos salariés. En effet, ce manquement aurait pu être lourd de conséquences. De nombreux usagers présents le lendemain nous ont même fait part de leurs inquiétudes et de leur sentiment d'insécurité.
Par ailleurs, suite à cet incident, vous n'avez pas jugé bon de le consigner dans le cahier de liaison de l'établissement. Ce n'est que face à l'insistance de vos collègues présents que vous avez daigné écrire trois lignes sur l'incident en prenant bien soin de ne pas livrer de détails. En effet, vous avez retranscrit les termes suivants sur le cahier de liaison : "P... S... est entré dans le CHUS pour demander des cigarettes à tout le monde."
Ainsi par votre volonté de ne pas révéler l'incident du 22 avril 2016 et en [ne] retranscrivant sciemment qu'une partie des faits, afin d'occulter le reste à votre hiérarchie, vous vous êtes rendu coupable d'un comportement manifestement fautif et d'un manque de loyauté à l'égard de votre hiérarchie. En outre, vous aviez parfaitement connaissance de la procédure visant à retranscrire les événements sur le cahier de liaison et votre volonté de vous abstenir de suivre cette procédure démontre, sans équivoque, que vous aviez conscience de la gravité de ces faits que vous vouliez dissimuler.
Enfin, toujours le 26 avril 2016, à l'heure du repas, vous vous êtes battu au sein du centre d'hébergement avec une tierce personne non hébergé. Après avoir eu une discussion avec cette personne, à l'extérieur de l'établissement, celle-ci vous a suivi à l'intérieur de l'établissement, puis vous avez fini par vous battre. Les usagers présents ont dû intervenir afin de vous séparer. De surcroît, vous n'avez pas jugé bon de consigner cet événement sur le cahier de liaison.
Ces événements mettent en nouvelle fois en évidence votre négligence fautive et votre manque flagrant de loyauté à notre égard. Ce que nous ne pouvons aucunement tolérer.
Il est sans équivoque que l'ensemble de ces éléments est constitutif de manquement significatifs et graves à vos obligations professionnelles et contractuelles. D'ailleurs, lors de l'entretien du 4 mai 2016, vous avez reconnu les faits.
Tous ces faits traduisent des agissements fautifs, rendant impossible votre maintien au sein de la Croix-Rouge Française.
Etant donné la gravité des faits qui vous sont reprochés, cette mesure de licenciement prendra effet immédiatement à la date d'envoi de la présente, sans préavis, ni indemnité de licenciement.
La période de mise à pied conservatoire notifiée par lettre remise en main propre contre décharge du 27 avril 2016, ne vous sera pas rémunérée.[...]" ;

Attendu qu'aux termes de cette lettre de licenciement, l'Association Croix Rouge Française, qui se place sur le terrain disciplinaire, émet des griefs à l'égard de Monsieur S... U..., tenant à un comportement non adapté à deux reprises le 26 avril 2016 vis à vis d'intrusions extérieures, à l'absence de consignation ou à la consignation parcellaire ces événements sur le cahier de liaison et au manquement consécutif du salarié à son obligation de loyauté vis à vis de son employeur ;

Attendu qu'après avoir rappelé que les faits invoqués dans la lettre de licenciement n'ont pas nécessairement à être datés, il convient d'observer que les motifs énoncés dans la lettre de licenciement sont suffisamment précis pour permettre au juge d'en apprécier le caractère réel et sérieux, nonobstant la pure erreur matérielle concernant la date du premier grief, s'agissant de faits du 26 avril 2016, et non du 22 avril 2016 ;

Qu'il ressort des éléments du débat qu'un règlement intérieur a été porté, avant les faits, à la connaissance du salarié, étant relevé que les contrats de travail successivement signés par Monsieur U..., mentionnent : "Toutes les autres clauses du contrat sont régies par [...] le règlement intérieur, ainsi que la charte informatique dont un exemplaire a été remis à Monsieur U... S..." ; que toutefois, le règlement intérieur en application à l'époque des faits reprochés, du 26 avril 2016, n'est pas versé par l'employeur aux débats, celui-ci produisant un règlement entré en vigueur le 30 avril 2016 ;
Que la Cour ne peut donc pas vérifier la teneur du règlement intérieur applicable à la date des faits ;

