COUR D'APPEL DE BASSE-TERRE
AUDIENCE SOLENNELLE
ARRET No 763 DU 29 SEPTEMBRE 2008
R.G : 07/01155
Décision déférée à la Cour : Arrêt de la cour d'Appel de Fort-de-France, décision attaquée en date du 28 novembre 2003, enregistré sous le no 01/971
APPELANTE :
S.A.R.L. SOCIETE BOIRON CARAIBESdont le siège social est Verger - rue Case Nègre97232 LE LAMENTIN
Représentée par Me John Sylvanus DAGNON (TOQUE 41), avocat au barreau de GUADELOUPE
INTIMEES :
LE RECEVEUR PRINCIPAL DES DOUANES ET DROITS INDIRECTSAvenue Maurice Bishop97200 FORT DE FRANCE
LE DIRECTEUR REGIONAL DES DOUANES DE LA MARTINIQUERecette Principale des Douanes de Fort-de-FranceAvenue Maurice Bishop97200 FORT DE FRANCE
Représentés par la SCP URBINO-SOULIER, CHARLEMAGNE et Associés, avocats au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
A l'audience publique du 16 avril 2008, où l'affaire a été mise en délibéré au 18 juin 2008, successivement prorogé au 29 septembre 2008, devant la Cour composée de :M. Robert PARNEIX, président de chambre, président,Mme Anne DESMURE, conseillère, rapporteure,M. Hubert LEVET, conseiller,M. Guy POILANE, conseiller,Mme Marie-Hélène CABANNES, conseillère,qui en ont délibéré.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats de ce que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la Cour le 29 SEPTEMBRE 2008
GREFFIER :
Lors des débats : Mme Yolande MODESTE,
ARRET :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.Signé par Mme Anne DESMURE, conseillère, par suite d'un empêchement du président et par Nita CEROL, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la décision a été remise par le magistrat signataire.
1. Exposé du litige :
La société Boiron Caraïbes a importé diverses marchandises dans le département de la Martinique et a acquitté à ce titre l'octroi de mer et son droit additionnel en application de la loi n 92-676 du 17 juillet 1992 portant mise en oeuvre de la décision du Conseil de la CEE n 89-688 du 22 décembre 1989.
Par exploit d'huissier du 29 mars 2001, la société Boiron Caraïbes a fait assigner le directeur régional des douanes de la Martinique et le receveur principal des douanes de Fort-de-France en restitution d'une somme de 1 576 037 francs représentant le montant des taxes acquittées en 1989 et 1999, motif pour l'essentiel pris de l'incompétence institutionnelle du Conseil à édicter la décision du 22 décembre 1989.
Par jugement du 15 octobre 2001, le tribunal d'instance de Fort-de-France a :
-déclaré le receveur principal des douanes de la martinique hors de cause,-déclaré prescrite la demande formée par la société Boiron Caraïbes portant sur la restitution des taxes acquittées antérieurement au 29 mars 1998,-dit n'y avoir lieu de saisir la Cour de Justice des Communautés Européennes de questions préjudicielles,-débouté la société Boiron Caraïbes de sa demande portant sur la restitution des taxes acquittées postérieurement au 29 mars 1998,-débouté l'Administration des douanes de sa demande reconventionnelle,-laissé les dépens de l'instance à la charge du Trésor Public au visa de l'article 367 du Code des douanes.
La société Boiron Caraïbes a interjeté appel et, par arrêt du 28 novembre 2003, la cour d'appel de Fort-de-France a :
-confirmé la décision déférée en ce qu'elle a déclaré hors de cause le receveur principal des douanes de la Martinique et donné acte à l'administration des douanes et droits indirects agissant par le directeur régional des douanes et droits indirects de la Martinique de ce qu'elle intervient volontairement à l'instance,
-rejeté l'exception de nullité du jugement pour défaut de réponse ou réponse insuffisante aux différents moyens invoqués,
-confirmé le jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrite la demande formée par la société Boiron Caraïbes portant sur la restitution des taxes acquittées avant le 29 mars 1998, en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à saisir la Cour de justice des communautés européennes de questions préjudicielles et en ce qu'il a débouté la société Boiron Caraïbes de sa demande portant sur la restitution des taxes acquittées après le 29 mars 1998,
-y ajoutant, condamné la société Boiron Caraïbes à payer à l'administration des douanes la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
-dit n'y avoir lieu à dépens conformément aux dispositions de l'article 367 du Code des douanes.
