COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00449 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3XX.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 29 Juin 2021, enregistrée sous le n° 20/00517
ARRÊT DU 04 Juillet 2024
APPELANT :
Monsieur [D] [V]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Maître Elisabeth POUPEAU, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 20/040
INTIMEE :
S.A.S.U. D & L ENROMAT Immatriculée au RCS d'ANGERS. Prise en la personne de ses re
présentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Maître Nathalie GREFFIER, avocat au barreau d'ANGERS - N° du dossier 21209
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Février 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame CHAMBEAUD, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Clarisse PORTMANN
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 04 Juillet 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La SASU D&L Enromat a pour activité l'exploitation de carrières et de sablières, la fabrication de produits bitumineux ainsi que le recyclage des matériaux. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des travaux publics. Elle appartient au groupe [P] [H].
Le 24 septembre 2007, M. [D] [V] a été engagé par la société Briand TP dans le cadre d'un contrat de travail à durée déterminée en qualité d'ouvrier TP conducteur d'engin, catégorie ouvrier, Niveau II.2, coefficient 140 moyennant une rémunération mensuelle de 1 553,10 euros. Le 1er janvier 2008, la relation de travail s'est poursuivie pour une durée indéterminée.
En 2014, la société Briand TP a été absorbée par la société [P] [H] laquelle a repris le contrat de travail de M. [V] suivant avenant du 18 juillet 2014.
Le 24 janvier 2015, une déclaration de maladie professionnelle relative à une épicondylite du coude droit a été effectuée auprès de la caisse primaire d'assurance maladie du Maine et Loire.
Le 15 février 2017, M. [V] a été placé en arrêt de travail jusqu'au 27 avril 2018 inclus. Le même jour, une déclaration de maladie professionnelle relative au canal carpien droit a été adressée à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine et Loire
La caisse primaire d'assurance maladie du Maine et Loire a reconnu l'origine professionnelle de ces deux maladies.
Aux termes d'une visite de reprise intervenue le 2 mai 2018, M. [V] a été déclaré apte à la reprise de son poste par le médecin du travail avec les restrictions suivantes : 'peut conduire des engins dont l'accès est possible sans élévation du bras droit en hauteur (au-delà de 1m70)'.
Dans le cadre de son reclassement sur un poste sédentaire adapté en qualité de conducteur de chargeuse, le contrat de travail de M. [V] a été transféré à la société D&L Enromat par avenant du 14 juin 2018 avec reprise de son ancienneté et de sa rémunération. Ce transfert a cependant entrainé la perte de certains avantages tels la perte du bénéfice de l'accord de participation du 31 mars 1993 et de son avenant du 13 novembre 2012, du plan épargne entreprise du 31 mars 1993 et de la prime repas. Il conduisait M. [D] [V] à travailler au sein d'une entreprise dépourvue de Comité d'entreprise et de CHSCT.
Le 20 mai 2020, la société D&L Enromat a notifié à M. [V] sa mise à pied à titre conservatoire.
Par courrier du 22 mai 2020, la société D&L Enromat a convoqué M. [V] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 4 juin suivant.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 12 juin 2020, la société D&L Enromat a notifié à M. [V] son licenciement pour faute grave lui reprochant le non-port des protections relatives au Covid 19, la non-utilisation des aménagements spécifiques mis à sa disposition pour répondre aux restrictions énoncées par le médecin du travail, le non-port des équipements de protection individuelle et le non-respect des règles de conduite.
Contestant le bien-fondé de son licenciement, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers par requête du 15 juillet 2020 afin d'obtenir la condamnation de la société D&L Enromat, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, d'une indemnité de licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société D&L Enromat s'est opposée aux prétentions de M. [V] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 29 juin 2021, le conseil de prud'hommes a :
- dit que la rupture s'analyse en un licenciement pour faute grave,
- rejeté les prétentions de M. [D] [V],
- rejeté les autres prétentions des parties,
- condamné M. [D] [V], partie perdante, aux dépens de l'instance.
M. [D] [V] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 28 juillet 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans sa déclaration.
La société D&L Enromat a constitué avocat en qualité d'intimée le 10 novembre 2021.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2024 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 8 février 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [D] [V], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 18 février 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- le dire et juger bien fondé et recevable en ses demandes,
- y faire droit,
En conséquence,
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers du 29 juin 2021 en l'ensemble de ses dispositions,
Statuer à nouveau :
- dire et juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société D&L Enromat à lui verser les sommes suivantes :
* 4 100 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
* 410 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente au préavis,
* 7 004,16 euros net au titre de l'indemnité légale de licenciement,
* 22 500 euros net de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société D&L Enromat à lui remettre ses documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir ;
- dire et juger que la cour se réserve le droit de liquider cette astreinte ;
- condamner la société D&L Enromat à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société D&L Enromat aux entiers dépens de l'instance.