Qu'en revanche, il ressort des comptes-rendus des réunions de service du 16 mars et 12 avril 2016, auxquelles était présent Monsieur U..., qu'avaient été portés à la connaissance des salariés les éléments suivants :
- au cours de la réunion du 16 mars 2016, s'agissant de la question des "Instrusions dans le domaine du CHU" : "Rappel des procédures par GT. Aucune personne ne peut rester dans le domaine du CHUS si elle n'y est pas hébergée. Si une personne cherche un résident, ou souhaite un renseignement, elle peut rester le temps que prend la réponse. Ensuite, la personne non hébergée doit repartir dans les plus brefs délais et immédiatement si elle impose sa présence de manière inadaptée ou trop longuement. De plus, les personnes qui arrivent en véhicule sont également priées de le garer à l'extérieur de l'enceinte du CHUS",
- au cours de la réunion du 12 avril 2016, concernant le thème "Informations globales" : "Les informations générales ou sur situations précises doivent transiter par le cahier de liaison. Le cahier de liaison est l'élément central qui permet d'avoir les informations récentes sur la vie du CHU et de permettre d'avoir un historique sur les infos. Attention à ne pas y inscrire des informations confidentielles sur les résidents, et à ne pas émettre de jugement de valeur, NB : La cohésion sociale est en droit de demander à lire le cahier de liaison. Ne pas oublier d'écrire son nom une fois le message inscrit, et l'heure";

Que dès lors, Monsieur S... U... ne pouvait ignorer ces consignes à la date du 26 avril 2016 ;

Qu'or, suivant l'attestation de Monsieur R... du 30 avril 2016 : "En arrivant au CHU mardi 26 avril à 22h25 S... m'interpelle sur le parking pour une cigarette que je n'avais pas. Du coup S... est rentré dans la structure pour demander aux quelques résidents qui regardaient la T.V. N'en trouvant pas, il demanda le numéro de chambre de W... à S..., qui lui donne, S... a couru jusqu'à la porte de la chambre, et rentra dedans même si W... ne le voulait pas. Après quelques secondes, il est ressorti sans tabac. W... était très énervé de ce faire réveiller par un individu ne faisant pas partie de la structure. A ma prise de fonctions, j'ai demandé à S... et A... ce que je devais marquer dans le cahier de bord du CHU. Leurs réponses ont été de ne rien marquer, puis j'ai insisté pour que S... écrive trois lignes" ;

Que le témoignage susvisé n'émane pas d'un témoin indirect, mais direct, et est suffisamment détaillé pour que la réalité des faits, énoncés de manière convergente, ne soit pas remise en cause au vu du lien de subordination ayant existé entre cet attestant et l'Association Croix Rouge Française, ce d'autant que l'extrait du cahier de liaison versé aux débats (relatif à la période du 26 au 27 avril 2016) confirme les indications de Monsieur R..., Monsieur U... ayant uniquement mentionné dans le cahier "P... S... est entré dans le CHUS pour demander des cigarettes à tout le monde", sans préciser qu'il a donné le numéro de chambre d'un résident à un non résident, sans motif valable et violation des consignes du CHUS précitées ; Que parallèlement, Monsieur U... ne produit, hormis ses propres déclarations ou énonciations, aucune pièce objective, justifiant de l'inanité du grief invoqué par l'employeur, ou faisant peser un doute suffisant sur ledit grief ;

Qu'est donc établie la matérialité du premier grief, Monsieur U... ayant eu le 26 avril un comportement non adapté vis à vis d'une intrusion extérieure et consigné de manière très parcellaire les événements sur le cahier de liaison, en violation des règles de fonctionnement du CHU clairement rappelées dans les réunions de service susmentionnées ;

