ARRET No
du 06 FEVRIER 2008
R. G : 06 / 01015 C- JB
Décision déférée à la Cour :
jugement du 07 septembre 2006
Tribunal de Grande Instance d'AJACCIO
R. G : 01 / 834
X...
C /
Y...
COUR D'APPEL DE BASTIA
CHAMBRE CIVILE
ARRET DU
SIX FEVRIER DEUX MILLE HUIT
APPELANTE :
Madame Marie Martine X...
...
20137 PORTO VECCHIO
représentée par la SCP RIBAUT- BATTAGLINI, avoués à la Cour
ayant pour avocat Me Richard ALEXANDRE, avocat au barreau d'AJACCIO
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2006 / 3875 du 21 / 12 / 2006 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASTIA)
INTIME :
Maître Paul Y...
mandataire de Justice
...
35400 SAINT MALO
représenté par la SCP R. JOBIN ET PH. JOBIN, avoués à la Cour
assisté de la SCPA DENOUAL KERJEAN LEGOFF, avocats au barreau de SAINT MALO substituée par Maître Angeline TOMASI, avocat au barreau de BASTIA
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 décembre 2007, devant la Cour composée de :
Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre
Monsieur Bernard WEBER, Conseiller
Madame Marie- Laure PIAZZA, Conseiller
qui en ont délibéré.
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame Emmanuelle PORELLI.
Les parties ont été avisées que le prononcé public de la décision aura lieu par mise à disposition au greffe le 30 janvier 2008, prorogée par le magistrat par mention au dossier au 06 février 2008.
ARRET :
Contradictoire,
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Jean BRUNET, Président de Chambre, et par Madame Emmanuelle PORELLI, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Par jugement en date du 14 mars 1995 le Tribunal de commerce de SAINT- MALO, avait ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société en commandite simple TECH'NOVO, dont l'objet était le négoce et la transformation d'oeufs.
La date de la cessation des paiements de cette société était fixée provisoirement à la date du jugement.
Maître Paul Y... était désigné en qualité de mandataire liquidateur.
La date de dépôt de l'état de créances devait intervenir dans le délai d'un an.
A la requête de ce mandataire liquidateur, le Tribunal de commerce de SAINT- MALO, par jugement du 9 septembre 1997, prononçait l'extension de la liquidation judiciaire à l'encontre de Monsieur Loïc B..., dirigeant de la société.
Ce même jugement précisait que la date de cessation de paiement de cette liquidation était identique à la précédente.
Parallèlement à cette dernière procédure et à la requête du Crédit Agricole des COTES D'ARMOR, une procédure de règlement amiable de l'exploitation agricole de Monsieur Loïc B... était ouverte suivant ordonnance du Tribunal de grande instance de SAINT- BRIEUC, en date du 13 juin1996.
Le conciliateur désigné, Monsieur C... déposait son compte rendu le 25 juillet 1996, en lequel il rapportait qu'en 1993 Monsieur Loïc B... " aurait prêté à sa compagne Madame Marie Martine X..., la somme de 1. 500. 000 francs qui aurait servi à l'achat d'une maison par l'intermédiaire d'une SCI en laquelle le prêteur ne détenait aucune part. "
Par courrier du 9 novembre 2000, Maître Paul Y... sommait Madame Marie Martine X... de lui régler la somme de 1. 500. 000 francs au plus tard le 20 novembre suivant.
Par exploit du 21 mai 2001, Maître Paul Y..., pris es qualité de mandataire liquidateur de la société TECH'NOVO et de Monsieur Loïc B... a attrait devant le Tribunal de grande instance d'AJACCIO, Madame Marie Martine X..., sous le visa des articles 1902 à 1904 du Code Civil et l 622- 4 du Code de Commerce aux fins d'obtenir sa condamnation à lui rembourser un prêt d'un montant de 1. 500. 000 francs qui aurait été consenti par Monsieur Loïc B... au bénéfice de la concluante, pendant le cours de son exploitation.
