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09/11/2020 | FRANCE | N°18/00848

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 09 novembre 2020, 18/00848


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE


CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 239 DU NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT


AFFAIRE No : No RG 18/00848 - No Portalis DBV7-V-B7C-C7HQ


Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 29 mai 2018-Section Encadrement.


APPELANTE


Madame S... H... P...
[...]
[...]
Représentée par Maître Chantal BEAUBOIS (Toque 3), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART


INTIMÉE


ASSOCIATION AGAFEJ
[...]
[...]
Représentée par Maître Claudel DELUMEA

U de la SELARL JUDEXIS, (Toque 44) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART






COMPOSITION DE LA COUR :


L'affaire a été débattue l...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT No 239 DU NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT

AFFAIRE No : No RG 18/00848 - No Portalis DBV7-V-B7C-C7HQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes de POINTE A PITRE du 29 mai 2018-Section Encadrement.

APPELANTE

Madame S... H... P...
[...]
[...]
Représentée par Maître Chantal BEAUBOIS (Toque 3), avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉE

ASSOCIATION AGAFEJ
[...]
[...]
Représentée par Maître Claudel DELUMEAU de la SELARL JUDEXIS, (Toque 44) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 7 septembre 2020, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Rozenn Le Goff, conseiller, présidente,
Mme Gaëlle Buseine, conseiller,
Mme Annabelle Clédat, conseiller,

Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 9 novembre 2020.

GREFFIER Lors des débats : Mme Lucile Pommier, greffier principal.

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 al 2 du CPC. Signé par Mme Rozenn Le Goff, conseiller, présidente et par Mme Valérie Souriant, greffier, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Madame S... H... P... a été engagée par l'Association Guadeloupéenne pour l'Action en faveur de la Famille, de l'Enfance et de la Jeunesse (AGAFEJ), par contrat à durée indéterminée en date du 29 novembre 2014, à compter du 1er novembre 2014, en qualité de directrice de l'Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) [...].

Par lettre remise en main propre contre décharge du 30 novembre 2015, Madame S... H... P... a été convoquée à un entretien préalable en vue d'une sanction pouvant aller jusqu'au licenciement prévu le 11 décembre 2015, et mise à pied à titre conservatoire.

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 décembre 2015, Madame S... H... P... a été licenciée pour faute grave.

Contestant son licenciement, Madame S... H... P... a saisi par requête réceptionnée au greffe le 30 juin 2017, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre aux fins de faire constater le caractère abusif de son licenciement, et de versement de diverses sommes liées à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Par jugement rendu contradictoirement le 29 mai 2018, le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre a :

- débouté Madame S... H... P... de toutes ses demandes,
- condamné Madame S... H... P... à payer à l'AGAFEJ la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Madame S... H... P... aux entiers dépens.

Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 29 juin 2018, Madame S... H... P... a formé appel total dudit jugement, qui lui a été notifié le 14 juin 2018.

Par ordonnance du 12 décembre 2019, le magistrat chargé de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction, et renvoyé la cause à l'audience du 6 avril 2020 cette dernière ayant été reportée au 7 septembre 2020 à 14h30.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 septembre 2019, Madame S... H... P... demande à la cour de :

- infirmer la décision du conseil de prud'hommes du 29 mai 2018 en toutes ses dispositions,
En conséquence,
- dire et juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner l'AGAFEJ à lui verser les sommes suivantes :

* 1 382,66 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
* 18 435,48 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 1 843,54 euros au titre des congés payés afférents,
* 82 959,66 euros au titre de l'indemnité pour licenciement abusif,
* 3 562,03 euros à titre de rappel de salaire pour mise à pied disciplinaire,
En tout état de cause,
- condamner l'AGAFEJ à lui verser les sommes suivantes :
* 18 435,48 euros à titre de dommages et intérêts pour circonstances vexatoires ayant entouré son licenciement,
* 4 608,87 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de souscription au contrat de prévoyance,
* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire et juger que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du conseil de prud'hommes,
- condamner l'AGAFEJ à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame S... H... P... soutient que :

- à titre principal, les faits reprochés dans la lettre de licenciement sont prescrits,
- à titre subsidiaire, les griefs invoqués sont infondés,
- les fautes soulevées par l'employeur ne sont pas matériellement vérifiables,
- les attestations versées aux débats par l'association ne sont pas suffisantes,
- aucun passé disciplinaire ne peut lui être reproché,
- la gravité des faits reprochés n'est pas démontrée,
- son licenciement a été rendu dans des circonstances vexatoires,
- son employeur n'a souscrit à aucun régime de prévoyance.

