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04/07/2024 | FRANCE | N°21/00561

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 04 juillet 2024, 21/00561


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale











ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00561 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E4YO.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 21 Septembre 2021, enregistrée sous le n° F 20/00014





ARRÊT DU 04 Juillet 2024





APPELANT :



Monsieur [X] [K]

[Adresse 2]

[Localité 1]



représenté par Me AndrÃ

© BELLESSORT de la SCP MAYSONNAVE-BELLESSORT, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier 197278







INTIMEE :



S.A. AMBROISE BOUVIER FROID Prise en la personne de ses représentants

légaux, domiciliés en...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00561 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E4YO.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LAVAL, décision attaquée en date du 21 Septembre 2021, enregistrée sous le n° F 20/00014

ARRÊT DU 04 Juillet 2024

APPELANT :

Monsieur [X] [K]

[Adresse 2]

[Localité 1]

représenté par Me André BELLESSORT de la SCP MAYSONNAVE-BELLESSORT, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier 197278

INTIMEE :

S.A. AMBROISE BOUVIER FROID Prise en la personne de ses représentants

légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Maître Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître GOURET, avocat plaidant au barreau de RENNES

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame CHAMBEAUD, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 04 Juillet 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Ambroise Bouvier Froid est une filiale du groupe STMB (société de Transport Maurice Bouvier), entreprise familiale ayant pour activité le transport frigorifique et à température régulée de marchandises en France et à l'international. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

M. [X] [K] a été engagé à compter du 5 septembre 2013 par la société Ambroise Bouvier Froid dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée en qualité de conducteur routier, groupe 6, coefficient 138 M. La relation de travail s'est ensuite poursuivie pour une durée indéterminée.

A compter du 19 juin 2015 et jusqu'à la rupture de son contrat de travail, M. [X] [K] a exercé des fonctions de représentant du personnel au sein de l'entreprise, d'abord en tant qu'élu au sein de la délégation unique du personnel (DUP) puis, à compter du 13 mars 2017, comme membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et enfin, à partir du 17 septembre 2018, en tant que secrétaire du comité d'entreprise.

De janvier à octobre 2018, M. [K] a exercé des tâches administratives avec maintien de son salaire net quand bien même il n'exerçait plus ses fonctions de conducteur routier.

En novembre 2018, la société Ambroise Bouvier Froid a demandé à M. [X] [K] de reprendre ses fonctions de conducteur routier.

Le 14 février 2019, la société Ambroise Bouvier Froid a fait convoquer M. [X] [K], affecté de diverses pathologies sérieuses, devant les services de la santé au travail. Le salarié a été déclaré inapte au poste de conducteur routier par le médecin du travail lequel précisait qu'il était 'apte pour tâches administratives comme il y était pendant plusieurs mois en 2018'.

Les 12 avril et 7 mai 2019, la société Ambroise Bouvier Froid a consulté les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement sur un poste de technicien polyvalent, poste sédentaire, sans conduite de poids lourd. Lors de la seconde consultation, les délégués du personnel ont pris note de la revalorisation salariale proposée sans émettre d'avis.

Par courrier du 2 mai 2019, M. [K] a refusé la proposition de reclassement au poste de technicien polyvalent.

Par courrier du 15 mai 2019, la société Ambroise Bouvier Froid a convoqué M. [K] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 27 mai 2019.

Le comité d'entreprise a été consulté le 3 juin 2019 et a émis un avis favorable au licenciement de M. [K].

Par décision du 4 juillet 2019, l'inspection du travail a accordé à la société Ambroise Bouvier Froid l'autorisation de procéder au licenciement de M. [K].

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 juillet 2019, la société Ambroise Bouvier Froid a notifié à M. [K] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Laval par requête du 4 février 2020 aux fins d'obtenir la condamnation de la société Ambroise Bouvier Froid à lui verser, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, un rappel de salaire au titre des heures de travail accomplies pour les fonctions administratives en 2017, un rappel de salaire au titre de la différence de salaire perçu, une indemnité spéciale de licenciement, des dommages et intérêts au titre du harcèlement moral dont il s'estime victime et à la perte d'emploi provoquée par les agissements de son employeur et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Ambroise Bouvier Froid s'est opposée aux prétentions de M. [K] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 21 septembre 2021, le conseil de prud'hommes :

