Ch. civile B ARRET Nodu 09 JUILLET 2014
R.G : 13/00118 R-PL Décision déférée à la Cour :Jugement Au fond, origine Tribunal d'Instance d'AJACCIO, décision attaquée en date du 20 Juin 2012, enregistrée sous le no 11-11-44 SA ELECTRICITE DE FRANCEC/
DIRECTION GENERALE DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTS
COUR D'APPEL DE BASTIA CHAMBRE CIVILEARRET DU
NEUF JUILLET DEUX MILLE QUATORZE
APPELANTE : SA ELECTRICITE DE FRANCEsociété au capital de 924433331 euros, immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 552081317, dont le siège social est sis 22, avenue de Wagram 75008 Paris Cedex 08, prise en la personne de son représentant légal, Henri X..., président directeur général EDF-Direction Optimisation Amont-Aval TradingDirection Gestion Finances Site Cap Ampère-1 Place Pleyel92282 SAINT DENIS CEDEXreprésentée par M. Antoine Y..., responsable fiscal DOAAT-DGF, agissant par procuration spéciale du 25 janvier 2013
INTIMEE : DIRECTION GENERALE DES DOUANES ET DES DROITS INDIRECTSprise en la personne de Monsieur le directeur régional des Douanes de Corse 3, parc Cunéo d'OrnanoBP 32820179 AJACCIO CEDEX assistée de Me Jean DI FRANCESCO de la SCP URBINO-SOULIER CHARLEMAGNE et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :L'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 avril 2014, devant la Cour composée de :
M. Pierre LAVIGNE, Président de chambre Mme Marie-Paule ALZEARI, ConseillerMme Françoise LUCIANI, Conseillerqui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :Mme Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 25 juin 2014, prorogée par le magistrat par mention au plumitif au 09 juillet 2014.
MINISTERE PUBLIC : Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée le 20 novembre 2013 et qui a fait connaître son avis, dont les parties ont pu prendre connaissance.
ARRET : Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile. Signé par M. Pierre LAVIGNE, Président de chambre, et par Mme Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.EXPOSE DU LITIGE
EDF a mis à la consommation, sur le territoire national, entre le 1er janvier 2008 et le 23 février 2009, du fioul qui a été utilisé pour alimenter en combustible ses centrales thermiques, notamment celles de Lucciana et du Vazzio en Corse, en vue de la production d'électricité ; elle a alors acquitté la taxe intérieure sur les produits pétroliers (ci-après TIPP), alors qu'elle aurait dû bénéficier de l'exonération de taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers à compter du ler janvier 2008, conformément aux dispositions des articles 62 IX et 62 XX de la loi no 2007-1824 du 25 décembre 2007 portant loi de finances rectificative pour 2007, ayant introduit au § 3 a) de l'article 265 bis du Code des douanes une exonération de TIPP sur les produits pétroliers utilisés pour la production d'électricité.
EDF a formé auprès de la Direction Régionale des Douanes et des Droits Indirects de Corse une demande de remboursement de la somme de 4 424 595 euros correspondant à la TIPP acquittée pendant la période considérée. Cette demande n'ayant été accueillie qu'à hauteur de 4 084 037 euros, EDF a assigné la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects (plus loin : l'administration des douanes) pour obtenir paiement du reliquat, soit la somme de 340 558 euros, avec intérêts moratoires en application de l'article L 208 du Livre des Procédures Fiscales, à compter du jour de chaque perception de taxe jusqu'à la date de remboursement par l'administration. A titre subsidiaire, elle sollicitait le paiement d'intérêts au taux légal sur la somme de 4 424 595 euros, à compter du jour de chaque perception de taxe jusqu'à la date de remboursement par l'administration, conformément aux articles 1153 et 1378 du code civil, et la capitalisation des intérêts moratoires à compter de l'assignation. Elle sollicitait enfin l'allocation de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 20 juin 2012, le tribunal d'instance d'Ajaccio, statuant au contradictoire des parties, a : - débouté EDF de sa demande de remboursement de la somme de 340 558 euros,
- dit que l'administration des douanes sera tenue au paiement des intérêts au taux légal sur la somme de 4 084 037 euros déjà remboursée lors de l'introduction de l'instance, ce à compter du 23 décembre 2009 et jusqu'au 29 septembre 2010, - débouté la société EDF de toutes ses autres demandes, - rejeté la demande de l'administration des douanes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté comme non fondée toute autre demande plus ample ou contraire au présent dispositif, - dit que chaque partie supportera ses propres dépens.
