COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00558 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E4WL.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 13 Septembre 2021, enregistrée sous le n° F20/00485
ARRÊT DU 04 Juillet 2024
APPELANTE :
S.A.S. [5] agissant par son représentant légal.
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Jean DENIS de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître FUHRER, avocat plaidant au barreau de NANTES
INTIME :
Monsieur [Z] [K]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Maître Alexandre BEAUMIER, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 20MIL034
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame CHAMBEAUD, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Clarisse PORTMANN
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 04 Juillet 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La SAS [5] exploite le restaurant du même nom situé à [Localité 3]. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des hôtels, restaurants et cafés.
M. [Z] [K] a été engagé le 31 janvier 2020 par la société [5] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 31 janvier 2020 en qualité de chef de rang, catégorie employé, niveau 1, échelon 2. Dans le dernier état de la relation contractuelle, sa rémunération mensuelle brute s'élevait à la somme de 1539,45 euros.
Dans le contexte de la crise sanitaire liée au Covid-19, M. [K] a été placé en activité partielle totale à compter du 15 mars 2020, date de la fermeture du restaurant.
En vue de la reprise d'activité fixée au 8 juin 2020, une réunion a été organisée par la direction le 1er juin 2020.
Par lettre remise en main propre le 4 juin 2020, la société [5] a informé M. [K] de la rupture de sa période d'essai.
Contestant l'existence d'un contrat de travail écrit dans lequel serait insérée une période d'essai, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers par requête du 25 juin 2020 afin que celui-ci constate que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'il condamne la société [5], sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui verser, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société [5] s'est opposée aux prétentions de M. [K] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 13 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement de M. [Z] [K] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
- condamné la société [5] à verser à M. [Z] [K] la somme de 6 157,88 euros au titre des dommages et intérêts ;
- condamné la société [5] à verser à M. [Z] [K] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté M. [Z] [K] de ses autres demandes ;
- débouté la société [5] de ses demandes.
La société [5] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 7 octobre 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'elle énonce dans sa déclaration.
M. [Z] [K] a constitué avocat en qualité d'intimé le 15 octobre 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2024 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 8 février 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société [5], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 3 janvier 2024, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
Y faisant droit,
- annuler et/ou reformer la décision entreprise en ce qu'elle :
- a dit que le licenciement M. [K] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;
- En conséquence, l'a condamnée à verser à M. [K] la somme de 6.157,88 euros au titre des dommages et intérêts ;
- l'a condamnée à verser à M. [K] la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- l'a déboutée de ses demandes.
Statuant de nouveau en lieu et place de ces chefs du jugement critiqué :
- déclarer irrecevable et en tout cas mal fondé M. [K] en l'ensemble de ses demandes ;
- l'en débouter ;
- le condamner reconventionnellement :
- à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et pour les frais irrépétibles exposés par cette dernière tant en première instance qu'en appel ;
- aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [Z] [K], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 27 novembre 2023, auxquelles il convient de se référer plus ample exposé, demande à la cour de :
- déclarer la société [5] mal fondée en son appel ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- dit que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse ;
- en conséquence, condamné la société [5] à lui verser la somme de 6 157,88 euros à titre de dommages-intérêts ;
- condamné la société [5] à lui verser la somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la société [5] de ses demandes ;
- condamner la société [5] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile la présente procédure ;
- condamner la société [5] aux entiers dépens.
MOTIVATION
Sur la rupture de la période d'essai
La société [5] indique avoir embauché M. [Z] [K] le vendredi 31 janvier 2020 et n'avoir pu établir le contrat de travail, qui prévoyait une période d'essai de deux mois renouvelable pour une durée de deux mois, que le lundi 3 février suivant dans la mesure où le service comptabilité ne travaille pas le week-end. Elle prétend lui avoir remis le 3 février deux exemplaires du contrat de travail qu'elle avait préalablement signés, cette remise s'étant réalisée dans le parfait respect de l'article 12 de la convention collective. Même si ce dernier ne lui a pas retourné son contrat de travail régularisé, elle considère qu'il en a accepté les termes puisqu'il n'a jamais fait valoir de façon exprès son désaccord et qu'il a dûment réalisé sa prestation, manifestant par-là, implicitement, mais nécessairement, son accord sur les conditions de son embauche et donc sur la durée et le renouvellement de la période d'essai, laquelle est conforme aux dispositions du code du travail et à l'article 13 de la convention collective.
