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21/09/2020 | FRANCE | N°15/006361

France | France, Cour d'appel de Basse-Terre, 01, 21 septembre 2020, 15/006361


COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRET No 299 DU 21 SEPTEMBRE 2020

No RG 15/00636 - VMG/EK
No Portalis DBV7-V-B67-CQS3

Décision déférée à la Cour : jugement au fond, origine de la Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction du tribunal de grande instance de BASSE-TERRE, décision attaquée en date du 27 Avril 2015, enregistrée sous le
no 14/00094

APPELANTS :

Monsieur O... N... T... V...
majeur sous curatelle renforcée selon jugement du juge des
tutelles du tribunal d'instance de Sai

nt-Martin du 1er décembre 2014
[...]
[...]

L'Association pour Adultes et Jeunes Handicapees (APAJH),
en s...

COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE

1ère CHAMBRE CIVILE

ARRET No 299 DU 21 SEPTEMBRE 2020

No RG 15/00636 - VMG/EK
No Portalis DBV7-V-B67-CQS3

Décision déférée à la Cour : jugement au fond, origine de la Commission d'indemnisation des victimes de dommages résultant d'une infraction du tribunal de grande instance de BASSE-TERRE, décision attaquée en date du 27 Avril 2015, enregistrée sous le
no 14/00094

APPELANTS :

Monsieur O... N... T... V...
majeur sous curatelle renforcée selon jugement du juge des
tutelles du tribunal d'instance de Saint-Martin du 1er décembre 2014
[...]
[...]

L'Association pour Adultes et Jeunes Handicapees (APAJH),
en sa qualité de curatrice renforcée de M. O... N... V... né le [...] à la JAMAIQUE, par décision du juge des tutelles de Saint-Martin du 1er décembre 2014,
[...]
[...]

Représentés par Me Charles NICOLAS, (TOQUE 69) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTERVENANTE VOLONTAIRE :

Madame Y... X...
en sa qualité de curatrice de M. O... V...,
placé sous régime de la curatelle renforcée selon jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Saint-Martin du 1er décembre 2014
[...]
[...]
[...]

Représentée par Me Charles NICOLAS, (TOQUE 69) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

INTIMÉ :

LE FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE
TERRORISME ET D'AUTRES INFRACTIONS
[...]
[...]

Représentée par Me Daniel WERTER, (TOQUE 08) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée à M. Eric RAVENET, substitut général, qui a fait connaître son avis.

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions de l'article 779-3 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état, à la demande des parties, a autorisé les avocats à déposer leur dossier au greffe de la chambre civile avant le 08 juin 2020.

Par avis du 08 juin 2020, le président a informé les parties que l'affaire était mise en délibéré devant la chambre civile de la cour composée de :

Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre,
Mme Valérie MARIE GABRIELLE, conseillère,
Mme Joëlle SAUVAGE, conseillère,
qui en ont délibéré.

Les parties ont été avisées que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour le 21 septembre 2020.

GREFFIER

Lors du dépôt des dossiers : Mme Esther KLOCK, greffière.

ARRET :

Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées. Signé par Madame Claudine FOURCADE, présidente de chambre et par Mme Esther KLOCK, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE

Le 08 novembre 2008, M. O... V... a été victime sur le territoire de l'île de Saint-Martin de violences volontaires à la suite desquelles il a été grièvement blessé.

Suite à la requête déposée le 9 juillet 2014 par M. O... V... représentée par Mme Y... X... es qualités de tutrice, la commission d'indemnisation des victimes des infractions pénales du tribunal de grande instance de Basse-Terre a, par jugement du 27 avril 2015, constaté la forclusion de l'action de M. O... V..., rejeté sa demande en relevé de forclusion, déclaré irrecevable la requête présentée, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes et laissé les dépens à la charge du trésor public.

