COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00548 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E4UM.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ANGERS, décision attaquée en date du 09 Septembre 2021, enregistrée sous le n° 20/00661
ARRÊT DU 20 Juin 2024
APPELANTE :
S.A.R.L. C.V.H. Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Maître Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître Mathide YOGES, avocat plaidant du barreau de MONTPELLIER
INTIME :
Monsieur [Y] [H]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représenté par Maître PEDRON, avocat substituant Maître Gérard BERAHYA LAZARUS, avocat au barreau d'ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 02 Avril 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame TRIQUIGNEAUX-MAUGARS, conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Clarisse PORTMANN
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 20 Juin 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La Sarl Compétence et Valorisation de l'Humain (la société CVH) est un organisme de formation et d'insertion professionnelle. Elle applique la convention collective nationale des organismes de formation et emploie 16 salariés.
Le 19 décembre 2017, M. [Y] [H] a été embauché par la société CVH selon contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, pour exercer les fonctions de coordinateur Pada 72 et 49, en qualité de technicien hautement qualifié, niveau E1, coefficient 240.
Par avenant du 15 janvier 2018, la durée de travail est passée à temps complet..
Par avenant du 1er janvier 2020, M. [H] a été nommé en qualité de responsable du service asile, niveau E2, coefficient 270.
Par courrier du 4 septembre 2020, la société CVH a convoqué M. [H] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 17 septembre 2020, et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.
Le 23 septembre 2020, la société CVH a licencié M. [H] pour faute grave motivé en substance par :
- son comportement déloyal caractérisé par le fait de discréditer la société, de tenter de nuire à son image, et d'affirmer auprès de ses collègues que son avenir est compromis, créant ainsi un climat de tension auprès de ces derniers ;
- la fermeture du site le 13 août 2020 de sa propre initiative, sans avoir consulté la direction, et le fait d'avoir menti sur son heure de réouverture ;
- la réalisation de traductions à titre privé pendant son temps de travail.
Le 22 octobre 2020, M. [H] a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers afin de contester le bien-fondé de son licenciement et obtenir les indemnités liées à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement du 9 septembre 2021, le conseil de prud'hommes d'Angers a :
- dit le licenciement de M. [Y] [H] sans cause réelle et sérieuse ;
- condamné la Sarl CVH à régler à M. [Y] [H] :
- 1 711,87 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
- 4 980 euros à titre d'indemnité de préavis ;
- 498 euros au titre des congés payés sur préavis ;
- condamné la Sarl CVH à régler à M. [Y] [H] la somme de 8 715 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse et réparation du préjudice subi ;
- dit que la mise à pied est annulée ;
- condamné la Sarl CVH à régler à M. [Y] [H] la somme de 1 493,97 euros à titre de salaire ;
- ordonné l'exécution provisoire en vertu de l'article 515 du code de procédure civile ;
- dit que les condamnations de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation et à compter du jugement pour les condamnations de nature indemnitaire en application des dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil ;
- condamné la Sarl CVH à régler à M. [Y] [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté la Sarl CVH de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de toutes les autres demandes ;
- condamné la Sarl CVH aux entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d'huissier.
La Sarl CVH a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 30 septembre 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief et qu'elle énonce dans sa déclaration.
M. [H] a constitué avocat en qualité de partie intimée le 9 novembre 2021.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 2 avril 2024.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La Sarl CVH dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 5 avril 2022, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- constater la reprise d'instance dans les suites de la constitution de Maître Inès Rubinel, avocate au barreau d'Angers, en qualité d'administratrice provisoire de Maître [R] [C] ;
- la recevoir en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit ;
- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Angers le 9 septembre 2021 (RG F 20/00661) sur tous les chefs lui portant grief ainsi que ceux qui en dépendent et particulièrement en ce qu'il :
- a dit le licenciement de M. [Y] [H] sans cause réelle et sérieuse ;
- l'a condamnée à régler à M. [Y] [H] :
- 1 711,87 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
- 4 980 euros à titre d'indemnité de préavis ;
- 498 euros au titre des congés payés sur préavis ;
- l'a condamnée à régler à M. [Y] [H] la somme de 8 715 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail sans cause réelle et sérieuse et réparation du préjudice subi ;
- dit que la mise à pied est annulée ;
- l'a condamnée à régler à M. [Y] [H] la somme de 1 493,97 euros à titre de salaire ;
- ordonné l'exécution provisoire en vertu de l'article 515 du code de procédure civile ;
- dit que les condamnations de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation du défendeur devant le bureau de conciliation et à compter du jugement pour les condamnations de nature indemnitaire en application des dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil ;
- l'a condamnée à régler à M. [Y] [H] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- l'a déboutée de toutes les autres demandes ;
- l'a condamnée aux entiers dépens qui comprendront les éventuels frais d'huissier;
Statuant à nouveau :
- débouter M. [H] de l'ensemble de ses demandes ;
- ordonner le remboursement des sommes perçues sous astreinte de 100 euros à compter de la notification aux parties ;
- condamner M. [H] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [H] aux entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
La société CVH soutient en substance que les faits invoqués à l'appui du licenciement sont établis et constituent une faute grave.
