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18/01/2021 | FRANCE | N°18/00798

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 18 janvier 2021, 18/00798


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE


1ère CHAMBRE CIVILE


ARRÊT No 27 DU 18 JANVIER 2021




No RG 18/00798 - CF/EK
(Jonction avec le dossier RG : 18/00800)
No Portalis DBV7-V-B7C-C7C7


Décision déférée à la cour : jugement au fond, origine tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, décision attaquée en date du 01 février 2018, enregistrée sous le no15/01006


APPELANTE :


L'association Mouvement International pour
les reparations dit ( M.I.R.)
Association régie par la loi du 1er juillet 1901, ayant son siège

social
[...]
[...]


Représentée par Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, (TOQUE 96) avocat postulant au barreau de la Guadeloup...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRÊT No 27 DU 18 JANVIER 2021

No RG 18/00798 - CF/EK
(Jonction avec le dossier RG : 18/00800)
No Portalis DBV7-V-B7C-C7C7

Décision déférée à la cour : jugement au fond, origine tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre, décision attaquée en date du 01 février 2018, enregistrée sous le no15/01006

APPELANTE :

L'association Mouvement International pour
les reparations dit ( M.I.R.)
Association régie par la loi du 1er juillet 1901, ayant son siège social
[...]
[...]

Représentée par Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, (TOQUE 96) avocat postulant au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy et ayant pour avocats plaidants à l'audience
Me Georges-Emmanuel GERMANY, avocat au barreau de Fort-de-France, Me Harry DURIMEL, Me Sarah ARISTIDE, Me Evita CHEVRY, et Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, avocats au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy

APPELANTS : (dossier RG : 18/800)

M. P... YS... SO...
[...]
[...]
Mme AE... DS...
[...]
[...]
Mme H... F...
[...]
[...]
Mme L... T...
[...]
[...]
Mme E... N... X...
[...]
[...]
L'association le Comité International des Peuples Noirs
[...]
[...]
Représentés tous par Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, (TOQUE 96) avocat postulant au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy et ayant pour avocats plaidants à l'audience
Me Georges-Emmanuel GERMANY, avocat au barreau de Fort-de-France, Me Harry DURIMEL, Me Sarah ARISTIDE, Me Evita CHEVRY, et Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, avocats au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy

INTIMÉS : (dossier 18/00798 et 18/00800)

Monsieur Le Préfet de la Région Guadeloupe
[...]
[...]
L'Agent Judiciaire de l'État
[...]
[...]

Représentés tous deux par Me Jean-michel GOUT, (TOQUE 70) avocat au au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy et avocat plaidant à l'audience Me Alexandre DE JORNA, avocat au barreau de Paris

Monsieur W... G...
[...]
[...]
Monsieur A... K...
[...]
[...]
Madame V... I...
[...]
[...]
Madame V... K...
[...]
[...]
L'Association le Comité Internationnal des Pleuples Noirs
Représentée par sa présidente Madame Jacqueline JACQUERAY
[...]
[...]

Représentés tous par Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, (TOQUE 96) avocat postulant au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy et ayant pour avocats plaidants à l'audience
Me Georges-Emmanuel GERMANY, avocat au barreau de Fort-de-France, Me Harry DURIMEL, Me Sarah ARISTIDE, Me Evita CHEVRY, et Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, avocats au barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 novembre 2020, en audience publique, devant la cour composée en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile de Mme Claudine FOURCADE, présidente de chambre, magistrate chargée du rapport, en présence de Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère, ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré, composé de :

Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre,
Madame Valerie MARIE-GABRIELLE, conseillère,
Madame Christine DEFOY, conseillère,
qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 18 janvier 2021.

GREFFIER :

Lors des débats : Mme Esther KLOCK, greffière

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Signé par Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre, et par Mme Esther KLOCK, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE

Par ordonnance royale de Louis XIV ou Édit royal de mars 1685 touchant la police des îles de l'Amérique française, dit code noir, a été entérinée et réglementée la pratique de l'esclavage dans les îles françaises d'Amérique.