Le Tribunal de grande instance d'AJACCIO par jugement en date du 7 septembre 2006, a déclaré Maître Paul Y... ès- qualités de mandataire liquidateur de la société TECH'NOVO et de Monsieur Loïc B..., recevable en son action en remboursement de prêt et condamner Madame X... au paiement de la somme de 215. 562, 91 euros outre les frais exposés lors du procès.
Madame Marie Martine X... a interjeté appel le 23 octobre 2006.
Dans ses dernières conclusions en date du 30 mai 2007 Maître Paul Y... sollicite la confirmation du jugement déféré sur la qualification de prêt. Il soutient qu'en cas d'impossibilité morale de se procurer un écrit, l'article 1892 du Code Civil autorise le prêteur à prouver l'existence du prêt par tous moyens : les différentes déclarations de Monsieur B... dès 1996 où il affirme avoir prêté ces sommes à Madame X..., et le silence de Madame X..., lors de la mise en demeure adressé par celui le 9 novembre 2000, ainsi que l'absence de contestation de l'existence du prêt dans ses premières conclusions révélateurs de l'acceptation tacite de Madame X... de son obligation de remboursement. Il retient par ailleurs que Madame X... avait connaissance et ce dès 1993, que Monsieur B... allait être rapidement confronté à d'importantes difficultés financières. Maître Paul Y... invoque en toute hypothèse le caractère frauduleux du don manuel éventuel qui appauvri l'épouse de Monsieur B... ainsi que ses créanciers et rend dès lors madame X... complice de la fraude commise par Monsieur B.... Celui- ci soutient en conséquence qu'il est recevable et bien fondé, à exercer, en sa qualité de liquidateur l'action paulienne à l'encontre de Madame X....
Dans ses dernières conclusions en date du 19 septembre 2007 Madame Marie Martine X... affirme qu'elle n'est nullement débitrice de la liquidation de Monsieur Loïc B..., car ce dernier lui avait simplement donné les fonds en objet. Elle soutient que dans tous les cas cette somme aurait été prêtée par Monsieur Loïc B... alors qu'il était toujours marié sous le régime légal de la communauté avec Madame Pascale D...et de ce fait lesdits fonds appartenaient par moitié aux deux époux. Dès lors, la moitié de la somme ne pouvait faire l'objet d'aucune réclamation, car le mandataire liquidateur exerce exclusivement les droits de Monsieur B... et non pas ceux de son épouse, la présomption de communauté s'imposant au mandataire et aux juges du fond. En fait les fonds remis par le chèque ne peuvent revêtir la qualité alléguée de prêt et qu'il s'agit d'une libéralité.
Madame X... soutient ainsi que les relations qu'elle entretenait avec Monsieur Loïc B... induisent la présomption d'un don manuel, l'existence d'un prêt ne pouvant pas être établi par la simple preuve d'une remise de fonds. Elle relève également que l'action paulienne est irrecevable car la date de la cessation de paiement a été fixée 15 mois après la remise des fonds litigieux. Elle soutient qu'à cette date, Monsieur B... était loin d'être en état de cessation de paiements ou de présenter des difficultés financières sérieuses.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 décembre 2007.