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M. [H] dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées, transmises au greffe par voie électronique le 24 janvier 2024, ici expressément visées, et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- dire l'appel de la Sarl CVH autant irrecevable que mal fondé ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à l'ensemble de ses demandes ;
- le recevoir cependant en sa demande reconventionnelle s'agissant des dommages et intérêts, et porter ceux-ci à la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi, en y ajoutant une somme de 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et injustifiée, ainsi qu'une somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [H] conteste en substance les griefs qui lui sont opposés et considère que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 23 septembre 2020 qui fixe les limites du litige est ainsi motivée :
« Vous avez été embauché le 20 décembre 2017 et occupez le poste de coordination et à ce titre avez une mission de développement.
Or, nous sommes confrontés à votre comportement déloyal de l'exécution de votre contrat:
Vous affirmez auprès de vos collègues que l'avenir de la société est compromis et tentez de nuire à l'image de la société. Vous n'hésitez pas à écrire à vos collègues que la direction a une analyse « claire et lucide » sous le ton de l'ironie, ceci caractérisant votre manque de respect total face à la hiérarchie. Vous avez reconnu avoir tenu ces propos mais aviez nié le ton employé estimant que vous en aviez seulement discuté avec vos collègues estimant que la direction vous cachait quelque chose.
Dans le cadre d'échanges tant téléphoniques que par mails vous tentez de jeter le discrédit sur la société et créez un climat que vos collègues qualifient de « tension ». Nous ne pouvons tolérer ce comportement.
Le 13 août 2020 vous avez fermé le site de votre propre initiative et sans avoir prévenu la direction. Vous avez reconnu ces faits lors de l'entretien.
Nous vous rappelons que nous avons une mission auprès du ministère de l'intérieur et plus précisément de l'OFII et qu'une telle décision ne peut être prise que par la direction ou son adjoint.
En effet dans le cadre de cette mission nous nous devons d'assurer :
Le pré-accueil des demandeurs d'asile en amont de leur enregistrement en guichet unique (GUDA).
L'accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile non hébergés après leur passage au GUDA.
L'accompagnement individualisé à l'accès aux droits sociaux des réfugiés et des bénéficiaires de la protection subsidiaire lorsqu'ils ne bénéficient d'aucune prise en charge dédiée ou de droit commun.
Vous avez dans un premier temps affirmé que vous n'aviez pas fermé le site et contesté votre avertissement en affirmant « avoir ouvert au public à 9h25 ».
Or, après les échanges avec vos collègues nous avons appris que vous n'aviez ouvert le site qu'à 11h00 alors que vous nous avez affirmé le contraire par mail du même jour.
Vous avez contesté cet horaire mais avez reconnu avoir renvoyé ceux qui attendaient entre 9h et 9h25, soit une trentaine de personnes.
Votre décision de fermeture est fautive mais la persistance avec laquelle vous avez menti l'est encore plus.
Dès lors, nous sommes contraints de constater que nous ne pouvons plus envisager notre collaboration.
Enfin, lors de la restitution de votre ordinateur, le 4 septembre 2020, nous avons constaté que vous réalisiez des traductions pendant votre temps de travail à des fins personnelles.