Selon ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 décembre 2018, l'AGAFEJ demande à la cour de :

- déclarer mal fondé l'appel interjeté par Madame S... H... P... à l'encontre du jugement prononcé par le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 29 mai 2018,
En conséquence,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter Madame S... H... P... de l'ensemble de ses fins et réclamations,
- condamner Madame S... H... P... à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'AGAFEJ expose que :

- Madame S... H... P... est mal fondée à invoquer la prescription des faits fautifs dans la mesure où l'association a eu connaissance tardivement des griefs à l'appui de son licenciement,
- les faits retenus pour fonder le licenciement pour faute grave sont justifiés,
- l'ensemble du personnel de l'établissement s'est plaint du comportement et de l'attitude de Madame S... H... P...,
- la salariée n'a pas agit dans l'intérêt de l'association, a outrepassé ses attributions, et a pratiqué un management autoritaire,
- l'EHPAD en tant qu'entreprise nouvellement créée disposait d'un délai d'un an pour souscrire à un régime de prévoyance.

MOTIFS

Sur le licenciement

En ce qui concerne la prescription des faits reprochés

Aux termes de l'article L1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.

Dès lors que les faits sanctionnés avaient été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de ses poursuites.

Madame S... H... P... expose que les faits sont prescrits puisque antérieurs de plus de deux mois à l'engagement des poursuites disciplinaires.

La procédure disciplinaire a été engagée par l'employeur le 30 novembre 2015. La salariée a été licenciée pour faute grave pour avoir commis des manquements à ses obligations et attributions en tant que directrice, ayant entrainé de nombreux dysfonctionnements au sein de l'EHPAD :

1) un ton général et une attitude inappropriée : « attitude d'autoritarisme poussée à l'extrême, exigeante et distante, (
) de mépris, d'absence de contact et de communication nécessaire à vos prises de décision »,
2) « des initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes et surprenantes, tout ceci au mépris total d'un management collectif et cohérent »,
3) « comportement intrusif et despotique, mettant en péril la qualité et la continuité des soins »,
4) rupture de la période d'essai de Madame J..., infirmière coordinatrice,
5) immixtion dans le processus thérapeutique des résidents,
6) embauche d'une psychologue par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2015 sans information ni accord du conseil d'administration,
7) ton et propos inappropriés employés à l'occasion d'une relance du conseil départemental.

Madame S... H... P... soutient que l'association a eu connaissance dès le mois de juillet 2015 des faits reprochés dans la lettre de licenciement. En revanche, l'employeur fait valoir qu'il a été informé des faits reprochés, moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires.

Les faits fautifs no1, 2, 3 et 5 reprochés dans la lettre de licenciement, sont énoncés de manière vague et imprécise, et ne sont rattachés à aucune date.

Cependant, il ressort des pièces versées aux débats, que l'employeur produit plusieurs attestations du mois de novembre 2015 émanant des membres du personnel de l'EHPAD [...], et qui relatent des faits reprochés à Madame S... H... P... qui seraient survenus pour certains, plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, et pour d'autres moins de deux mois avant la procédure de licenciement :