Suivant décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794), la Convention nationale a aboli l'esclavage, dans toutes les colonies, puis ce dernier a été rétabli par décret du Corps législatif proclamé loi par le premier consul le 30 floréal an X (20 mai 1802).

L'introduction d'esclaves "Noirs de traite soit française, soit étrangère" a été prohibée dans les colonies par ordonnance du 8 janvier 1817.

La loi du 15 avril 1818, Louis XVIII a interdit la traite négrière dans les "pays soumis à la domination française". La sanction de l'infraction de délit a été convertie en crime par la loi du 25 avril 1827.

Le gouvernement provisoire de la République française a, par décret du 27 avril 1848, définitivement aboli l'esclavage.

En Guadeloupe, l'abolition a effectivement été proclamée par le gouverneur de la Guadeloupe le 27 mai 1848.

La loi no 2001-434 du 21 mai 2001 a reconnu la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité.

*****

Instance inscrite au répertoire général de la cour sous le numéro 18/00798

Suivant acte d'huissier en date des 5 et 6 mai 2015, W... G..., V... K..., A... K... et V... I... ont assigné le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT devant le tribunal de grande instance de Pointe à Pitre en organisation d'une mesure d'instruction, création d'une fondation et indemnisation des dommages résultant de la traite négrière et de l'esclavage.

Les 13 mai, 4 et 7 juillet 2017, l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS (CIPN), O... J... et l'association MOUVEMENT INTERNATIONAL POUR LES REPARATIONS GUADELOUPE (MIR-GUADELOUPE) sont intervenues volontairement à l'instance.

Par jugement contradictoire en date du 1er février 2018, le tribunal de grande instance de Pointe à Pitre a :
- déclaré recevables les interventions volontaires de l'association CIPN, O... J..., et de l'association MIR GUADELOUPE,

- déclaré irrecevables comme étant prescrites l'ensemble des demandes d'W... G..., V... K..., A... K..., V... I..., O... J... et des associations MIR GUADELOUPE et CIPN,
- dit n'y avoir lieu à indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à assortir la présente décision de l'exécution provisoire,
- rejeté les autres demandes,
- condamné in solidum W... G..., V... K..., A... K..., V... I..., O... J... et des associations MIR GUADELOUPE et CIPN aux dépens, en accordant à Jean-Michel GOUT, avocat, le droit de recouvrer directement les dépens pour ceux dont il a fait avance sans en avoir reçu provision.

Le 18 juin 2018, l'association MIR a interjeté appel de cette décision.

Le 19 juillet 2018, le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT ont constitué avocat.

Le 21 février 2019, W... G..., V... K..., A... K..., V... I... et l'association CIPN ont constitué avocat.

Par mémoire déposé le 16 avril 2019, W... G..., V... K..., A... K..., V... I..., l'association MIR GUADELOUPE et l'association CIPN ont sollicité la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel.

Selon mémoire du 14 octobre 2019, le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT ont conclu au rejet de la demande.

L'ordonnance de clôture, qui est intervenue le 16 octobre 2019 a fixé l'audience de plaidoiries le 6 janvier 2020, date à laquelle l'affaire a été successivement renvoyée, d'abord en raison d'un mouvement national de grève des avocats, puis de la crise sanitaire les 6 avril 2020 et enfin le 9 novembre 2020.

Le 3 novembre 2019, le ministère public a fait valoir que la question préjudicielle de constitutionnalité n'est pas nouvelle et ne présente aucun caractère sérieux et dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel.

Le 9 novembre 2020, à l'issue des plaidoiries, l'affaire a été mise en délibéré jusqu'au 18 janvier 2021 pour son prononcé par mise à disposition au greffe.