- rejeté la demande de communication des comptes rendus des disques tachygraphes concernant M. [K] pour l'année 2018 ;

- débouté M. [K] de sa demande de paiement d'heures de travail accompli pour les fonctions administratives en 2017 ;

- débouté M. [K] de sa demande de rappel de salaire au titre de la différence de salaire versé à l'époque où il exerçait des fonctions administratives et le salaire perçu au moment où il a repris ses fonctions de chauffeur ;

- débouté M. [K] de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- débouté M. [K] de sa demande de paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- dit avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire ;

- condamné M. [K] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté les parties de leurs demandes en ce sens.

M. [K] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 12 octobre 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans sa déclaration.

La société Ambroise Bouvier Froid a constitué avocat en qualité d'intimée le 22 octobre 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2024 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 8 février 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. [K], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 14 avril 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour, au visa des articles L. 1222-1, L. 3241-1, L.1152-1 du code du travail , articles 1103 et suivants, 1231-3 et suivants du code civil, de :

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Laval le 21 septembre 2021 ;

En conséquence,

- avant dire droit, ordonner à la société Ambroise Bouvier Froid de communiquer les comptes rendus des disques tachygraphes le concernant pour l'année 2018 ;

En toutes hypothèses,

- condamner la société Ambroise Bouvier Froid à lui payer les sommes suivantes :

* 2 715,96 euros au titre des heures de travail accomplies pour les fonctions administratives en 2017,

* 4 052,27 euros au titre de la différence entre le salaire versé à l'époque où M. [K] exerçait les fonctions de gestion administrative et d'optimisation avec le salaire perçu au moment où il a été contraint de reprendre ses fonctions de chauffeur,

* 27 600 euros au titre de dommages et intérêts liés au harcèlement moral et à la perte d'emploi provoquée par les agissements de l'employeur,

* 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir la société Ambroise Bouvier Froid à lui communiquer les documents de fin de contrat : dernier bulletin de salaire, attestation Pôle emploi et certificat de travail ;

- débouter la société Ambroise Bouvier Froid de l'ensemble de ses demandes, fin et conclusions ;

- condamner la société Ambroise Bouvier Froid aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La société Ambroise Bouvier Froid, dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 3 janvier 2024, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu le 21 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes de Laval en ce qu'il a :

* rejeté la demande de communication des comptes rendus des disques tachygraphes concernant M. [X] [K] pour l'année 2018

* débouté M. [X] [K] de sa demande de paiement d'heures de travail accomplies pour les fonctions administratives en 2017 ;

* débouté M. [X] [K] de sa demande de rappel de salaire au titre de la différence entre le salaire versé à l'époque où il exerçait des fonctions administratives et le salaire perçu au moment où il a repris ses fonctions de chauffeur ;

* débouté M. [X] [K] de sa demande en paiement de l'indemnité spéciale de licenciement ;

* débouté M. [X] [K] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

En conséquence :

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- recevoir la société Ambroise Bouvier Froid en sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

En conséquence :

- condamner M. [K] à verser à la société Ambroise Bouvier Froid la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [K] aux entiers dépens.

MOTIFS

À titre liminaire, la cour relève que bien qu'il ait interjeté appel des dispositions du jugement relatives à l'indemnité spéciale de licenciement, M. [X] [K] n'a pas maintenu cette demande aux termes de ces dernières conclusions. La société Ambroise Bouvier Froid n'a pas interjeté appel incident de ce chef et en demande la confirmation. Par conséquent, celles-ci sont considérées comme définitives.

Sur la communication des disques chronotachygraphes de l'année 2018

Dans la mesure où il ne fait pas débat que M. [X] [K] n'exerçait pas les fonctions de conducteur routier de janvier à novembre 2018, la communication des chronotachygraphes de l'année 2018 est sans intérêt.

Par suite, la cour confirmera le jugement de ce chef.

Sur le paiement des heures de délégation

M. [X] [K] prétend avoir accompli 306,30 heures supplémentaires non réglées au titre des articles L.2315-7 et L.2315-13 du code du travail. Il rappelle que dans le cadre de ses mandats électifs, il devait préparer les réunions pour lesquelles il était convoqué, rédiger les procès-verbaux des réunions auxquelles il participait, étudier les documents ou les données qui lui étaient demandés par la direction. Il indique également que son employeur l'a directement sollicité pour un nombre important de dossiers sensibles (état des infractions commises par les conducteurs routiers, inflation galopante du coût d'usage des autoroutes, répartition horaire du volume d'heures global par conducteur, optimisation des itinéraires de livraison).