Par déclaration enregistrée le 11 février 2013, EDF a relevé appel de cette décision.
En ses conclusions, remises le 26 février 2013 et réitérées oralement à l'audience, l'appelante demande à la cour de : - joindre la présente instance avec celle relative à l'appel enregistré sous le numéro RG 13/00118,
- infirmer le jugement déféré, - ordonner le remboursement de la TIPP acquittée par EDF pour un montant correspondant à 210 560 euros, - ordonner le paiement d'intérêts moratoires au taux légal à compter du jour de chaque perception des taxes par l'administration jusqu'à la date de remboursement effectif sur :
les 4 084 037 euros remboursés par la recette des douanes de Corse le 27 juillet 2010,
les 210 560 euros dont le remboursement est ici demandé, - déclarer que les intérêts moratoires sont capitalisés et portent eux-mêmes intérêts à compter de l'acte introductif d'instance, - condamner l'administration douanière à verser à EDF la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le principe de l'exonération, à compter du 1er janvier 2008, n'est pas contesté et qu'en ne prenant pas les dispositions réglementaires nécessaires pour l'application de l'exonération, puis en bloquant la mise en oeuvre de cette exonération jusqu'à la parution du bulletin officiel des douanes, l'administration n'a pas mis EDF en mesure de bénéficier de l'exonération prévue par la directive 2003/96/CE entre le 1er janvier 2008 et le 28 février 2009. Elle prétend être créancière, suite aux remboursements intervenus, d'un reliquat chiffré désormais à 210 560 euros correspondant en partie à du gazole qui, contrairement à la décision du tribunal, constitue une huile minérale pouvant servir de combustible pour la production d'électricité et entrant à ce titre dans le champ de l'exonération prévue par l'article 265 bis du code des douanes. Elle soutient que les intérêts moratoires doivent courir, conformément aux articles 1153 et 1378 du code civil, à compter du jour de chaque perception de TIPP jusqu'à la date de remboursement effectif par l'administration. Elle estime en effet, là encore contrairement à la décision prise par le premier juge, que la notion de mauvaise foi requise par l'article 1378 est caractérisée. A l'entendre, l'administration ne pouvait ignorer, lors de l'encaissement de la TIPP litigieuse, que les produits pétroliers utilisés pour la production d'électricité étaient exonérés de cette taxe. En effet, l'exonération a été votée par le Parlement dans la loi no 2007-1824 du 25 décembre 2007 portant loi de finances rectificative pour 2007, applicable à compter du 1er janvier 2008, aux termes de l'article 62 de cette loi qui, au surplus, faisait suite à une condamnation de la France par la Cour de justice des Communautés Européennes, le 27 mars 2007, pour défaut de transposition de la directive no 2003/96/CE sur la taxation de l'énergie.
En ses conclusions développées oralement à l'audience, l'administration des douanes demande à la cour de :
- confirmer le jugement déféré, - débouter EDF de toutes ses demandes,- conformément à l'article 1153 du code civil, dire que les intérêts seront calculés à compter de la demande de remboursement,
- condamner EDF à verser à l'administration des douanes la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, - vu l'article 367 du code des douanes, dire n'y avoir lieu à dépens.