La société D&L Enromat, dans ses dernières conclusions d'intimée récapitulatives n° 1, notifiées par voie électronique le 12 janvier 2024, auquel il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- juger inopposables à l'employeur les pièces résultant du dossier médical de M. [V] dès lors que l'employeur n'en a pas eu connaissance pendant la relation de travail,
- déclarer M. [V] non fondé en son appel ; l'en débouter ainsi que de toutes ses demandes, fins et conclusions d'appel ;
- confirmer purement et simplement le jugement qui a considéré que les faits visés dans la lettre de licenciement étaient établis et qu'ils étaient constitutifs d'une faute grave,
- et, rejetant toutes prétentions contraires comme non recevables en tout cas non fondées,
- le condamner aux entiers dépens d'appel lesquels incluront les frais d'huissier rendus nécessaires par la signification du jugement,
- condamner M. [V] à payer la somme de 2 200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens d'appel.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les demandes tendant à voir « juger », « dire et juger », « dire », « constater » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile mais constituent, en réalité, des moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
Il ne sera donc pas statué sur ces « demandes » qui ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Sur le licenciement pour faute grave
M. [D] [V] estime que le non-port du masque constaté une fois en extérieur, le fait d'avoir été vu une fois descendre de la chargeuse sans utiliser la plateforme mise à sa disposition par son employeur, bien que non prescrite par le médecin du travail dans le cadre de l'aménagement de son poste, ou encore le non-port des protections auditives ne peuvent constituer un motif suffisamment grave de nature à justifier son licenciement alors qu'il n'a fait l'objet d'aucune mise en garde ni mesure disciplinaire en 13 années d'ancienneté au sein de l'entreprise.
La société D&L Enromat prétend que M. [D] [V] n'a pas l'habitude de mettre en pratique les règles de sécurité qu'il reçoit. Ainsi, en dépit d'une formation dispensée le 13 mai 2020, il s'est abstenu le 20 mai 2020 de porter le masque de protection en descendant de la chargeuse et d'avoir avec lui le Kit Covid mis à sa disposition afin de garantir sa sécurité et celle des autres collègues et intervenants. Il s'abstient également d'utiliser les aménagements spécifiques mis à sa seule disposition pour répondre aux restrictions médicales énoncées par le médecin du travail. Enfin, elle affirme qu'il ne porte pas les équipements de protection individuelle (protections auditives) et ne respecte pas les règles de conduite.
Selon l'article L. 1235-1 du code du travail, en cas de litige portant sur le licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et si un doute subsiste, il profite au salarié.
La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur en application de l'article L1232-6 du code du travail. Elle doit être suffisamment motivée et viser des faits et griefs matériellement vérifiables, sous peine de rendre le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse.
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave privative du droit aux indemnités de rupture est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur. S'il subsiste un doute, celui-ci doit profiter au salarié.
La lettre de licenciement pour faute grave du 12 juin 2020, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée : 'Lors de votre entretien préalable en date du jeudi 4 juin 2020, au cours duquel vous étiez accompagné par Monsieur [U] [W], membre du Comité Social et Economique, nous vous avons exposé les faits qui nous ont amenés à envisager à votre encontre une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave.
Nous vous rappelons les faits reprochés à savoir :
Non port des protections COVID 19 :
Le 20 mai 2020 à 11h55 alors que vous étiez sur le site de [Localité 5], vous êtes descendu de votre machine, à proximité de laquelle je me trouvais, pour aller déjeuner, sans aucun des équipements de protection COVID qui vous avaient été remis quelques jours plus tôt (le 13 mai 2020), par Monsieur [E] [A], au terme d'une formation d'un peu plus d'une heure.
Lors de cette formation, il vous avait pourtant été rappelé que ces protections étaient essentielles pour protéger vos collègues et également votre personne.
Il était alors manifeste que vous n'aviez pas l'habitude de vous protéger, ni de protéger vos confrères en pareil situation, ce qui m'a été confirmé au cours de l'enquête diligentée sur place. Je me suis approché de vous pour vous le faire remarquer, et vous m'avez précisé qu'ils étaient dans la cabine et que vous alliez remonter les chercher. Je vous ai interdit de le faire pour les raisons suivantes.
Non-utilisation des aménagements spécifiquement mis à disposition pour répondre aux restrictions médicales énoncées par le médecin du travail :
En effet, vous avez été affecté sur le site de [Localité 5] par l'application d'une convention de transfert conclue entre la société [P] [H] qui vous employait et la société D&L Enromat, dans le cadre d'un reclassement professionnel à l'intérieur du groupe [P] [H].
