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04/07/2024 | FRANCE | N°21/00455

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 04 juillet 2024, 21/00455


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale











ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00455 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3YX.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 28 Juin 2021, enregistrée sous le n° 19/00313





ARRÊT DU 04 Juillet 2024





APPELANTE :



Madame [T] [F]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



représentée par Me Bertrand SALQU

AIN de la SELARL ATLANTIQUE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES







INTIMEE :



S.A.S. SUN CITY

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adress...

COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00455 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3YX.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 28 Juin 2021, enregistrée sous le n° 19/00313

ARRÊT DU 04 Juillet 2024

APPELANTE :

Madame [T] [F]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Bertrand SALQUAIN de la SELARL ATLANTIQUE AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de NANTES

INTIMEE :

S.A.S. SUN CITY

Prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me TOUZET, avocat substituant Maître Bertrand CREN de la SELARL LEXCAP, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 22A00026

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame CHAMBEAUD, conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Madame Clarisse PORTMANN

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 04 Juillet 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société par actions simplifiées (SAS) Sun City, prise en la personne de son représentant légal, la SAS « Groupe Sun City », a pour activité la conception et la fabrication d'articles vestimentaires essentiellement destinés à la grande distribution. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des industries de l'habillement.

Mme [T] [F] a été engagée le 17 octobre 1988 dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée en qualité d'employée au service placement automatique par la société anonyme (SA) Jacques Jaunet laquelle exploitait la marque New Man sur son site de [Localité 3]. La relation de travail s'est poursuivie pour une durée indéterminée à partir du 1er mars 1989.

Le 1er janvier 2003, son contrat de travail a été transféré à la société anonyme (SA) New Man, puis de nouveau transféré à compter du 8 décembre 2016 à la société Sun City, laquelle avait acquis la société New Man alors en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Besançon du 7 décembre 2016.

En dernier état de la relation contractuelle, Mme [F] exerçait les fonctions de responsable technique importation en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 4 263,24 euros selon la salariée et de 3 152,50 euros selon l'employeur.

Par courrier du 19 avril 2018, la société Sun City a convoqué Mme [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour motif économique fixé le 30 avril 2018. Lors de cet entretien, la société Sun City lui a remis le contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qu'elle a accepté.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 14 mai 2018, la société Sun City a notifié à Mme [F] son licenciement pour motif économique.

Contestant le bien-fondé de son licenciement, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers par requête du 17 avril 2019 afin d'obtenir la condamnation de la société Sun City à lui verser, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Sun City s'est opposée aux prétentions de Mme [F] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une somme de 8 000 euros indûment perçue et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 28 juin 2021, le conseil de prud'hommes d'Angers a :

- dit que le licenciement de Mme [T] [F] repose sur une cause réelle et sérieuse fondée sur un motif économique ;

- débouté en conséquence Mme [T] [F] de ses demandes à ce titre ;

- débouté la société Sun City du remboursement des 8 000 euros à Mme [T] [F];

- débouté les parties de leurs demandes respectives sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [T] [F] aux entiers dépens.

Mme [F] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 29 juillet 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'elle énonce dans sa déclaration.

La société Sun City a constitué avocat en qualité d'intimée le 7 octobre 2021.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2024 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 8 février 2024.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Mme [F], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 4 août 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et l'y déclarer bien fondée ;

- débouter la société Sun City de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;

- juger que la société Sun City a accepté volontairement et sans contrepartie, de lui verser une indemnité de licenciement supra légale ;

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté la société Sun City de sa demande de remboursement à hauteur de 8 000 euros ;

- réformer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

- juger le licenciement intervenu le 14 mai 2018 dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Sun City au paiement de la somme de 85 264,80 euros sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail ;

- condamner la société Sun City au paiement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la même en tous les dépens.

