COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT No 821 DU 25 NOVEMBRE 2019
R.G : No RG 19/00142 - VMG/EK
No Portalis DBV7-V-B7D-DBYA
Décision déférée à la Cour : ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de BASSE-TERRE, décision attaquée en date du 22 janvier 2019, enregistrée sous le no 18/00192
APPELANT :
Monsieur H... E...
[...]
Représenté par Me Roland EZELIN de la SCP EZELIN-DIONE, (toque 96) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
INTIMÉS :
Monsieur U... W...
[...]
[...]
La société AGRICOLE DE BOLOGNE, SA
[...]
[...]
Représentés tous deux par Me Guylène NABAB, (toque 91) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART et assistés de Me Jean-Louis ANDREAU, avocat plaidant au barreau de PARIS.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 03 juin 2019, en audience publique, devant la cour composée en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile de Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère, chargée du rapport, a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés. Elle en a rendu compte à la cour dans son délibéré, composé :
Mme Valérie MARIE GABRIELLE, conseillère,
Madame Christine DEFOY, conseillère,
Mme Joëlle SAUVAGE, conseillère,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 16 septembre 2019.
GREFFIER :
Lors des débats : Mme Maryse PLOMQUITTE, greffière
Lors du prononcé de l'arrêt : Mme Esther KLOCK, greffière.
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de
l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Signé par Mme Valérie MARIE GABRIELLE, conseillère, et par Mme Esther KLOCK, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Les 12 et 14 novembre 2018, faisant état du litige professionnel opposant son épouse Q... E... à son ancien employeur la société agricole de Bologne (la SA Bologne), M.H... E... a diffusé sur sa page Facebook, deux vidéos le montrant, devant l'entrée de la société, tenant des propos mettant en cause cette dernière.
Soutenant que ces vidéos présentent un caractère diffamatoire à leur encontre, la SA Bologne et M. U... W..., président directeur général de la société, ont, par acte d'huissier de justice du 11 décembre 2018, fait assigner M. H... E... aux fins notamment de constater le trouble manifestement illicite commis, ordonner la suppression de ces vidéos, la publication s'il y a lieu sous astreinte de l'ordonnance à intervenir outre la condamnation de ce dernier au paiement de dommages et intérêts provisionnels.
Par ordonnance contradictoire rendue le 22 janvier 2019, la présidente du tribunal de grande instance de Basse-Terre a :
-au principal, renvoyé les parties à se pourvoir, cependant dés à présent et par provision,
-dit que les propos suivants contenus dans la vidéo diffusée par M. H... E... sur sa
page Facebook le 12 novembre 2018 présentent un caractère diffamatoire à l'encontre de la société agricole Bologne SA et de M. U... W... :
« Pour vous montrer comment ici en Guadeloupe on est dirigé par une haute
sphère très fermée et il faut dénoncer certaines choses»
« Donc on ne sait pas trop ce que ça veut dire, on ne sait pas trop comment le prendre parce que logiquement, ils doivent être impartials, il doit pas y avoir de parti pris. Donc ça nous amène à nous poser quand même des questions. Est ce que le fait qu'il soit président de la distillerie Bologne en même temps juré aux prud'hommes peut nous desservir dans ce procès ? Et quand je vois la confiance que le directeur il a, on se pose réellement des questions. Ah c'est ce que je voulais vous dire, donc en fait vous voyez que nos bourreaux sont nos juges. Comment voulez vous qu'on s'en sorte ?»,
-dit que les propos suivants contenus dans la vidéo diffusée par M. H... E... sur sa
page Facebook le 14 novembre 2018 présentent un caractère diffamatoire à l'encontre de la SA Bologne :
« Moi j'ai de la chance ma femme elle n'est pas morte »
« Vous n'avez pas subi ce qu'on a subi. Moi j'ai vu ma femme dépérir, mon couple a failli y passer à cause de ça. Tout ça parce que des dirigeants ne respectent pas l'être humain, parce qu'on nous traite comme des des c'est de l'esclavage moderne. Toutes les semaines elle a été suivie, elle pleurait tous les matins. Elle ne s'aimait plus. Et regardez ce qui est arrivé à la guadeloupéenne qui est morte dans le 20éme arrondissement à la mairie, elle subissait quoi ? Du harcèlement, elle avait des mots des sobriquets, elle, elle par contre elle a pas eu de chance elle en est morte. Moi la mienne elle est là. »
«On les avait prévenus qu'elle subissait du harcèlement, le directeur n'a pas
bougé, jusqu'à ce qu'elle fasse une crise de tétanie. »
«Autre chose la responsable n'a pas appelé les pompiers c'est une touriste, un médecin touriste qui était là qui a appelé les pompiers, elle est venue me chercher moi pour que j'amène ma femme à l'hôpital au lieu d'appeler les pompiers»,
-ordonné à M. H... E... de supprimer de sa page Facebook ([...]), le lendemain de la signification de l'ordonnance et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois au terme duquel il sera à nouveau statué par le juge de l'exécution compétent :
-la vidéo du 12 novembre 2018 :
[...]