Suite à l'appel de cette décision interjeté le 05 mai 2015, la cour de céans, par arrêt du 19 septembre 2016 auquel il est renvoyé pour plus ample informé sur les faits, moyens et prétentions des parties, a :
-déclaré recevable l'intervention volontaire de Mme Y... X..., curatrice de M. O... V... au côté de ce dernier et l'APAJH curatrice institutionnelle, appelants,
-infirmé le jugement rendu le 27 avril 2015 par la commission d'indemnisation des victimes des infractions pénales en toutes ses dispositions,
-statuant à nouveau,
déclaré recevable la saisine de la commission d'indemnisation des victimes des infractions pénales par M O... V... représenté par ses tutrices devenues curatrices,
-vu l'article 706-5 du code de procédure pénale, relevé M. O... V... de la forclusion encourue,
-ordonné une expertise médicale de M. O... V... et désigné pour y procéder le docteur M... I... qui pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix dans un domaine distinct du sien après en avoir simplement avisé les conseils des parties à charge pour lui de joindre l'avis du sapiteur à son rapport, afin d'apprécier à la fois les préjudices corporels et psychiques de la victime avec la mission suivante :
1-recueillir les doléances de la victime, au besoin de ses proches ; l'interroger sur les conditions d'apparition des lésions, l'importance des douleurs, de la gêne fonctionnelle subie et leurs conséquences; à partir de leurs déclarations et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités de traitement, en précisant le cas échéant les durées exactes d'hospitalisation et pour chaque hospitalisation, le nom de l'établissement, les services concernés et la nature des soins.
2- décrire au besoin un état antérieur en ne retenant que les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles.
3-procéder en présence des médecins mandatés par les parties avec l'assentiment de la victime, à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime.
4-à l'issue de cet examen analyser dans un exposé précis et synthétique : la réalité des lésions initiales
la réalité de l'état séquellaire, l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales en précisant au besoin l'incidence d'un état antérieur.
5- pertes de gains professionnels actuels
indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire, dans l'incapacité d'exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle ; en cas d'incapacité partielle, préciser le taux et la durée ; préciser la durée des arrêts de travail retenu par l'organisme social au vu des justificatifs produits et dire si ces arrêts de travail sont liés au fait dommageable.
6-déficit fonctionnel temporaire
indiquer les périodes pendant lesquelles la victime du fait de son déficit fonctionnel temporaire, a été dans l'incapacité totale partielle de poursuivre ses activités habituelles ; en cas d'incapacité partielle préciser et le taux et la durée.
7-consolidation
fixer la date de consolidation et, en l'absence de consolidation, dire à quelle date il conviendra de revoir la victime ; préciser, lorsque cela est possible, les dommages prévisibles pour l'évaluation d'une éventuelle provision.
8-déficit fonctionnel permanent
indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent définit comme une altération permanente d'une ou plusieurs fonctions physiques, psychologiques, sensorielles ou mentales ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d'activité ou une restriction de participation à la vie en société subit au quotidien par la victime dans son environnement ;en évaluer l'importance et en chiffrer le taux ; dans l'hypothèse d'un état antérieur préciser en quoi l'accident a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences.
9-assistance par tierce personne
indiquer si la situation de la victime nécessitait et nécessite toujours le recours à une tierce personne constante ou occasionnelle pour effectuer les démarches et plus généralement pour accomplir les actes de la vie quotidienne ; préciser la nature de l'aide à prodiguer et sa durée quotidienne avant consolidation et après consolidation ; se référer à l'outil "handi aide" publiée dans l'article méthodologie de l'estimation du besoin en tierce personne en pratique médico-légale par la gazette du palais des 12- 13 juillet 2006.
10-dépenses de santé futures
décrire les soins futurs et les aides techniques compensatoires au handicap de la victime (prothèses, appareillage spécifique, véhicule) en précisant la fréquence de leur renouvellement.
11-frais de logement et/ou de véhicules adaptés
donner son avis sur d'éventuels aménagements nécessaires pour permettre le cas échéant, à la victime d'adapter son logement et/ou son véhicule à son handicap.