- dès l'ouverture de l'EHPAD, des propos et comportements irrespectueux de la directrice,
- « les premiers mois aux Perles Grises ont été terribles »,
- dès le mois de juillet 2015, une ambiance de suspicion,
- dès le 6 juillet, un sentiment de malentendu avec la directrice,
- depuis le 25 août 2015 « certaines prises en charge (régime sans sel, faire marcher qui est resté longtemps en fauteuil, HAD, soins) sont contredits par la directrice de l'établissement qui s'octroie le droit de transgresser des décisions prises par les médecins ou le kinésithérapeute ou de refuser une proposition de soins pour un résident qui s'avère vital sous des prétextes dont j'ignore encore la cause, puisque je n'ai aucun retour, ni explications, parfois la réponse est c'est moi qui décide » ; « certaines sorties à l'extérieur pour des ballades sont parfois décidées au dernier moment, sans que j'en sois informée et sans concertation avec l'équipe ou l'autorisation du médecin coordonnateur (visites reportées), et avec des collègues qui n'ont pas les compétences requises en cas d'urgence » ; « d'autant plus que cette même directrice revient sur ses paroles, nous faisant passer pour des personnes incompétentes » ; « cet établissement est très récent, et les résidents s'y sentent bien, et mes collègues sont volontaires, cependant cet équilibre est mis à mal et les collègues deviennent méfiantes entre elles, et les malentendus sont de plus en plus nombreux, mettant en péril la continuité des soins »
- début septembre 2015, une situation détériorée, une attitude autoritaire, une désorganisation du service,
- à compter du 19 octobre 2015, rôle décisionnel et unilatéral de la directrice, ordres contradictoires, autorisation de boissons alcoolisées,
- le 16 novembre 2015, un malaise persistant et amplifié au sein de l'équipe en raison du comportement de la directrice.

La cour constate que le mail de Madame Q... J... intitulé « demande d'entretien », adressé à Madame S... H... P... et à Monsieur F... le 17 juillet 2015, faisait d'ores et déjà état à l'égard de Madame S... H... P..., d'un comportement omniprésent et autoritaire dans tous les domaines, d'une absence de communication et de partage, d'une indisponibilité, d'un manque d'intérêt et de soutien, d'une attitude incohérente, pesante et déstabilisante envers tout le personnel. Madame Q... J... reprochait notamment à Madame S... H... P... de prendre en main toute l'organisation de l'accueil des arrivants, la distribution des rôles de chacun, l'utilisation des locaux et du matériel de soin.

Madame Q... J... a affirmé par une attestation versée aux débats par l'association, avoir eu un entretien avec Madame S... H... P... et Monsieur F... le 17 juillet 2015 concernant les difficultés relationnelles rencontrées avec la directrice, Madame S... H... P... : « Le 17 juillet, devant la persistance de son comportement et le désarroi exprimé par tout le personnel soignant, je demandais, par email, un nouvel entretien avec la directrice (
) Cet entretien a bien eu lieu, en présence de Monsieur F.... »

Il ressort des pièces versées par la salariée, que Monsieur F... est le président de la fédération des assemblées de dieu, fédération à laquelle est affiliée l'association AGAFEJ, fait que l'employeur ne conteste pas.

Cependant, la cour considère compte tenu de l'ensemble de ces éléments, que si l'association a eu connaissance des griefs no1, 2, 3, et 5, au mois de juillet 2015, certains faits ont persisté jusqu'au mois de novembre 2015.

En conséquence, ces faits se rapportant à un ton général et une attitude inappropriée, à des initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes, au comportement autoritaire de la salariée, à l'absence de management collectif et cohérent, mettant en péril la qualité et la continuité des soins, et à l'immixtion dans le processus thérapeutique des résidents, ne sont pas atteints par la prescription.

Les griefs no4 et 6 se rapportant à la rupture de la période d'essai de Madame J..., infirmière coordinatrice (au mois de juillet 2015), et à l'embauche d'une psychologue par contrat à durée indéterminée du 1er septembre 2015 sans information ni accord du conseil d'administration, se sont réalisés plus de deux mois avant la notification par l'employeur de la lettre de convocation à entretien préalable de Madame S... H... P.... Les éléments versés aux débats ne permettent pas de considérer que l'employeur a eu connaissance ultérieurement de ces faits.

La cour considère donc que ces deux griefs sont prescrits.

Le grief no7 consistant en un ton et des propos inappropriés employés à l'occasion d'une relance du conseil départemental effectuée par mail le 22 octobre 2015, ne saurait être considéré comme prescrit, puisque survenu moins de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires.