La société Ambroise Bouvier Froid prétend que les heures supplémentaires réclamées par M. [X] [K] sont prescrites puisque datant de plus de trois ans à la date de la saisine du conseil de prud'hommes. Elle fait remarquer que M. [X] [K] n'a jamais à l'occasion de l'exécution de son contrat de travail, informé son employeur de la réalisation de ces heures, et encore moins de leur volume. Elle fait valoir en tout état de cause qu'il s'agit d'heures de délégation dont le dépassement ne peut être accepté qu'en cas de circonstances exceptionnelles dont M. [X] [K] ne démontre pas l'existence.

Sur la prescription

Il est constant et non contesté que la juridiction prud'homale a été saisie le 4 février 2020. Par conséquent, en application des dispositions de l'article L.3245-1 du code du travail, toute demande en paiement d'heures de délégation antérieure au 4 février 2017 est prescrite. Or, tel n'est pas le cas en l'occurrence.

Par suite, la cour rejettera le moyen tiré de la prescription soulevée par la société Ambroise Bouvier Froid.

Sur le bien-fondé de la demande

Il est de jurisprudence constante au visa de l'article L.2315-7 du code du travail que l'objet des démarches pour lesquelles les représentants du personnel peuvent se prévaloir de leur droit d'utiliser leurs heures de délégation s'ordonne sur la nature de la mission qui leur est reconnue par la loi, cette dernière ne pouvant concerner que les problèmes intéressant directement les salariés qui les ont élus. Le temps nécessaire à l'exercice des fonctions de représentant du personnel est de plein droit considéré comme temps de travail et doit en conséquence être payé par l'employeur à échéance normale. L'utilisation du crédit d'heures est présumée conforme à son objet. Toutefois, ni la présomption de bonne utilisation des heures de délégation, ni le paiement de plein droit de ces heures ne sont applicables aux heures prises au-delà du contingent fixé par la loi ou l'accord collectif. Il appartient au salarié représentant du personnel d'établir l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant, eu égard aux fonctions qui lui sont conférées par la loi, un dépassement de ces heures de délégation de même que la conformité de l'utilisation des heures de dépassement au mandat représentatif dont il est investi préalablement à tout paiement par l'employeur (Cass. Soc 16 décembre 2020). Les heures de délégation prises en dehors de l'horaire de travail en raison des nécessités du mandat sont payées comme des heures supplémentaires.

En l'occurrence, outre le fait qu'en s'abstenant de verser aux débats ses bulletins de salaire de l'année 2017, M. [X] [K] ne justifie pas du non-paiement allégué des heures de délégation, force est de constater qu'il ne démontre pas l'existence de circonstances exceptionnelles de nature à légitimer le dépassement à hauteur de 306,30 heures de son crédit d'heures de délégation. En effet, les missions qu'il déclare avoir accomplies à savoir la rédaction le 10 juillet 2017 de notes confidentielles et le 4 août 2017, de notes de fonctionnement et de préparation du règlement intérieur, l'élaboration le 25 août 2017 d'itinéraires pour les routiers et le 19 septembre 2017 d'outils de suivi de l'activité des conducteurs ainsi que la réalisation le 24 octobre 2017 d'analyses du coût des autoroutes et le 15 novembre 2017 d'analyses des infractions des conducteur ne sont pas des missions relevant de sa fonction de représentant du personnel.

En conséquence, il sera débouté de sa demande à ce titre et le jugement confirmé de ce chef.

Sur la modification du contrat de travail

M. [X] [K] indique avoir cessé ses fonctions de chauffeur routier pour exercer, à compter du 1er janvier 2018, en accord avec M. [M] [L], ancien président de la société, des fonctions administratives au sein du service exploitation de l'entreprise et ce, afin de lui permettre de respecter le suivi médical imposé par son état de santé. Il prétend que cet accord a été entériné par la revalorisation de sa rémunération à hauteur de 2 300 euros net sans cependant avoir fait l'objet d'une modification écrite de son contrat de travail. Il ajoute que cet accord ne prévoyait pas de période probatoire.