Vous avez été en arrêt de travail du 21 Janvier 2017 au 27 Avril 2018, au terme duquel le médecin du travail vous a déclaré apte avec restrictions "La conduite des engins dont l'accès est possible sans élévation du bras droit en hauteur (au-delà de 1m70).
Lors de l'établissement de la convention de transfert que vous avez signée, il a été précisé : "Poste sédentaire permettant la mise en place d'une plateforme pour l'accès, la maintenance et le plein de l'engin".
Tous ces points ont été évoqués lors de votre entretien professionnel du 29 Mai 2018, avant votre prise de poste le 1er Juin 2018. Il vous a même été précisé : "Vous avez des restrictions et il va falloir que vous les preniez en compte, à savoir : interdiction de lever le bras, et il est impératif d'utiliser les aménagements prévus."
Ce 20 mai, vos montées et descentes se faisaient à plus de 100 mètres de la plateforme la plus proche. Suite à enquête diligentée sur place, il m'a été confirmé que c'était chez vous une pratique courante.
Lors de l'entretien préalable, vous n'avez pas nié. Vous avez même confirmé que "vous aviez un bras gauche, qu'il ne fallait pas abuser, et que même si ça faisait mal au bras droit, un peu, ça n'était pas dramatique "
Je vous ai alors rappelé, sans manifestement vous émouvoir, le coût de votre arrêt de travail (reconnu en maladie professionnelle), l'intervention du médecin du travail, et les efforts de reclassement et d'équipements qui avaient été faits par l'entreprise.
Vous n'avez eu alors aucune réaction et n'avez apporté aucun élément de réponse. Il semble que vous n'attachiez aucun intérêt aux mesures de protection de votre propre personne.
Or ces faits ne sont pas isolés.
Non port des équipements de protections individuelles et non-respect des règles de conduite.
La société Technilab est intervenue sur le site de [Localité 5], le 25 février 2020 dans le cadre de la "Détermination de l'exposition au bruit en milieu de travail" et le 26 février pour mesurer "L'exposition aux vibrations transmises à l'ensemble du corps en milieu de travail'.
Le rapport, daté du 8 Avril 2020, nous est parvenu à la fin du mois d'avril, en période de confinement.
' Concernant les mesures à « l'exposition au bruit en milieu de travail »
Il y est précisé en page 8, chapitre 4.2a que vous êtes l'une des personnes testées.
Puis au chapitre 4.3d il est indiqué que : " L'opérateur n'a pas de protections auditives à sa disposition".
L'exposition sonore mesurée ce jour-là (76dB) était inférieure au seuil d'exposition maximum (80dB).
A réception de ce rapport, à la fin du mois d'Avril 2020, nous avons été visiter votre engin et nous y avons retrouvé les bouchons d'oreilles moulés qui vous ont été remis (22 novembre 2016) à l'issue d'une formation spécifique (le 29/06/2016), abandonnés sur le sol de votre engin.
Lors de l'entretien, vous maintenez que le jour de l'intervention de Technilab vous les portiez.
Or depuis, nous avons interrogé l'opératrice de Technilab qui nous a confirmé le contraire. Et c'est aussi ce qui ressort de l'enquête. Le constat général est que vous ne portez pas vos protections auditives pendant votre travail.
' Concernant les mesures à « l'exposition aux vibrations transmises à l'ensemble du corps en milieu de travail".
Il ressort de cette série de mesure que vous enregistrez une exposition quotidienne de 0.73 m/s2, alors que les mesures opérées sur vos confrères en situation similaire sont inférieures à 0.50 m/s2.
Vous ne respectez donc pas les règles de conduite telles qu'enseignées dans le cadre des formations CACES dont vous avez bénéficiées (15/06/2018).
Lors de l'entretien, vous m'avez répondu que « vous n'étiez pas un sauvage, que vous preniez soin du matériel », dont vous m'avez confirmé le parfait état d'entretien.
Au regard de tous ces faits, Il apparaît donc clairement que vous ne respectez aucune des règles et consignes de sécurité qui s'imposent dans notre activité, ou par les événements pour ce qui concerne la crise sanitaire, qu'il s'agisse du port des EPI, des règles de protection COVID, et même des règles de conduite des matériels, alors que pour tous ces sujets, nous avons mis un soin particulier pour vous accompagner, tant par des formations que par la mise en place d'équipements spécifiques.
Il ressort de votre comportement et de notre échange que vous refusez les règles, et que le comportement qui en découle est dangereux pour l'ensemble de vos collègues, autant que pour vous-même. Vos explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 4 juin, ne nous ont donc pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.
Aussi, en raison de votre attitude délibérée et persistante, des conséquences potentielles pour vous et votre entourage, caractérisant la gravité des faits qui vous sont reprochés, nous avons décidé de vous licencier pour faute grave. Votre maintien, même temporaire dans l'entreprise s'avérant impossible, votre licenciement prendra donc effet immédiatement à la date d'envoi de la présente c'est-à-dire le 12 juin 2020, sans préavis, ni indemnité de licenciement.
