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23/09/2003 | FRANCE | N°02/00805

France | France, Cour d'appel de Bastia, 23 septembre 2003, 02/00805


ARRET N° du 23 SEPTEMBRE 2003 R.G : 02/00805 RC-MCB Décision déférée à la Cour : jugement du 04 octobre 2002 Tribunal de Commerce BASTIA R.G : 02/1898 S.A. P. C/ Société par Actions BRASSERIE D. S.A. S. Groupement d'Intérêt B. DE CORSE (A C. DI A BIERA) S.A. J. COUR D'APPEL DE BASTIA CHAMBRE CIVILE ARRET DU VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE TROIS APPELANTE : S.A. P. Prise en la personne de son représentant légal en exercice Route de la Marana 20600 FURIANI représentée par la SCP R. JOBIN ET PH. JOBIN, avoués à la Cour assistée de Me Yann STREIFF, avocat au barreau de PARIS, et

de Me Anne-Marie GIORGI, avocat au barreau de BASTIA, INTIMEES :...

ARRET N° du 23 SEPTEMBRE 2003 R.G : 02/00805 RC-MCB Décision déférée à la Cour : jugement du 04 octobre 2002 Tribunal de Commerce BASTIA R.G : 02/1898 S.A. P. C/ Société par Actions BRASSERIE D. S.A. S. Groupement d'Intérêt B. DE CORSE (A C. DI A BIERA) S.A. J. COUR D'APPEL DE BASTIA CHAMBRE CIVILE ARRET DU VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE TROIS APPELANTE : S.A. P. Prise en la personne de son représentant légal en exercice Route de la Marana 20600 FURIANI représentée par la SCP R. JOBIN ET PH. JOBIN, avoués à la Cour assistée de Me Yann STREIFF, avocat au barreau de PARIS, et de Me Anne-Marie GIORGI, avocat au barreau de BASTIA, INTIMEES : Société par Actions Simplifiées BRASSERIE D. Prise en la personne de son représentant légal en exercice Route Nationale 59144 JENLAIN représentée par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour assistée de la SCP FIDAL, avocats au barreau de VALENCIENNES, substituée par Me Jean-Marie PERES, avocat au barreau de BASTIA S.A. S. Prise en la personne de son représentant légal en exercice Route de la Marana 20600 FURIANI représentée par Me Antoine CANARELLI, avoué à la Cour assistée de la SCP TOMASI-SANTINI-GIOVANNANGELI-VACCAREZZA- DONATI, avocats au barreau de BASTIA Groupement d'Intérêts Economiques B. DE CORSE (A CUMPANIA DI A BIERA) Prise en la personne de son représentant légal en exercice Route de Caldanuccia 20167 MEZZAVIA représentée par Me Antoine-Paul ALBERTINI, avoué à la Cour assistée de Me Antoine SOLLACARO, avocat au barreau d'AJACCIO substituée par Maître Marc MONDOLONI, avocat au barreau d'AJACCIO S.A. J. Prise en la personne de son représentant légal en exercice Route de la Marana 20600 FURIANI représentée par Me Antoine CANARELLI, avoué à la Cour assistée de la SCP TOMASI-SANTINI-GIOVANNANGELI-VACCAREZZA- DONATI, avocats au barreau de BASTIA COMPOSITION DE LA COUR : L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 juin 2003, devant la Cour composée de : Madame Marie-Colette BRENOT, Président de Chambre

Madame Nathalie CHAPON, Conseiller Monsieur Bernard ROUSSEAU, Conseiller qui en ont délibéré. GREFFIER LORS DES DEBATS : Madame Martine X.... MINISTERE PUBLIC : Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée et qui a fait connaître son avis. ARRET : Contradictoire, Prononcé par Madame Marie-Colette BRENOT, Président de Chambre, à l'audience publique du 23 septembre 2003, date indiquée à l'issue des débats, Signé par Madame Marie-Colette BRENOT, Président de Chambre, et par Madame Martine X..., Greffier présent lors du prononcé. * * * LES FAITS ET LA PROCEDURE :

La société P. fabrique, conditionne et commercialise des bières corses dénommées P. , Serena et Colomba depuis 1995, celles-ci ayant été brassées sur le Continent de 1995 à 1997 et à FURIANI depuis cette dernière date.