Elle conteste le reliquat réclamé en soutenant que la somme remboursée à EDF correspond strictement aux déclarations d'importation entrant dans le champ d'application de l'exonération dont le fioul lourd ne fait pas partie. Elle prétend que le point de départ des intérêts moratoires doit être fixé à la date de la demande de remboursement conformément aux dispositions de l'article 1153 du code civil et à non à celle du versement des sommes litigieuses. A cet égard, elle conteste la mauvaise foi qui lui est imputée par l'appelante en faisant valoir que les modalités de mise en oeuvre du régime d'exonération n'ont été précisées que par un arrêté du 25 juin 2008 publié au Bulletin Officiel des Douanes le 9 décembre 2008 ; qu'EDF a attendu le 10 novembre 2010 pour déposer des demandes complètes de remboursement concernant les sommes litigieuses ; que l'arrêt en manquement du 27 mars 2007 ne saurait constituer le point de départ d'un droit de remboursement, l'effet direct de la directive litigieuse n'ayant été reconnu que par un arrêt du 18 juillet 2008. Sur la demande de capitalisation des intérêts, elle fait valoir que les conditions prévues par l'article 1154 du code civil ne sont pas réunies dès lors que les remboursements sont intervenus moins d'un an après la formulation de la demande.
SUR QUOI, LA COUR
La demande de jonction porte sur des instances opposant certes les mêmes parties à propos du remboursement de la même taxe mais qui ont pour objet des sommes et des périodes différentes. Cette demande n'apparaît pas, dans ces conditions, conforme à l'intérêt d'une bonne justice et elle sera en conséquence écartée.
L'article 265 bis § 3-a du code des douanes, en sa rédaction issue de la loi no 2007-1824 du 25 décembre 2007 portant loi de finances rectificative pour 2007, transposant en droit national la directive 2003/96/CEE du 27 novembre 2003, et entrée en vigueur le 1er janvier 2008, dispose que les produits énergétiques mentionnés à l'article 265, dont le fioul lourd et le fioul domestique, sont exonérés des taxes intérieures de consommation lorsqu'ils sont destinés à être utilisés pour la production d'électricité. Un arrêté du 25 juin 2008, publié au bulletin officiel des douanes le 9 décembre 2008, a prévu les modalités d'application de ces dispositions.
Le principe de l'exonération de TIPP au titre de la période litigieuse, courant du 1er janvier 2008 au 23 février 2009, a été admise par l'administration des douanes qui a partiellement fait droit à la demande de remboursement formulée par EDF le 23 décembre 2009, pour un montant restitué en septembre 2010 de 4 084 037 euros.
Il résulte des explications développées par EDF que le reliquat objet du litige correspond pour partie à une mise en consommation non pas de fioul lourd mais de gasoil. Le premier juge a rejeté la demande de remboursement formé de ce chef en considérant que le gasoil n'entrait pas dans le champ d'application d'exonération de l'article 265 bis du code des douanes. Toutefois, comme le fait justement valoir EDF, ce texte dispose que les produits énergétiques mentionnés à l'article 265 sont admis en exonération des taxes intérieures de consommation lorsqu'ils sont destinés à être utilisés pour la production d'électricité. Or, le gasoil (ou gazole) est incontestablement inclus dans l'énumération opérée par l'article 265.
Dans la mesure où l'utilisation de ce carburant pour la production d'électricité n'est pas contestée, il convient dès lors, d'accueillir EDF en sa demande d'exonération de TIPP formée au titre de la déclaration numéro 979 074 pour un montant de 126 293 euros. Par une disposition infirmative du jugement déféré, l'administration des douanes sera condamnée à lui payer ladite somme.
Quant à l'autre partie du reliquat réclamé, soit la somme de 84 267 euros (210 560 - 126 293), c'est à partir d'une analyse exacte des pièces produites aux débats que le premier juge a considéré que cette prétention n'était pas justifiée, aucune déclaration d'importation ne se rattachant à cette prétention qui doit être dès lors rejetée.