Elle estime que c'est avec une particulière mauvaise foi et de manière frauduleuse que M. [Z] [K] n'a pas retourné le contrat sur lequel il avait donné son accord, à seule fin de tromper son employeur et de tenter de tirer parti ultérieurement de cette situation. Estimant qu'il ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, elle conclut à la validité de la rupture de la période d'essai.
M. [Z] [K] dément avoir reçu le 3 février 2020 le contrat de travail litigieux. Il prétend avoir reçu près d'un mois après avoir été embauché deux documents, à savoir un contrat de travail et une lettre de renouvellement de sa période d'essai tous deux antidatés. Il explique avoir refusé de signer le contrat de travail car il n'était pas conforme aux accords conclus notamment en ce qui concerne la période d'essai. En l'absence de contrat de travail écrit, il estime être soumis à un contrat de travail à durée indéterminée sans condition régi par les règles de droit commun du travail et par la convention collective des hôtels, cafés, restaurants. Il rappelle le caractère d'ordre public de l'article L. 1221-23 du code du travail, lequel interdit de présumer l'existence et le renouvellement d'une période d'essai. Il en conclut que son employeur ne peut lui opposer une période d'essai et que son embauche doit être considérée comme ferme et définitive.
L'article 12 de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997 dispose que ' Le contrat individuel de travail est conclu pour une période indéterminée ou déterminée. Il est établi en double exemplaire dont l'un est remis au salarié, rédigé en français sous réserve de l'article L. 121-1 du code du travail [devenu les articles L1221-1 et suivants du code du travail]. Le salarié reçoit confirmation de son embauche par lettre ou contrat écrit (voir modèle facultatif en annexe III) :
- à la prise du travail, soit par la remise du contrat s'il est établi, soit par la remise du document reproduisant les informations contenues dans la déclaration préalable d'embauche;
- en tout état de cause, le contrat doit être remis au plus tard dans les 48 heures.
Devront obligatoirement figurer dans le contrat de travail les mentions suivantes :
- référence aux textes conventionnels et accords d'entreprise et règlement intérieur quand il existe ;
- immatriculation, nom, identité juridique de l'entreprise, siège social ;
- lieu de travail (à défaut, indication du lieu de travail fixe ou prédominant, le principe que le travailleur est occupé à divers endroits) ;
- fonction, statut, nature de l'emploi, niveau et échelon de la grille de classifications ;
- rémunération au fixe ou au pourcentage sur le HT ou le TTC en indiquant le taux du pourcentage et le minimum garanti ;
- identité du salarié selon les dispositions légales ;
- durée du travail hebdomadaire, mensuelle, annuelle ou saisonnière ;
- période d'essai ;
- date et heure d'embauche ;
- nom et adresse de la ou des caisses de retraites complémentaires et, le cas échéant, ceux de l'organisme de prévoyance ;
- durée du congé payé.
['] ».
L'article 13 de ladite convention collective poursuit en ces termes : « période d'essai : au cours de la période d'essai ou de son renouvellement, l'une ou l'autre des parties peut rompre le contrat de travail sans préavis ni indemnité de rupture. La période d'essai terminée, l'engagement est réputé conclu ferme. La période d'essai, ainsi que sa durée, devra obligatoirement être prévue dans le contrat de travail ou la lettre d'embauche. La durée de la période d'essai est de : ['] un mois pouvant être renouvelée une fois. Le renouvellement n'est pas applicable aux salariés de niveau I, échelon 1. En cas de renouvellement de la période d'essai, un accord écrit devra être établi entre les parties »
Selon l'article L. 1221-23 du code du travail : 'La période d'essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas. Elles sont expressément stipulées dans la lettre d'engagement ou le contrat de travail.'