Courant 2001, les entreprises Y... et S. ont déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle leur marque de bière "T. , bière du maquis" et ont constitué un groupement d'intérêt économique dénommé "B. DE CORSE - A C. DI A BIERA" dont l'objet est la fabrication de la bière T. .

Courant juillet 2002, le G.I.E B. DE CORSE a commercialisé la bière T. , bière aromatisée à l'arbouse et à la myrte de CORSE en utilisant un étiquetage donnant à cette bière une identité régionale.

Estimant être victime d'actes de concurrence déloyale, la société P., après avoir obtenu l'autorisation d'assigner à bref délai, a fait assigner la société BRASSERIE D., brasseur de la bière T. , la société S. et la société J. et le G.I.E B. DE CORSE qui distribuent et commercialisent la bière T. à l'effet d'obtenir le retrait du marché des bières T. , la publication d'un avis au consommateur sur l'origine de la bière T. et paiement de dommages et intérêts.

Par jugement du 4 octobre 2002, le tribunal de commerce de BASTIA :

- a constaté l'intervention et le retrait des débats du Syndicat des Professionnels de la Transformation Agroalimentaire de Corse,

- demeurant dans le cadre strict de sa compétence et de l'action basée sur les articles 1382 et 1383 du code civil, a débouté la SA P. de son action,

- a condamné la SA P. aux dépens,

- a rejeté toutes demandes reconventionnelles,

- a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- a rejeté pour le surplus toutes autres demandes contraires à la présente décision.

Par déclaration du 4 novembre 2002, la SA P. a régulièrement interjeté appel de cette décision et a obtenu par ordonnance du 12 novembre 2002 l'autorisation d'assigner à jour fixe la société BRASSERIE D. , la société S. , la société B. DE CORSE, la société J. Sur l'incident de procédure :

Par conclusions d'incident déposées le 27 juin 2003, le G.I.E B. DE CORSE et la BRASSERIE D. demandent que soient déclarées irrecevables les pièces signifiées le 19 juin 2003 par la SA P. et les conclusions signifiées le 16 juin 2003 qui développent des moyens nouveaux et de nouvelles prétentions et ne sont pas signifiées dans un temps suffisant pour leur permettre d'en débattre contradictoirement.

Par conclusions en réponse sur incident déposées le 27 juin 2003, la société P. réplique que ne constituent pas des demandes nouvelles l'actualisation des chefs de préjudice et la communication de pièces complémentaires en réplique aux écritures des intimés et qu'ils ont eu tout le temps de conclure.

La société P. a obtenu par ordonnance du 12 novembre 2002 l'autorisation d'assigner à jour fixe les actuels intimés. Ceux-ci ont su, dès réception de l'assignation, que cette autorisation allait engendrer des délais de procédure plus courts.

Il est constant que la requête aux fins d'assignation à jour fixe doit formuler expressément les prétentions de la partie et les moyens sur lesquels celles-ci sont fondées et qu'ensuite sont seules recevables les conclusions déposées par l'appelant en réponse à celles de son adversaire.

Les conclusions déposées par la SA P. ne font que répondre à celles déposées par les intimés et expliciter sa demande qui n'a pas changé depuis le début de la procédure sur l'existence d'une concurrence déloyale.

Pour conforter un peu plus sa demande et démontrer le caractère confusionnel sur l'origine du produit et parasitaire de la présentation de la bière T. , la société P. a communiqué des pièces complémentaires le 19 juin 2003.

Les sociétés intimées, qui ont déposé chacune cinq pages de conclusions d'incident avant l'audience de plaidoiries, auraient eu largement le temps, si elles l'avaient désiré, de conclure à nouveau sur ces pièces plutôt que de développer un incident de procédure. Le contradictoire a été largement respecté en l'espèce et tous les moyens débattus.