12-pertes de gains professionnels futurs
indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne d'autres obligations pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d'activité professionnelle.
13-incidence professionnelle
indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne d'autres répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation, reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, dévalorisation sur le marché du travail).
14-souffrances endurées
décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales découlant des blessures subies pendant la maladie traumatique (avant consolidation) ; les évaluer distinctement dans une échelle de 1 à 7.
15-préjudices esthétique temporaire et/ou définitif
donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique en distinguant éventuellement le préjudice temporaire et le préjudice définitif ; évaluer distinctement les préjudices dans une échelle de 1 à 7.
16-préjudice sexuel
indiquer s'il existe ou existera un préjudice sexuel (perte ou diminution de la libido, impuissance, perte de fertilité).
18-préjudice d'établissement
dire si la victime subit une perte de chance de réaliser normalement un projet de vie familiale.
19-préjudice d'agrément
indiquer notamment au vu des justificatifs produits, si la victime est empêchée en tout ou partie de se livrer à des activités spécifiques de sports ou de loisirs.
20-préjudices permanents exceptionnels
dire si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques directement liés aux handicaps permanents.
21-dire si l'état de la victime est susceptible de modifications en aggravation.
22-dit que l'expert devra communiquer un pré-rapport aux parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits auxquels il devra répondre dans son rapport définitif.
-alloué à M. O... V... la somme de 50000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices et la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-dit que le fonds de garantie des victimes d'infractions garantit le paiement des dites sommes,
-mis les dépens à la charge du trésor public.

Par ordonnance du 27 mars 2017 du magistrat chargé du contrôle de l'expertise, Mme Y... A... a été désignée en lieu et place de Mme I... puis par ordonnance du 20 juin 2017, celle-ci a été remplacée par M. B... W... lequel a déposé son rapport en date du 25 mars 2019.

Le ministère public s'en est remis à justice et en ouverture de rapport, les parties ont conclu.

Cette affaire dont la clôture est intervenue le 16 décembre 2019, fixée initialement à l'audience du 06 janvier 2020 a été renvoyée à l'audience de dépôt du 08 juin 2020 en raison du mouvement national de grève des avocats. Les parties ayant déposé leurs dossiers, en application des dispositions de l'article 779 alinéa 3 du code de procédure civile, l'affaire a été retenue puis mise en délibéré au 21 septembre 2020, date de son prononcé par mise à disposition au greffe.

PRETENTIONS ET MOYENS

Les dernières conclusions, remises les 23 octobre 2019 par l'appelant, 13 décembre 2019 par l'intimé, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.

M. O... V... assisté par Mme R... V... sa curatrice (désignée par ordonnance du juge des tutelles de Saint-Martin en date du 30 octobre 2017) demande à la cour, de :
1) au titre des préjudices patrimoniaux
-préjudices patrimoniaux avant consolidation
-dépenses de santé actuelles : dire la Caisse Générale de Sécurité Sociale (la CGSS) subrogée dans les droits de la victime sur la totalité des dépenses de santé actuelles, ce poste ayant été intégralement financé par l'organisme social à hauteur de 1 043 241,56 euros,
-préjudices patrimoniaux après consolidation dépenses de santé future : fixer à 13 803,37 euros l'indemnité due à M. O... V... avant l'exercice de son recours subrogatoire par la CGSS, fixer la créance de la CGSS sur ce poste à la somme de 13 803,37 euros, dire la CGSS subrogée dans les droits de M. O... V... sur la totalité de ce poste à hauteur de 113 803,37 euros,
-incidence professionnelle : 268 937,48 euros dont 83 197,81 euros au titre de période échue, 185 739,67 euros au titre de période viagère limité à 67 ans capitalisée.
-tierce personne après consolidation : 1 249 222, 32 euros dont 204 840 euros au titre de la tierce personne échue, 1 044 382,32 euros au titre de la tierce personne viagère capitalisée.
2) au titre des prejudices extra-patrimoniaux
-prejudices extra-patrimoniaux avant consolidation
-déficit fonctionnel temporaire : 31 025 euros
-souffrances endurées : 35 000 euros
-préjudice esthétique avant consolidation : 35 000 euros
-préjudices extra-patrimoniaux après consolidation
-déficit fonctionnel permanent : 355 200 euros
-préjudice esthétique permanent : 25 000 euros
-préjudice d'établissement : 80.000 euros
Ill) sur tous les chefs
-dire que la provision de 50 000 euros versées à M. O... V... viendra en déduction des indemnités sollicitées,
-dire que le fonds de garantie des victimes d'infraction interviendra pour procéder au règlement de l'ensemble des indemnités fixées à l'avantage de M. O... V...
-fixer à la somme de la somme de 3 000 euros l'indemnité de procédure à laquelle peut prétendre M. O... V... au titre de l"article 700 du code de procédure civile.