Nous vous rappelons que vous faites l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire. Par conséquent, la période non travaillée, du 20 mai 2020 au 12 juin 2020, nécessaire pour effectuer la procédure de licenciement ne sera pas rémunérée.
A réception de ce courrier, nous vous demandons de prendre contact avec Monsieur [T] [H] ([XXXXXXXX01]) pour procéder à la restitution des équipements dont vous êtes en possession (liste en annexe) et pour récupérer votre solde de tout compte (établit au regard des feuilles d'heures en notre possession), votre certificat de travail et votre attestation pour le Pôle Emploi.
Dans cette attente, veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distinguées.'
Trois griefs sont ainsi visés
1 - Le non-port des protections Covid 19
Pour justifier de ce grief, la société D&L Enromat communique :
- le contrat de travail du 24 septembre 2007 que M. [D] [V] a conclu avec la SARL BRIAND TP aux termes duquel notamment il s'est engagé à utiliser les protections individuelles et collectives en toutes circonstances ;
- le récépissé du 13 mai 2020 par lequel M. [D] [V] reconnaît « avoir reçu, lu et compris le LIVRET DE CONSIGNES DE SECURITE SANITAIRE, Période Covid 19 et [s'] engage à appliquer rigoureusement les consignes auxquelles il a été formé par M. [A] [E] »,
- le livret de consignes de sécurité sanitaire ' Période Covid 19
- le récépissé de remise du Kit Covid 19,
- l'attestation de M. [N] [I], Directeur de la société D&L Enromat, lequel déclare : « le 20 mai 2020, en fin de matinée, j'ai été sur le site de [Localité 5] à [Localité 3] pour rencontrer M. [T] [H]. Nous avons vu arriver Monsieur [V] aux commandes de sa chargeuse et la stationner près des voitures des salariés à une dizaine de mètres d'où nous étions positionnés. Nous l'avons vu descendre de sa machine sans porter les EPI pourtant obligatoires qu'ils soient traditionnels (casque') ou anti Covid. Nous nous sommes alors approchés de lui et je lui en ai fait la remarque. Il m'a répondu qu'ils étaient dans sa cabine et qu'il allait remonter les chercher. Je m'y suis opposé, puisque M. [V] a fait l'objet d'un aménagement de poste, et qu'il n'aurait pas dû descendre de sa machine à cet endroit et de cette façon, mais utiliser la plateforme aménagée pour lui, installée à une centaine de mètres de là. Je l'ai convoqué mon bureau pour le début de l'après-midi ».
- l'attestation de M. [T] [H], formateur et chef d'exploitation (responsable sécurité), lequel déclare : « le 20 mai 2020, j'étais sur le site de [Localité 5] (illisible), et j'accompagnais M. [I] lorsque nous avons vu à quelques mètres de nous M. [V] [D] descendre de sa machine par l'échelle d'accès alors qu'il ne portait aucun des EPI (casque, bouchons moulés') pourtant obligatoires, ni les protections anti Covid qui lui avaient été remises quelques jours plus tôt à l'issue d'une formation. M. [V] ne devait pas descendre à cet endroit et de cette façon puisque les plateformes avaient été spécialement aménagées pour lui à la demande du médecin du travail. Ce n'est pas la seule fois que je l'ai vu se comporter de cette façon malgré les interpellations dont il a fait l'objet ».
M. [D] [V] communique pour sa part :
- une photo du site de [Localité 5] ' Carrière de [Localité 3], laquelle permet d'appréhender l'étendue de la carrière,
- le guide de préconisations de sécurité sanitaire pour la continuité des activités de la construction en période d'épidémie de coronavirus sars-cov-2 dans les travaux publics, intégrant les recommandations du Haut-Conseil de Santé Publique, ledit guide étant le document de référence pour les entreprises du Bâtiment et Des Travaux Publics
- la sommation du 5 octobre 2020 de communiquer le rapport d'enquête visé dans la lettre de licenciement pour faute grave
- un échange de courriels entre le SMIA et la direction de la société le 8 juin 2020, le premier avisant la seconde que, suite à sa reprise après un arrêt dérogatoire COVID, M. [D] [V] serait reçu le 10 juin suivant,
- le dossier médical établi par la médecine du travail.
Il est ainsi fait grief à M. [D] [V] d'être descendu de la chargeuse sans porter les protections Covid-19, d'avoir ainsi manqué à une obligation de sécurité, d'être coutumier du fait, la société D&L Enromat rappelant que les protections étaient essentielles pour sa propre protection et celle de ses collègues.