Il convient de rejeter l'incident formé par le G.I.E B. DE CORSE et la SA BRASSERIE D. et d'admettre aux débats tant les conclusions du 16 juin 2003 de la SA P. que ses pièces communiquées le 19 juin 2003. * * *

LES DEMANDES DES PARTIES :

Par conclusions déposées le 17 juin 2003, auxquelles il convient de se référer pour le détail de ses moyens, la SA P. demande à la Cour de :

- constater que le tribunal de commerce a méconnu sa compétence en écartant les griefs en rapport avec l'étiquetage non conforme et en affirmant la compétence exclusive de la Direction Régionale de la Concurrence et de la Répression des Fraudes,

- constater que la décision critiquée procède par la dénaturation des faits soumis à son appréciation et notamment qu'elle n'a jamais prétendu à un régime de protection légal de l'origine des produits de brasserie,

- constater que la décision critiquée a omis de répondre sur sa demande quant à la désorganisation du marché à la suite de la distribution au moins partielle à titre gratuit de bière T.,

- constater la confusion sur l'origine géographique de la fabrication des produits T., les tentatives de débauchage de ses prestataires et la vente des produits T. par la BRASSERIE D. à un prix anormalement bas,

- constater que l'ensemble de la communication et notamment l'étiquetage, la publicité et la distribution des produits T. est parasitaire des produits P.,

- constater la désorganisation du marché par l'attribution de produits gratuits Coca-Cola,

- dire que ces actes caractérisent la concurrence déloyale dont elle est victime,

- condamner les intimés à leur frais, à imprimer et diffuser auprès de l'ensemble des points de vente des produits T. un panonceau

rectificatif d'un format minimum A4, police de caractère Arial Black Corps 30 portant le texte suivant : "Avis aux consommateurs, le produit appelé "T." est une bière brassée et embouteillée à JENLAIN dans le département du NORD (59) de la région NORD-PAS DE CALAIS. A ce titre, cette bière ne peut se prévaloir de l'intitulé ou de la qualité de produit corse",

- ordonner la publication de ce même texte dans les mêmes conditions d'insertion que les publicités des produits T. et l'envoi aux destinataires du courrier des établissements Y... du 7 août 2002 de la décision à intervenir,

- ordonner la saisie et la destruction des matériels de Publicité sur Lieu de Vente participant à la confusion quant à l'origine des produits T. et du parasitisme des produits P. ,

- la condamnation solidaire des intimés à lui payer la somme de 100.000 euros au titre du préjudice d'image, de 1 euro au titre du préjudice moral, de 200.000 euros au titre du préjudice économique et de 15.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 6 mars 2003 auxquelles il convient de ses référer, les sociétés S. et J. demandent :

- la confirmation du jugement sauf en ce qu'il n'a pas prononcé l'annulation de l'ordonnance prise le 1er août 2002, l'annulation de cette ordonnance et de tous actes subséquents,

- qu'il soit constaté que la bière P. ne rapporte pas la preuve d'une faute et qu'il n'existe ni parasitisme, ni prix prédateur,

- la condamnation de la SA P. à lui payer la somme de 100.000 euros pour procédure abusive et concurrence déloyale par dénigrement ainsi que 2.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 10 mars 2003 auxquelles il convient de se

référer, le G.I.E B. DE CORSE - A C. DI A BIERA sollicite la confirmation du jugement et la condamnation de la SA P. pour concurrence déloyale par dénigrement à lui payer la somme de 50.000 euros pour trouble commercial, 10.000 euros au titre du préjudice d'image et moral ainsi que 10.000 euros en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Elle sollicite, en outre, la publication de la décision à intervenir aux frais de la SA P. dans le quotidien La Corse et dans les mensuels professionnels que sont Boissons de France et la Feuille de Houblon et la condamnation de la SA P. à imprimer à ses frais et à diffuser auprès de l'ensemble des points de vente de la bière P. un panonceau d'un format A4, police de caractère Arial Black Corps 30 portant le texte de la décision à intervenir.

Par conclusions déposées le 11 mars 1983 auxquelles il convient de se référer, la SA BRASSERIE D. demande le débouté de la demande de la SA P. formée sur le fondement de l'article L 420-5 du code de commerce et expose que la SA P. ne démontre ni l'existence d'une faute qu'elle aurait commise, ni l'existence d'un préjudice, ni celle d'un lien de causalité.

Elle sollicite en outre reconventionnellement la somme de 10.000 euros au titre de l'article 32-1 du nouveau code de procédure civile et 4.000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. * * *

MOTIFS DE LA DECISION :

Sur l'ordonnance du 31 juillet 2002 :

Sur requête de la SA P. , le président du tribunal de commerce de

BASTIA a autorisé cette dernière, en application de l'article 145 du nouveau code de procédure civile, à faire procéder par huissier à un certain nombre de constatations et investigations.