Le Fonds de garantie demande à la cour, de :
-dire et juger que M. O... V... devra justifier des sommes perçues au titre de la PCH ou de l'absence de demande à ce titre,
-fixer de la façon suivante les indemnités allouées à M. O... V... :
-Préjudices patrimoniaux
-dépenses de santé actuelles : néant
-frais divers (tierce personne avant consolidation) : néant
-dépenses de santé futures : néant
-tierce personne aprés consolidation : échue 165.480 euros, à échoir : rente trimestrielle de 5 .840 euros aux conditions suivantes (paiement à terme échu, suspension en cas d'hospitalisation ou de placement en institution supérieure à 30 jours, revalorisation selon les termes de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, justification annuelle des sommes perçues au titre de la PCH ou d"absence de demande en ce sens)
-incidence professionnelle : 79.200 euros
-Préjudices extrapatrimoniaux
-déficit fonctionnel temporaire : 31.025 euros
-souffrances endurées : 25.000 euros
-préjudice esthétique temporaire : 5.000 euros
-déficit fonctionnel permanent : 312.000 euros
-préjudice esthétique permanent : 12.000 euros
-préjudice d'établissement : rejet, subsidiairement 20.000 euros
-déduire de ces sommes la provision déjà versée de 50.000 euros ;
-réduire à de plus justes proportions l`indemnité allouée à M. O... V... au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-limiter l'exécution provisoire à la moitié des condamnations,
-laisser les dépens à la charge du trésor public.

MOTIFS

Le droit à indemnisation de M. O... V... déclaré entier par l'arrêt précité du 19 septembre 2016, n'est pas contesté.

Il résulte du rapport d'expertise médicale en date du 19 mars 2019 du Docteur B... W..., expert prés la cour d'appel de Basse-Terre, que :
-suite à l'agression subie par M. O... V... le 08 novembre 2008 à Saint-Martin, ce dernier a présenté une plaie du cuir chevelu, une hémorragie conjonctivale et un hématome bilatéral des orbites, un épistaxis antérieur, une agitation psychomotrice, le scanner cérébral initial retrouvant comme lésions un hématome fronto-pariétal bilatéral, un hémosinus maxillaire droit, une fracture des os propres du nez et du plancher de l'orbite,
-transféré au CHU de Pointe-à-Pitre et hospitalisé en réanimation puis en rééducation en Guadeloupe, M. O... V... retourne à Saint-Martin le 2 janvier 2009, son évolution orthopédique (attitude en triple flexion non réductible des membres inférieurs et du membre supérieur droit avec apparition d'ostéomes) nécessitant la poursuite de l'hospitalisation à Saint-Martin et à nouveau en rééducation au CHU de Pointe-à-Pitre et deux temps opératoires (du 13/06/10 au 17/6/10 pour une arthrodése du poignet droit et une ténotomie du biceps droit puis du 26/8/10 au 07/09/10 pour une ténolyse bilatérale des ischio-jambiers)puis à compter du 21/11/10 en rééducation au CHU puis au centre hospitalier [...] puis à compter du 20/5/11 et jusqu'au 02/04/2012 au Centre hospitalier de Saint-Martin.

Les conclusions de l'expert retracent le bilan cicatriciel imputable (cicatrices cutanées, raideurs et limitations articulaires des deux coudes, du poignet et de la main droite, du genou et de la hanche droite, difficultés de préhension et de la marche, syndrome anxio-dépressif et stress post-traumatique, ralentissement idéo-moteur sans altération des fonctions supérieures) et fixent la date de consolidation de ses blessures au 03 avril 2012.

I - Les préjudices patrimoniaux de M. O... V...

A - Les préjudices patrimoniaux temporaires

- les dépenses de santés actuelles

Les dépenses de santé sont notamment les frais médicaux et pharmaceutiques, d'hospitalisation ou paramédicaux induits par les soins subis par la victime du fait de l'accident ou de l'agression.