Tel a notamment été le cas :
- Le 3 août auprès de la gendarmerie à 12h15 alors que vos horaires de travail prévoyaient une fin de poste à 12h30, vous avez reconnu ces faits lors de l'entretien,
- Sur le fichier intitulé 20200811164137774, traduction (faite) pour Mme [J] (soudanaise), créé le 11 août 2020 à 16h47 et le fichier intitulé 20200204091105492, créé le 4 février 2020 à 09h15, alors que ce travail a été réalisé pendant vos horaires de travail, vous nous avez indiqué ne pas avoir de souvenirs mais que c'était possible affirmant que la traduction avait été faite avant sans en rapporter la preuve. Vous avez reconnu vous servir de vos outils de travail à des fins privées.
Ce comportement caractérise l'exécution déloyale de votre contrat de travail dans la mesure où vous utilisez vos fonctions pour réaliser pendant votre temps de travail des traductions à titre privé.
Votre licenciement pour faute grave prend effet immédiatement sans préavis ni indemnités. »
La faute grave privative du droit aux indemnités de rupture est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié au sein de l'entreprise.
La charge de la preuve de la faute grave pèse sur l'employeur. S'il subsiste un doute, celui-ci doit profiter au salarié.
Il convient d'analyser les différents griefs allégués.
Sur le comportement déloyal
Au soutien de ce grief, la société CVH produit un mail envoyé par M. [H] à ses collègues de travail le 26 août 2020 et dans lequel, selon elle, il n'hésite pas à faire preuve d'un comportement répréhensible en discréditant ses supérieurs hiérarchiques. Elle estime que ce comportement constitue un manque de respect et de loyauté et ne saurait être toléré dans la mesure où cela nuit à son bon fonctionnement.
Le mail du 26 août 2020, adressé par M. [H] à quatre salariés, est ainsi libellé : « chère équipe bonjour. Si l'un de vos proches cherche un boulot pour quelques mois voici une annonce surprise (suit un lien internet). Mais ce que je ne comprends pas c'est que d'après la direction, mon poste n'est plus nécessaire puisque « toute l'équipe s'est très bien débrouillée sans responsable de site! » Je vous laisse le soin de deviner l'auteur de ce genre d'analyse clairvoyante et lucide! »
Si ce mail laisse entrevoir une certain dépit de M. [H] à l'égard de la direction, il ne comporte cependant pas de termes irrespectueux ou déloyaux, et n'est pas de nature à caractériser une volonté de nuire à l'image de la société ou à son bon fonctionnement. En outre, les parties ne précisent pas dans quel contexte ce mail a été envoyé.
Enfin, la société CVH ne justifie d'aucun élément relatif au climat de tension que les propos de M. [H] auraient créé au sein de l'équipe.
Partant, ce grief n'est pas constitué.
Sur les faits du 13 août 2020
La société CVH soutient que non seulement M. [H] a fermé le site d'[Localité 4] le 13 août 2020 de 9h à 11h, sans autorisation, sans avoir prévenu la direction et sans raison alors que des permanences devaient avoir lieu ce jour-là, mais encore qu'il a menti sur l'heure de sa réouverture en prétendant avoir rouvert à 9h30. Elle observe qu'il a reconnu les faits lors de l'entretien préalable.
Elle fait valoir que le mail qu'elle lui a adressé le jour même ne constitue pas un avertissement, mais tend à retracer les événements de ce jour. Elle observe que ce message fait en outre état d'autres sujets ce qui démontre, selon elle, qu'il ne s'agit pas d'une sanction.
Elle sollicite enfin le rejet des débats des témoignages communiqués par le salarié en ce qu'ils sont non conformes aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile et rédigés dans des termes identiques par des personnes ne maîtrisant pas le français.
M. [H] affirme s'être trouvé en difficulté le 13 août 2020 à 9h compte tenu de l'absence de Mme [B] suspectée d'être cas-contact d'une personne atteinte de Covid et du retard de Mme [S], au vu du nombre de personnes en attente devant le local. Il indique avoir rouvert le site dès l'arrivée de Mme [S] à 9h30, soit avec une demi-heure de retard, ce qui selon lui ne constitue pas une faute grave dans des circonstances de force majeure du fait de la crise sanitaire. Il observe en outre avoir déjà été averti pour ces faits.
A titre liminaire, il convient de rappeler qu'en matière prud'homale, la preuve est libre et il appartient au juge d'apprécier la valeur probante des éléments qui lui sont soumis.
Aux termes de l'article L.1331-1du code du travail, constitue une sanction disciplinaire toute mesure, autre que des observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.