L'article 145 du nouveau code de procédure civile dispose que : "s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête et en référé".

L'ordonnance prévoit la possibilité de référé en cas de difficultés. L'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de BASTIA a été prise sur la base de ce texte et n'a pas donné lieu à un référé-rétractation de la part de la société S. .

C'est à bon droit que le premier juge a écarté les griefs de la société S. . L'ordonnance du 31 juillet 2002 ne sera pas annulée. Sur la concurrence déloyale :

En application du principe de liberté du commerce et d'industrie issu des lois des 2 et 17 mars 1791, les entreprises sont libres de rivaliser entre elles afin de conquérir et de retenir la clientèle. Cependant, afin d'en limiter les excès et de sanctionner des moyens de lutte contraires aux usages, la doctrine et la jurisprudence, en l'absence de texte spécifique en droit français, ont appliqué les principes généraux de responsabilité civile, articles 1382 et 1383 du code civil.

Par conséquent, ainsi que l'a justement rappelé le premier juge, la société P. , demanderesse à l'action, doit rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

La société P. invoque à l'encontre de ses adversaires plusieurs fautes constitutives selon elle de concurrence déloyale. La tromperie

sur l'origine du produit créant une confusion dans l'esprit des consommateurs :

La société P. reproche essentiellement à la S. et au G.I.E B. DE CORSE d'avoir revendiqué une identité corse en faisant mention sur l'étiquetage de leurs bouteilles de la tête de maure puis de la tête de mouflon, d'un paysage typiquement corse à savoir une tour génoise, de la mention "Bière du maquis" à la myrte de CORSE et à l'arbouse de CORSE, de l'élaboration de cette bière par le G.I.E "A C. DI A BIERA" traduction corse de son nom. Elle estime également que la publicité sur cette bière T. en langue corse et en français comprend une revendication d'appartenance géographique : "le charme magique de notre île" de nature à faire croire au consommateur que cette bière est fabriquée en CORSE, ce qui n'est pas le cas. La SA P. reproche principalement aux intimés de revendiquer pour leur bière T. "une corsitude" dont elle peut seule se prévaloir puisqu'elle fut la première et qu'elle est la seule à brasser en CORSE à FURIANI une bière à partir d'un mélange de malt et de farine de châtaigne corse. Le décret du 31 mars 1992 portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits et de services ne porte aucun dispositif protecteur quant à l'origine géographique de la bière se contentant de définir la bière comme "la boisson obtenue par fermentation alcoolique d'un moût préparé à partir du malt de céréales, de matières premières issues de céréales, de sucres alimentaires et de houblon, de substances conférant de l'amertume provenant du houblon, d'eau potable".

Il n'existe pas d'appellation d'origine contrôlée pour la bière comme pour le vin ou d'autres produits alimentaires issus d'un terroir et le premier juge a justement rappelé que le fait d'être fabriqué dans un lieu ou un autre du territoire français n'apporte aucune

protection quant à l'origine de la bière qui demeure une boisson générique dont la dénomination correspond à un mode de fabrication précise du décret du 31 mars 1992, ci-dessus rappelé.

L'article 4 de ce décret permet simplement la dénomination "bière à ... " complétée par la nature végétale mise en oeuvre en précisant que cette appellation est réservée à "la bière aromatisée par macération de fruits, de légumes ou de plantes ou par addition de jus de fruits, de jus de légumes, de jus concentré de fruits, de jus concentrés de légumes, d'extraits végétaux".

Cet article 4 du décret du 31 mars 1992 permet par l'adjonction de produits végétaux de singulariser une bière qui n'est par nature qu'un produit banal. Des entreprises ont utilisé cette possibilité que leur donnait la loi pour donner un caractère régional dont les français sont si amateurs à leur bière, c'est le cas par exemple de la bière au genièvre ou de la bière aux noix du BERRY, la seule condition imposée par la direction de la concurrence et de la consommation est que le fruit provienne bien de la province citée.

Les intimés justifient, et cela n'est pas contesté par l'appelante, que la myrte et l'arbouse utilisées pour la fabrication de la T. proviennent de CORSE ainsi que le démontre la convention de fourniture passée entre la Société BRASSERIE DE CORSE et les sociétés "Les Vergers de Corse" et le "Comptoir du maquis" le 2 juillet 2002 ainsi que la facture produite.