Il explique que par décision unilatérale et brutale, M. [O] [T], nouveau président de la société, après lui avoir retiré peu à peu toutes ses tâches administratives, a décidé de le réaffecter sans son accord à compter de novembre 2018 au poste de conducteur routier. Cette décision s'est accompagnée de la diminution unilatérale de sa rémunération, celle-ci passant alors de 2 312,86 euros à l'époque où il travaillait au sein du pôle administratif à la somme de 1 800 euros environ, ce qui représente une perte nette de 500 euros par mois.

La société Ambroise Bouvier Froid tout en reconnaissant que M. [X] [K] a travaillé au sein du service exploitation de janvier à novembre 2018 moyennant une rémunération mensuelle de 2 300 euros, réfute toute modification du contrat de travail faisant valoir qu'aucun avenant n'est venu pérenniser les nouvelles fonctions de M. [X] [K] aux conditions de rémunération précitées à compter de janvier 2018. Considérant qu'il s'agissait d'une affectation temporaire à un poste administratif le temps d'une expérimentation, elle réfute également toute diminution unilatérale de la rémunération de ce dernier à compter de novembre 2018. Elle indique que la diminution de rémunération connue en 2019 par M. [X] [K] s'explique par les modalités contractuelles de sa rémunération, ses frais de déplacement étant désormais remboursés sur une base réelle et non plus sur la base d'un forfait de frais qui avait été maintenu en 2018 à titre expérimental.

Par application combinée des articles 1103 et 1104 du code civil et de l'article L.1221-1 du code du travail, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi. Il en résulte que la modification du contrat de travail portant sur l'un des quatre éléments essentiels que sont la rémunération, la qualification, la durée du temps de travail et le lieu de travail ne peut être décidée unilatéralement par l'employeur. Pour être effective, la modification du contrat de travail, même si elle est plus avantageuse pour le salarié, nécessite son acceptation claire et sans équivoque.

En l'occurrence, il est constant et non contesté que M. [X] [K] a exercé des fonctions de représentant du personnel à compter du 19 juin 2015 jusqu'à la date de la rupture de son contrat de travail bénéficiant ainsi du statut de salarié protégé édicté uniquement dans son intérêt. Il est tout aussi constant et non contesté que, pour tenir compte de son état de santé lequel ne lui permettait plus d'assurer les fonctions de conducteur routier, il a été affecté par M. [M] [L], ancien président de la société, à compter de janvier 2018, à un poste administratif au sein du service exploitation moyennant une rémunération mensuelle de 2 300 euros. Cette nouvelle affectation correspondait à une promotion au sein de l'entreprise tant d'un point de vue fonctionnel que rémunératoire. Bien que la modification de deux conditions substantielles de son contrat de travail - sa qualification et sa rémunération - n'ait pas été actée par la signature d'un avenant, il n'en demeure pas moins, que M. [X] [K], salarié protégé, a accepté de manière claire et non équivoque cette modification comme le démontre son absence de saisine de la juridiction prud'homale étant au demeurant observé que cette affectation au pôle exploitation en accord avec M. [L] avait pour finalité, non seulement de valoriser ses compétences, mais également de lui permettre de pouvoir mieux gérer les contraintes imposées par son état de santé. Or, la société Ambroise Bouvier Froid, qui s'est abstenue de conclure un avenant au contrat de travail entérinant l'accord des parties alors qu'elle était tenue de le faire, ne saurait se prévaloir de sa propre turpitude pour affirmer qu'il s'agissait d'une période probatoire et qu'il n'y a pas eu de modification du contrat de travail en janvier 2018.

La cour considèrera dès lors que le contrat de travail de M. [X] [K] a bien été modifié à compter du 1er janvier 2018, celui-exerçant à cette date des fonctions administratives au sein du pôle exploitation moyennant une rémunération mensuelle nette de 2 300 euros.