-la vidéo du 14 novembre 2018 :
[...],
-ordonné la publication de la présente ordonnance, pendant un délai de 8 jours, en photo de couverture du profil Facebook de M. H... E... ([...]) selon les modalités suivantes :
en haut de la page d'accueil du profil Facebook de M. H... E..., sans autre mention ajoutée de quelque nature qu'elle soit, dans un encadré occupant toute sa largeur et un tiers de sa hauteur, en caractère gras, de taille suffisante pour occuper tout l'espace de l'encadré qui lui est réservé, et affiché de telle façon que l'ensemble du communiqué doit être lisible (et non caché en partie par la photo de profil ou en raison du recadrage proposé par Facebook) sous le titre « publication judiciaire à la demande de la société agricole de Bologne SA et de M. U... W... » suivi du communiqué judiciaire suivant :
« Par ordonnance du 22 janvier 2019, Madame la présidente du tribunal de grande instance de Basse-Terre a condamné M. H... E... pour avoir publié sur son mur Facebook des vidéos portant atteinte à l'honneur et à la considération de la société agricole Bologne SA et de M. U... W...»,
-dit que la publication de la présente ordonnance devra être exécutée le lendemain de la signification de ladite ordonnance et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant un délai de trois mois au terme duquel il sera à nouveau statué par le juge de l'exécution compétent,
-interdit à M. H... E... de communiquer publiquement, notamment en vidéo, en son
nom ou sous pseudonyme, au sujet de la procédure actuellement pendante devant le conseil de prud'hommes de Basse-Terre entre Mme Q... E... et la société agricole de Bologne SA,
-condamné M. H... E... à verser à la société agricole Bologne SA une somme provisionnelle de 3.000 euros au titre du préjudice moral subi outre les intérêts au taux légal,
-condamné M. H... E... à verser à M. U... W... une somme provisionnelle 2.000 euros au titre du préjudice moral subi outre les intérêts au taux légal,
-condamné M. H... E... à verser à la société agricole Bologne SA et à M. U... W... la somme globale de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. H... E... aux dépens lesquels comprendront les frais du constat effectué par Me B... X... le 22 novembre 2018 (900,09 euros).
Selon déclaration reçue au greffe de la cour le 31 janvier 2019, M. H... E... a relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 30 avril 2019, la présidente de la chambre civile a déclaré la SA Bologne et M. U... W... irrecevables en leur incident mal dirigé et les a condamné au paiement des dépens de l'incident.