M. [D] [V] explique qu'il était seul sur le site de [Localité 5] le 20 mai 2020 quand il a arrêté sa chargeuse pour prendre sa pause déjeuner dans sa voiture. C'est pour cette raison qu'il est descendu sans porter de masque et sans avoir en sa possession le kit COVID, composé d'un feutre permanent, d'un sac plastique refermable zip, d'un paquet essuie-mains 192 feuilles, de lingettes antiseptiques, de gel hydroalcoolique 100 ml, d'un désinfectant surfaces, de 10 masques tissu LFB, d'un indicateur de température frontal et d'un écran à fixer sur casque.
S'agissant du masque, la cour rappelle que le port du masque, rendu obligatoire dans les lieux clos recevant du public par décret n°2020-884 du 17 juillet 2020 entré en vigueur le 20 suivant, a pour objet la protection de la personne qui le porte et des personnes se trouvant à ses côtés dès lors qu'une distance minimum fixée à un mètre ne peut être respectée. Le guide de prévention sur les risques sanitaires dans le BTP versé aux débats et établi par l'Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et Travaux Publics, organisme composé d'experts en prévention issus du terrain qui accompagnent, au quotidien, les professionnels et les acteurs du BTP, précise qu'il convient avant tout de respecter une distance minimale d'un mètre et que, c'est à défaut de respecter cette distance d'un mètre qu'il est préconisé de porter un masque.
C'est d'ailleurs cette règle que le livret de consignes de sécurité sanitaire ' Période de Coronavirus (COVID-19) remis contre signature à M. [D] [V] le 13 mai 2020 reprend en sa page 6 : « Au cours de la journée ' Je respecte les gestes barrières à chaque instant ' Je me change et m'équipe à l'aide du « kit de protection COVID-19 » à mon nom (le port du masque est nécessaire en cas de travail à moins d'1 m d'une autre personne, ou en cas d'urgence pour porter secours à une autre personne [souligné dans le texte]) » et en sa page 11 au moyen d'un pictogramme représentant deux hommes
dépourvus de masque situés à un mètre l'un de l'autre accompagné de la phrase « Assurez la distance d'un mètre entre les personnes ».
Ainsi, l'obligation imposée par la direction de la société D&L Enromat est celle du port du masque lorsque la distance entre deux personnes est inférieure à un mètre. La question qui se pose dès lors à la cour est celle de savoir si au moment où M. [I] et [H] ont vu M. [D] [V], ce dernier était tenu de porter un masque, car situé à moins d'un mètre d'un collègue, ou s'il en était dispensé.
En l'occurrence, il ressort des déclarations de ces deux seuls témoins que M. [D] [V] se trouvait à une dizaine de mètres d'eux donc à une distance supérieure à un mètre lorsqu'ils l'ont vu garer la chargeuse en vue de la pause déjeuner. C'est bien parce que M. [I] et [H] ne se trouvaient pas à la vue de M. [D] [V] que ce dernier, étant seul et en extérieur, est descendu de la chargeuse sans masque pour aller s'isoler dans sa voiture afin de déjeuner avec le panier qu'il avait apporté conformément aux préconisations contenues dans le guide établi par son employeur en pages 6 et 11. L'employeur ne démontre pas la présence sur site de collègues de M. [D] [V]. En effet, la société D&L Enromat s'abstient de produire le planning des équipes mais surtout l'enquête à laquelle elle fait référence dans la lettre licenciement, et ce en dépit d'une sommation de communiquer.
Par ailleurs, aucun élément du dossier, aucune attestation de collègues de travail de M. [D] [V] n'établit que celui-ci avait pour habitude de ne pas se protéger ni protéger ses collègues comme le prétend la société D&L Enromat. Il est donc pour le moins abusif de la part de l'employeur de présenter M. [D] [V] comme un homme peu soucieux de la protection de sa santé et de la santé des autres et ce d'autant que son état de santé le conduisait à l'époque à redoubler de vigilance car considéré comme une personne à risque. En effet, il venait de reprendre le travail le mercredi 13 mai 2020 (jour de la délivrance par son employeur du guide de protection) suite à un arrêt dérogatoire COVID préventif. Son médecin traitant l'a autorisé à reprendre ses fonctions car il les exerce exclusivement en extérieur et de surcroît sans collègues à proximité car seul dans la chargeuse qu'il manipule. Cette reprise s'accompagnait d'une visite de la médecine du travail prévue le 10 juin 2020 (soit deux jours avant le licenciement) pour apprécier son aptitude à travailler dans un contexte de crise sanitaire.
Ainsi, il ressort des éléments qui précèdent que s'agissant du port du masque, M. [D] [V] était, au moment où Messieurs [I] et [H] l'ont vu, autorisé à ne pas le porter et ce conformément aux règles du guide établi par l'employeur.