En l'espèce, selon les débours définitifs exposés par la CGSS de Guadeloupe tels que précisés dans son courrier du 21 mai 2019, les dépenses de santé actuelles pour le compte de M. O... V... s'élèvent à la somme totale de 1 043 241,56 euros.

La CGSS ayant intégralement supporté ces dépenses, il y aura lieu de fixer le montant de la créance de l'organisme social subrogée dans les droits de la victime, laquelle ainsi qu'elle le précise, ne peut prétendre au paiement de cette somme.

B - les préjudices patrimoniaux permanents

-les dépenses de santé future

Il s'agit des frais médicaux et pharmaceutiques, frais d'hospitalisation, et tous les frais paramédicaux (infirmiers, kinésithérapie etc.), même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation.

Le montant des frais futurs produits par la CGSS s'élève à la somme de 13 803, 37 euros selon attestation de l'organisme social en date du 21 mai 2019.
Il y aura donc lieu de fixer cette créance et dire que la CGSS sera subrogée dans les droits de M. O... V... pour ce poste de préjudice à hauteur de la somme de 13 803,37 euros (non 113 803,37 euros comme indiqué par erreur dans le dispositif des ultimes conclusions de l'appelant).

-l'assistance par tierce personne

La tierce personne est destinée à suppléer la perte d'autonomie de la victime. Ce poste de préjudice est évalué en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée.

En l'espèce, il ressort des termes du rapport d'expertise médicale que M. O... V... nécessite une aide humaine active globale de substitution 04 heures par jour tous les jours.

M. O... V... réclame pour ce poste de préjudice la somme totale de 1 249 222,32 euros soit 204 840 euros sur la base d'un taux horaire de 18 euros pour la période échue du 03/01/2012 (date de la consolidation) au 21/10/2019 (date de ses conclusions) et 1 044 382,32 euros pour la période viagère capitalisée.

Le Fonds de garantie offre la somme de 165 480 euros pour la période échue avec un taux horaire de 15 euros (du 03/04/12 au 21/10/2019) et une rente trimestrielle de 5 840 euros sur la base d'un taux horaire pour la tierce personne de 16 euros pour la période à échoir.

Il est admis que le coût horaire doit être fixé en fonction du besoin, de la gravité du handicap, de la spécialisation de la tierce personne et du lieu du domicile de la victime. L'indemnisation s'effectue selon le nombre d'heures d'assistance et le type d'aide nécessaires.

Il convient donc de déterminer le coût annuel de la tierce personne, d'allouer à la victime les arrérages échus en capital correspondant aux dépenses déjà engagées entre la consolidation et la date de la décision, et les arrérages à échoir après la décision sous forme de rente ou en capitalisant le coût annuel.

En l'espèce, il ressort des conclusions expertales que les séquelles subies par M. O... V... nécessitent une aide humaine active quotidienne de 4 heures. Aussi, vu le besoin et l'ampleur du handicap, une aide spécialisée n'étant pas prévue à dire d'expert, il est de juste appréciation de prévoir l'indemnisation de la tierce personne à hauteur du taux horaire de 16 euros pour la période échue du 03/04/12 au 21/09/2020 soit la somme totale de 197 632 euros (16€ x 4 h x 3088 jours).

Au soutien de sa demande relative au taux horaire pour les frais de tierce personne à échoir, M. O... V... produit aux débats un devis de la société Casedom en date du 2 octobre 2019 chiffrant une prestation à la personne au taux horaire semaine de 21,94 euros et les jours fériés de 32,91 euros. Cependant, ce seul devis non signé ne rapporte pas la preuve d'un recours effectif à ce service de sorte que M. O... V... ne peut valablement soutenir qu'à défaut de retenue de cette proposition, la juridiction lui imposerait de devenir directement employeur.

Au regard de la nature du besoin (aide humaine non spécialisée), de la gravité du handicap de M. O... V..., de l'absence de preuve du recours à une entreprise d'aide à la personne et du lieu de son domicile (l'île de Saint-Martin), il est de juste appréciation de fixer à la somme de 18 euros, le taux horaire des frais de la tierce personne à échoir y compris pendant les week-end et jours fériés.

Il est admis que l'application du barème de capitalisation est le plus adapté à assurer les modalités de la réparation pour le futur et il est opportun en l'espèce de retenir la barème 2018 de la Gazette du palais, outil d'usage d'indemnisation des victimes.