Sur le pourvoi formé par la société Boiron Caraïbes, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a, par arrêt du 27 septembre 2005 :
- cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en restitution des droits acquittés avant le 29 mars 1998, cet arrêt, remis en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Basse-Terre,
-condamné le directeur général des douanes et droits indirects aux dépens,
-vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejeté sa demande et condamné ce dernier à payer à la société Boiron Caraïbes la somme de 2 000 euros.
C'est dans ces circonstances de fait que la société Boiron Caraïbes a le 3 août 2007, saisi la cour d'appel de céans par une déclaration motivée aux termes de laquelle elle demande à la cour de :
-réformer le jugement en ce qu'il a déclaré prescrite la demande pour les droits acquittés plus de trois ans avant la date de la demande judiciaire,
-dire que l'argumentation qu'elle développe tend à l'invalidation d'une norme communautaire, question qui ressort de la compétence exclusive de la CJCE,
-par voie de conséquence, saisir la CJCE des trois questions préjudicielles suivantes :Le Traité de Rome n'a t'il pas été violé en 1989, par suite du recours à l'article 235 pour fonder la décision 89-688 du 22 décembre 1989, dés lors que les pouvoirs d'action requis pour déroger au profit des départements d'Outre-mer à toute la rigueur du Traité ont bien été prévus en 1957 à travers les articles 17- 4, 226 et 227 §2 et, qu'à cette date, les délais pour leur mise en oeuvre étaient expirés ?Eu égard aux dispositions pertinentes du Traité sur la compétence de chacune des institutions de la Communauté, le Conseil CEE avait-il compétence en 1989 pour autoriser les dispositions contenues dans la décision 89-688 du 22 décembre 1989, constitutives selon le 9ème considérant de ladite décision, et ainsi que l'a précisé la Cour elle-même dans son arrêt Chevassus-Marche du 19 février 1998 au point n 26, d'une dérogation à l'article 95 du Traité, ou ne fallait-il pas, au plan institutionnel, recourir à une réforme préalable du traité ?S 'il faut considérer que le Conseil CEE avait compétence en 1989 pour édicter la décision 89-688, que la Cour a pourtant reconnu dans son arrêt Chevassus-Marche, au point n 26, comme constitutive d'une mesure dérogatoire à l'article 95 du Traité, quelle interprétation la Cour considère t 'elle qu'il convient alors de donner aux précisions contenues aux points n 35 et 42 du même arrêt Chevassus-Marche du 19 février 1998 selon lesquelles : « Passé le délai de 2 ans, en l'absence de décisions prises par le Conseil au titre de l'article 227 paragraphe 2, deuxième alinéa, toutes les autres dispositions du Traité, y compris l'article 95, devenaient de plein droit applicables aux D.O.M....... de telles conditions limitatives de la possibilité de déroger aux règles du traité sont d'autant plus nécessaires dans le présent contexte que, parmi les dispositions du Traité s'appliquant aux D.O.M. dés l'expiration du délai de 2 ans, figurent non seulement l'article 95 du Traité qui constitue un complément aux dispositions relatives à la suppression des droits consacrés par les dispositions visées à l'article 227 paragraphe 2, deuxième alinéa, droits faisant partie de leur patrimoine juridique, soit susceptible d'être altérée, au fil du temps, par des décisions du Conseil » ?