Les parties ont conclu au fond. L'affaire a été retenue à l'audience du 03 juin 2019.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Les dernières conclusions, remises les 29 mai 2019 par l'appelant, 03 juin 2019 par les intimés, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
M. H... E... demande, à la cour, de:
-déclarer nulle et de nul effet l'assignation en ce qu'elle qualifie des mêmes faits au demeurant indivisible, à la fois de diffamation envers un citoyen chargé d'un mandat public et de diffamation envers un particulier (M. U... W...),
-déclarer irrecevable faute de justification de sa personnalité morale, la SA Bologne,
-annuler l'ordonnance querellée au motif qu'en violation de l'article 10 de la convention européenne des droits de l'homme, elle interdit à M. H... E..., défenseur officiel de son épouse devant le conseil des prud'hommes de parler en public du dossier de son épouse,
-dire et juger que le juge des référés a outrepassé ses pouvoirs en qualifiant les propos tenus par M. E... de diffamations, faisant aussi grief au principal,
-infirmer en conséquence, en toutes ses dispositions, la décision querellée,
-condamner les intimés in solidum à payer au concluant la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
M. H... E... soutient principalement que la saisine du juge des référés est irrecevable et l'assignation du 11 décembre 2018 nulle aux motifs d'une part que la jurisprudence pose qu'un fait unique ne saurait être à la fois poursuivi comme diffamation publique envers un particulier et diffamation publique envers un citoyen chargé d'un service public ce qui ressort de l'assignation du 11 décembre 2018 et que d'autre part M. C... L... y apparaît comme représentant de la SA Bologne en qualité de directeur général alors que selon le Kbis de cette dernière, il n'est pas le représentant légal de la société.
Il conteste tout propos diffamatoire expliquant que s'il a voulu, par le biais de la vidéo du 12 novembre 2018, dénoncer le risque d'influence sur la justice de la SA Bologne et de M. U... W..., c'est parce que, dans le cadre du litige opposant son épouse à cette dernière suite à son licenciement intervenu après un harcèlement intolérable, la SA Bologne a tenté d'influencer des collègues qui souhaitaient témoigner en faveur de celle-ci alors que M. U... W... exerce un mandat public au sein du conseil des Prud'hommes de Basse-Terre.
Concernant la vidéo du 14 novembre 2018, il conteste également tout propos diffamatoire aux motifs qu'il est établi que la SA Bologne commet des manquements graves au droit du travail envers ses salariés, ainsi l'absence de visite médicale pour son épouse en retour de son congé maternité en décembre 2015, l'absence d'action de prévention pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ce malgré de nombreuses plaintes de ces derniers dénonçant les agissements à leur égard de Mme O... S..., responsable de la boutique, laquelle n'a pas voulu ainsi appeler les pompiers le 04 août 2018 lorsque son épouse a eu un malaise ou le non respect du décret du 25 février 2016 relatif à la simplification des bulletins de paie. Il critique toute interdiction de communiquer insistant sur le fait qu'il a respecté les termes de l'ordonnance querellée.
La SA Bologne et M. U... W... demandent, à la cour, de :
-constater leur recevabilité dans le cadre de l'assignation signifiée le 11 décembre 2018 à M. H... E...,
-constater la validité de l'assignation signifiée le 11 décembre 2018 à M. H... E...,
-constater que M. H... E... est déchu de son droit de prouver la vérité des faits allégués tant s'agissant de la vidéo du 12 novembre 2018 que s'agissant de celle du 14 novembre 2018,
-débouter M. H... E... de l'ensemble de ses demandes,
-confirmer l'ordonnance de référé rendue le 22 janvier 2019 dans l'ensemble de ses dispositions,
-condamner M. H... E... à leur verser la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-condamner M. H... E... aux entiers dépens.
La SA Bologne et M. U... W... répliquent que M. H... E... est irrecevable en son exception de nullité fondée sur l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 laquelle ne peut être invoquée pour la première fois en cause d'appel et que dans tous les cas, il est mal fondé à la soulever puisque l'assignation contient des propos diffamatoires envers deux personnes distinctes. Elle précise que M. L... est directeur général salarié de la SA Bologne et suivant procuration du 3 novembre 2015 justifiée, dispose du pouvoir de représenter cette dernière.