PRETENTIONS ET MOYENS

- LES APPELANTS:

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 16 avril 2019 par W... G..., V... K..., A... K..., V... I..., l'association MIR GUADELOUPE et l'association CIPN demandent à la cour de :

- ordonner la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité et le sursis à statuer en attendant la réponse de la Cour de cassation ou du Conseil constitutionnel,

* infirmer le jugement querellé,
- constater le caractère légal de la reconnaissance de la responsabilité de l'Etat français dans la commission des deux crimes de la traite et de l'esclavage et l'existence d'un devoir de mémoire quant aux deux crimes reconnus comme crime contre l'humanité,
- dire que l'Etat français ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant celle de sujets particuliers qui ont commis le crime grâce à la puissance publique,
- dire le principe de réparation matériel et moral consubstantiel à la réalité constatée du crime,
- ordonner une expertise et pour ce faire la constitution d'un premier collège d'experts qui pourront s'adjoindre des membres qui constitueront un second collège d'expert en charge de l'expertise des dommages résultant de la commission des deux crimes,
- désigner les membres faisant partie du premier collège d'expert, soient les personnes suivantes : C.L.A ET... auteur "the Black Jacobins", LE... SA..., BU... YY... écrivain haïtien, SQ... JQ..., RA... SA... universitaire, S... BU... avocat; NW... XB...,journalist, LS... AS..., économiste, IF... TY... homme d'affaires et musicien Jamaïcain, JM... JA..., écrivain, HH... EN... économiste, GD... TA..., professeur de droit, OI... HG... philosophe, HU... AF..., historien, XU... YI..., écrivain americain, WU... BP..., IQ... PS..., M SC..., FU... BB..., historien, JM NK..., P.A KR... sociologue, VM... EK..., philosophe, EW... EF..., avocate, SZ... MT..., universitaire, BW... KQ..., écrivain trinidadien, XG... TR..., artiste, EW... OT..., philosophe, YL... MM..., auteur, VF... FJ..., auteur South Africa, HY... SA... universitaire, MB... RR..., universitaire, ZB... universitaire EHESS, SV... GK..., écrivain, AN..., YG... YU..., DT...; HR... AM... universitaire, GM... VO... écrivain, PS... KY... sociologue, VK... O..., SF... AI...; QP... WZ..., écrivain, TW... BY... avocat, XD... SJ... historienne, J.XI...,sociologue, LD... XY..., RX... FX... , BE... TP..., UG... HA..., XO... TD... philosophe, QQ... PU..., philosophe, KE... SR..., JY... BI..., ancien rapporteur de l'ONU sur les discriminations raciales, BS... TH..., juriste, président de la commission droit intemational de l'Union africaine, QK... ZX..., historien à Science Po, UU... PX..., historienne, présidents du Comité pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage, CX... OL..., philosophe, médaille d'or de l'UNESCO, OX... SX..., économistes, OZ... ZH..., président du Syndicat de la Magistrature, KP... RH... , historienne, B... SC..., historien.
- dire que la mission de ce premier collège d'experts, qui pourra s'attacher tout sachant, sera de :
• proposer des experts qui seront chargés de la détermination et l'évaluation des préjudices qui ont résulté de la commission des deux crimes avec notamment la constitution d'un groupe d'experts à désigner chargé de l'ingénierie financière de la fondation à constituer et de la gestion des fonds ainsi que de la détermination des moyens financiers, logistiques et économiques dont aura besoin le collège d'experts et la durée approximative de sa mission,
• faire l'évaluation du dit préjudice, de réfléchir aux modalités des réparations à mettre en place et de fixer le montant de la réparation à laquelle l'Etat français pourra être tenu,