-en ce qui concerne la taxe dénommée "droit additionnel à l'octroi de mer", dire qu'il ne résulte pas de la décision n 89-688 du 22 décembre 1989 que la France ait été autorisée à continuer de percevoir ladite taxe à compter du 1er janvier 1993, taxe que la CJCE a jugé le 7 novembre 1996 comme constitutive d'une taxe "nouvelle et unilatéralement instituée" par la France après l'entrée en vigueur du tarif douanier commun le 1er juillet 1968, et donc contraire au Traité,
-en conséquence condamner l'administration des douanes à lui restituer le montant en principal indûment perçu d'elle, soit 63 227 euros majorés des intérêts moratoires au taux légal à compter de chaque perception indue, et capitalisation à compter de la date d'assignation,
-pour le cas où la cour aurait un doute sur l'illégalité des perceptions au titre de cette taxe, faire application de l'article 234 du Traité en posant à la CJCE la question préjudicielle suivante :"A travers la décision du Conseil CEE n 89-688 du 22 décembre 1989, la France a t'elle également été autorisée à continuer la perception de la taxe dénommée droit additionnel à l'octroi de mer à compter du 1er janvier 1993, ou ladite autorisation ne concerne t'elle que l'octroi de mer"?.
Aux termes de ses écritures déposées le 7 février 2008, l'Administration des douanes requiert la cour de confirmer le jugement entrepris, subsidiairement d'ordonner une mesure d'expertise comptable au visa de l'article 352 bis du Code des douanes, et, ajoutant au jugement, de condamner la société requérante à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
MOTIFS:
Attendu, à titre liminaire, que l'arrêt rendu le 28 novembre 2003 par la cour d'appel de Fort-de-France a été cassé et annulé en ce qu'il a déclaré irrecevable la demande en restitution des droits acquittés avant le 29 mars 1998 ; que la cour d'appel de céans, désignée comme juridiction de renvoi, est donc investie de la connaissance du litige opposant les parties sur la demande en restitution des droits acquittés antérieurement au 29 mars 1998 ;
Attendu que l'appelante fait grief au premier juge d'avoir déclaré irrecevable pour cause de prescription cette demande, alors selon elle que l'exception de prescription doit être appréciée à la lumière de l'article 236 paragraphe 2 du Code des douanes communautaire en application duquel c'est à la date de la formulation de la demande auprès de l'Administration douanière que s'apprécie la prescription triennale et non à celle de l'assignation judiciaire, de sorte ainsi en l'espèce que la demande en restitution formulée le 8 janvier 2001 auprès du receveur des douanes percepteur des taxes acquittées à compter du 10 janvier 1998 a interrompu le cours de la prescription triennale, et que sa demande en restitution pour la période antérieure au 29 mars 1998 est recevable ;
Attendu que l'Administration des Douanes indique s'incliner devant l'arrêt rendu le 27 septembre 2005 par la Cour de cassation et renoncer au moyen tiré de l'irrecevabilité pour cause de prescription de cette demande ; Qu'il lui en est donné acte ;
Attendu, sur le mérite de la demande en restitution des droits acquittés avant le 29 mars 1998, que la société Boiron Caraïbes demande à la cour de dire qu'il y a lieu de saisir la Cour de Justice des Communautés Européennes de questions préjudicielles en appréciation de la validité de la décision n 89-688 du 22 décembre 1989 qui sert de fondement aux perceptions de taxe depuis le 1er janvier 1993 au regard de la compétence institutionnelle du Conseil C.E.E. pour édicter les dispositions contenues dans la décision incriminée, ou à tout le moins en interprétation des points n 26, 35 et 42 de l'arrêt Chevassus-Marche rendu le 19 février 1998 ; Qu'à cet effet, elle soutient en substance que la question de la compétence de l'auteur de la décision 89/688 du 22 décembre 1989 au regard des règles de compétence institutionnelle posées par le Traité de Rome n'a jusqu'alors jamais été posée à la Cour de