Le statut de salarié protégé obligeait en novembre 2018 la société Ambroise Bouvier Froid à recueillir au préalable l'accord exprès, clair et univoque de M. [X] [K] pour l'affecter au poste de conducteur routier et, en cas de refus de sa part, à saisir l'autorité administrative en vue de son licenciement. Or, la société Ambroise Bouvier Froid ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un tel accord ni de la saisine de l'autorité administrative. Elle l'a réaffecté unilatéralement à son premier poste au sein de l'entreprise. En replaçant sans son accord M. [X] [K] à compter de novembre 2018 dans les conditions initiales de son contrat de travail du 5 septembre 2013, la société Ambroise Bouvier Froid a modifié unilatéralement son contrat de travail.

La modification du contrat de travail de janvier 2018 a eu pour conséquence de modifier les conditions de rémunération de M. [X] [K]. À compter de 2018, sa rémunération n'était plus composée d'une base mensuelle à laquelle s'ajoutait le remboursement de frais de déplacement mais d'une base forfaitaire correspondant à la moyenne du salaire antérieurement perçu en qualité de conducteur routier, lui permettant ainsi de continuer à une percevoir une rémunération mensuelle nette de 2 300 euros, ce que la société Ambroise Bouvier Froid reconnaît.

Or, l'analyse comparative des bulletins de salaire 2018 et 2019 révèle que la modification unilatéralement opérée par l'employeur à compter de novembre 2018 a entrainé une diminution de sa rémunération du fait de l'application des modalités de dispositions contractuelles non modifiées de son contrat de travail du 5 septembre 2013. En effet, en revenant unilatéralement à une rémunération composée d'un salaire de base auquel s'ajoutent des frais de déplacement, la société Ambroise Bouvier Froid qui n'ignorait pas que l'état de santé de M. [X] [K] ne lui permettait plus d'exercer les fonctions de chauffeur routier et conséquemment, prétendre au remboursement de frais de déplacement, a de facto diminué sa rémunération en lui supprimant 500 euros environ par mois.

Par conséquent, M. [X] [K] est bien fondé à réclamer à la société Ambroise Bouvier Froid un rappel de salaire à hauteur de 4 053,27 euros pour la période 2018-2019.

Par suite, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a débouté M. [X] [K] de sa demande de ce chef. Statuant à nouveau, la cour condamnera la société Ambroise Bouvier Froid à lui payer une somme de 4 053,27 euros au titre du rappel de salaire 2018-2019.

Sur le harcèlement moral

M. [X] [K] soutient avoir été victime de harcèlement moral pour avoir subi un changement brutal de fonction, une baisse brutale de rémunération sans aucune négociation ni accord, une négation de son travail, un rabaissement, une dépréciation du travail qu'il a accompli et un non-respect de son état de santé.

La société Ambroise Bouvier Froid réfute tout acte de harcèlement moral. Elle prétend s'être montrée loyale à son égard en cherchant à préserver son emploi en amont d'un éventuel constat d'inaptitude en raison des problèmes de santé dont il est affecté. Elle considère qu'au final, c'est exclusivement le refus de M. [X] [K] de voir sa rémunération baisser du fait de la perte de la qualité de conducteur routier (durée du travail moindre et perte des frais de déplacement) qui ont conduit à son licenciement, dûment autorisé par l'inspection du travail, autorisation administrative qu'il n'a pas contestée.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l'article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié d'établir la matérialité de faits précis et concordants qui permettent de supposer l'existence d'un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code civil. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.

Il ressort des motifs qui précèdent et des divers éléments produits aux débats par l'appelant, qu'après une période de 10 mois à un poste administratif au sein du pôle exploitation de la société le conduisant à réaliser des tâches administratives des plus simples au plus complexes, la société Ambroise Bouvier Froid lui a retiré peu à peu l'ensemble des tâches qui lui étaient confiées et lui a imposé une réaffectation à son ancien poste. Son employeur lui a ordonné cette réaffectation alors qu'il avait une parfaite connaissance de son état de santé, de son statut de travailleur handicapé reconnu par la Cotorep en regard de sa déficience auditive puisqu'il avait procédé à l'adaptation de son poste administratif. Ce changement de poste a eu pour conséquence, outre une baisse conséquente de sa rémunération, de modifier les modalités horaires et le lieu de son travail, le faisant passer du bureau à roulant. Ce changement met également un terme à sa promotion au sein de l'entreprise. Ce changement est aussi la négation de son travail et du rabaissement de sa personne.