S'agissant du kit COVID, M. [D] [V] ne conteste pas qu'il ne l'avait pas en sa possession lorsqu'il est descendu de la chargeuse pour aller déjeuner seul dans sa voiture. Pour autant, cela ne serait être constitutif d'une faute car le guide établi par la société D&L Enromat prévoit en page 7 que la désinfection du poste de conduite de la chargeuse à l'aide du pulvérisateur de produit désinfectant ou de lingettes doit intervenir en fin de journée. Or, au moment où les deux hommes ont vu M. [D] [V], il était midi. Par ailleurs, en page 8 du guide, l'employeur précise que les sanitaires ont fait l'objet d'adaptations de sorte que cet oubli ne saurait être considéré comme fautif.
Par suite, ce grief n'est pas établi.
2 - La non-utilisation des aménagements spécifiquement mis à disposition pour répondre aux restrictions médicales énoncées par le médecin du travail :
La société D&L Enromat reproche à M. [D] [V] d'avoir le 20 mai 2020 effectué des montées et des descentes à plus de 100 mètres de la plateforme la plus proche et affirme qu'il s'agit d'une pratique courante de sa part.
M. [D] [V] fait valoir que les deux plateformes mises à sa disposition par son employeur n'ont pas été préconisées par le médecin du travail de sorte qu'il ne serait lui faire grief de ne pas les avoir utilisées le 20 mai 2020.
Pour justifier ce grief, la société D&L Enromat fournit :
- le compte-rendu d'un entretien professionnel du 29 mai 2018 signé par la direction et le salarié où dans la rubrique « Expression du manager », ce dernier mentionne : « Vous avez des restrictions, et il va falloir que vous les preniez en compte : interdiction de lever le bras ' impératif d'utiliser les aménagements prévus »,
- les attestations précitées de M. [I] et [H],
- l'attestation de M. [W], délégué ayant assisté M. [D] [V] lors de l'entretien préalable, laquelle n'a aucune force probante, ce dernier ne relatant pas de faits en rapport avec griefs dont il aurait personnellement été témoin.
M. [D] [V] produit quant à lui :
- son dossier médical SMIA,
- un courriel du 19 mars 2018 adressé par Mme [L] [K], Directrice des Ressources Humaines, au docteur [X], médecin du travail, dans lequel elle précise au docteur : « Avec Monsieur [H], nous sommes surpris de vos préconisations. Sur les bulldozers et Bull-chargeuses il faut obligatoirement une élévation du bras droit en hauteur. Ensuite, en plus de la conduite sur ces engins, il devra également faire le plein du véhicule qui nécessite les bras en élévation (point que nous avions vu pour le poste de Monsieur [B] ') Avant son retour, il conviendra d'en rediscuter ».
La lettre du licenciement fixant les limites du litige, la société D&L Enromat ne saurait valablement soutenir dans ses écritures que le 20 mai 2020, M. [D] [V] a effectué des montées et des descentes à plus de 100 mètres de la plateforme la plus proche. Outre le fait qu'elle ne justifie nullement de la configuration du site de [Localité 5] et de la position exacte de la chargeuse et des plateformes, les deux seules attestations produites à ce titre, dont une émane du directeur de ladite société, ne le démontrent pas. En effet, Messieurs [I] et [H] attestent avoir vu M. [D] [V] descendre de la chargeuse sans utiliser une des deux plateformes existantes. Ils ne l'ont pas vu remonter dans la chargeuse, M. [I] lui ayant d'ailleurs interdit de le faire alors qu'il voulait prendre son kit COVID qu'il lui reprochait ne pas détenir.
Surtout et contrairement à ce que prétend la société D&L Enromat, les préconisations du médecin du travail en date du 2 mai 2018 sont claires : M. [D] [V] a été déclaré apte à la reprise de son travail à condition de « conduire des engins dont l'accès est possible sans élévation du bras droit en hauteur (au-delà 1m70) ». Elles ont été formulées après une étude de poste menée en concertation avec l'employeur et dans le cadre de laquelle celui-ci a indiqué au médecin du travail par courriel du 19 mars 2018 que les bulldozers et bull chargeuses nécessitaient, selon lui, une élévation du bras droit en hauteur. Bien que la société D&L Enromat s'abstient de communiquer la réponse que le médecin du travail lui a faite, il ressort du dossier médical SMIA de M. [D] [V] que le docteur [X] a noté que ses aptitudes physiques réduites au niveau du bras droit ne lui permettaient pas de conduire un tractopelle, ou une pelle à pneu ou à chenilles mais qu'il lui était possible en revanche de monter dans une minipelle ou un bull chargeuse car il y a deux marches de 30 cm.