Que par contre, s'agissant du deuxième grief énoncé dans la lettre de licenciement (bien qu'antérieur factuellement au premier), l'employeur ne justifie pas, au travers des pièces produites (attestations de Monsieur R..., de Monsieur L..., extrait du cahier de liaison) de la matérialité des faits reprochés au cours de la même soirée du 26 avril 2016, hormis pour ce qui est de l'absence de consignation de l'incident sur le cahier de liaison ; que les attestations susvisées ne permettent pas de démontrer d'un comportement non adapté de Monsieur U..., la "bagarre" évoquée ne lui étant pas imputable, Monsieur L... évoquant lui-même dans son attestation une "agression"à l'endroit de Monsieur U... par une personne non hébergée, s'étant introduite dans l'établissement et Monsieur U... ayant demandé à cette personne de sortir de la structure, dans le respect de la consigne institutionnelle ; qu'à rebours, il se déduit clairement de l'extrait du cahier de liaison que Monsieur U... n'a pas consigné l'incident survenu, qui n'a été mentionné dans le cahier que le lendemain par un autre salarié, ce que confirme l'attestation de Monsieur R..., sans pièce contraire produite par Monsieur U... aux débats ;

Qu'enfin, concernant le grief d'absence de loyauté de Monsieur U... vis à vis de l'employeur, une déloyauté ne peut être déduite des seuls manquements du salarié aux règles de fonctionnement du CHU ;

Attendu qu'au vu de ce qui précède, une partie des griefs énoncés dans la lettre de licenciement est donc établie ; que, s'il est exact que les agents d'accueil de telle structure d'hébergement oeuvrent dans des conditions de travail délicates, il n'en demeure pas que Monsieur U... ne pouvait se départir du respect du cadre assigné, qui vise à assurer, autant que faire se peut, la sécurité à la fois du public accueilli et des salariés travaillant dans la structure ; qu'au vu de l'omission de consigner ou de la consignation parcellaire des incidents dans le cahier de liaison et plus encore, au vu du fait de donner un numéro de chambre d'un résident, sans motif valable, à une personne non hébergée s'étant introduite dans la structure (personne dont le comportement était imprévisible et pouvait être potentiellement violent), le caractère sérieux des faits reprochés est mis en lumière ;

Que dans ces conditions, le caractère réel et sérieux du motif de licenciement de Monsieur S... U... par l'Association Croix Rouge Française est établi et Monsieur S... U... sera donc débouté de sa demande de condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 9600 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que le jugement entrepris sera infirmé à ces égards ;

Qu'en revanche, l'employeur ne rapporte pas la preuve de ce que les faits imputables au salarié, ayant plus de deux ans d'ancienneté et n'ayant jamais subi de sanctions disciplinaires préalables, aient constitué une violation des obligations du contrat de travail telle qu'elle ait rendu impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis ;

Que le licenciement de Monsieur S... U... sera donc considéré comme fondé sur une cause réelle et sérieuse, mais non sur une faute grave ;

Que le licenciement n'étant pas fondé sur une faute grave et l'inexécution du préavis étant imputable à l'employeur, il sera octroyé au salarié, tel qu'il le sollicite, les sommes suivantes :
- à titre d'indemnité compensatrice de préavis, la somme de 2782,16 euros en brut compte tenu des dispositions de l'article 5.3.1 de la convention collective applicable, de l'ancienneté du salarié (ouvrant droit à un préavis de deux mois) et du montant du salaire brut qu'aurait perçu le salarié s'il avait accompli son préavis ; que le salarié sera débouté du surplus de sa demande à cet égard, le calcul effectué par Monsieur U... sur la base d'un salaire brut de 1615 euros n'étant pas justifié au regard du salaire brut qu'il aurait perçu s'il avait accompli son préavis,
- au titre de l'indemnité de congés payés sur préavis, une somme de 278,22 euros brut, Monsieur U... étant débouté du surplus de sa demande, non fondé au regard de ce qui précède,
- à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 1 947,22 euros au regard des termes de l'article 5.3.2 de la convention collective, de l'ancienneté du salarié et du douzième de la rémunération brute perçue au cours des douze derniers mois précédant le licenciement (plus favorable au salarié que la moyenne des trois derniers mois de salaires) en incluant le rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ; que Monsieur U... sera débouté du surplus de sa demande, la base de salaire retenue pour le calcul de sa demande n'étant pas fondée au regard des pièces du dossier ;
Que le jugement entrepris sera infirmé à ces égards, au regard des quanta retenus ;