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MOTIFS :
Attendu que Maître Paul Y..., liquidateur à la fois de la liquidation judiciaire de la société TECH'NOVO, de Monsieur B... et de Madame B... poursuit le recouvrement de la somme de 1. 414. 000 francs soit 215. 562, 91 euros montant d'un chèque émis le 15 décembre 1993 par Monsieur B... au profit de Madame X... avec laquelle ce dernier entretenait une liaison et de celle de 86. 000 francs soit 13. 110, 62 euros remise par ailleurs ;
Attendu qu'il fonde son action sur le remboursement d'un prêt et subsidiairement sur la fraude dans le cadre du bon manuel, action paulienne de l'article 1167 du code civil ;
1- Sur le prêt :
Attendu que pour prétendre au remboursement du prêt allégué, Maître Y... agissant pour Monsieur B... dessaisi par le jugement de liquidation judiciaire du Tribunal de commerce de SAINT MALO du 14 mars 1995 doit établir, au delà de la remise des fonds, fait juridique, l'existence d'un prêt ;
Attendu à cet égard que contrairement à ce qu'indique le tribunal, Maître Y... n'est pas un tiers au contrat allégué de prêt, puisqu'il représente et Monsieur B... et Madame B... en sa qualité de liquidateur ;
Attendu qu'il est donc tenu aux règles de l'article 1341 du code civil qui interdit tout autre forme de preuve que l'écrit hors les cas visés par l'article 1347 du commencement de preuve par écrit et par l'article 1348 de l'impossibilité morale de se procurer une preuve littérale de l'acte juridique ;
Attendu qu'en l'absence de commencement de preuve par écrit émanant de la défenderesse au procès, l'absence de réponse à une sommation ne pouvant être assimilée sans ajouter au texte aux comportements des parties lors de la comparution personnelle prévue par l'article 1347 ci- dessus, il convient de rechercher d'une part si Monsieur B... démontre avoir été dans l'impossibilité morale de demander à Madame X... l'établissement d'un écrit et dans l'affirmative d'autre part si la preuve alors admissible par tous moyens est réellement rapportée ;
Attendu sur le premier point que les relations ayant existé à l'époque de la remise du chèque et existant peut- être encore entre Monsieur B... et Madame X... ne sont pas contestées, les époux B... étaient déjà séparés et il y avait bien déjà une communauté de vie entre Monsieur B... et Madame X... qui s'apprêtaient à réaliser un projet immobilier commun ; qu'il est ainsi démontré que Monsieur B... était dans l'impossibilité morale, compte tenu des circonstances, d'exiger de Madame X... la signature d'un écrit ;
Attendu sur le second point que les déclarations de Monsieur B..., soucieux de présenter au conciliateur dans le cadre d'un règlement amiable, la situation la plus favorable possible, ne sont pas décisives alors qu'elles ne sont pas concomitantes au prêt allégué, qu'elles émanent du supposé prêteur et qu'elles ne sont pas confirmées par le supposé emprunteur ;
Que reste comme seul élément pouvant être déterminant l'attitude générale de Madame X... sur laquelle insiste particulièrement le tribunal ;
Mais attendu que la communauté de vie avec Monsieur B... n'implique en aucun cas l'approbation des déclarations de ce dernier et que l'absence de réaction à une mise en demeure visant le prêt est également insuffisante pour faire présumer l'existence de ce prêt, à l'instar de l'absence de contestation du prêt dans les premières conclusions de Madame X... rédigées par son conseil qui ne contiennent aucune acceptation des affirmations de Maître Y... ;
Attendu qu'il apparaît ainsi que Maître Y... ne rapporte pas la preuve du prêt allégué et que le jugement doit être infirmé sur ce point ;
2- Sur le don manuel :
Attendu que Maître Y... en l'état d'une remise de fond constituant une libéralité bien antérieure à la période suspecte réduite à son minimum légal puisque la date de cessation des paiements a été fixée au 14 mars 1995 sans être remise en cause par une décision postérieure, ne pouvait invoquer les dispositions de l'article L 621- 107 ancien du code de commerce, les délais étant largement expirés ;
Attendu qu'il a donc subsidiairement formé une action paulienne de l'article 1167 du code civil en toute hypothèse recevable en sa qualité de représentant de l'intérêt collectif des créanciers des trois liquidations judiciaires ;