Dès lors, par l'adjonction licite d'ingrédients d'origine corse dans une bière non brassée en CORSE, les intimés peuvent, en l'absence de toute Appellation d'Origine Contrôlée en matière de bière, légitimement revendiquer un rattachement à l'île.

Ainsi que le soutient le G.I.E B. DE CORSE pour s'y référer, le domaine de la bière n'étant pas réglementé en matière de provenance géographique, il convient de rechercher les usages commerciaux en la

matière.

Elle produit différents conditionnements de bière qui établissent par exemple que la bière Adelscott présentée comme une bière écossaise est brassée en ALSACE, la bière Foster's présentée comme australienne est brassée en BELGIQUE, la bière George Killian's présentée comme irlandaise est brassée en FRANCE, la bière La Gatine présentée comme une bière du GATINAIS est brassée en SEINE ET MARNE...

Le répertoire des brasseries et microbrasseries versé aux débats établit que plus d'une trentaine de bières commercialisées en FRANCE sont fabriquées par des tiers dans d'autres régions que celle dont l'appartenance est revendiquée par exemple : "Le Téméraire" (au marc de BOURGOGNE, ambrée au cassis) "La bête des Vosges", "La Touquettoise" "La Tolesa bière catare" "la Blonde ardéchoise"...

Au surplus, les intimés n'ont jamais prétendu que leur bière était brassée en CORSE. Contrairement à la bière P. qui porte la mention, au demeurant non protégée, de Bière Corse, l'étiquette de la bière T. indique sans ambigu'té qu'elle est brassée par la BRASSERIE D. à JENLAIN et qu'il s'agit d'une bière ambrée à la myrte de Corse ou blonde à l'arbouse de Corse. Il n'y a donc pas d'intention de tromper le consommateur dans la présentation de cette bière.

Par conséquent, l'étiquetage, le mode de fabrication et de distribution adoptés par le G.I.E sont conforme au décret du 31 mars 1992 et aux usages commerciaux en matière de bière et ne peuvent dont constituer un fait de concurrence déloyale.

La jurisprudence invoquée par la Société P. pour un whisky n'est pas transposable en l'espèce puisqu'elle est fondée sur la loi du 26 mars 1930 qui sanctionne le fabricant qui utilise pour ses produits un nom, un signe ou une indication de nature à faire croire s'ils sont étrangers qu'ils sont fabriqués en FRANCE et s'ils sont français qu'ils ont été fabriqués à l'étranger. Cette loi ne saurait

s'appliquer à des produits fabriqués dans telle ou telle région française.

Enfin, il est décisif de rappeler que le règlement communautaire du 14 juillet 1992 pris en application de l'article 28 CE interdit toute protection d'une origine géographique sur un produit agricole ou une denrée alimentaire sauf si ce label d'origine géographique a fait l'objet d'une décision d'enregistrement par la commission.

Dans un arrêt du 6 mars 2003, la C.J.C.E (Cour de Justice des Communautés Européennes) a condamné la FRANCE pour n'avoir pas mis fin à la dénomination "salaisons d'Auvergne" ainsi qu'aux labels régionaux "Savoie" "Franche Comté", "Corse", "Midi Pyrénées", "Normandie" etc...

Le label agricole "Corse" a été abrogé par un arrêté du Ministère de l'Agriculture du 12 août 2002.

Dès lors, c'est à bon droit que le premier juge a dit que si la Société P. est parvenue d'une manière innovante et créatrice à lancer un nouveau produit sur la région corse, elle ne peut prétendre interdire le marché à une bière concurrente avec une même identité régionale s'appuyant sur d'autres arômes au prétexte que sa fabrication s'est pas locale dès lors qu'il n'existe aucune protection légale en la matière. Et, au surplus, d'autant plus que la réglementation communautaire interdit toute protection d'origine sur les denrées alimentaires n'ayant pas fait l'objet d'une décision d'enregistrement. La marque déceptive :

La Société P. critique le dépôt de marque fait par le G.I.E B. DE CORSE et la S. à l'I.N.P.I le 05 avril 2002 : "T., bière du maquis" avec le dessin d'une tour génoise estimant ce dépôt contraire à la définition de l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle. Cet article dispose que "ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe (...) de nature à tromper le

public, notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service".