- dire que le collège d'experts devra remettre un pré-rapport dans le délai d'un an et son rapport final dans celui de 5 ans,
- dire que l'Etat français à travers l'agent judiciaire de l'Etat sera condamné à financer l'expertise en payant une somme de 15 millions d'euros qui permettra au collège de fonctionner pendant toute la durée de son expertise,
- dire que ces fonds seront gérés par une commission ad hoc à constituer et comprenant au moins deux experts comptables, deux économistes et deux experts financiers, ainsi qu'un représentant des associations ayant en objet la poursuite des reparations issues du crime d'esclavage et de la traite,
- dire que l'Etat français devra financer la constitution d'une fondation pour la réparation dont les experts du premier collège feront partie nécessairement de l'organe délibérant, fondation dont il conviendra de définir les actions dans tous les domaines (avec une priorité à celui relevant du devoir de mémoire et du travail idéologique pour le rétablissement de l'image du noir dans la société contemporaine) où un travail de réparation pourra être requis, fondation qui se verra allouer par l'Etat une première dotation de 20 millions d'euros pour une première période de 3 ans,
- condamner en conséquence l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à payer une somme de 20 millions d'euros au bénéfice de la fondation à constituer,
- condamner l'Etat français représenté par l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à payer à payer une première provision sur le montant de la réparation de 20 milliards d'euros, somme qui devra être versée à un organe spécifique, sous la forme d'une société d'économie mixte à constituer entre les différentes collectivités publiques représentant les territoires d'outre mer où le système de l'esclavage a été mis en place, organe qui aura pour mission d'appliquer, sous le contrôle du second collège d‘experts les directives reçues de ce dernier sur les différents programmes de réparation élaborés par ce collège et leur modalité d'application,
- condamner l'Etat français à travers l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à assumer la charge du rapatriement des descendants de déportés qui souhaitent faire retour en Afrique et de leurs frais de réinstallation,
- condamner en conséquence l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à payer à chacun des requérants qui souhaite voir réparer son préjudice personnel et individuel sous cette forme de réparation, la somme forfaitaire de 120 000 euros,
- condamner l'Etat français à travers l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à payer à chacun des requérants individuel la somme de 50 000 euros à titre provisionnel,
- condamner l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à payer aux requérants la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP EZELIN DIONE,

- LES INTIMES:

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 12 octobre 2018 par lesquelles le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT sollicitent de voir :
• confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré rendu le 01 février 2018 par le tribunal de grande instance de Pointe à Pitre,

• débouter W... G..., V... K..., A... K..., V... I... , O... J..., l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS (CIPN) et l'association MOUVEMENT INTERNATIONAL POUR LES REPARATIONS GUADELOUPE de toutes leurs demandes, fins moyens et conclusions,
• Les condamner conjointement et solidairement, ou à défaut in solidum, à verser à l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT une indemnité de 10 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre aux dépens de l'instance dont distraction est requise au profit de Jean-Michel GOUT, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Instance inscrite au répertoire général de la cour sous le numéro 18/00800

Suivant acte d'huissier en date du 6 mai 2015, P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T... et E... X... ont assigné l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre en organisation d'une mesure d'instruction, création d'une fondation et indemnisation des dommages résultant de la traite négrière et de l'esclavage.

Le 12 novembre 2015, l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS (CIPN), est intervenue volontairement à l'instance.

Par jugement contradictoire en date du 7 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Basse-Terre a :
- constaté l'intervention volontaire du COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS à la procédure,
- dit que le COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS justifie de sa qualité et de son intérêt à agir à l'encontre de l'Etat Français,
- déclaré irrecevable l'action engagée par P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T... et E... X... à l'encontre de l'Etat français en réparation des dommages résultant de la traite négrière et de l'esclavage,
- rejeté comme prescrite l'action du COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS en réparation des dommages résultant de la traite négrière et de l'esclavage,
- débouté l'Etat Français de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens de la présente instance seront mis à la charge de P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T..., E... X... et du COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS.

Le 19 juin 2018, P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T..., E... X... et l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS ont interjeté appel de cette décision.

Le 19 juillet 2018, le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT ont constitué avocat.

Par mémoire déposé le 16 avril 2019, P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T..., E... X... et l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS ont sollicité la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation en vue de sa transmission au Conseil constitutionnel.

Selon mémoire du 14 octobre 2019, le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT ont conclu au rejet de la demande.

L'ordonnance de clôture, qui est intervenue le 16 octobre 2019 a fixé l'audience de plaidoiries le 6 janvier 2020, date à laquelle l'affaire a été successivement renvoyée, d'abord en raison d'un mouvement national de grève des avocats, puis de la crise sanitaire le 6 avril 2020 et enfin le 9 novembre 2020.

Le 15 janvier 2020, le ministère public a fait valoir que la question préjudicielle de constitutionnalité n'est pas nouvelle et ne présente aucun caractère sérieux et dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel.