Ils soutiennent principalement que les propos contenus dans les vidéos dénoncées sont diffamatoires à leur endroit pour comporter l'allégation ou l'imputation d'un fait précis portant atteinte à leur honneur ou à leur considération de façon publique, fut-elle par insinuation ou de façon interrogative ou déguisée. Ils dénoncent le fait que dans la vidéo du 12 novembre 2018, M. H... E... laisse entendre qu'ils auraient d'ores et déjà influencé le conseil des prud'hommes du fait de la qualité de conseiller prud'hommal de M. U... W... alors que celui-ci est tenu par sa déontologie et les principes directeurs du procès équitable. Ils soulignent que dans la vidéo du 14 novembre 2018, M. H... E... laissent entendre, à tort, que la SA Bologne ne respecte pas les obligations légales imposées par le code du travail ou le principe de la dignité humaine, étant dans tous les cas déchu de son offre de preuve puisque n'ayant pas prouvé la vérité des faits allégués dans le délai légal de 10 jours. Au regard du nombre important de vues de ces vidéos, ils invoquent le préjudice grave subi du fait des agissements de M. H... E....
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les exceptions
A l'énoncé de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la citation précisera et qualifiera le fait incriminé et indiquera le texte de loi applicable à la poursuite.
Sur ce fondement, il est admis que dans les instances civiles en réparation d'infractions de presse, l'exception de nullité de l'assignation doit être invoquée avant toute défense au fond. Or, en l'espèce, M. H... E... comparant devant le premier juge, n'ayant pas soulevé ce moyen avant son argumentaire au fond, il doit être déclaré irrecevable de ce chef.
Par ailleurs, l'article 648 du code de procédure civile prévoit, à peine de nullité, que tout acte d'huissier de justice indique indépendamment des mentions prescrites (...), si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui le représente légalement (...).
S' il est constant que dans l'assignation introductive d'instance délivrée le 11 décembre 2018, la SA Bologne apparaît comme "représentée par son directeur général, M. C... L..." alors que ce dernier figure comme administrateur sur le Kbis produit en date du 03 avril 2019, il a été jugé, contrairement à ce qui est soutenu que l'indication erronée de l'organe représentant légalement une personne morale, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité de l'acte de procédure, constitue un vice de forme - non de fond- de sorte qu'il revient à la partie qui l'invoque de prouver l'existence d'un grief, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Dans tous les cas, il convient de rappeler que la nullité des actes de procédure est couverte si celui qui l'invoque a, postérieurement à l'acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non recevoir sans soulever la nullité, ce qu'a fait M. H... E... devant le juge de première instance.
En conséquence, les exceptions soulevées par M. H... E... doivent être déclarées irrecevables, l'assignation délivrée le 11 décembre 2018 déclarée régulière et l'action introduite par la SA Bologne et M. U... W... jugée recevable.
Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite
En application de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté à la date à laquelle la cour statue, avec l'évidence qui s'impose au juge des référés, l'imminence d'un dommage ou la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
Il est admis que la constatation du trouble suppose que soient établies à la fois l'existence d'un acte qui ne s'inscrit manifestement pas dans le cadre des droits légitimes de son auteur, et celle d'une atteinte dommageable et actuelle aux droits ou aux intérêts légitimes du demandeur.
Par ailleurs, la liberté d'expression est encadrée par la loi du 29 juillet 1881 qui en son article 29, alinéa 1er, définit la diffamation comme "toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé (et prévoit que) la publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés».
L'article 23 de la même loi précise que le caractère public de la diffamation doit résulter de l'usage d'un des procédés ou moyens suivants « soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique».
Il est admis que la diffamation publique suppose l'existence d'une allégation ou l'imputation d'une articulation précise de faits, portant atteinte à l'honneur ou à la considération, peu important que celle-ci soit présentée sous une forme dubitative ou interrogative, cette allégation ou cette imputation devant être publique et la personne visée, identifiable ou identifiée.
Il est admis que le juge des référés est compétent pour limiter par quelque moyen que ce soit, la diffusion de l'information constituant un trouble manifestement illicite.
Le juge doit prendre en considération toutes les circonstances intrinsèques ou extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l'expression incriminée, la diffusion sur le réseau internet, à destination d'un nombre indéterminé de personnes constituant un acte de publicité rentrant dans le cadre de l'application de la loi précitée.
Le caractère diffamatoire doit être jugé objectivement et il est admis qu'il existe une atteinte à l'honneur ou à la considération dès que l'on impute à la personne, la commission d'un acte contraire à la morale ou à la probité.