La société Sun City, dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 13 décembre 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers du 28 juin 2021 en ce qu'il a jugé le licenciement économique fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- subsidiairement, ramener ses demandes à de plus justes proportions ;

Et, infirmant partiellement le jugement entrepris,

- condamner Mme [F] à lui rembourser la somme de 8 000 euros ;

- subsidiairement, ordonner la compensation judiciaire entre les sommes dues ;

- condamner Mme [F] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

Sur le motif économique

Mme [T] [F] considère que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle estime qu'il est justifié par une cessation partielle d'activité, en l'occurrence, l'arrêt de la production de la marque New Man sur le site de [Localité 3], motivée par un nouveau projet de la société Sun City consistant à se recentrer sur un positionnement « Mass Market ». Elle prétend que la société Sun City ne satisfait pas aux critères légaux du licenciement économique. Elle affirme que cette dernière ne justifie pas de difficultés économiques pendant trois trimestres consécutifs alors que l'effectif du groupe est compris entre 50 et 99 salariés. Elle relève qu'en septembre 2017, la société Sun City informait l'ensemble des salariés d'une situation économique favorable de l'entreprise avec des chiffres en nette progression. Elle rappelle qu'elle exerce des fonctions de responsable du développement du service achat-négoce pour l'ensemble des marques du groupe Sun City, dont la marque New Man, et en conclut que la cessation de l'activité New Man sur le site de [Localité 3] est sans lien avec son poste au sien du groupe.

La société Sun City soutient que le licenciement pour motif économique est justifié par la dégradation des résultats en 2017 causés par des investissements massifs liés au Pôle New Man racheté en décembre 2016. Elle assure que ces difficultés économiques ont rendu nécessaire la réorganisation de l'entreprise caractérisée par la cession d'activité de la production haut de gamme du Pôle New Man, et ce pour sauvegarder sa compétitivité et celle du groupe.

La lettre de licenciement du 14 mai 2018 qui fixe les limites du litige est rédigée ainsi :

« [']

Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le 27 avril 2018 et nous avons le regret de vous faire part de notre décision de procéder à votre licenciement pour motif économique.

Les raisons de cette décision sont les suivantes : la modification de l'offre commerciale, du style et des réseaux de distribution du Pôle Luxe New Man nous impose un arrêt de l'activité au sein de l'entreprise. En effet, jusqu'à ce jour, l'offre commerciale New Man consiste à cibler exclusivement un positionnement haut de gamme, avec un réseau de distribution composé de magasins spécialisés qui correspondent à ce positionnement. L'organisation actuelle de cette activité au sein de l'entreprise répond à cette offre, mais elle ne permet plus une exploitation viable et pérenne de l'activité.

La nouvelle offre commerciale va consister à se recentrer sur un positionnement « Mass Market » avec des réseaux de distribution correspondant, comme la grande distribution, les sites internet spécialisés, etc.'

Dans ces conditions, la modification complète et profonde de l'offre commerciale, du style et des réseaux de distribution du Pôle Luxe New Man implique un arrêt de cette activité et la suppression des postes affectés à l'exploitation de cette activité. Par conséquent, le poste de responsable technique New Man dont vous êtes titulaire est supprimé.

En application des critères d'ordre de licenciement, vous avez été désignée comme « susceptible d'être licenciée ».

Afin d'éviter une telle mesure, nous avons recherché les postes disponibles susceptibles de vous être proposés à titre de reclassement interne. En dépit de nos recherches effectuées au sein de notre groupe, conformément à l'article L 1233-4 du code du travail, nous n'avons pas trouvé de poste de reclassement.

['] ».

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa version actuelle applicable au litige, « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° à des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égal à :

a) un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de 50 salariés ;

c) trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de 300 salariés ;

d) quatre trimestres consécutifs par une entreprise de trois cents salariés et plus;

2 ° à des mutations technologiques ;

3° à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° à la cessation d'activité de l'entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d'emploi ou de la modification d'un élément essentiel du contrat de travail s'apprécie au niveau de l'entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise s'apprécient au niveau de cette entreprise si elle n'appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établi sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L. 233-1, aux I et II de l'article L.233-3 et à l'article L.233-16 du code du commerce.

Le secteur d'activité permettant d'apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l'une des causes énoncées au présent article, à l'exclusion de la rupture conventionnelle visée aux articles L.1237-11 et suivants et de la rupture d'un commun accord dans le cadre d'un accord collectif visé aux articles L. 1237-17 et suivants ».

Selon l'article L. 1233-16 alinéa 1 du même code, la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur.

Il résulte des dispositions qui précèdent qu'il appartient à l'employeur de démontrer, dans le périmètre pertinent, la réalité et le sérieux du motif économique invoqué. Ainsi, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, la cause économique d'un licenciement s'apprécie au niveau du secteur d'activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national. C'est à l'employeur de justifier de la consistance de ce groupe et de celle du secteur d'activité concerné et de l'existence de difficultés économiques à ce niveau.

La durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L 1233-3 1°, a) à d) précité, de nature à caractériser des difficultés économiques, s'apprécie en comparant le niveau des commandes du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période (Cass. Soc 1er juin 2022, n° 20-19.957).

La cessation d'activité totale et définitive de l'entreprise justifie les licenciements prononcés dès lors qu'elle n'est pas due à la faute ou à la légèreté blâmable de l'employeur. Mais, une cessation d'activité partielle ou temporaire de l'activité ne constitue pas, à elle seule, un motif légitime de licenciement qui doit alors reposer sur des difficultés économiques, des mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise.

Par ailleurs, selon l'article L. 1233-16 alinéa 1 du même code, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, doit comporter l'énoncé précis et matériellement vérifiables des motifs économiques retenus par l'employeur. A défaut, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Il en résulte que la lettre de licenciement doit comporter non seulement l'énonciation des difficultés économiques, mutations technologiques ou de la réorganisation de l'entreprise, mais également l'énonciation des incidences sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié licencié.

Tel est le cas de la lettre précitée dont les termes ont été repris supra laquelle invoque la nécessité de la modification de l'offre commerciale, du style et des réseaux de distribution du Pôle Luxe New Man, l'arrêt de cette activité et la suppression des postes affectés à l'exploitation de cette activité.

Trois motifs économiques sont donc invoqués : la cessation partielle d'activité, la réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et l'existence de difficultés économiques.

Dans ses écritures, la société Sun City invoque une diminution de son chiffre d'affaires et du résultat net en 2017 par rapport à l'exercice précédent. Elle ajoute que ces difficultés économiques ont perduré au cours de l'exercice 2018 pour lequel il a également été constaté des pertes d'exploitation, ainsi qu'au cours de l'année 2019 qui s'est soldée par un déficit.

Elle justifie ainsi par la production de ces résultats comptables d'une diminution constante de son chiffre d'affaires de l'exercice 2016 à l'exercice 2019 : le chiffre d'affaires net est ainsi passé de 91 626 682,87 euros au 31 décembre 2016 à 76 688 126,12 euros au 31 décembre 2017, à 73 401 066,58 euros au 31 décembre 2018 puis à 62 702 076 euros au 31 décembre 2019. À cette diminution de chiffre d'affaires s'ajoute une diminution des résultats lesquels étaient positifs au 31 décembre 2016 à hauteur de + 851 269 euros, puis négatifs en 2017 à hauteur de -1 162 494 euros, en 2018 à hauteur de -2 264 658 euros et en 2019 à hauteur de -1 482 537 euros. Les comptes consolidés du groupe font également apparaître une perte de résultats entre 2016 et 2018 (+ 1 718 300 euros en 2016, - 779 600 euros en 2017 et - 1 571 600 euros en 2018).

Dans ces conditions, il apparaît que les conditions posées à l'article L. 1233-3 du code du travail précité sont parfaitement remplies, que ce soit concernant les difficultés économiques et notamment la baisse significative du chiffre d'affaires et/ou les pertes d'exploitation qui sont avérées, étant précisé que Mme [T] [F] ne démontre pas que ces difficultés résulteraient d'une légèreté blâmable de l'employeur. Le choix de la société Sun City de se réorganiser en interne pour préserver sa compétitivité est donc justifié.

Pour s'opposer à cette analyse, Mme [T] [F] relève l'existence de « signaux » contradictoires adressés par l'employeur sur la situation économique du groupe en évoquant un partenariat avec une société américaine et des perspectives favorables pour l'année 2018. Elle fait également valoir que la cessation partielle d'activité et le recentrage sur un positionnement « Mass Market » invoqué par la société Sun City concerneraient uniquement la politique de la marque et n'aurait pas dû impacter son poste de responsable technique import/export.

Pour autant, il apparaît que la persistance des résultats négatifs en 2018 et 2019 a contraint la société Sun City à poursuivre sa réorganisation commencée fin 2017 et à supprimer plusieurs postes entre décembre 2019 et mars 2020 entraînant le licenciement pour motif économique de 8 salariés sur cette même période.