Cependant, la Société P. n'a jamais fait d'observations ou opposition à cette demande d'enregistrement dans le délai prévu par l'article L 712-3 du même code et si tant est que la marque "T., bière du maquis" soit irrégulière au regard de l'article L 711-3 du code de la propriété intellectuelle, elle n'en demande pas la nullité.

Dès lors son argumentation sur ce point est inopérante. Le parasitisme :

La Société P. s'estime victime de parasitisme de la part de la S. et du G.I.E B. DE CORSE, la diffusion et le slogan publicitaire "Bière du maquis" de la bière T. lui ayant été "emprunté" alors que depuis 1999 elle articule ses efforts autour de cette identité déclinée notamment par l'ensemble de ses supports commerciaux, publicitaires et en direction de la presse.

La Cour Suprême définit le parasitisme économique comme l'ensemble des comportements par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser de ses efforts.

S'il est vrai que comme la bière P. qui revendique une forte identité corse par la fabrication en CORSE de sa bière et la châtaigne et les arômes du maquis entrant dans sa composition, la bière T. fonde sa publicité sur le rattachement de sa bière à la CORSE par l'adjonction de fruits et baies typiquement corses dans sa composition.

Néanmoins, il a été analysé pus haut que ce rattachement géographique n'est pas protégeable en l'état et la SA P. ne démontre pas que la publicité et la présentation de la bière T. parasite ses propres publicités et présentation.

La Société P. estime que le slogan "Bière du maquis" lui a été emprunté alors que sa publicité est basée sur le concept de bière

corse et non de bière du maquis et que la bière Colomba ne comprend pas sur ses étiquettes le slogan "Bière du maquis" mais bière blanche aux arômes du maquis.

La SA P. n'a pas mis en avant dans sa communication le concept de bière du maquis mais celui de bière corse. Elle l'a fait notamment dans ses affiches où sous le slogan de bière corse sont présentés trois verres de bière P. , Colomba et Serena coiffées dans la partie supérieure du verre du foulard de la tête de maure corse. Les affiches du G.I.E sont nettement moins imaginatives puisque, de part et d'autre de son nom, de son slogan bière du maquis et d'une photographie de tour génoise sont présentés ses verres avec des photographies de feuilles de myrtes et d'arbouses. Il ne peut y avoir de confusion dans l'esprit du consommateur entre les slogans et la publicité de chacune de ces bières et il ne peut être reproché au G.I.E et à la S. d'avoir plagié ou imité la publicité de la Société P. tant leurs slogans et leurs affiches sont différents.

Il en est de même des éléments distinctifs de ces bières que sont les bouteilles, les verres et les sous-bocks. Les bouteilles de la bière P. sont hautes et fines avec une étiquette rectangulaire largement étalée sur la face de présentation de la bouteille alors que les bouteilles de la bière Torra sont plus trapues et moins hautes avec bière P. sont hautes et fines avec une étiquette rectangulaire largement étalée sur la face de présentation de la bouteille alors que les bouteilles de la bière Torra sont plus trapues et moins hautes avec une étiquette ronde et transparente pour partie laissant apparaître la couleur du liquide.

Les verres de la Société P. sont des verres à pied se refermant sur le haut portant le slogan Biera Corsa avec un plan de la CORSE sur lequel est dessiné un village corse. Les verres de la bière T. sont des bocks sans pied ni anse, évasés dans leur partie supérieure,

portant le slogan "bière du maquis" avec le dessin d'une tour génoise.

Enfin, si les sous-bocks en carton de la bière P. sont ronds avec le slogan "la bière corse, a biera corsa" et le dessin d'un village corse, ceux de la bière T. sont carrés avec le slogan bière du maquis et le dessin d'une tour génoise.

Enfin, les intimés ont déposé comme marque le slogan bière du maquis ce qui leur donne la protection prévue par le code de la propriété intellectuelle.

Il résulte de ces éléments que le G.I.E B. DE CORSE et la S. n'ont pas imité la communication et la publicité originale de la bière P. et qu'il ne peut lui être reproché de concurrence déloyale par parasitisme. La désorganisation du marché :

Pour prétendre que la SA BRASSERIE D. consent à la Société S. des prix excessivement bas qu'elle qualifie de prédateurs et qui désorganisent le marché, la Société P. s'appuie sur une analyse non contradictoire qu'elle a fait effectuer par Monsieur Z..., comptable du Cabinet Cofisys.