Le 9 novembre 2020, à l'issue des plaidoiries, l'affaire a été mise en délibéré jusqu'au 18 janvier 2021 pour son prononcé par mise à disposition au greffe.

PRETENTIONS ET MOYENS

- LES APPELANTS:

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 16 avril 2019 par P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T..., E... X... et l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS,

- LES INTIMES:

Vu les dernières conclusions remises au greffe le 12 octobre 2018 par le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT,

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la jonction

Attendu qu'en application de l'article 367 du code de procédure civile, le juge peut, à la demande des parties ou d'office, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s'il existe entre les litiges un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble ;

Qu'en l'espèce, s'agissant des deux instances toutes deux dirigées contre le PREFET DE LA REGION GUADELOUPE et l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT, et tendant aux même fins, il est de l'intérêt d'une bonne justice de les faire juger ensemble ;

Que dès lors, l'affaire inscrite au répertoire général de la juridiction sous le numéro 18/0800 sera jointe à celle portant le numéro 18/0798 ;

Sur le droit à agir

Attendu qu'en vertu de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé ;

Que les appelants, personnes physiques invoquent être tous descendants des déportés réduits en esclavage et avoir ainsi subi de ce fait tant en qualité d'ayants-droit qu'à titre personnel un préjudice dont ils demandent réparation ;

Que les intimés soutiennent qu'en ce qui concerne les personnes physiques appelantes, alors qu'en premier lieu, il n'est pas démontré que près de deux siècles après l'abolition définitive de l'esclavage, un dommage personnel se rattache de façon directe et certaine aux crimes subis par leurs ancêtres et en second lieu que la reconnaissance de leurs droits qui renaîtrait alors à chaque génération, aurait ainsi pour effet d'assurer l'imprescriptibilité de ses effets dans le temps, les photocopies des cartes d'identité et d' arbres généalogiques ne justifient pas d'une généalogie incontestable de leur qualité de descendants d'esclaves ;

Que d'une part, l'intérêt à agir n'est pas subordonné à la démonstration préalable du bien fondé de l'action et que l'existence du droit invoqué n'est pas une condition de recevabilité de l'action mais de son succès ;

Que d'autre part, s'agissant de la démonstration revendiquée par les intimés, si un registre relatif aux "personnes non libres" a été instauré par l'ordonnance royale du 4 août 1833, ledit registre ne comportait que des informations succinctes relatives à la date de l'acte, le nom de la personne et celui du propriétaire ; que ce n'est qu'à compter de l'abolition de l'esclavage, le 27 mai 1848, qu'ont été ouverts dans chaque commune des registres d'état civil, l'enregistrement des actes s'étant ensuite réalisé de manière complète pendant de longues années ;

Qu'en l'espèce, il sera relevé néanmoins que concernant W... G... et V... I..., est versé aux débats, outre la photocopie de leur passeport établissant une naissance aux Antilles (Pointe à Pitre), un arbre généalogique de leurs ascendants mentionnant leurs noms et dates de naissance, outre pour V... I... le numéro matricule, et remontant jusqu'à ceux ayant vécu avant l'abolition de l'esclavage ; que les éléments détaillés de ces généalogies ne sont pas critiqués par l'Etat ; que dès lors, il est justifié à leurs égards de la recevabilité de l'action ; qu'en revanche, V... K..., A... K..., P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T... et E... X... ne communiquent ni une pièce d'identité, ni acte d'état civil ou encore le moindre arbre généalogique de leurs auteurs ; que dès lors c'est à bon droit que les premiers juges, dont la décision sera à ce titre confirmée, les ont déclarés irrecevables en leur action ;

Sur la question prioritaire de constitutionnalité

- sur la procédure

Attendu qu'en application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé;

Qu'en application de l'article 23-1 de l'ordonnance no58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé; que devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis ;