De surcroît, la liste des entrées et sorties du personnel des 6 sociétés du groupe Sun City démontrent qu'aucun responsable technique import/export n'a été engagé pour remplacer Mme [T] [F] à la suite de son licenciement, étant précisé qu'il ressort de son contrat de travail que depuis l'origine, elle était affectée au Pôle New Man en ce que la société Jacques Jaunet exploitait déjà cette marque sur le site de [Localité 3], que son contrat de travail a été transféré à la SA New Man le 1er janvier 2003, et que s'il a fait l'objet d'un transfert à la société Sun City, c'est que cette dernière a repris le fonds de commerce de la société New Man en liquidation judiciaire à compter du 8 décembre 2016. Il sera ensuite souligné que la holding du groupe auquel appartient la société Sun City emploie 5 salariés dont 2 cadres.

Ainsi, les chiffres précités montrent une situation bien différente de celle alléguée par Mme [T] [F] et il s'ensuit que le motif économique de son licenciement n'est pas sérieusement contestable.

Sur l'obligation de reclassement

Mme [T] [F] soutient que la société Sun City n'a pas respecté son obligation de reclassement. À cet égard, elle fait valoir que l'employeur ne l'a pas interrogée sur sa mobilité, ni même ne lui a demandé de lui adresser un curriculum vitae (CV) détaillé. Elle s'étonne de ce qu'un poste de reclassement n'ait pas été envisagé sur un emploi différent dans la mesure où, en 30 ans d'ancienneté, elle a évolué sur plusieurs postes au sein du groupe exerçant successivement les fonctions d'employée au service Placement automatique, Agent des Méthodes, Contrôleuse Qualité, Responsable technique export/import.

La SAS Sun City prétend avoir satisfait à son obligation faisant essentiellement valoir qu'aucun poste de reclassement n'était disponible au moment du licenciement de Mme [T] [F] et que postérieurement à celui-ci, elle a poursuivi sa réorganisation en se réorientant vers la distribution pour abandonner la conception et la fabrication.

Selon l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version en vigueur depuis le 22 décembre 2017, « le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel.

Pour l'application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu'elle contrôle dans les conditions définies à l'article L.233-1, aux I et II de l'article L.233-3 et à l'article L.233-16 du code du commerce.

Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. À défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.

L'employeur adresse de manière personnalisée des offres de reclassement à chaque salarié ou diffuse par tout moyen une liste des postes disponibles à l'ensemble des salariés, dans des conditions précisées par décret.

Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises »

Il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur justifie de l'absence de postes disponibles à l'époque du licenciement dans l'entreprise ou s'il y a lieu, dans le groupe auquel elle appartient (notamment Cass. Soc 2 juillet 2014 n° 13-13-.876).

En l'occurrence, la lettre de licenciement fait mention de l'absence de postes de reclassement disponibles au sein du groupe pour Mme [T] [F].

Dans ses écritures, la société Sun City affirme que les sociétés situées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient sont les suivantes, outre elle-même qui employait au jour du licenciement de Mme [T] [F] une cinquantaine de salariés :

- la société MMS (Médias Marketing et Sales) qui comptait une trentaine de salariés ;

- la société BTI Shopping qui comptait 3 salariés ;

- la société Winner Prod qui comptait une vingtaine de salariés ;

- la société Inter Frêt Service qui comptait 3 salariés ;

- la société Groupe Sun City, société holding, qui comptait 5 salariés.

Pour en justifier, elle communique deux listes : une liste intitulée « Liste du personnel » constituant la pièce n° 8 sur laquelle Mme [T] [F] ne figure pas et, une autre, intitulée « Liste des entrées sorties du personnel des 6 sociétés précitées » constituant la pièce n° 10, où l'intéressée figure.

Outre qu'aucune de ces deux listes n'est datée, il s'avère que le personnel de la société Inter Fret Service n'est pas indiqué sur la première liste (pièce n° 8).

Par ailleurs, le personnel des sociétés Groupe Sun City, Sun City, MMS, BTI Shopping et Winner Production mentionné sur la première liste (pièce n°8) n'est pas identique à celui figurant sur la deuxième liste (pièce n°10) bien que les deux listes constituent, selon la société intimée, la liste du personnel et qu'elle a procédé à 8 licenciements postérieurement à celui de Mme [T] [F]. Ainsi, en pièce n° 8, la société Sun City a 45 salariés, la société MMS 17 salariés, la société BTI Shopping 3 salariés, le Groupe Sun City 2 salariés et la société Winner Production 2 salariés. Or, en pièce n°10, la société Sun City a 70 salariés, le Groupe Sun City 5 salariés, la société MMS 31 salariés, la société BTI Shopping 3 salariés, la société Winner Production 19 salariés et la société Inter Fret Service 3 salariés.