Ces faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

Dès lors, il convient d'examiner si l'employeur démontre que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

En l'occurrence, la société Ambroise Bouvier Froid produit aux débats :

le procès-verbal de réunion des délégués du personnel du 12 avril 2019 au termes duquel les délégués du personnel n'émettent pas d'avis sur la recherche de reclassement suite à l'inaptitude médicale de M. [X] [K],

une lettre recommandée avec accusé de réception du 2 mai 2019 par laquelle M. [X] [K] refuse la proposition de poste qui lui est faite en raison de la perte de plus de 30 % de ses revenus

une lettre recommandée avec accusé de réception du 10 mai 2019, par laquelle le directeur général de la société Ambroise Bouvier Froid, M. [J] Ambroise, constate le caractère infructueux de sa recherche de reclassement après le refus de M. [X] [K].

La cour observe que les éléments fournis par la société Ambroise Bouvier Froid ont trait à la procédure de licenciement dont M. [X] [K] a fait l'objet et sont sans lien avec les faits de harcèlement moral dont la matérialité a été établie. Ces derniers ont incontestablement dégradé les conditions de travail de M. [X] [K]. Bien qu'informée de son statut de travailleur handicapé, la société Ambroise Bouvier Froid n'a pas hésité à se prévaloir de sa propre turpide pour lui imposer une réaffectation à son ancien poste et ce, au mépris même de son obligation de sécurité à son égard, puisque sa surdité ne lui permettait plus d'occuper les fonctions de chauffeur routier. C'est la raison pour laquelle d'ailleurs, elle a saisi elle-même la médecine du travail qui, dans son avis d'aptitude avec aménagement de poste, a indiqué : « L'état de santé actuel de Monsieur [K] le rend INAPTE au poste de conducteur routier.Apte pour tâches administratives comme il y était pendant plusieurs mois en 2018. Problème déjà vu en janvier 2019 avec le Docteur [G] ». Or, en réaffectant M. [X] [K] à son poste initial, alors qu'elle n'invoque ni ne justifie d'aucun fait fautif qui lui serait imputable pour la période de janvier à novembre 2018, et en attribuant son ancien poste administratif à une nouvelle recrue, la société Ambroise Bouvier Froid a en tout connaissance de cause créer les conditions lui permettant d'écarter M. [X] [K] de l'entreprise.

En conséquence, la cour dira que le harcèlement moral de M. [X] [K] est caractérisé.

Il résulte des motifs qui précèdent que les faits de harcèlement moral commis par la société Ambroise Bouvier Froid qui se sont traduits par une réaffectation unilatérale et brutale de M. [X] [K] à son poste de conducteur routier alors qu'il était physiquement dans l'incapacité de conduire un camion, sont à l'origine de la dégradation de ses conditions de travail. Cette dégradation lui a incontestablement causé un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 16 000 euros.

Par suite, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a débouté M. [X] [K] de sa demande de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral dont il a été victime. Statuant à nouveau, la cour condamnera la société Ambroise Bouvier Froid à lui payer la somme de 16 000 euros de dommages et intérêts à ce titre.

Sur les demandes annexes

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens.

La société Ambroise Bouvier Froid, partie succombante, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel et sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure de première instance et d'appel.

L'équité commande de condamner la société Ambroise Bouvier Froid à payer à M. [X] [K] la somme de 4 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe ;

CONSTATE que les dispositions du jugement relatives à l'indemnité spéciale de licenciement sont définitives ;

REJETTE le moyen tiré de la prescription soulevée par la société Ambroise Bouvier Froid ;

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Laval du 21 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;

Statuant des chefs infirmés et, Y ajoutant,

CONDAMNE la société Ambroise Bouvier Froid, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [X] [K] les sommes suivantes :

- QUATRE MILLE CINQUANTE TROIS EUROS ET VINGT SEPT CENTIMES D'EUROS (4 053,27) au titre du rappel de salaire 2018-2019.

- SEIZE MILLE EUROS (16 000) à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

CONDAMNE la société Ambroise Bouvier Froid, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [X] [K] la somme de QUATRE MILLE EUROS (4 000 €) en vertu de l'article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

DEBOUTE la société Ambroise Bouvier Froid, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande d'indemnité de procédure ;

CONDAMNE M. [X] [K] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Clarisse PORTMANN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00561
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.00561 ?
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