Il résulte de ces éléments que le grief no7 se rapportant à un ton et des propos inappropriés employés à l'occasion d'une relance du conseil départemental effectuée par mail le 22 octobre 2015, n'est pas atteint par la prescription.

En ce qui concerne le bien fondé du licenciement

Aux termes de l'article L1235-1 du code du travail le juge a pour mission d'apprécier la régularité de la procédure de licenciement et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur.

Selon l'article L1232-6 du même code, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. La cause du licenciement doit être objective et reposer sur des faits matériellement vérifiables. Les faits doivent être établis et constituer la véritable cause de licenciement.

Enfin, les faits invoqués doivent être suffisamment pertinents pour justifier le licenciement. Il appartient au juge du fond, qui n'est pas lié par la qualification donnée au licenciement, de vérifier la réalité des faits invoqués et reprochés au salarié et de les qualifier puis de décider s'ils constituent une cause réelle et sérieuse au sens de l'article L1232-1 du code du travail à la date du licenciement, l'employeur devant fournir au juge les éléments permettant à celui-ci de constater les caractères réel et sérieux du licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

La lettre de licenciement de Madame S... H... P... ayant pour objet « notification d'une mesure de licenciement pour faute grave », est ainsi motivée :

« (
) Les motifs et griefs qui justifient cette décision sont les suivants :(
) nous avons été alertés, à de multiples reprises ces dernières semaines, et par le truchement de nombreux interlocuteurs, que vous avez décidé d'adopter une attitude d'autoritarisme poussée à l'extrême, exigeante et distante avec l'ensemble des personnels, de quelque fonction qu'ils soient, de mépris, d'absence de contact et de la communication nécessaire à vos prises de décision, poussant jusqu'à l'excès ce type d'attitude, ceci en méconnaissance totale de vos obligations et en tout cas en contradiction avec les intérêts et les valeurs de l'association.

Votre attitude et votre comportement général, mis en évidence ces dernières semaines, sont formellement contraires à ce que l'on attendait d'une directrice chargée des responsabilités au plus haut niveau, exercées à la tête de l'EHPAD, au surplus en période de démarrage qui est une période particulièrement délicate.

Outre le ton général et l'attitude inappropriée que vous adoptez aussi bien avec vos responsables hiérarchiques naturels que sont les membres de l'association, dont le président, qu'avec les autres membres du personnel, nous déplorons un certain nombre d'initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes et surprenantes, tout ceci au mépris total d'un management collectif, cohérent avec ce type d'institution.

Au vu de la gravité de la situation générée par votre comportement, le personnel médical nous a récemment alerté, exposant avoir constaté des faits suffisamment graves pour s'en ouvrir à la présidente, et mettant directement en cause votre comportement intrusif et despotique, mettant en péril la qualité et la continuité des soins.

Plusieurs médecins ont en effet souligné le mal être du personnel soignant, lequel se sent « traqué », « dévalorisé », allant jusqu'à évoquer un « sentiment de peur », au point que certaines des personnes concernées par cette pénible situation sont allées jusqu'à évoquer une démission pour échapper à ce climat délétère.

Outre ces difficultés allant au-delà d'une simple problématique relationnelle, le docteur K... A..., nous a également fait part des difficultés auxquelles il a été contraint de faire face à la suite de votre décision subite et irréfléchie de mettre un terme à la période d'essai de Madame J..., infirmière coordonatrice, après que celle-ci ait simplement tenté de vous rappeler ce en quoi consistaient ses fonctions, auxquelles vous faisiez systématiquement obstruction.

C'est donc par mesure de rétorsion que vous avez pris la décision de mettre un terme à son contrat, sans en alerter quiconque, et alors même que du fait de cette initiative déplorable, l'EHPAD s'est trouvé, pendant un mois entier, sans infirmière coordinatrice, ce qui, comme vous le savez, peut avoir des conséquences préjudiciables en termes de responsabilité, de problèmes d'organisation et de surcroît de travail.