Cependant la Société P. ne saurait s'immiscer dans les rapports commerciaux qu'entretient la S. avec son fournisseur la BRASSERIE D. et ce moyen est inopérant dans la mesure où la concurrence déloyale par la pratique de prix anormalement bas s'entend des rapports entre vendeurs et consommateurs.

La prohibition de prix abusivement bas telle qu'énoncé par l'article L 420-5 du code de commerce vise les pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production. La Société P. ne démontre pas que la bière T. est vendue aux consommateurs à un prix abusivement bas de nature à désorganiser le marché.

La Société P. prétend, au vu de trois factures, que la S. fait bénéficier les détaillants commandant la bière T. de produits gratuits T. et Coca-Cola. Le procès-verbal de constat du 1er août 2002 de Maître LECA, huissier, et la sommation interpellative du même jour auxquels sont joints trois factures montrant que des cartons de T. et Coca-Cola ont été livrés gratuitement à trois clients différents, ne suffisent pas à démontrer l'existence d'une pratique généralisée de cadeaux. Ce moyen de désorganisation du marché n'est pas établi. La désorganisation de l'entreprise :

La SA P. prétend, au vu d'une attestation de Mademoiselle A..., salariée de la Société Agep, son conseil en communication que la S. a tenté de débaucher cette société en lui proposant un contrat économiquement plus favorable à la condition de cesser ses prestations pour la brasserie P. .

Cependant, il est constant qu'est fautif le fait de contacter avec un tiers déjà conventionnellement lié pour les mêmes causes à un concurrent en connaissance de cet engagement.

En l'espèce, il n'y a pas eu débauchage mais simple tentative qui n'est établie que par une attestation unique non corroborée par la direction de la Société Agep. Le dénigrement :

Le dénigrement constitutif de concurrence déloyale consiste à jeter publiquement le discrédit sur l'entreprise, la personnalité, les produits, les prix d'un concurrent.

La SA P. reproche à Monsieur Y... , co-fondateur du G.I.E B. DE CORSE d'avoir envoyé à ses clients une lettre circulaire les mettant en garde contre des procédés commerciaux déloyaux de la part de la Brasserie P. .

De leur côté, le G.I.E B. DE CORSE et la S. reprochent à Monsieur B..., dirigeant de la SA P. d'avoir, lors d'une interview à F.R.3 Corse fait de la publicité sur la présente procédure et souillé l'image de

la bière T. en la présentant comme une fausse bière corse.

La lettre critiquée par la SA P. émane des Etablissements Y... Boissons qui ne sont pas présents dans la procédure et non du G.I.E B. DE CORSE et elle a été envoyée aux clients desdits établissements. Dès lors, à partir d'un acte isolé n'émanant pas d'une partie au procès, la Société P. est mal fondée à invoquer un dénigrement à son encontre.

Au cours du journal télévisé de F.R.3 Corse, Monsieur C... , dirigeant de la S. et du G.I.E B. DE CORSE a également été interviewé et a pu répondre aux dires de Monsieur B... interviewé dans le même journal.

Ce reportage réalisé le 29 août 2002, peu après l'introduction de la procédure devant le tribunal de commerce de BASTIA a présenté de manière contradictoire le litige, les parties au procès et les bières en question.

En acceptant de participer à ce reportage et de dévoiler devant le public de F.R.3 Corse les arguments développés plus tard devant le tribunal de commerce puis la Cour d'Appel, les dirigeants de la S. et du G.I.E ne peuvent se plaindre de la publicité faite autour de ce procès par la Société P. et, partant, de dénigrement.

Au surplus, cette procédure a fait l'objet de plusieurs articles dans la presse écrite notamment dans un supplément du journal l'Express de l'été 2003 qui ne sont que l'expression de la liberté de la presse et de l'intérêt des médias pour la Corse.

Par conséquent, les griefs de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale articulés de part et d'autre ne sont pas fondés. Sur le préjudice :

Pour démontrer l'existence de son préjudice économique, la SA P. verse aux débats une analyse de Monsieur D... , Cabinet comptable Cofisys, qui à partir des résultats supposés de la bière T., prétend que ceux-ci constituent un manque à gagner pour la bière P. alors que

seuls les documents comptables de la SA P. établissant une baisse de son chiffre d'affaires en 2002, année d'apparition sur le marché de la bière T., seraient de nature à établir la réalité du préjudice économique qu'elle invoque.