La société D&L Enromat ne saurait dès lors reprocher à M. [D] [V] de ne pas utiliser les plateformes se trouvant sur le site de [Localité 5] dont il est établi qu'elles ont été conçues pour M. [B] étant souligné qu'il est des plus abusif de la part de l'employeur de lui reprocher également « le coût de son arrêt-maladie (reconnu en maladie professionnelle) l'intervention du médecin du travail et les efforts de reclassement et d'équipements qui avaient été faits par l'entreprise ».
Par suite, ce grief n'est pas établi.
3 - Le non-port des équipements de protections individuelles et non-respect des règles de conduite :
Dans ses conclusions, la société D&L Enromat ne développe aucun argumentaire mentionnant seulement les pièces sur lesquelles elle s'appuie se référant dès lors aux termes de la lettre de licenciement.
M. [D] [V] fait valoir que la société D&L Enromat ne lui a adressé aucun rappel en avril lorsqu'elle a reçu les rapports ni lorsqu'il a repris le travail le 13 mai 2020. Il reconnait ne pas avoir porté de protections auditives lors de l'enregistrement réalisé par Technilab mais soutient qu'il ne peut en être tiré la conclusion qu'il ne porte jamais ses prothèses auditives. Il considère que le grief selon lequel il ne conduirait pas l'engin comme il faut n'est pas sérieux.
Pour démontrer la matérialité de ce grief, la société D&L Enromat s'appuie sur :
- le rapport Technilab relatif à la détermination de l'exposition au bruit en milieu de travail
- le rapport Technilab sur la détermination de l'exposition aux vibrations transmises à l'ensemble du corps en milieu de travail
- l'attestation de Mme [R] [C], Technicienne environnement chez Technilab, laquelle déclare avoir « constaté que M. [D] [V] n'a pas porté de protections auditives lors des mesurages effectués au poste de travail. il m'a informé qu'il n'avait pas de protections auditives à sa disposition. Le rapport a été envoyé le 8 avril 2020 »
- l'attestation de M. [M]-[P] [H], Président de la société [H] Gestion, lequel déclare « à la réception du rapport établi par Technilab en avril 2020 dans le cadre de la détermination du bruit au travail et l'exposition aux vibrations transmises à l'ensemble du corps en milieu de travail, j'ai été surpris des résultats de vibration sur le poste de M. [V] ainsi que sur le point où il mentionne ne pas avoir de protection auditive. J'ai demandé à M. [W] de vérifier si le siège de la chargeuse que conduit M. [V] n'était pas bloqué par un objet étranger et lui est aussi demandé si M. [V] avait bien des protections auditives à sa disposition ou s'il avait fait mention auprès de lui de la perte de celles-ci. M. [W] m'a répondu aussitôt que M. [V] n'avait pas fait mention de la perte de ses prothèses. M. [W] m'a rappelé quelques minutes plus tard pour me dire qu'il n'avait pas noté d'objet suspect dans la cabine pouvant bloquer le siège conducteur mais il avait trouvé les protections auditives de M. [V] dans un « vide poche » situé sur le tableau de bord de la chargeuse ».
S'agissant du non-port des équipements de protections individuelles, il est acquis que M. [D] [V], qui ne conteste pas avoir été doté de prothèses auditives, ne les portait pas le jour de l'enregistrement effectué par Technilab étant souligné que la mesure prise ce jour-là indique que l'exposition sonore était inférieure au seuil d'exposition minimum qui nécessite le port de protections auditives.
En réalité, il a été constaté qu'une seule fois que M. [D] [V] ne portait pas ses prothèses auditives, la société D&L Enromat s'abstenant de produire l'enquête à laquelle elle se réfère. Dès lors, elle ne saurait affirmer dans la lettre de licenciement que « le constat général est que vous [M. [D] [V]] ne portez pas vos protections auditives pendant votre travail ». Par ailleurs, les termes mêmes de la lettre de licenciement sont démentis par le président du Groupe [H]. En effet, alors que M. [I], président de la société D&L Enromat, affirme dans la lettre de licenciement que les bouchons d'oreille moulés dont il a été doté ont été retrouvés abandonnés sur le sol de son engin, M [M]-[P] [H], président du Groupe [H], affirme au contraire qu'ils ont été trouvés par M. [W] dans le vide poche du tableau de bord de la chargeuse ce qui démontre le soin apporté par M. [D] [V] aux EPI qui lui sont confiés. Enfin, la cour constate que la société D&L Enromat ne justifie d'aucun des rappels qu'elle prétend lui avoir adressés.