A cela, s'ajoute le fait que certains salariés de la pièce n°8 (tels notamment [G] [W], [D] [X], [R] [H], [S] [L], [Z] [E] recrutés en contrat de travail à durée indéterminée), bien que présentés comme étant employés au jour du licenciement de Mme [T] [F] n'apparaissent pas dans la pièce n°10 étant noté que la liste de la pièce n°8 ne comporte aucune date d'entrée et de sortie du personnel concerné.

Enfin, la liste de la pièce n°8 répertorie les salariés avec leur fonction précise (ainsi à titre d'exemple notamment gestionnaire achat, modéliste, styliste, styliste infographiste, responsable des approbations, responsable qualité, gestionnaire de stocks, pilote flux entrants, assistant achat, assistant logistique, assistant contrôle qualité, attaché de communication, responsable comptable, directeur financier, responsable artistique ) alors que la liste de la pièce n°10 ne mentionne que 10 fonctions (à savoir commercial/marketing ' autres administratifs ' administration des ventes ' direction ' suivi production/qualité ' logistique/entrepôt ' comptabilité ' achats ' design/stylisme ' informatique) étant observé que la liste de la pièce n°8 fait état de 4 fonctions de direction (directeur système informatique, directeur achats, directeur des opérations et directeur financier). De surcroît, la liste de la pièce n°10 indique un poste de direction pour la seule société Inter Fret Service, aucun poste de direction n'étant recensé pour les cinq autres sociétés alors qu'il s'agit de personnalités juridiques autonomes.

Ainsi, même si la société Sun City justifie du périmètre du groupe auquel elle appartient, il n'en demeure pas moins que les deux documents qu'elle produit comme justificatifs de l'exécution de son obligation de reclassement à l'égard de Mme [T] [F] ne sont pas concordants, révèlent une masse salariale des plus variables pour les sociétés concernées (la liste de la pièce n°10 démontre notamment que la société Sun City a 70 salariés alors qu'elle affirme en avoir une cinquantaine), sont à l'évidence incomplets en raison de l'absence de tout poste de direction pour les sociétés Sun City, Groupe Sun City, MMS, Winner Production, BTI Shopping et ne permettent, pas en toute hypothèse d'apprécier l'existence ou non d'un poste susceptible d'être proposé à Mme [T] [F].

Dans ces conditions, en l'absence de tout autre document démontrant d'une part, que la société Sun City a interrogé chacune des cinq sociétés du groupe pour connaître les postes qui seraient disponibles, d'autre part, a interrogé Mme [T] [F] quant à sa mobilité, enfin a demandé à Mme [T] [F] de lui fournir un CV détaillé en vue d'étudier d'éventuelles possibilités de reclassement, les pièces ci-dessus analysées sont insuffisamment probantes à justifier du respect par la société Sun City de son obligation de reclassement.

En conséquence, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [T] [F] repose sur une cause réelle et sérieuse fondée sur motif économique et débouté celle-ci de sa demande incidente et, statuant à nouveau, dira que la société Sun City a manqué à son obligation de reclassement et que le licenciement de Mme [T] [F] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences financières du licenciement abusif.

Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau contenu dans cet article et qui sont fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.

En l'occurrence, Mme [T] [F], qui bénéficie d'une ancienneté de 29 ans et 7 mois, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 20 mois de salaire moyen brut d'un montant de 3 152,50 euros.

Le préjudice subi par Mme [T] [F] du fait de son licenciement abusif, compte tenu de son âge au moment de la rupture (50 ans), de son ancienneté, de son salaire moyen brut et au vu des éléments communiqués quant à son devenir professionnel, sera réparé par l'allocation d'une somme de 63 050 euros brut.

Sur le remboursement de la surprime

La société Sun City prétend qu'au cours de la procédure de licenciement, Mme [T] [F] lui a demandé de bénéficier d'une prime de licenciement supra légale pour compenser le préjudice financier en résultant. Elle a ainsi accepté de lui verser une indemnisation complémentaire de 8 000 euros en contrepartie de son engagement à ne pas contester la rupture du contrat de travail. Mme [T] [F] ayant saisi la juridiction prud'homale en dépit de son engagement, la société Sun City s'estime bien fondée à lui demander, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, le remboursement de cette indemnisation qu'elle considère devenue sans objet.