Aussi, au titre des frais de tierce personne postérieurs à la présente décision, le capital de la rente viagère s'élèvera à la somme de 747 035,28 euros (365jx04hx18€ x 28,426 -point de rente viager pour un homme de 49 ans selon barème GP 2018).

Dans l'intérêt de la victime dont il convient de protéger l'avenir, c'est à raison que le fonds de garantie soutient qu'il est préférable de prévoir une indemnisation sous forme de rente indexée permettant de se prémunir contre les aléas de la vie.

Le capital de la rente viagère accordée sera versé sous forme de rente annuelle de 26 280 euros (365jX4hX18€) payable à échéances trimestrielles soit la somme de 6570 euros qui sera suspendue en cas d'hospitalisation d'une durée supérieure à 45 jours (plus utile que 30 jours) et revalorisée selon les dispositions de l'article L. 434-14 du code de la sécurité sociale.

Ainsi que le soutient le Fonds de garantie, en vertu de l'article 706-9 du Code de procédure pénale qui prévoit que la commission d'indemnisation des victimes d'infractions tient compte, dans le montant des sommes allouées à la victime au titre de la réparation de son préjudice, des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs au titre du même préjudice, la prestation de compensation du handicap (PCH) est déductible, de sorte que l'intimé est fondé à dire qu'il conviendra de déduire du poste de la tierce personne permanente, les sommes éventuellement perçues par M. O... V... au titre de la PCH.

Cependant, en l'espèce, aucune pièce n'est versée au dossier sur ce point de sorte que la cour ignore si ce dernier perçoit cette prestation. Dans tous les cas, il est admis que les indemnités allouées par le FGTI ne sont pas subsidiaires à la PCH de sorte que la juridiction peut d'ores et déjà fixer les indemnités réparatrices sauf à rappeler à M. O... V... qu'en cas de perception de la PCH, il conviendra d'en déduire le montant, des sommes lui revenant au titre de la tierce personne.

-l'incidence professionnelle

Même en l'absence de perte immédiate de revenu, la victime peut subir une dévalorisation sur le marché du travail, une perte de chance professionnelle ou une augmentation de la pénibilité de l'emploi.

Pour évaluer ce poste de préjudice, il convient de prendre en compte la catégorie d'emploi exercée (manuel, sédentaire, fonctionnaire, etc.), la nature et l'ampleur de l'incidence (interdiction de port de charge, station debout prohibée, difficultés de déplacement, pénibilité, fatigabilité etc.), les perspectives professionnelles et l'âge de la victime (durée de l'incidence professionnelle).

M. O... V... demande à ce titre la somme de 268 937,48 euros (sur la base du SMIC dont 83 197,81 euros pour la période échue et 185 739,67 euros pour la période capitalisée) au regard de l'impossibilité pour ce dernier d'accéder à l'emploi du fait de l'agression subie et ce, dés l'âge de 38 ans.

Le Fonds de garantie propose à ce titre la somme de 79 200 euros (sur la base de 300 euros mensuels dont 27 000 euros pour la période échue et 52 200 euros pour la période à échoir en tenant compte du barème BCRIV 2018), la dévalorisation de M. O... V... étant préexistante à l'agression pour être sans emploi depuis plusieurs années et ne produire aucune pièce relative à ses revenus antérieurs.

Il est exact que si M. O... V... est désormais inapte pour tout emploi, il n'a versé aux débats aucune pièce sur sa situation socio-professionnelle ou le montant de ses ressources antérieurs ou existants au moment de l'agression dont il a été victime le 08 novembre 2008. Selon les déclarations recueillies par l'expert, il apparaît que celui-ci a été charpentier menuisier mais sans activité professionnelle depuis 8 ans, avouant s'occuper de son jardin.

Ainsi, vu l'absence depuis de longues années d'activité professionnelle de M. O... V... (dont la cour ignore le montant des revenus au moment des faits), vu son âge, il est de juste appréciation de considérer que celui-ci justifie en réalité d'une perte de chance certaine d'obtenir désormais tout emploi, ce du fait des séquelles de l'agression subie. Cette perte de chance sera évaluée à une perte de revenus mensuels de l'ordre de 600 euros mensuels au regard de la situation socio-professionnelle connue de la victime.