Attendu qu'en l'absence de faute grave retenue, Monsieur S... U... a droit à rappel de salaire sur mise à pied conservatoire (en date du 27 avril 2016), à hauteur de la somme de 744,58 euros brut, outre 74,45 euros brut au titre des congés payés sur rappel de salaire, tel qu'il le sollicite, montants dont l'employeur ne conteste pas le quantum ; que le jugement initial sera confirmé sur ce point, sous la seule réserve que le montant de ces condamnations s'exprime nécessairement en brut ;

4) Sur les autres demandes

Attendu que les dispositions du jugement entrepris, dont les parties demandent toutes deux confirmations en cause d'appel (tenant au débouté de Monsieur U... de ses demandes de condamnation de l'Association Croix Rouge Française sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 au titre de la première instance ; de remise de documents de fin de contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision, dont le Conseil se réserve la liquidation ; de fixation d'intérêts au taux légal courant à compter de la saisine du Conseil de prud'hommes ; de capitalisation des intérêts, ce avec exécution provisoire), seront nécessairement confirmées ;

Attendu que l'Association Croix Rouge Française, succombant principalement à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance (le jugement entrepris étant confirmé sur ce point) et de l'instance d'appel ;

Que l'Association Croix Rouge Française étant seule condamnée aux dépens ou perdant le procès au sens de l'article 700 du code de procédure civile, ne peut qu'être rejetée sa demande de condamnation de Monsieur U... au titre des frais irrépétibles de première instance (le jugement entrepris étant confirmé sur ce point) et d'appel ;
Que l'équité ne commande pas de prévoir de condamnation sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 en cause d'appel ;

Que les parties seront déboutées de leurs demandes plus amples ou contraires à ces égards ;

PAR CES MOTIFS

L A C O U R,

Statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,

RECTIFIE le jugement déféré, s'agissant du nom de l'employeur mentionné dans le dispositif, en ce qu'il se dénomme Association Croix Rouge Française et non Association Croix Rouge ;

CONSTATE que la Cour n'a pas à statuer sur une annulation du jugement, au regard des termes de la déclaration d'appel et des prétentions figurant dans les dispositifs des écritures,

CONFIRME le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes d'Ajaccio le 23 mars 2018, tel que déféré, uniquement en ce qu'il a :
- condamné l'Association Croix Rouge Française, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur S... U... les sommes suivantes : 744,58 euros au titre du rappel de salaire sur mise à pied conservatoire, outre 74,45 euros au titre des congés payés afférents, sous la seule réserve que le montant de ces condamnations s'exprime nécessairement en brut,
- débouté le demandeur de toutes ses autres demandes,
- débouté l'Association Croix Rouge Française de sa demande au titre des frais irrépétibles,
- condamné l'Association Croix Rouge Française, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de première instance,

Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement dont Monsieur S... U... a été l'objet de la part de l'Association Croix Rouge Française est fondée sur une cause réelle et sérieuse, mais non sur une faute grave,

CONDAMNE l'Association Croix Rouge Française, prise en la personne de son représentant légal, à verser à Monsieur S... U... les sommes de :
2 782,16 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
278,22 euros brut au titre des congés payés sur préavis,
1 947,22 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

DÉBOUTE l'Association Croix Rouge Française de sa demande de condamnation de Monsieur S... U... sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles d'appel,

DEBOUTE Monsieur S... U... de sa demande de condamnation de l'Association Croix Rouge Française sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,

CONDAMNE l'Association Croix Rouge Française, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens de l'instance d'appel,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Numéro d'arrêt : 18/00126
Date de la décision : 17/04/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-17;18.00126 ?
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