Mme [T] [F] s'y oppose soutenant que cette somme doit s'analyser en une indemnité supra légale et qu'aucune transaction n'a été signée entre les parties.

La société Sun City fonde sa demande sur l'article 1303 du code civil, selon lequel « en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement ».

L'article 1303-1 poursuit en énonçant que « l'enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale ».

L'article 1303-2 ajoute qu'« il n'y a pas lieu à indemnisation si l'appauvrissement procède d'un acte accompli par l'appauvri en vue d'un profit personnel. L'indemnisation peut être modérée par le juge civil si l'appauvrissement procède d'une faute de l'appauvri ».

Enfin, selon l'article 1303-3 du même code, « l'appauvri n'a pas d'action sur ce fondement lorsqu'une autre action lui est ouverte ou se heurte à un obstacle de droit, tel la prescription ».

Il en ressort que l'action en enrichissement injustifié n'est possible que si aucune voie de droit n'est possible. Par ailleurs, il incombe à la partie qui invoque l'enrichissement injustifié d'établir que l'appauvrissement par elle subi et l'enrichissement corrélatif du défendeur ont eu lieu sans cause. L'enrichissement a une cause légitime quand il trouve sa source dans un acte juridique. Enfin, l'appauvri ne peut mener d'action si l'enrichissement dont il se plaint résulte d'un acte qu'il a accompli en vue d'un profit personnel.

En l'occurrence, contrairement à la thèse développée par la société Sun City dans ses écritures, il ressort de l'analyse du courrier de Mme [T] [F] du 17 mai 2018 et de celui de la société Sun City du 23 mai suivant que ce n'est pas Mme [T] [F] qui a demandé une indemnité de licenciement supra légale à son employeur mais bien ce dernier qui la lui a spontanément proposée durant la procédure de licenciement. Cette indemnité de licenciement supra légale que la société Sun City a unilatéralement décidée ne peut être analysée en une contrepartie à un renoncement judiciaire surtout en l'absence du moindre protocole transactionnel entérinant l'accord des parties conforme aux dispositions des articles 2044 et suivants du code civil et dans la mesure où de surcroît, il est démontré qu'elle n'a pas satisfait à son obligation légale de reclassement.

Cette indemnisation, qualifiée de complémentaire par l'employeur, spontanément offerte et payée à Mme [T] [F] dans le cadre de la rupture de son contrat de travail constitue un acte juridique causant dès lors son enrichissement de sorte que la société Sun City, qui a commis une faute en ne respectant pas son obligation de reclassement, sera déboutée de sa demande de ce chef.

Aussi, la cour confirmera le jugement de ce chef et déboutera conséquemment la société Sun City de sa demande.

Sur les demandes annexes

La cour infirmera le jugement en ce qu'il a condamné Mme [T] [F] aux dépens de première instance et l'a déboutée de sa demande d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Sun City, partie succombante, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande de condamner la société Sun City à payer à Mme [T] [F] une indemnité de procédure de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour les frais irrépétibles de première instance et d'appel.

La société Sun City supportera la charge de ses frais irrépétibles et sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers du 28 juin 2021 sauf en ce qu'il a débouté la SAS Sun City, prise en la personne de son représentant légal, de sa demande de condamnation de Mme [T] [F] à lui payer la somme de 8 000 euros ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que la SAS Sun City a manqué à son obligation de reclassement ;

DIT que le licenciement de Mme [T] [F] est sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SAS Sun City à payer à Mme [T] [F] la somme de SOIXANTE TROIS MILLE CINQUANTE (63 050) EUROS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DEBOUTE la SAS Sun City de toutes ses demandes ;

CONDAMNE la SAS Sun City à payer à Mme [T] [F] la somme de DEUX MILLE (2 000) EUROS à titre d'indemnité de procédure en vertu de l'article 700 du code de procédure civile qui vaudra pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel;

CONDAMNE la SAS Sun City aux dépens de premières instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Clarisse PORTMANN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00455
Date de la décision : 04/07/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 11/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-07-04;21.00455 ?
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