La société [5] se fonde sur les attestations de M. [X] [U], directeur administratif et financier, et d'[R] [N], Directeur du restaurant « Le [5] », sur un fichier type Word à partir duquel le contrat de travail a été généré ainsi que sur la production aux débats par M. [Z] [K] du contrat de travail litigieux pour justifier avoir remis le 3 février 2020 à M. [Z] [K] le contrat de travail comportant une période d'essai de deux mois renouvelable pour signature. Cependant, la création d'un document informatique n'établit en rien la date de remise effective à son destinataire. Les deux témoignages sont insuffisants à établir de façon certaine que le contrat de travail litigieux a été remis pour signature à M. [Z] [K] dans le délai de 48 heures tel que fixé par l'article 12 de la convention collective précitée. A cet égard, la cour constate qu'elle disposait de tous les éléments nécessaires à la rédaction et signature du contrat de travail dès le 31 janvier 2020, date d'embauche de M. [Z] [K], puisqu'elle démontre avoir procédé à sa déclaration préalable d'embauche. Or, il était impératif pour l'employeur que le contrat de travail soit signé avant le 4 février 2020 pour qu'il puisse se prévaloir de la période d'essai et ainsi le rompre. En outre, la lettre de renouvellement de la période d'essai en date du 3 février 2020, annexée au contrat de travail du 31 janvier 2020 accrédite la thèse du salarié selon laquelle il a été rendu destinataire desdits documents plusieurs semaines après son embauche. En effet, l'employeur est taisant sur les raisons pour lesquelles il demande à M. [Z] [K] de signer un contrat de travail daté du 31 janvier 2020 prévoyant une période d'essai de deux mois tout en lui faisant parvenir concomitamment une correspondance datée du 3 février 2020 par laquelle il lui indique que la période d'essai est d'ores et déjà renouvelée pour deux mois et prendra fin le 30 mai 2020 alors qu'il n'a pas encore accompli deux journées de travail pour le restaurant « [5] ».
Or, la période d'essai ne se présume pas. Elle doit être fixée dans son principe et dans sa durée dès l'engagement du salarié. Celui-ci ne saurait dès lors être tenu par une condition d'engagement qu'il n'a pas connue au jour où il a commencé à exécuter son contrat de travail.
Ayant été embauché le 31 janvier 2020 sans contrat de travail écrit valablement signé par les deux parties au jour du début d'exécution de la relation de travail, aucune période d'essai ne peut être opposée à M. [Z] [K] par l'employeur lequel ne rapporte la preuve de sa remise dans le délai de 48 heures. En conséquence, la rupture du contrat de travail de M. [Z] [K] doit s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par suite, la cour confirmera le jugement de ce chef.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Se fondant sur la jurisprudence constante de la cour de cassation, la société [5] estime que M. [Z] [K] ne saurait prétendre que le barème de l'article L.1235-3 du code du travail est illicite. Elle fait observer que la somme allouée à M. [Z] [K] à ce titre est supérieure au barème.
M. [K] invoque l'inconventionnalité du barème de l'article L. 1235-3 du code du travail et fait valoir que les juges doivent vérifier au cas d'espèce si le barème peut être appliqué ou écarté comme portant atteinte au droit à une réparation adéquate.
Les dispositions de la Charte sociale européenne n'ont pas d'effet direct entre particuliers de sorte que leur invocation devant le juge, dans le cadre de la contestation d'un licenciement, ne peut pas conduire à écarter l'application du barème prévu par les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, étant par ailleurs acquis que ces dernières sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT (notamment Soc 11 mai 2022, n° 21-14490).
Il appartient seulement au juge d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L.1235-3 du code du travail, lesquels sont compris, au vu de son ancienneté, entre 0 mois et 1 mois de salaire brut.
Le préjudice subi par M. [Z] [K] du fait de son licenciement abusif, compte tenu de son âge au moment de la rupture (30 ans), d'une ancienneté de 4 mois dans l'entreprise, d'un salaire mensuel brut de 1 539,47 euros brut et en l'absence d'éléments communiqués par le salarié quant à son devenir professionnel, sera réparé par l'allocation d'une somme de 1 539,47 euros brut.
Par suite, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a alloué la somme de 6 157,88 euros à M. [Z] [K] à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif. Statuant à nouveau, la cour condamnera la société [5] à lui payer la somme de 1 539,47 euros brut.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement doit être confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il est équitable d'allouer à M. [Z] [K] une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile d'un montant de 2 000 euros qui vaudra pour ses frais irrépétibles exposés en cause d'appel.
La société [5], partie succombante, sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La COUR, Statuant dans les limites de l'appel, par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement prononcé le 13 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes d'Angers sauf en ce qu'il a alloué à M. [Z] [K] la somme de 6 157,88 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,
CONDAMNE la société [5], prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [Z] [K] la somme de MILLE CINQ CENT TRENTE NEUF EUROS ET QUARANTE SEPT CENTIMES D'EUROS (1 539,47) brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société [5], prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [Z] [K] la somme de DEUX MILLE EUROS (2 000) en vertu de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
DEBOUTE la société [5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE la société [5], prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Clarisse PORTMANN