Ch. civile B
ARRET du 30 MARS 2011
R. G : 10/ 00219 CR-JB
Décision déférée à la Cour : jugement du 01 février 2010 Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO R. G : 08/ 1042
AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR
C/
S. C. I X...Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU TRENTE MARS DEUX MILLE ONZE
APPELANT :
Monsieur AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR Représentant le TRESOR PUBLIC 207 Rue de Bercy 75572 PARIS CEDEX 12
représenté par la SCP A... Antoine A... Jean Jacques, avoués à la Cour
assisté de Me Pierre Dominique DE LA FOATA, avocat au barreau d'AJACCIO, plaidant en visioconférence,
INTIMEES :
S. C. I X...Prise en la personne de son représentant légal en exercice ...20000 AJACCIO
représentée par la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avoués à la Cour
assistée de la SCP ROMANI-CLADA-MAROSELLI, avocats au barreau d'AJACCIO, plaidant en visioconférence,
Madame Anne Y...épouse Z...née le 26 Juillet 1968 à NEW YORK ...20000 AJACCIO
représentée par la SCP René JOBIN Philippe JOBIN, avoués à la Cour
assistée de la SCP VERSINI CAMPINCHI et ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 février 2011, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre Monsieur Philippe HOAREAU, Conseiller Madame Marie-Paule ALZEARI, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Marie-Jeanne ORSINI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 30 mars 2011
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre, et par Madame Marie-Jeanne ORSINI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*
* * FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES :
Par acte du 26 septembre 2008, la SCI X...et Madame Anne Y...épouse Z...avaient fait citer Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor en responsabilité en raison d'un fonctionnement qualifié de défectueux du service de la justice, en l'espèce l'exécution tardive par les services de la gendarmerie d'un ordre de Monsieur le procureur de la République près le tribunal de grande instance d'AJACCIO en date du 22 mai 2008, d'avoir à apposer les scellés sur les portes et fenêtres d'une maison sise Domaine de Murtoli, commune de SARTENE, les militaires de la gendarmerie ainsi saisis à cette fin n'intervenant que le 10 juillet.
Les demandeurs reprochaient à la gendarmerie d'avoir, contrairement à l'ordre du Parquet, mis en oeuvre l'exécution de cette injonction en période estivale, soit le 10 juillet 2008, alors que celle-ci s'avérait impossible en raison de l'occupation de cette propriété dans le cadre d'une location consentie à un tiers. Ils soutiennent que la faute des services de gendarmerie était l'expression d'une volonté de n'exécuter cet ordre qu'à une période où il ne pouvait plus l'être. Cette réticence à prêter utilement son concours à l'exécution d'un ordre émanant d'une autorité judiciaire constituait à leur sens une faute grave engageant la responsabilité de l'état au regard du respect du droit de propriété matérialisé par un titre authentique.
Le défendeur concluait au rejet de la demande en soutenant pour l'essentiel que la faute lourde n'était pas constituée, notamment parce que, au moment des opérations sur les lieux, le 10 juillet 2008, les officiers de police judiciaire avaient constaté que la maison en cause était occupée par des personnes de bonne foi, tiers à l'enquête, qui pouvaient se prévaloir d'un bail consenti par le propriétaire apparent. Ils soutenait de plus que les plaignantes n'établissaient pas la réalité de leur préjudice.
Par jugement du 1er février 2010, le Tribunal de grande instance d'AJACCIO, statuant au visa de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire, constatait la faute lourde commise à l'occasion du service public de la justice par la brigade de recherches de la Gendarmerie de SARTENE et condamnait Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor Public à payer à la SCI X...et à Madame Y...Anne la somme de 15. 000 euros à titre de dommages-intérêts outre 2. 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor interjetait appel de cette décision par déclaration déposée au greffe de la Cour le 11 mars 2010.