Qu'en l'espèce, dans la motivation de leur mémoire, les appelants posent la question suivante: "La définition/détermination juridique de la loi TAUBIRA comme texte législatif sans portée normative porte-elle atteinte aux droits et libertés garanti par la constitution française du 4 octobre 1958 notamment :
- au droit au respect de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir législatif, l'autorité judiciaire et à la répartition des compétences qui donne au seul Conseil constitutionnel le pouvoir de déclarer, après contrôle juridictionnel, la constitutionnalité des lois,
- au principe constitutionnel d'un droit intangible d'accès à un juge, en particulier au juge de la constitutionnalité de la loi tel que ce dernier l'a fixé dans sa jurisprudence Decision no 99-416 DC du 23 juillet 1999 rendue sur la Loi portant création d'une couverture maladie universelle § 34."

Que dans le dispositif de leur mémoire, ils demandent de "Prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur la fixation par la jurisprudence consolidée de la Cour de cassation du statut de la loi TAUBIRA comme loi mémorielle privée de portée normative pour :
- violation de l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et de l'article 1, 61 .69 de la Constitution,
- atteinte aux principes constitutionnels de l'accès à un juge,
(notamment au juge constitutionnel et en cas de négationisme),
- atteinte des droits de la victime à voir réparer son préjudice, à la garantie par les juges de ces droits,
- atteinte au principe de l'égalité de tous devant la loi et au principe de non-discrimination,
- atteinte au principe général qu'une loi a par définition une portée normative.".

Qu'en réplique, les intimés soutiennent d'une part qu'il n'existe pas de droit à transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité et que d'autre part la Cour de cassation a déjà relevé que la question ne présente pas de caractère sérieux ;

Que la présente affaire a été communiquée au ministère public lequel a fait valoir que la question préjudicielle de constitutionnalité n'est pas nouvelle, ne présente aucun caractère sérieux et dit n'y avoir lieu à renvoi au Conseil constitutionnel ;

- sur le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par l'interprétation de la Cour de cassation de loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité,

- sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution :

Attendu qu'en l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 16 avril 2019 dans un écrit distinct des conclusions des appelants, et motivé ; qu'il est donc recevable ;

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

Attendu que l'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:
1o La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2o Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3o La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Qu'en l'espèce, la disposition contestée est applicable au litige et à la procédure, étant invoquée au soutien d'une action en réparation fondée sur les dispositions de ladite loi ; qu'elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

Qu' il résulte du libellé de la question posée que ce n'est pas tant la constitutionnalité de la loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité qui est contestée, que l'interprétation supposée par la Cour de cassation ;

Que si cependant, en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de "la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante" confère à la disposition qu'il conteste, ce droit demeure inscrit dans l'appréciation du caractère sérieux de la question posée, principe posée par l'article 23-2 susvisé;

Qu'aux termes de sa décision du 28 février 2012 (no2012 DC §6 ), le Conseil constitutionnel a, lui-même, édicté que la disposition législative ayant pour objet de « reconnaître » un tel crime ne saurait, en elle-même, être revêtue de la portée normative qui s'attache à la loi ; que la loi no 2001-434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, qui n'édicte aucune sanction ou réglementation mais un principe de réparation mémorielle de lutte contre l'oubli, n'a pas vocation à énoncer des règles; que dès lors, la question posée portant sur ladite loi sans portée normative et sans restriction au droit d'accès au juge et ce faisant son interprétation ne présente pas un caractère sérieux ;

Qu'il n'y a donc pas lieu de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité ;

Sur la prescription

Attendu qu'aux termes de l'article 1382 du code civil, devenu article 1240 du code civil, article initial créé par la loi du 9 février 1804 promulguée le 19 février 1804, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer;

Que sur le fondement de l'article susvisé, les demandeurs, qui s'appuient sur les principes généraux du droit international sur les crimes contre l'humanité et particulièrement de la loi no 2001- 434 du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, exercent, devant la juridiction civile, une action en responsabilité à l'encontre de l'Etat français en raison des préjudices moraux, psychologique, d'angoisse et économique subis du fait de la traite négrière transatlantique et de l'esclavage qu'ils ont recueillis dans l'héritage de leurs ancêtres ;