Dés lors, au titre de la période échue (soit du 03/04/12 au 21/09/20), il sera alloué à M. O... V... la somme de 60 960 euros(600€x101mois+18jours) et au titre de la période à échoir celle de 115 682,40 euros (600€x12x16,067 selon baréme GP 2018) soit au total la somme de 176 642,40 euros.

Au total, l'évaluation du préjudice patrimonial revenant à M. O... V... (hors dépenses de santé) s'élève à la somme de 374 274,40 euros outre une rente annuelle de 26 280 euros au titre de la tierce personne définitive à échoir.

II - Les préjudices extra patrimoniaux de M. O... V...

A - les préjudices extra patrimoniaux temporaires

-le déficit fonctionnel temporaire

Il s'agit ici d'indemniser l'aspect non économique de l'incapacité temporaire. C'est l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu'à sa consolidation. Cela correspond au préjudice résultant de la gêne dans les actes de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation familiale pendant l'hospitalisation et privation temporaire de qualité de vie).

M. O... V... demande la somme de 31 025 euros à ce titre sur la base d'une indemnisation à hauteur de 25 euros par jour pendant 1241 jours (du 08/11/08 au 02/04/12).

Le Fonds de garantie ne s'est pas opposé à l'estimation de ce poste de préjudice.

Le rapport d'expertise médicale a retenu une période d'immobilisation totale du 8 novembre 2008 (date de l'agression) au 02 avril 2012 (veille de la consolidation), l'atteinte permanente étant évaluée pour rappel à 80%.

Vu l'accord des parties sur l'indemnisation de ce poste de préjudice, il sera fait droit à cette demande à hauteur de la somme de 31 025 euros.

-les souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser ici toutes les souffrances tant physiques que morales subies par la victime pendant la maladie traumatique et jusqu'à la consolidation. Il est admis de tenir compte notamment des circonstances du dommage, des hospitalisations, des interventions chirurgicales ou de l'âge de la victime.

M. O... V... réclame la somme de 35 000 euros à ce titre en raison de la gravité des conséquences physiques et psychiques de l'accident.

Le Fonds de garantie offre pour la réparation de ces souffrances, la somme de 25 000 euros.

Le rapport d'expertise médicale a estimé à 5/7 les souffrances endurées par M. O... V... les hospitalisations, la rééducation fonctionnelle, les douleurs physiques et psychologiques.

Au regard de la gravité des lésions subies et des conclusions expertales, il est de juste appréciation d'allouer à M. O... V... la somme de 25 000 euros au titre des souffrances subies.

- le préjudice esthétique temporaire

La victime peut subir, pendant la maladie traumatique, et notamment pendant l'hospitalisation, une altération de son apparence physique, même temporaire, justifiant une indemnisation.

M. O... V... réclame la somme de 35 000 euros à ce titre en raison de sa présentation aux tiers en fauteuil roulant ou suspendu à deux béquilles.

Le Fonds de garantie propose la somme de 5 000 euros soulignant que ce préjudice était réduit du fait de l'hospitalisation de M. O... V....

L'expert a estimé ce préjudice esthétique temporaire à 5/7.

Vu la cotation médico-légale faite par l'expert, il est de juste appréciation d'allouer à M. O... V... la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice esthétique temporaire.

B - les préjudices extra patrimoniaux permanents

- le déficit fonctionnel permanent

Il s'agit du préjudice non économique lié à la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel.

M. O... V... réclame à ce titre la somme de 355 200 euros tenant compte du taux de déficit fonctionnel permanent de 80% retenu par l'expert et proposant un point fixé à 4 440 euros compte tenu de son âge à la date de consolidation.

Le Fonds de garantie propose la somme de 312 000 euros (soit un point à 3 900€ pour une victime âgée de 41 ans à la date de consolidation).

L'expert W... a évalué l'atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique de M. O... V... à 80%.

Selon les tableaux de référence d'usage, il est de juste appréciation d'allouer à M. O... V... compte tenu de son âge (41 ans et 7 mois à la date de consolidation) la somme de 355 200 euros (80% x 4440 point d'incapacité pour la tranche d'âge 41 à 50 ans).