S'agissant du non-respect des règles de conduite de la chargeuse, l'employeur déduit d'une simple mesure démontrant que l'exposition quotidienne aux vibrations transmises à l'ensemble du corps de M. [D] [V] était supérieure à la normale que ce dernier ne respecte pas les règles de conduite de son engin. Or, une telle conclusion ne saurait être déduite de ce constat. Les vibrations ainsi relevées sont sans en rapport avec la conduite de la chargeuse mais avec l'engin lui-même. C'est si vrai que Technilab, dans les conclusions de son rapport, demande à l'employeur d'engager les actions qui s'imposent afin de diminuer l'exposition de M. [D] [V] aux vibrations. Par ailleurs, la société D&L Enromat n'invoque ni ne justifie d'accident que M. [D] [V] aurait commis sur site, ni de dégradations, détériorations de sa chargeuse qui lui seraient imputables. Par suite, ce grief, dont le manque de sérieux est à souligner, n'est pas avéré.
S'il est établi que M. [D] [V] ne portait pas ses prothèses auditives le jour de l'intervention de Technilab, il ne saurait pour autant en être conclu que ce seul manquement imputable à un salarié de 13 années d'ancienneté, en l'absence de tout manquement antérieur, de toute mise en garde ou de sanction, est constitutif d'une faute grave ni même d'une cause réelle et sérieuse justifiant le licenciement.
Par suite, la cour infirmera le jugement en ce qu'il a dit que la rupture s'analyse en un licenciement pour faute grave et a débouté M. [D] [V] de ses prétentions. Statuant à nouveau, la cour dira que le licenciement de M. [D] [V] est sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur l'indemnité de préavis et les congés payés y afférents.
Dans la mesure où M. [D] [V] n'a pas commis de faute grave et que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, il a droit, en application de l'article L.1234-5 du code du travail, à une indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés y afférents.
Par suite, la société D&L Enromat sera condamnée à lui payer la somme de 4100 euros brut au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 410 euros brut au titre des congés payés y afférents.
Sur l'indemnité légale de licenciement.
En application des dispositions de l'article L.1234-9 du code du travail, M. [D] [V] a droit à une indemnité de licenciement.
Selon le calcul effectué à partir de la moyenne plus avantageuse des 12 derniers mois de salaire, la société D&L Enromat sera condamnée à payer à M. [D] [V] la somme de 7 004,16 euros net à ce titre.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Selon l'article L. 1235-3 du code du travail, lorsque le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau contenu dans cet article et qui sont fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.
En l'occurrence, M. [D] [V], qui bénéficie d'une ancienneté de 12 ans et 9 mois, peut prétendre à une indemnité comprise entre 3 et 11 mois de salaire brut d'un montant de 2 050 euros.
Le préjudice subi par M. [D] [V] du fait de son licenciement abusif, compte tenu de son âge au moment de la rupture (57 ans), de son ancienneté, d'un salaire mensuel moyen brut de 2 050 euros et des éléments communiqués quant à son devenir lesquels établissent qu'aujourd'hui âgé de 60 ans et après un accident de la circulation qui l'a plongé plusieurs semaines dans le coma et lui a imposé une longue hospitalisation, il n'a pas retrouvé un emploi et reste particulièrement choqué des conditions de son départ de l'entreprise, sera réparé par l'allocation d'une somme de 22 500 euros telle que réclamée par l'intéressé.
Sur les intérêts
Conformément aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes, et les créances indemnitaires à compter de la décision qui les ordonne.
Sur les documents sociaux.
La société D&L Enromat devra remettre à M. [D] [V] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, dans le délai de deux mois à compter de sa notification et sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette remise d'une astreinte.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives à l'indemnité de procédure et aux dépens.
La société D&L Enromat, partie succombante, supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande de condamner la société D&L Enromat à payer à M. [D] [V] une indemnité de procédure de 3 000 euros qui vaudra au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
La société D&L Enromat sera déboutée de sa demande d'indemnité de procédure en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant par arrêt contradictoire, publiquement par mise à disposition au greffe ;
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes d'Angers le 29 juin 2021 en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et, y ajoutant,
DIT que le licenciement de M. [D] [V] est sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNE la société D&L Enromat, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [D] [V] les sommes suivantes :
QUATRE MILLE CENT (4 100) EUROS brut au titre de l'indemnité de préavis et la somme de QUATRE CENT DIX (410) EUROS brut au titre des congés payés afférents,
SEPT MILLE QUATRE EUROS ET SEIZE CENTIMES D'EUROS (7 004,16) au titre de l'indemnité de licenciement,
VINGT DEUX MILLE CINQ CENT (22 500) EUROS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DIT que les créances de nature salariale porteront intérêt à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes, et les créances indemnitaires à compter de la présente décision ;
ORDONNE à la société D&L Enromat la remise à M. [D] [V] d'un bulletin de paie récapitulatif, d'un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes au présent arrêt, dans le délai de deux mois à compter de sa notification ;
CONDAMNE la société D&L Enromat, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [D] [V] la somme de TROIS MILLE (3 000) EUROS à titre d'indemnité de procédure en vertu de l'article 700 du code de procédure civile qui vaudra au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
CONDAMNE la société D&L Enromat aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Clarisse PORTMANN