Sur les intérêts, il convient de relever que pour solliciter la fixation de leur point de départ au jour de chaque perception de taxe, la société EDF ne se fonde plus, devant la cour, sur l'application de l'article L 208 du livre des procédures fiscales invoquée devant le premier juge, l'appelante ne se prévalant en appel que des dispositions de l'article 1378 du code civil. La cour ne peut dès lors que constater que le fondement juridique initialement invoqué a été abandonné et, dans la mesure où ce moyen n'est pas d'ordre public, elle se prononcera sur la demande en examinant uniquement le second fondement.
En application des dispositions combinées des articles 1153 et 1378 du code civil, celui qui doit restitution d'une somme indûment perçue doit les intérêts du jour de la demande s'il était de bonne foi et du jour du paiement s'il était de mauvaise foi.
En l'espèce, l'administration des douanes a perçu, entre le 1er janvier 2008 et le 23 février 2009 une taxe dont elle ne pouvait ignorer, depuis l'arrêt en manquement prononcé contre la France par la Cour de justice des communautés européennes le 27 mars 2007 pour défaut de transposition de la directive no 2003/ 96/CE, qu'elle était contraire au droit communautaire sur la taxation de l'énergie. En outre, l'exonération de cette taxe avait été votée par une loi du 25 décembre 2007 applicable à compter du 1er janvier 2008. En continuant de percevoir, dans ces conditions, la taxe litigieuse après cette date, l'administration a fait preuve de mauvaise foi au sens de l'article 1378 du code civil, le temps pris par le pouvoir réglementaire pour mettre en oeuvre les modalités pratiques de l'exonération ne pouvant constituer une excuse légitime face à la clarté tant de la norme communautaire que de la loi française.
Par suite, l'administration doit les intérêts à compter de chaque perception indue. Par une disposition infirmative du jugement déféré, il convient d'ordonner le paiement des intérêts au taux légal à compter du jour de chaque perception des taxes par l'administration jusqu'à la date de remboursement effectif à EDF, soit jusqu'au 29 septembre 2010 pour la somme de 4 084 037 euros et jusqu'à exécution de le condamnation prononcée par le présent arrêt pour la somme de 126 293 euros.
Dans la mesure où les intérêts afférents à ces sommes étaient dus depuis une année entière au 30 décembre 2010, date de l'assignation, leur capitalisation doit être ordonnée à compter de cette date, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil.
L'article 367 du code des douanes dispose qu'en première instance et sur l'appel, l'instruction est verbale sur simple mémoire et sans frais de justice à répéter de part ni d'autre ; qu'il n'y a donc pas lieu à prononcé d'une condamnation au titre des dépens ; le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
Aucune considération ne commande d'accueillir les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Rejette la demande de jonction d'instances formée par la SA EDF, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions hormis en ce qu'il a rejeté la demande de la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau, Condamne la Direction Générale des Douanes et des Droits Indirects à payer à la SA EDF la somme de CENT VINGT SIX MILLE DEUX CENT QUATRE VINGT TREIZE EUROS (126 293 euros) au titre de la taxe intérieure sur les produits pétrolier par elle acquittée sur le gazole destiné à la production d'électricité pour la période du 1er janvier 2008 au 23 février 2009, Déboute la SA EDF de surplus de sa demande formée de ce chef,
Ordonne le paiement des intérêts au taux légal à compter du jour de chaque perception des taxes par l'administration jusqu'à la date de remboursement effectif à EDF, soit jusqu'au 29 septembre 2010 pour la somme de QUATRE MILLIONS QUATRE VINGT QUATRE MILLE TRENTE SEPT EUROS (4 084 037 euros) et jusqu'à exécution de la
condamnation prononcée par le présent arrêt pour la somme de CENT VINGT SIX MILLE DEUX CENT QUATRE VINGT TREIZE EUROS (126 293 euros), Dit que les intérêts sont capitalisés à compter du 30 décembre 2010,
Rejette les demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à dépens en première instance comme en appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT