COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
1ère CHAMBRE CIVILE
ARRÊT N° 960 DU 26 NOVEMBRE 2018
R.G : N° RG 16/01877 - VMG/EK
N° Portalis DBV7-V-B7A-CYLA
Décision déférée à la Cour : jugement au fond, origine tribunal de grande instance de BASSE-TERRE, décision attaquée en date du 20 octobre 2016, enregistrée sous le no 13/00775
APPELANT :
Monsieur Fred, Marc Y...
[...]
[...]
représenté par Me Brigitte Z..., (toque 81) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2016/002223 du 15/05/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASSE-TERRE)
INTIMÉE :
Madame Clélie Basilia L... épouse A...
[...]
représentée par Me Roland B... de la SCP B... C... , (toque 96) avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2017/000283 du 31/07/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de BASSE-TERRE)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 septembre 2018, en audience publique, devant la cour composée en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile de Mme Laure-Aimée GRUA-SIBAN, présidente de chambre et de Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés. Elles en ont rendu compte à la cour dans son délibéré composé de :
Mme Laure-Aimée GRUA-SIBAN, présidente de chambre,
Mme Valérie MARIE-GABRIELLE, conseillère,
Madame Christine DEFOY, conseillère,
qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour le 12 novembre 2018, prorogé le 26 novembre 2018.
GREFFIER :
Lors des débats : Mme Maryse PLOMQUITTE, greffière
Lors du prononcé : Mme Esther KLOCK, greffière
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées conformément à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile. Signé par Mme Laure-Aimé GRUA-SIBAN, présidente de chambre, et par Mme Esther KLOCK, greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte notarié du 02 août 2001 établi par Maître Daniel D..., notaire associé à Basse-Terre, il a été fait donation à M. Fred Y..., de deux parcelles de terre dont celle cadastrée [...] lieudit [...] d'une superficie de 03 ares 02 centiares.
Par acte de donation-partage dressé le 05 juin 1985 par le même notaire, Mme Clélie L... épouse A... (Mme A...) est devenue notamment propriétaire de la parcelle [...] , limitrophe du terrain précité cadastré [...] .
Suite à l'assignation délivrée le 13 août 2013 par Mme A... à l'endroit de M. Y..., le tribunal de grande instance de Basse-Terre a :
-condamné M. Y... à démolir la partie de sa construction et de son mur de clôture qui empiètent de 38m² sur la parcelle [...] de Mme Clélie A..., sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir
-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du jugement
-débouté Mme A... de sa demande en dommages et intérêts
-condamné M. Fred Y... aux entiers dépens de l'instance lesquels seront recouvrés comme en matière d'aide juridictionnelle
Selon déclaration reçue au greffe le 20 décembre 2016, M. Y... a relevé appel de cette décision.
Les parties ont conclu. L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 mars 2018.
PRÉTENTIONS ET MOYENS
Les dernières conclusions, remises au greffe les 16 mars 2016 par l'appelant, 02 mars 2018 par l'intimée, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, peuvent se résumer ainsi qu'il suit.
M. Y... demande de :
-déclarer son appel recevable et bien fondé, débouter Mme A... de toutes ses demandes, infirmer le jugement rendu le 20 octobre 2016 en toutes ses dispositions, statuant à nouveau, au principal, avant dire droit ordonner une expertise, désigner tel expert pour se rendre sur les lieux pour constater la réalité des faits, frais d'expertise à sa charge au prorota de l'aide juridictionnelle partielle accordée,
-à titre subsidiaire, dire n'y avoir lieu à démolition de construction, ni pour le tout, ni en partie compte tenu de la nature du mur, dire n'y avoir lieu à suppression ou obturation de fenêtres compte tenu de leur inexistence sur le fond AM 276, condamner Mme A... à la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, condamner Mme A... à la somme de 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens recouvrés par Maître Brigitte Z..., avocate, au prorata de l'aide juridictionnelle,
-à titre infiniment subsidiaire, pour régler le problème de l'indemnisation de l'empiétement, retenir la proposition amiable d'indemnisation originelle par M. Y... à hauteur de la somme de 10 000 euros
Mme A... demande de :
-statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel de M. Y..., débouter
M. Y... de toutes ses demandes, confirmer purement et simplement le jugement entrepris,
-condamner M. Y... sur le fondement des articles 1382 et suivants du code civil à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la privation de jouissance et du préjudice moral qu'elle subit et condamner le même aux dépens d'instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande relative à l'empiétement
M. Y... expose que propriétaire limitrophe sur un terrain familial, de sa tante maternelle Mme A..., ils ont fait procéder en commun le 09 février 2010 par l'expert-géomètre Harold E... au rétablissement des limites de leurs propriétés. Il indique qu'en compensation de l'empiétement de 3 mètres opéré sur le terrain de celle-ci et dont elle a connaissance depuis 1996, il a été accordé à Mme A... un droit de passage sur un autre terrain familial cadastré [...] afin de désenclavement de sa parcelle [...] , droit validé par acte notarié du 11 août 2009. Il précise que Mme A... a donné son accord à l'édification du mur séparant les propriétés lequel est un mur de soutènement indispensable à la tenue des fonds en forte déclivité et entourés d'un talus et de la voirie communale. Il ajoute qu'il a élevé sa maison dans l'alignement de ce mur et que l'empiétement en cause est d'une surface de 36m², non 38m² comme précédemment indiqué par l'expert et sera justement indemnisé par l'octroi de la somme de 10 000 euros initialement convenue entre eux. Il fait valoir le constat par Mme F..., huissier de justice, de l'absence de vues plongeantes sur l'immeuble de Mme A... de sorte qu'aucune gêne ne résulte de l'étage édifié pour loger sa famille.
Mme A... rétorque qu'elle s'est rendue compte en février 2010, lors des travaux opérés par M. E..., expert-géomètre de l'empiétement de 38m² réalisé par M. Y... sur son terrain cadastré [...] , ce sans son accord, alors que les bornes séparatives des terrains avaient disparu. Elle précise que si elle avait donné son accord sur la prolongation du mur de soutènement pour éviter les risques de glissement de la construction et du terrain [...] sur sa parcelle [...] située en contrebas et avait accepté de vendre à M. Y..., la portion objet de l'empiétement à charge pour lui de faire des formalités chez le notaire, en mars 2012, M. Y... a entrepris d'importants travaux sans son autorisation et a rehaussé sa maison d'un étage avec 2 grandes fenêtres offrant une vue plongeante et directe sur sa maison en violation de l'article 678 du code civil. Elle ajoute que
la servitude de passage dont il est fait état est sans lien avec le litige car elle concerne une autre parcelle cadastrée [...] dont elle n'est plus propriétaire pour l'avoir déjà vendue.
Aux termes de l'article 545 du code civil, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.
Il est constant que M. Y... est propriétaire de la parcelle cadastrée [...] lieudit [...] limitrophe de celle de sa tante, Mme A... cadastrée [...] . Selon permis de construire du 17 décembre 1993 puis du 23 mars 2012 délivrés par la commune de Vieux-Habitants, M. Y... a justifié avoir obtenu l'autorisation de construire puis d'agrandir son logement à usage d'habitation sis sur cette parcelle.
Il résulte expressément des écritures de Mme A... et des pièces du dossier (courrier du 22 mars 2012 adressé par Mme A... au procureur de la république de Basse-Terre, projet de régularisation de bornage effectué par M. E... géomètre-expert le 09 février 2010 portant "bon pour accord" suivi de la signature de l'intimée) que celle-ci a donné son accord pour prolonger le mur séparatif des propriétés afin d'éviter les risques de glissement de terrain, sa parcelle étant située en contrebas de celle de M. Y.... Ainsi que Mme A... le précise elle même dans ses écritures et dans le courrier précité, le principe d'une vente de la portion de terre objet de l'empiétement avait été arrêté entre les parties sans réalisation ultérieure du contrat définitif.
Il n'est pas contesté de plus, que les parties se sont mises d'accord pour rétablir leurs limites des propriétés, ce qui a été fait suivant plan dressé contradictoirement le 09 février 2010 par M. Harold E..., géomètre-expert laissant apparaître clairement l'empiétement par M. Y... sur la parcelle de Mme A... sur une superficie de 38 m².
Par ailleurs, MM. L... M... , G... et H..., oncles de l'appelant et frères de l'intimée, pour certains voisins des parties, et MM. Géraud I..., David J..., Jean-Michel K..., artisans ayant participé aux travaux de construction du dit mur, ont attesté de son édification, courant 2010, en présence de Mme A....
Aussi, s'il apparaît du plan érigé le 28 septembre 2017 par M. E..., géomètre-expert et des procès-verbaux de constats dressés les 27 septembre et 12 octobre 2017 par Mme Isabelle F... huissier de justice produits que M. Y... a érigé un étage à sa maison, celui-ci a été construit dans l'alignement de ce mur édifié avec l'autorisation de Mme A... et dans la surface acquise de ce fait soit 38 m² (déterminé contradictoirement le 09 février 2010 par M. E... expert-géomètre selon plan du 14 février 2013 qui doit être retenu contrairement à celui établi le 26 janvier 2017).
Aussi, s'il est certain que le droit de propriété est absolu, il est admis qu'en justifiant de l'accord amiable du propriétaire, ce qui est le cas en l'espèce pour ce mur permettant au surplus la retenue des sols sur un terrain décaissé, l'empiétement litigieux, y compris la pièce en surplomb, ne peut être considéré comme une voie de fait.
A toutes fins, précision faite que l'intimée n'a pas repris dans le dispositif de ses conclusions les prétentions relatives aux vues dénoncées, il y a lieu de souligner que les constats précités ne font pas état de vues plongeantes sur le domicile de Mme A..., l'appelant ayant édifié une palissade dissimulant ce dernier ou ayant eu recours à du verre opaque ou ayant condamné utilement les fenêtres donnant sur la villa de l'intimée.
Dés lors, vu l'ensemble des pièces du dossier, sans nécessité de l'organisation d'une expertise, c'est à tort que le premier juge a ordonné la démolition de la construction et du mur empiétant sur la parcelle de Mme A.... Le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur les demandes de dommages et intérêts
Mme A... soutient subir depuis 25 ans une privation d'une partie de son terrain dont elle n'a pas la pleine jouissance, l'implantation en 2010 de sa propre maison en ayant pâti, ces difficultés lui causant également un important préjudice moral alors qu'elle est âgée et souffre de graves problèmes de santé.
M. Y... affirme à son tour que cette querelle familiale lui a causé des problèmes de santé ayant dû être opéré de la thyroïde.
Aux termes de l'article 1240 du code civil (1382 ancien), tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il apparaît qu'en édifiant sur la portion de terre appartenant à Mme A..., outre le mur séparatif des propriétés, un étage supérieur à sa maison, M. Y... a commis une faute qui a partiellement privé celle-ci de la jouissance de sa propriété et lui a causé un préjudice moral certain.
A ce titre, en dépit de l'absence de voie de fait, vu les préjudices retenus, il est de juste appréciation d'allouer à Mme A... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts.
M. Y..., auteur des faits sera débouté de sa demande de dommages et intérêts infondée.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
M. Y... succombant sera débouté de sa demande au titre de l'article au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il supportera les dépens de première instance et d'appel sous réserve de l'application de la loi sur l'aide juridictionnelle.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe ;
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Dit n'y avoir lieu à démolition des ouvrages bâtis (mur séparatif et pièce située à l'étage de la maison) sur la superficie de 38m² empiétant sur la parcelle cadastrée [...] lieudit [...] appartenant à Mme A... ;
Condamne M. Fred Y... à verser à Mme Clélie L... épouse A... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
Déboute M. Fred Y... de sa demande de dommages-intérêts ;
Condamne M. Fred Y... aux entiers dépens de première instance et d'appel lesquels seront recouvrés conformément à la loi sur l'aide juridictionnelle.
Et ont signé la présidente et la greffière ;
La Greffière La Présidente