En l'espèce, il est constant et non contesté que le 12 novembre 2018, M. H... E... a diffusé sur son adresse Facebook, une vidéo se filmant devant l'entrée de la distillerie Bologne précisant être mobilisé pour défendre sa femme qui était salariée de cette entreprise et tenant notamment les propos suivants tels que reportés par le constat de M. B... X..., huissier de justice à Paris, en date du 22 novembre 2018 : «(...) pour vous montrer comment ici en Guadeloupe on est dirigé par une haute sphère très fermée et il faut dénoncer certaines choses (...).Donc on ne sait pas trop ce que ça veut dire, on ne sait pas trop comment le prendre parce que logiquement, ils doivent être impartials, il doit pas y avoir de parti pris. Donc ça nous amène à nous poser quand même des questions. Est ce que le fait qu'il soit président de la distillerie Bologne en même temps juré aux prud'hommes peut nous desservir dans ce procès ? Et quand je vois la confiance que le directeur il a, on se pose réellement des questions. Ah c'est ce que je voulais vous dire, donc en fait vous voyez que nos bourreaux sont nos juges. Comment voulez vous qu'on s'en sorte ?»,
Ces propos incriminants ("est ce que le fait qu'il soit président de la distillerie Bologne en même temps juré aux prud'hommes peut nous desservir dans ce procès? Et quand je vois la confiance que le directeur il a, on se pose réellement des questions. Ah c'est ce que je voulais vous dire, donc en fait vous voyez que nos bourreaux sont nos juges"),qui doivent être interprétés les uns par rapport aux autres, peu important la forme interrogative employée, insinuent que l'issue de la procédure relative au licenciement de son épouse est d'ores et déjà connue en raison de la qualité de M. U... W..., président directeur général de la SA Bologne et conseiller prud'hommal.
Or, si la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, M. H... E... n'a pas produit, dans le délai de 10 jours, d'ordre public, prévu par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 applicable en matière de référé, des justificatifs de ces propos litigieux, ses bordereaux de communication de pièces étant en date des 15 mars et 28 mai 2019.
Aussi, il y a lieu de considérer que la diffusion sur internet de cette vidéo, filmée devant la distillerie Bologne est de nature à causer à l'endroit de M. U... W... et de la SA Bologne qu'il dirige, un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.
S'agissant de la vidéo diffusée le 14 novembre 2018 sur son adresse Facebook par M. H... E..., positionné à nouveau devant la distillerie Boulogne, il est constant et non contesté qu'il a été tenu les propos suivants tels que reportés par le constat de M. B... X..., huissier de justice à Paris, en date du 22 novembre 2018 : « Moi j'ai de la chance ma femme elle n'est pas morte (...). Vous n'avez pas subi ce qu'on a subi. Moi j'ai vu ma femme dépérir, mon couple a failli y passer à cause de ça. Tout ça parce que des dirigeants ne respectent pas l'être humain, parce qu'on nous traite comme des des c'est de l'esclavage moderne. Toutes les semaines elle a été suivie, elle pleurait tous les matins. Elle ne s'aimait plus. Et regardez ce qui est arrivé à la guadeloupéenne qui est morte dans le 20éme arrondissement à la mairie, elle subissait quoi ? Du harcèlement, elle avait des mots des sobriquets, elle, elle par contre elle a pas eu de chance elle en est morte. Moi la mienne elle est là (...). On les avait prévenus qu'elle subissait du harcèlement, le directeur n'a pas bougé, jusqu'à ce qu'elle fasse une crise de tétanie (...). Autre chose la responsable n'a pas appelé les pompiers c'est une touriste, un médecin touriste qui était là qui a appelé les pompiers, elle est venue me chercher moi pour que j'amène ma femme à l'hôpital au lieu d'appeler les pompiers».
Ces propos déshonorants (" du harcèlement, tout ça parce que des dirigeants ne respectent pas l'être humain, parce qu'on nous traite comme des des c'est de l'esclavage moderne"), qui doivent être interprétés les uns par rapport aux autres, peu important la forme interrogative ou allusive employée, insinuent que les droits du personnel de la SA Bologne ne sont pas respectés et que celui-ci aurait pu laisser mourir Mme Q... E..., sans lui porter assistance.