Dans ses dernières conclusions du 7 juin 2010, l'Agent Judiciaire du Trésor conclut à l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, au débouté de la SCI X...et de Madame Y...et à leur condamnation à lui payer la somme de 3. 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il expose au soutien de sa demande en premier lieu que c'est à tort que le Tribunal a estimé que l'ordre du 22 mai 2008 clair et précis (apposition des scellés) ne nécessitant pas de moyens importants et réalisable à bref délai, a été exécuté avec un retard condamnable le 10 juillet 2008 alors que le procureur de la République a suivi l'évolution de l'enquête préliminaire qu'il avait faite diligenter et alors que le juge des référés rendait le 8 juin 2008, reconnaissait l'existence d'un bail commercial justifiant la prise de possession des lieux par Monsieur A..., la réformation de cette décision par la Cour n'intervenant que bien postérieurement.
En deuxième lieu, il souligne que le litige opposant Monsieur A... à Madame Y...est purement privé, l'intervention du Parquet et singulièrement des forces de l'ordre, en dehors de toute décision de justice ayant l'autorité de la chose jugée, ne se justifiant que dans le cadre des poursuites que Monsieur le procureur de la République avait engagées à l'encontre de Monsieur A.... Dès lors la mesure d'apposition des scellés de pure opportunité ne pouvait être considérée comme devant obligatoirement intervenir sous peine d'engager la responsabilité de l'Etat.
Enfin, il demande à la Cour d'écarter l'argument selon lequel les gendarmes auraient volontairement attendu la période estivale c'est à dire la période où la maison était louée pour pouvoir ensuite arguer de l'impossibilité d'exécuter les instructions du Parquet en présence de locataires de bonne foi.
Subsidiairement, il estime que les intimées ne justifient pas d'un quelconque préjudice matériel.
Les intimées, dans leurs écritures du 8 septembre 2010, concluent à la confirmation du jugement dont appel en ce qu'il a retenu une faute lourde de la brigade de recherche de gendarmerie de SARTENE à l'occasion du service public et à la réformation pour le surplus, demandant à la Cour d'élever à 30. 000 euros le montant des dommages-intérêts à la charge du Trésor Public.
L'ordonnance de clôture est intervenu le 3 novembre 2010.
Par ordonnance du 30 novembre 2010, le Conseiller de la mise en état a rejeté la demande de révocation de cette ordonnance de sorte que les conclusions prises postérieurement seront déclarées irrecevables.
*
* *
MOTIFS :
Attendu que la présente procédure s'inscrit dans le cadre du litige opposant Monsieur Paul A... et la SARL MURTOLI à Madame Y...et la SCI X...au sujet de la propriété et accessoirement de la location d'une maison d'habitation sise en bord de mer sur le territoire de la commune de SARTENE ayant appartenu à Monsieur X...;
Attendu que pour atteindre cette maison qu'elle a occupé durant près de cinq ans, Madame Y...devait traverser par un chemin d'accès de terre la propriété de Monsieur A... ;
Attendu que courant juin 2005, Monsieur A... interdisait à Madame Y...l'accès à sa propriété en modifiant les codes d'accès du portail et s'emparait de la maison en changeant les serrures, en déménageant les meubles et les affaires personnelles de Madame Y...et en procédant à des travaux de réfection ;
Attendu que sur plainte de Madame Y..., Monsieur le procureur de la République d'AJACCIO ouvrait une enquête préliminaire et par un soit-transmis du 22 mai 2008, demandait au commandant de la compagnie de gendarmerie de SARTENE de procéder " à la saisie de la maison faisant l'objet de l'extorsion au préjudice de Madame Y..., en apposant les scellés sur les portes et ouvertures du rez-de-chaussée " ;
Attendu que les services de gendarmerie n'intervenaient que 48 jours plus tard soit le 10 juillet 2008 et se trouvaient en présence d'occupants de bonne foi du fait de Monsieur A... de sorte que seuls les biens mobiliers appartenant à Madame Y...étaient placés sous scellés, Monsieur A... étant désigné gardien des scellés ;