- le préjudice esthétique permanent

Il s'agit de réparer l'altération physique liée à l'agression subie.

M. O... V... réclame la somme de 25 000 euros à ce titre au regard du préjudice constitué par sa présentation avec des béquilles et une déambulation disgracieuse.

Le Fonds de garantie offre la somme de 12 000 euros à ce titre.

L'expert a qualifié ce préjudice de moyen et estimé à 4/7.

Vu la cotation médico-légale faite par l'expert, il est de juste appréciation d'allouer à M. O... V... la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice esthétique permanent .

- le préjudice d'établissement

Le préjudice d'établissement consiste en la perte d'espoir et de chance de réaliser un projet de vie familiale normale.

M. O... V... réclame la somme de 80 000 euros à ce titre en raison de l'ampleur de son handicap le privant de toute possibilité de vie sociale autonome.

Le Fonds de garantie conclut au déboutement de cette demande et subsidiairement à l'allocation de la somme de 20 000 euros.

Il est constant qu'au moment des faits, M. O... V... était déjà père de deux enfants alors âgés de 10 et 13 ans. Cependant, encore célibataire et relativement jeune, les séquelles persistantes nées de l'agression subie constituent bien une perte de chance de construire un foyer conjugal et familial.

Aussi, en l'espèce, il est de juste appréciation de lui allouer en réparation de ce préjudice d'établissement la somme de 20 000 euros.

Au total, le préjudice extra patrimonial de M. O... V... est donc d'un montant de 466 225 euros, duquel il conviendra de déduire la provision de 50 000 euros déja versée.

III - Sur les autres demandes

La demande relative à l'exécution provisoire sera considérée comme sans objet, la cour statuant en dernier ressort et la présente décision ayant force exécutoire.

Les circonstances de la cause commandent l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'appelant ayant été contraint d'exposer des frais irrépétibles devant la cour.

Les dépens resteront à la charge du trésor public.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Vu l'arrêt du 19 septembre 2016,

Dit que la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe est subrogée dans les droits de M. O... V... en ce qui concerne les dépenses de santé actuelles s'élevant à la somme de 1 043 241,56 euros et les dépenses de santé future s'élevant à la somme de 13 803,37 euros ;

Fixe les indemnités réparatrices allouées à M. O... V... assisté de Mme R... V... (désignée curatrice de celui-ci suivant décision du juge des turelles de Saint-Martin du 30 octobre 2017) de la façon suivante :

-au titre de son préjudice patrimonial (hors assistance tierce personne à échoir), la somme de 374 274,40 euros en deniers ou quittances (tierce personne échue 197 632€ - incidence professionnelle 176 642,40€) ;

-au titre du préjudice d'assistance par tierce personne permanente postérieur au présent jugement, une rente viagère d'un montant annuel de 26 280 euros, payable trimestriellement à terme échu, revalorisée selon les dispositions prévues par l'article L434-17 du code de la sécurité sociale, suspendue en cas d'hospitalisation à partir du 46éme jour et ce à compter du 21 septembre 2020, à charge pour M. O... V... de justifier également au 31 décembre de chaque année du montant des sommes éventuellement perçues par ses soins au titre de la prestation de compensation du handicap ou au contraire de l'absence de perception de cette prestation ;

-au titre de son préjudice extra-patrimonial, la somme totale de 466 225 euros en deniers ou quittances sous réserve des provisions déjà versées (dont déficit fonctionnel temporaire 31 025€ - souffrances endurées 25 000€ - préjudice esthétique temporaire 15 000€ - préjudice esthétique permanent 20 000€ - déficit fonctionnel permanent 355 200€ - préjudice d'établissement 20 000€) ;

Alloue à M. O... V... la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que Le Fonds de garantie des victimes du terrorisme et autres infractions garantira le paiement desdites sommes ;

Laisse les dépens de l'instance à la charge du trésor public ;

Et ont signé le présent arrêt.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Basse-Terre
Formation : 01
Numéro d'arrêt : 15/006361
Date de la décision : 21/09/2020
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.basse-terre;arret;2020-09-21;15.006361 ?
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