Que les faits, tels qu'ils sont dénoncés, ont donc été commis antérieurement au 27 mai 1848, date de proclamation à la Guadeloupe du décret du 27 avril 1848 ayant définitivement aboli l'esclavage dans les "colonies et possessions françaises";

Que l'Etat oppose la prescription de l'action, aux visas de l'article 1er de la loi no68-1250 du 31 décembre 1968 selon lesquelles les créances sur l'Etat sont soumis à la prescription quadriennale et de celui afférent à l'engagement de la responsabilité civile fondée sur l'article 1382 du code civil ancien ;

Attendu qu'aux termes l'article 2262 du code civil ancien, créé par la loi du 15 mars 1804 promulguée le 25 mars 1804, toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ;

Que s'agissant de la responsabilité extracontractuelle de l'article 1382 du code civil ancien, sous l'empire de l'ancien article 2270-1 du code civil, la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance;

Que l'impossibilité d'agir constitue une cause de suspension de la prescription; qu'il incombe à celui qui invoque une telle impossibilité de la démontrer ;

Attendu que les demandeurs font valoir que la loi no 2001-434 du 21 mai 2001, qui reconnaît rétroactivement l'illicéité des faits d'esclavage en les qualifiant de crime contre l'humanité mais ne permet pas leur indemnisation, porte atteinte aux principes généraux du droit international sur les crimes contre l'humanité, de même qu'au principe constitutionnel de répression des faits d'esclavage et de responsabilité, à celui de dignité prévus par les articles 1er,4, 6 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et au principe de non-rétroactivité de la loi, principes qui ne sauraient être admis au bénéfice d'auteurs de crime contre l'humanité ; que la reconnaissance légale des faits définis par la loi no64-1326 du 26 décembre 1964 et la loi no 2001-434 du 21 mai 2001 déclarés par nature imprescriptibles et les articles 213-4 et 213-5 écarte le jeu de la prescription; qu'enfin, les conséquences de l'état de leurs ancêtres sur leurs situations actuelles n'ont été révélés qu'à l'occasion d'un colloque sur l'esclavage le 28 octobre 2016 ;

Attendu qu'en l'espèce, il est constant que le fait de déportations et réductions en esclavage de populations africaines dans les possessions françaises et particulièrement dans l'île de la Guadeloupe - dont il est demandé réparation, a été non seulement avalisé mais réglementé par l'Édit royal de mars 1685 et que ce crime n'a cessé sur le territoire guadeloupéen qu'à la proclamation de l'abolition de l'esclavage le 27 mai 1848 ; que le fait dommageable ainsi avéré - lequel n'est au demeurant pas discuté - en ce qu'il est rattachable directement à l'action de l'Etat - ce qui n'est également pas contesté - est en l'espèce établi jusqu'à cette dernière date ;

Que si du fait de l'abolition, les victimes du crime ont recouvré une pleine capacité théorique d'action en justice, il ne peut être légitimement considéré que celles-ci, dont certaines ont été dépourvues par la suite et pendant de longues années d'un état civil enregistré, ont pu avoir immédiatement conscience de leur droit d'agir en justice à l'encontre de l'Etat et surtout qu'ils avaient la possibilité matérielle et morale de l'exercer devant une juridiction de ce même Etat ce d'autant que dans le même temps, ce dernier organisait juridiquement l'indemnisation des coupables du crime ; qu'ainsi, pour les juristes du XIXème siècle, la restauration des droits des victimes du crime ne comportait pas, voire excluait, tout droit d'agir en réparation ; qu' il faudra en effet attendre le milieu du XXème siècle et la résolution des Nations Unies du 13 février 1946 définissant le crime contre l'humanité comme "la violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d'un individu ou d'un groupe d'individus inspirée par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux" pour que l'existence du crime contre l'humanité soit admis par les juristes et qu'il intègre ensuite l'ordre juridique français, par la loi no 64-1326 du 26 décembre 1964, qui en a constaté son imprescriptibilité ; que dès lors, quand bien même les faits dommageables de traite et d'esclavage ont été commis antérieurement au 27 mai 1848, ce n'est qu'à la suite de cette consécration nationale de l'imprescriptibilité du crime contre l'humanité, qui ratifiait ainsi à l'égard de toute personne humaine les dispositions de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen adoptée le 26 août 1789 visée dans le préambule de la constitution française du 4 octobre 1958, que l'impossibilité à agir des victimes de telles atteintes à la vie et à la dignité humaine ou leurs ayants-droit, a cessé;