D'autres intervenants ont quant à eux décrié votre manière totalement inappropriée de vous immiscer dans le processus thérapeutique des résidents, ayant relevé que vous discutiez, voire transgressiez régulièrement les ordres strictement thérapeutiques et médicaux des praticiens, ne respectiez pas le secret médical, tentiez même de contraindre le personnel médical à administrer des traitements que vous aviez jugé utiles, alors même que vous ne disposez d'aucune compétence médicale particulière pour ce faire.

A ces agissements d'une gravité extrême se sont ajoutés divers autres manquements, démontrant que vous n'avez aucunement l'intention de vous conformer à vos obligations, ni même à la réglementation en vigueur au sein de notre association.

Il a, en effet, été porté à notre connaissance que vous aviez récemment engagé une psychologue, selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er septembre 2015.

Or, cette salariée de l'association étant cadre, vous ne pouviez sous aucun prétexte agir de manière isolée, une telle embauche devant nécessairement et au minimum faire l'objet d'une information au conseil d'administration, lequel doit en principe donner son accord.

Nous avons enfin été outrés par le ton et les propos employés à l'occasion d'une relance du conseil départemental.

Non seulement votre réponse était totalement irrespectueuse, mais vous avez également laissé entendre que l'AGAFEJ n'avait plus les moyens financiers d'assurer les besoins vitaux quotidiens de ses résidents (nourriture, produits d'hygiène et papier toilette (sic!)).

Ce type d'échange avec une institution telle que le conseil départemental est parfaitement inadmissible et nuit grandement à la réputation de l'établissement dont vous assumez la direction.

La gêne occasionnée par vos propos a d'ailleurs conduit le président à prendre la plume et s'expliquer quant à la teneur de ceux-ci.

Vous comprendrez aisément, au vu de ce qui précède, que votre comportement particulièrement délétère, auquel s'ajoute une manifeste carence en ce qui concerne l'exécution de vos fonctions et missions, entraîne de nombreux dysfonctionnements nuisibles au bon fonctionnement de l'EHPAD remettant en cause définitivement le maintien de toute relation contractuelle fût-ce pour la durée limitée d'un préavis. (...) »

La salariée a donc été licenciée pour faute grave pour avoir commis des manquements à ses obligations et attributions en tant que directrice, ayant entraîné de nombreux dysfonctionnements au sein de l'EHPAD.

Comme vu plus haut, seuls les griefs se rapportant à un ton général et une attitude inappropriée, à des initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes et surprenantes, à l'absence de management collectif et cohérent, au un comportement autoritaire de la salariée, mettant en péril la qualité et la continuité des soins, à l'immixtion dans le processus thérapeutique des résidents et au ton et propos employés à l'occasion d'une relance du conseil départemental le 22 octobre 2015, seront retenus par la cour, car non atteints par la prescription.

Un ton général et une attitude inappropriée, des initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes et surprenantes, tout ceci au mépris total d'un management collectif et cohérent, un comportement intrusif et despotique, mettant en péril la qualité et la continuité des soins, et l'immixtion dans le processus thérapeutique des résidents

À l'appui de ces griefs l'employeur produit trois attestations des 12 et 16 novembre 2015 émanant de Madame D... W..., infirmière coordonnatrice, et des docteurs K... A... et E... B....

Madame D... W..., infirmière coordonnatrice explique de manière précise et détaillée que depuis son embauche le 25 août 2015, « certaines prises en charge (régime sans sel, faire marcher qui est resté longtemps en fauteuil, HAD, soins) sont contredits par la directrice de l'établissement qui s'octroie le droit de transgresser des décisions prises par les médecins ou le kinésithérapeute ou de refuser une proposition de soins pour un résident qui s'avère vital sous des prétextes dont j'ignore encore la cause, puisque je n'ai aucun retour, ni explications, parfois la réponse est c'est moi qui décide » ; « certaines sorties à l'extérieur pour des balades sont parfois décidées au dernier moment, sans que j'en sois informée et sans concertation avec l'équipe ou l'autorisation du médecin coordonnateur (visites reportées), et avec des collègues qui n'ont pas les compétences requises en cas d'urgence » ; « d'autant plus que cette même directrice revient sur ses paroles, nous faisant passer pour des personnes incompétentes » ; « cet établissement est très récent, et les résidents s'y sentent bien, et mes collègues sont volontaires, cependant cet équilibre est mis à mal et les collègues deviennent méfiantes entre elles, et les malentendus sont de plus en plus nombreux, mettant en péril la continuité des soins »

Le docteur E... B... fait état à compter de son embauche le 19 octobre 2015, du rôle décisionnel et unilatéral de Madame S... H... P... se traduisant par un « non respect » et des « ordres contradictoires » pour la pose d'une sonde gastrique et les « soins avec un kinésithérapeute ».