La SA P. prétend également sans apporter le moindre élément de preuve que du fait du parasitisme auquel se sont livrés la S. et le G.I.E, ils ont économisé des charges considérables. Il a été analysé plus haut que le parasitisme n'est pas établi et les sociétés intimés établissent par les affiches et documents publicitaires produits qu'elles ont du investir pour faire connaître leur bière T. en CORSE. Enfin, en l'absence de dénigrement établi, les préjudices d'image et moral invoqués par la SA P. ne sont pas davantage démontrés, la Société P. , dont la réussite est citée en exemple, et dont les bières sont emblématiques de l'identité corse n'a pas vu son image ternie par la présente procédure, son dirigeant ayant, en parfaite connaissance de cause, accepté la médiatisation de celle-ci.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'aucun fait de concurrence déloyale constitutif de faute n'est établi à l'encontre des sociétés intimées et qu'aucun préjudice corrélatif à cette prétendue faute n'est démontré et que par ailleurs, le grief de dénigrement invoqué à l'encontre de la Société P. n'est pas davantage établi.

La concurrence entre la bière P. et la bière T. s'inscrit dans une rivalité saine pour capter une clientèle locale et nationale et dont le goût pour la châtaigne et les herbes du maquis d'une part, l'arbouse ou la myrte d'autre part, sera finalement le seul arbitre. Ce litige a été suffisamment médiatisé sans qu'il soit nécessaire de lui donner une publicité complémentaire par la publication de la présente décision. Les demandes reconventionnelles sur ce point

seront rejetées.

Il y a lieu de fixer à la somme de 2.000 euros le montant des frais non compris dans les dépens que la Société P. devra équitablement régler à la Société S. et J. d'une part, au G.I.E B. DE CORSE d'autre part et à la SA BRASSERIE D. en troisième part. * * * PAR CES MOTIFS, LA COUR :

Rejette l'incident de procédure,

Rejette la demande en annulation de l'ordonnance du 31 juillet 2002, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

B... ajoutant,

Rejette toutes les demandes complémentaires et reconventionnelles,

Condamne la SA P. à payer à la société BRASSERIE D. la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la SA P. à payer au G.I.E B. DE CORSE la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la SA P. à payer à la SA J. et la SA S. la somme de DEUX MILLE EUROS (2.000 euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la SA P. aux dépens.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT, FEUILLE DE SUIVI APRES ARRET 02/00805 Confirmation arrêt du VINGT TROIS SEPTEMBRE DEUX MILLE TROIS

S.A. P. Rep/assistant : la SCP R. JOBIN ET PH. JOBIN (avoués à la Cour) Rep/assistant : Me Anne-Marie GIORGI (avocat au barreau de BASTIA) Rep/assistant : Me Yann STREIFF (avocat au barreau de PARIS) C/ Société par Actions BRASSERIE D. Rep/assistant : Me Antoine-Paul ALBERTINI (avoué à la Cour) Rep/assistant : la SCP FIDAL (avocats au barreau de VALENCIENNES) Rep/assistant : Me Jean-Marie PERES (avocat

au barreau de BASTIA) S.A. S. Rep/assistant : Me Antoine CANARELLI (avoué à la Cour) Rep/assistant : la SCP TOMASI-SANTINI-GIOVANNANGELI-VACCAREZZA-DONATI (avocats au barreau de BASTIA) Groupement d'Intérêt B. DE CORSE (A C. DI A BIERA) Rep/assistant : Me Antoine-Paul ALBERTINI (avoué à la Cour) Rep/assistant : Me Antoine SOLLACARO (avocat au barreau d'AJACCIO) S.A. J. Rep/assistant : Me Antoine CANARELLI (avoué à la Cour) Rep/assistant : la SCP TOMASI-SANTINI-GIOVANNANGELI-VACCAREZZA-DONATI (avocats au barreau de BASTIA) DOSSIERS AVOUES MANQUANTS :

NON RENDRE LES DOSSIERS AUX AVOUES DOSSIERS RENDUS LE NOMBRE DE PHOTOCOPIES :12


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Bastia
Numéro d'arrêt : 02/00805
Date de la décision : 23/09/2003
Sens de l'arrêt : Autre

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2003-09-23;02.00805 ?
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