Qu'au regard de cette catégorie juridique préexistante, la loi no 2001-434 du 21 mai 2001, qui selon son auteur avait pour but "de poursuivre et d'amplifier ce mouvement de développement des lieux de mémoire, permettant ainsi aux descendants des victimes de la traite négrière d'affronter plus sereinement leur passé" et qui organise culturellement l'oeuvre de mémoire et sa commémoration, n'a donc pas eu pour effet de repousser le point de départ du délai de prescription de l'action civile ou depuis la cessation de l'empêchement, de faire renaître une action en réparation ;

Que par ailleurs, aucune norme de droit international ne déroge sur le plan pénal au principe de non rétroactivité des lois ; que dans le cadre de la législation nationale, le principe de légalité des infractions et de la loi pénale plus sévère, énoncés par les articles 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, 7-1 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, 15-1 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, 111-3 et 112-1 du Code Pénal, font obstacle à ce que les articles 211-1 à 212-3 de ce code réprimant les crimes contre l'humanité s'appliquent aux faits commis avant la date de leur entrée en vigueur, le 1er mars 1994 ; que le débat sur une inconstitutionnalité de l'incrimination et de ses effets est ici sans incidence sur l'appréciation de la suspension de l'action actuelle sur le plan civil ;

Que dès lors, le colloque sur l'esclavage le 28 octobre 2016, à l'occasion duquel les descendants des victimes soutiennent avoir pu mesurer "les conséquences de l'état de leurs ancêtres sur leurs situations actuelles" est sans effet procédural sur leur action introduite devant la juridiction civile par actes des 5 et 6 mai 2015, pour les personnes physiques et 12 novembre 2015 et 7 juillet 2017 pour les associations, alors que plus de cinquante ans ont couru depuis le 26 décembre 1964, date mettant fin à un empêchement à agir au titre des faits juridiques dommageables ayant cessé le 27 mai 1848 ;

Qu'en conséquence, la prescription de l'action civile, tant des personnes physiques, en qualité d'ayants droit ou à titre personnel que des associations ne pouvait qu'être constaté par les juridictions de premier ressort; que les décisions querellées, qui ont déclarées irrecevables leurs demandes, seront confirmées en toutes leurs dispositions ;

Sur les mesures accessoires

Attendu qu'en application de l'article 696 du code de procédure civile, les parties appelantes, qui succombent, seront condamnées aux dépens de l'instance d'appel ;

Que la demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée ;

Que les dispositions de première instance seront également sur ces points confirmées ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe,

Ordonne la jonction de l'affaire inscrite au répertoire général de la juridiction sous le numéro 18/0800 à celle portant le numéro 18/0798,

Dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation les questions prioritaires de constitutionnalité, cette disposition étant insusceptible de recours indépendamment du présent arrêt sur le fond,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Basse-Terre en date du 7 septembre 2017 et celui du tribunal de grande instance de Pointe à Pitre en date du 1er février 2018 en toutes leurs dispositions,

Y ajoutant,

Rejette la demande de l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne in solidum W... G..., V... K..., A... K..., V... I..., P... YS... SO..., AE... DS..., H... F..., L... T..., E... X..., l'association MOUVEMENT INTERNATIONAL POUR LES REPARATIONS GUADELOUPE et l'association COMITE INTERNATIONAL DES PEUPLES NOIRS aux entiers dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par Jean-Michel GOUT, avocat du barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy pour ceux dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision ;

Signé par Claudine FOURCADE, président, et par Esther KLOCK, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Numéro d'arrêt : 18/00798
Date de la décision : 18/01/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-18;18.00798 ?
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