Ce médecin explique en outre que le personnel médical lui aurait « rapporté » que Madame S... H... P... avait autorisé la consommation de boissons alcoolisées à table « certains jours ».

Le docteur K... B... explique avoir été alerté dès la mi juillet 2015 par le personnel soignant, d'un « sentiment de mal être ». Il ajoute que les soignants se plaignaient du comportement dictatorial de la directrice. Sans avoir pu lui même constater le comportement de Madame S... H... P... dont il fait état, il explique que « le malaise persiste et s'est même amplifié au sein de l'équipe soignante ».

D'une part, les griefs relatifs à un ton général et une attitude inappropriée, à des initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes et surprenantes, sans management collectif et cohérent, à un comportement autoritaire, mettant en péril la qualité et la continuité des soins, et à l'immixtion dans le processus thérapeutique des résidents sont caractérisés et méritent d'être retenus.

D'autre part, compte tenu de ces témoignages circonstanciés, la cour considère que le fait notamment de modifier unilatéralement les prises en charge thérapeutiques, sans en informer les équipes soignantes, ainsi que les répercussions du comportement de la salariée sur le travail des collaborateurs, a rendu impossible la poursuite du contrat de travail s'agissant d'un directeur d'établissement.

Le ton et les propos employés à l'occasion d'une relance du conseil départemental le 22 octobre 2015

À l'appui de ce grief l'employeur produit le mail au sein duquel figure les échanges reprochés à Madame S... H... P... :

« Y...,
J'ai bien reçu hier midi l'arrêté de tarification, et je vous en remercie, mais j'attends toujours le règlement de la créance, cela fait 15 jours que vous nous avez annoncé le versement et toujours rien : plus de commande alimentaire possible, plus de produits d'entretien et papier toilette
!!!
Et la période des payes arrivent

Cdt »

Madame S... H... P... ne conteste pas avoir adressé ce mail au conseil départemental mais fait valoir que son ton alarmiste était nécessaire, car en l'absence de trésorerie, les fournisseurs bloquaient les comptes clients et refusaient de prendre en compte de nouvelles commandes. La salariée ajoute que le règlement attendu est intervenu quelques jours après son mail.

Par courrier du 26 octobre 2015, le président de l'AGAFEJ venait préciser auprès de la directrice du conseil départemental, les propos de Madame S... H... P... :

« J'ai pris connaissance du mail que Madame H..., directrice de l'EHPAD [...] vous a adressé en date du 22 octobre 2015 de sa propre initiative.
Je souhaite vous apporter un complément d'information pour éviter toute ambiguïté quant à l'interprétation possible du contenu de ce mail.

Les retards de paiement de la part du conseil départemental mettent effectivement notre trésorerie en difficulté sérieuse depuis le début du mois d'octobre.

Nous avons bien entendu engagé les mesures nécessaires pour y pallier, en particulier en négociant avec nos partenaires bancaires une ligne de crédit relais complémentaire.

A aucun moment, il n'a été question pour nous de pénaliser les résidents en ce qui concerne leurs besoins quotidiens d'autant plus que nous disposons des réserves faites pour la période cyclonique.

Regrettant les écrits excessifs de notre directrice, recevez, Madame, l'expression de nos sentiments distingués. »

Il résulte de l'analyse menée, que si les propos de Madame S... H... P... possèdent un caractère alarmiste pour des raisons non contestées par l'employeur, ils ne revêtent cependant pas un caractère excessif.