Or, si la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, M. H... E... n'a pas produit, dans le délai de 10 jours, d'ordre public, prévu par l'article 55 de la loi du 29 juillet 1881 applicable en matière de référé, des justificatifs de ces propos litigieux, ses bordereaux de communication de pièces étant en date des 15 mars et 28 mai 2019.
Aussi, il y a lieu de considérer que la diffusion sur internet de cette vidéo, est de nature à causer à l'endroit de la SA Bologne un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser.
Dés lors, sans outrepasser ses droits, c'est à raison que le premier juge a accueilli les demandes de suppression de ces vidéos et de publication de l'ordonnance du 22 janvier 2019 présentée par la SA Bologne et M. U... W... aux fins de faire cesser le trouble manifestement illicite né de la diffusion de ces propos sur internet. En conséquence, l'ordonnance querellée sera confirmée de ces chefs.
Cependant, au regard de l'équilibre nécessaire dans une société démocratique entre la liberté d'expression et la protection de la réputation ou des droits d'autrui, vu les éléments de la cause, il est disproportionné pour faire cesser les agissements diffamatoires déjà sanctionnés par le retrait des vidéos en cause, d'ores et déjà exécuté par M. H... E..., d'ordonner l'interdiction complète pour celui-ci de communiquer publiquement sur le litige opposant son épouse à la SA Bologne.
Aussi, sauf à rappeler à l'appelant, les limites à cette liberté d'expression laquelle ne peut tolérer des propos diffamatoires sanctionnés par la loi, il y aura lieu d'infirmer la décision entreprise de ce chef.
Sur les demandes de provisions
S'agissant des indemnités provisionnelles accordées aux intimées sur le fondement de l'article 809, alinéa 2 du code de procédure civile, vu les circonstances de la diffusion de ces vidéos litigieuses, en dépit du nombre de vues affichées tel qu'il résulte du constat d'huissier précité, leur impact demeure limité, la SA Bologne et M. U... W... ne justifiant pas en l'état, du fait de cette diffusion, d'une atteinte dommageable à leurs intérêts moraux.
Dés lors, les demandes de provisions seront rejetées et l'ordonnance du 22 janvier 2019 sera donc infirmée de ces chefs.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'article 700 du code de procédure civile prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens mais dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Aussi, en l'espèce, il n'est pas inéquitable que chacune des parties supporte en première instance et en cause d'appel, les frais irrépétibles engagés par elle pour cette procédure. Ces prétentions seront donc rejetées.
M. H... E... succombant, il supportera les entiers dépens de l'instance y compris les frais de constat du 22 novembre 2018.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt rendu contradictoirement et par mise à disposition au greffe ;
Rejette les exceptions de nullité relatives à l'assignation introductive d'instance soulevées par M. H... E... ;
Déclare recevable l'action introduite par la SA Bologne et M. U... W...;
Confirme la décision querellée sauf en ce qu'elle a interdit à M. H... E... de communiquer publiquement, notamment en vidéo, en son nom ou sous pseudonyme, au sujet de la procédure actuellement pendante devant le conseil de prud'hommes de Basse-Terre entre Mme Q... E... et la société agricole Bologne SA et a condamné M. H... E... à verser à la société agricole Bologne SA et à M. U... W... les sommes provisionnelles de 3 000 euros et 2 000 euros au titre du préjudice moral subi outre la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à interdiction pour M. H... E... de communiquer publiquement, au sujet de la procédure actuellement pendante devant le conseil de prud'hommes de Basse-Terre entre Mme Q... E... et la société agricole Bologne SA ;
Déboute la société agricole Bologne SA et à M. U... W... de leurs demandes en paiement d'indemnités provisionnelles ;
Rejette les demandes faites au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. H... E... aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Ecarte les autres demandes plus amples ou contraires.
Et ont signé le présent arrêt.
La Greffière La Présidente