Attendu que la SCI X...et Madame Y...reprochent à la Gendarmerie d'avoir tardé à mettre en exécution l'ordre de Monsieur le procureur de la République au-delà d'un délai raisonnable de sorte qu'il était privé de tout effet pratique en raison de la présence d'occupants de bonne foi ;
Attendu qu'aux termes de l'article L 141-1 du code de l'organisation judiciaire sur lequel les demanderesses à l'action fondent résolument leurs demandes, l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la Justice. Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice ;
Attendu qu'il convient de souligner pour une bonne compréhension du litige que les parties admettent que l'ordre de Monsieur le procureur de la République est bien intervenu dans le cadre d'une enquête préliminaire dans les limites fixées par le code de procédure pénale et que les mesures prises n'ont pas été contestées par les voies légales ;
Attendu que le Tribunal, par des motifs que la Cour approuve, caractérise la faute lourde d'une part par le non respect de l'ordre de l'autorité judiciaire, qualité non discutée de Monsieur le Procureur de la République, clair et précis d'autre part par la nature même de cet ordre protecteur de la propriété et consistant en l'apposition de scellés sur la maison à usage d'habitation avant l'été pour éviter tout usage prohibé par des tiers aux fins de louage ;
Attendu que l'inertie du service exécutant qui n'a pas à se substituer à Monsieur le Procureur de la République pour apprécier l'opportunité d'une mesure dans le cadre d'une enquête judiciaire est éclairée par l'attitude postérieure des services de Gendarmerie à réception de nouveaux ordres de Monsieur le Procureur de la République dans le cadre de ce dossier ;
Attendu qu'en vain l'appelant fait état d'hésitations du Parquet non établies ou d'interventions d'élus auprès de la Préfecture sans incidence dans un état de droit ainsi que le souligne le Préfet dans sa réponse à la sommation qui lui a été délivrée ;
Qu'en outre, la simplicité de la mesure et l'absence de toute agressivité de la part de Monsieur A... et de ses salariés soulignées par les mêmes services de Gendarmerie par la suite, ne justifiaient pas de délai d'exécution supérieur à quelques jours ;
Attendu cependant que l'appelant fait observer à juste titre que le 3 juin 2008 intervenait une ordonnance de référé reconnaissant l'existence d'un bail justifiant la prise de possession par Monsieur A..., décision qui ne sera réformée que le 28 janvier 2009, date de l'arrêt de la Cour constatant la voie de fait et ordonnant la libération de la maison de toute occupation au bénéfice de Madame Y...;
Attendu qu'il résulte de ces circonstances particulières qu'en toute hypothèse Madame Y...n'aurait pu récupérer sa maison qu'à partir de la date de l'exécution de l'arrêt ;
Attendu que le préjudice subi apparaît dès lors de pur principe et seulement moral alors que Madame Y...avait déjà saisi la justice civile pour tenter de récupérer la possession de la maison ;
Attendu que ce préjudice moral symbolique imputable au dysfonctionnement du service de la Justice doit être réparé par l'allocation de la somme de 1. 000 euros ;
Attendu que le jugement dont appel sera donc confirmé sous cette réserve ;
Attendu que la somme allouée en première instance au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile est équitable pour couvrir les frais exposés par les intimées non compris dans les dépens en première instance et en appel ;
Attendu que l'Agent Judiciaire du Trésor qui succombe supportera les dépens de l'instance d'appel.
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Confirme le jugement dont appel sauf en ce qui concerne le montant du préjudice subi par la SCI X...et Madame Y...,
Le réformant,
Et statuant à nouveau sur ce point,
Condamne Monsieur l'Agent Judiciaire du Trésor Public à payer à la SCI X...et à Madame Y...ensemble la somme de MILLE EUROS (1. 000 euros) à titre de dommages-intérêts,
Rejette le surplus des demandes,
Dit que l'Agent Judiciaire du Trésor supportera les entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER LE PRESIDENT