En définitive, il y a lieu de constater que la faute grave est caractérisée par un ton général et une attitude inappropriée, des initiatives prises dans des conditions non satisfaisantes et surprenantes, en l'absence d'un management collectif et cohérent, un comportement autoritaire, mettant en péril la qualité et la continuité des soins, et l'immixtion dans le processus thérapeutique des résidents. Ces faits, ainsi qu'il vient d'être démontré, ont rendu impossible la poursuite du contrat de travail de la directrice de l'EHPAD.

Le licenciement de Madame S... H... P... est donc fondé sur une faute grave, et l'appelante sera déboutée de toutes ses demandes indemnitaires afférentes.

Le jugement est confirmé sur ce point.

En ce qui concerne les circonstances de la rupture

En application de l'article L1222-1 du Code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi par les parties au contrat.

Madame S... H... P... estime que son licenciement a été prononcé de façon brutale et vexatoire.

La salariée fait valoir qu'elle a été licenciée à son retour de congés alors qu'elle avait organisé pendant ses vacances, son déménagement définitif en Guadeloupe. Elle verse aux débats l'attestation de Madame M..., aide soignante, laquelle affirme : « (
) Mais un plan était mis en place pour ce licenciement, lors de son départ pour effectuer un déménagement. Un cahier a été mis à l'unité Grenade pour noter les griefs qu'on avait contre elle. Une salariée administrative était choquée de savoir qu'on laissait Madame H... effectuer son déménagement, alors qu'on pensait à la licencier. Elle a conseillé à sa hiérarchie de lui en faire part, il lui a été répondu que c'était l'EHPAD qui payait son déménagement. »

Compte tenu de la gravité des faits reprochés à Madame S... H... P... qui ont rendu impossible la poursuite de son contrat de travail au sein de l'association en tant que directrice, la survenance de son licenciement dès le retour de congés de la salariée est justifié.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments, que Madame S... H... P... n'est pas fondée à solliciter des dommages et intérêts relativement aux circonstances ayant entouré la rupture de son contrat de travail.

En conséquence, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur la recevabilité de sa demande, Madame S... H... P... sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires entourant son licenciement.

Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de souscription au contrat de prévoyance

L'article 20.06 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951 prévoit que le risque incapacité de travail résultant de maladie ou d'accident et le risque invalidité permanente devront être couverts par un régime de prévoyance souscrit par l'établissement.

En l'espèce, l'employeur ne conteste pas l'absence de souscription d'un régime de prévoyance, mais affirme qu'il disposait d'un délai d'un an pour conclure et souscrire un tel régime.

Madame S... H... P... a été embauchée à compter du 1er novembre 2014. L'employeur, tenu, en vertu de l'article 20.06 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, de souscrire un régime de prévoyance contre le risque incapacité de travail résultant de maladie ou d'accident et le risque invalidité permanente, était débiteur envers la salariée d'une obligation de faire.

La cour constate que l'employeur n'a contracté aucune assurance.

Toutefois, Madame S... H... P... n'explicite ni ne démontre l'existence et l'étendue du préjudice qu'elle soutient avoir subi.

En conséquence, Madame S... H... P... est déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de souscription au régime de prévoyance.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Sur les autres demandes

Au regard de la solution apportée au règlement du litige, il convient de débouter Madame S... H... P... de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il serait inéquitable que l'association AGAFEJ supporte l'intégralité de ses frais irrépétibles. En conséquence, Madame S... H... P... sera condamnée à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens sont mis à la charge de l'association Madame S... H... P....

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,

Dit que les griefs se rapportant à la rupture de la période d'essai de Madame J... au mois de juillet 2015, et à l'embauche d'une psychologue le 1er septembre 2015 sont prescrits,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pointe-à-Pitre le 29 mai 2018,

Y ajoutant,

Déboute Madame S... H... P... de sa demande de dommages et intérêts pour circonstances brutales et vexatoires entourant son licenciement,

Dit que les dépens de l'instance d'appel sont à la charge de Madame S... H... P...,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Numéro d'arrêt : 18/00848
Date de la décision : 09/11/2020

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-11-09;18.00848 ?
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