Justice des Communautés Européennes, que le Conseil s'est appuyé sur les articles 227 paragraphe 2 et 235 du Traité pour édicter la norme incriminée, alors que le délai transitoire de 2 ans édicté par le 2ème alinéa du paragraphe 2 de l'article 227 du Traité était expiré en 1989 de sorte que le Conseil n'avait institutionnellement plus compétence pour prendre des décisions pouvant nuire à la jouissance entière par les ressortissants communautaires des droits consacrés par l'acte institutif de la Communauté, et que le recours à l'article 235 du Traité était abusif, s'agissant d'un texte de compétence subsidiaire auquel le Conseil n'était pas en droit de recourir dés lors que le Traité avait prévu en 1957 les pouvoirs d'action pour atteindre l'objectif fixé dans les délais prévus ; qu'au soutien de sa prétention subsidiaire, elle ajoute qu'à supposer que la décision Chevassus-Marche du 19 février 1998 s'entende comme validant la décision incriminée, la saisine préjudicielle de la Cour de Justice des Communautés Européennes en interprétation s'impose en raison de la contradiction contenue dans cet arrêt aux points n 35 et 42 ; qu'elle fait enfin valoir que le droit additionnel à l'octroi de mer est constitutif d'une taxe nouvelle, unilatéralement instituée par la France après l'entrée en vigueur du Tarif douanier commun, et contraire au Traité ;
Mais attendu que les juridictions nationales sont en droit de rejeter les moyens d'invalidité invoqués par les parties à l'encontre d'un acte communautaire si elles ne les estiment pas fondés ; que le délai de 2 ans prévu par l'article 227 paragraphe 2 n'est pas impératif pour les dispositions du traité qui ne sont pas énumérées dans le paragraphe 2 premier alinéa, dont l'article 95 ; que le texte, en son 3ème alinéa, ouvre en effet compétence au Conseil pour édicter des dispositions dérogatoires à l'article 95 du Traité pour les départements d'Outre-mer, fût-ce postérieurement au délai de 2 ans mentionné au deuxième alinéa ; qu'en application de ce texte, des dispositions particulières peuvent ainsi être prises pour permettre l'application des principes communautaires dans les départements d'Outre-mer, tenant cependant compte des exigences spécifiques de ces départements ; qu'il est constant que la décision incriminée assortit de conditions strictes le système d'exonération de la taxe d'octroi de mer qu'elle prévoit ; qu'enfin, la taxe additionnelle n'est qu'une simple majoration de la taxe d'octroi de mer qui obéit aux mêmes règles que l'octroi de mer lui-même, ce dont il suit que la décision incriminée qui a validé le régime de l'octroi de mer applicable dans les départements d'Outre-mer a autorisé simultanément le droit additionnel à cette taxe ;
Que de l'ensemble de ce qui précède, il résulte que les taxes perçues du 10 janvier au 29 mars 1998 ont été régulièrement perçues en vertu de la loi n 92-676 du 17 juillet 1992 portant mise en oeuvre de la décision n 89-688 du Conseil de la CEE du 22 décembre 1989 et instituant le nouveau régime de l'octroi de mer à compter du 1er janvier 1993 ;
Que la demande de restitution des taxes acquittées antérieurement au 29 mars 1998 sera en conséquence déclarée recevable mais non fondée ;
Attendu que l'équité justifie enfin la condamnation de la société Boiron Caraïbes au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré prescrite la demande en restitution des taxes acquittées antérieurement au 29 mars 1998 pour cause de prescription,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déclare recevable mais non fondée la demande en restitution des taxes acquittées antérieurement au 29 mars 1998,
Déboute en conséquence la société Boiron Caraïbes de cette demande,
La condamne à payer la somme de 2 000 euros au directeur général des douanes et des droits indirects par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
Vu l'article 367 du Code des douanes, dit n'y avoir lieu à dépens.
Et ont signé le présent arrêt
La greffière, la conseillère,