Attendu que cette action est destinée à permettre à un créancier de faire déclarer inopposables les actes de son débiteur accomplis en fraude de ses droits et qui lui portent préjudice ;
Attendu à cet égard que le seul fait que l'acte attaqué ait eu pour effet de diminuer l'actif réalisable ou la masse à partager ne suffit pas à établir la preuve d'une fraude organisée avec le donataire pour porter atteinte à un créancier futur ;
Qu'il convient en effet de rechercher si à la date de l'acte attaqué existaient, au moins en leur principe, des créances auxquelles Monsieur B... ne pouvait faire face avec son actif étant rappelé que s'agissant d'un acte à titre gratuit la preuve de la connaissance de la situation par le tiers bénéficiaire de la fraude commise par le débiteur n'est pas exigée ;
Attendu que malgré les précautions prises par Monsieur B... lors du don de la somme de 1. 414. 000 francs le 15 décembre 1993 à Madame X... qui a suivi la constitution d'une SCI fin novembre 1993 et qui a été concomitant avec l'achat par la SCI d'un immeuble à SAINT BRIEUC, les éléments du dossier permettent de mettre en évidence l'existence d'une fraude aux droits des créanciers alors que Monsieur B... poursuivait des activités toutes déficitaires et ne pouvant conduire qu'à des résultats littéralement catastrophiques ;
Attendu qu'après avoir perdu courant 1992 plus de un million de francs dans la liquidation judiciaire de la Société Armoricaine d'OVO, Monsieur B... se fondant sur des bénéfices déclarés, au demeurant non vérifiables, sa comptabilité ayant été détruite dans un incendie, obtenait fin 1992 du Crédit Agricole un prêt de 2. 500. 000 francs dont 1. 000. 000 francs d'encours, le concours de la banque se poursuivant par la suite grâce à l'apparence de prospérité entretenue par Monsieur B... ;
Attendu que fin janvier 1993 était créée la Société TECH'NOVO que Monsieur B... contrôlait en réalité grâce au concours de Monsieur E...et qui par des contrats d'intégration était mise à contribution par Monsieur B... qui a revendiqué in fine contre elle une créance de 2. 700. 000 francs ;
Attendu que cette société se voyait en octobre 2003 refuser l'agrément sanitaire mais Monsieur B... décidait de continuer à l'utiliser pour la mise en place de contrats d'intégration fictifs ;
Attendu que 18 mois plus tard, Monsieur B... et la Société TECH'NOVO dont les patrimoines étaient confondus présentaient un passif impressionnant s'élevant in fine à plus de 16. 000. 000 de francs soit 2. 550. 000 euros ;
Attendu qu'il apparaît ainsi que la donation par chèque de la somme de 1. 414. 000 francs, disproportionnée aux ressources disponibles de Monsieur B..., n'avait pour but que de soustraire à l'action future mais certaine des créanciers déjà existants et futurs une somme relativement importante que Monsieur B... qualifiera dans la presse lors d'un attentat subi en CORSE d'économies ;
Attendu qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande de Maître Y... à concurrence de la somme de 215. 562, 91 euros, le surplus de la demande n'étant pas justifié, l'inopposabilité de la libéralité entraînant pour Madame X... l'obligation de payer cette somme avec intérêts à compter du 9 novembre 2000, date de la mise en demeure et application de l'article 1154 du code civil qui est de droit ;
Attendu que le jugement dont appel sera donc confirmé par substitution de motifs ;
Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Maître Y... la totalité des frais non compris dans les dépens exposés devant la Cour et il lui sera donc alloué la somme de 1. 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Attendu que Madame X... qui succombe supportera les dépens.
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Vu l'article 1167 du code civil,
Confirme par substitution de motifs le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le point de départ de la capitalisation des intérêts fixée à la date de la demande soit le 21 mai 2001,
Y ajoutant,
Condamne Madame Marie Martine X... à payer à Maître Paul Y..., ès- qualités de liquidateur des liquidations judiciaires confondues de la Société TECH'NOVO, de Monsieur B... et de Madame B... née D..., la somme de MILLE CINQ CENTS EUROS (1. 500 euros) au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens qui seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
FEUILLE DE SUIVI APRES ARRET
06 / 01015 Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours arrêt du SIX FEVRIER DEUX MILLE HUIT