Il est constant qu'un même fait fautif ne peut être sanctionné deux fois.
Le mail adressé à M. [H] par la directrice, Mme [X] le 13 août 2020 à 10h34 a pour objet : 'avertissement suite situation de ce jour'.
Son contenu est ainsi libellé : « vous m'avez informée de votre décision de fermeture de notre site d'[Localité 4] à cause du retard de [K] ([S]). Je vous confirme par la présente que cette décision, sans m'en informer, était inadmissible. En aucun cas un site de CVH ne saurait être fermé à l'accueil du public sans que la direction ne soit préalablement consultée. Il me revient en tant que chef d'établissement, ou en mon absence à mon adjoint, de décider de la fermeture de nos sites. Vous ne sauriez prendre une nouvelle fois cette décision sans me consulter préalablement. (...) »
Par mail du 13 août 2020 à 14h51, M. [H] a contesté 'cet avertissement', auquel Mme [X] a répondu à 15h07 en ces termes : 'concernant votre avertissement, c'est vous-même qui m'avez déclaré ce matin avoir fermé le site d'[Localité 4] d'où cette mesure ; il ne vous appartient pas (en) aval de votre hiérarchie de prendre une telle décision'.
Si le message initial de Mme [X] comporte certes d'autres informations, force est de constater que tant son objet expressément qualifié d'avertissement, que la teneur de ses propos caractérisent une sanction, laquelle a été confirmée sans ambiguïté par le second mail de cette dernière un peu plus tard dans la journée.
Il s'en déduit que M. [H] a fait l'objet d'une sanction disciplinaire pour avoir fermé le site d'[Localité 4] d'initiative le 13 août 2020, et il ne peut être sanctionné deux fois pour ces mêmes faits par application de la règle non bis in idem.
Pour autant, la lettre de licenciement lui reproche également d'avoir menti sur l'heure de réouverture du site. Ces faits ne sont pas sanctionnés par l'avertissement précité.
M. [H] indique avoir rouvert l'établissement à 9h30, alors que la société CVH prétend qu'il est resté fermé jusqu'à 11h.
La société CVH communique à cet égard le compte rendu de l'entretien préalable ainsi qu'un témoignage de Mme [S], salariée, qui atteste que la réouverture a eu lieu 'vers 11h ou 11h30".
Il sera d'ores et déjà précisé que le compte-rendu d'entretien préalable est rédigé par l'employeur et qu'il n'est signé ni par ce dernier, ni par le salarié, ce qui lui enlève toute valeur probante.
M. [H] verse pour sa part un mail du 13 août 2020 adressé à Mme [X] à 9h29, lui indiquant : « [K] est exceptionnellement arrivée en retard à 9h25 ce matin. Seul face à une trentaine de personnes prévues ce matin, j'ai reporté les rdv des premiers arrivants à mardi prochain; Nous rouvrons à présent. »
Il produit en outre, quatre attestations de bénéficiaires :
- M. [D] indique s'être rendu à la permanence de CVH 'le jeudi 13 août 2020 vers 10h00" ;
- M. [N] indique être venu le même jour 'à 9h45" ;
- M. [G] indique s'être rendu 'à la permanence de CVH le jeudi 13 août 2020 vers 10h30 (...) C'est M. [H] qui m'a reçu et m'a donné tous les renseignements' ;
- M. [P] [A] indique s'être rendu 'à la permanence de CVH jeudi matin du 13 août '2021" et c'est [Y] [H] qui m'a ouvert la porte et m'a reçu pour répondre à les questions un peu avant 10h'.
Ces témoignages sont tous accompagnés d'une pièce d'identité de leur auteur, et ils ne sont pas rédigés de manière identique. La cour considère dès lors qu'ils ont valeur probante quand bien même M. [D], M. [N] et M. [G] ne reproduisent pas manuscritement l'article 441-7 du code pénal.
Il ressort des attestations produites par les parties qu'un doute subsiste quant à l'heure de réouverture du site d'[Localité 4], et partant quant au fait que M. [H] aurait menti à ce sujet, lequel doute doit profiter au salarié.
Au vu de ces développements, il ne sera pas tenu compte du grief relatif aux faits du 13 août 2020.
Sur la réalisation de traductions à des fins personnelles pendant le temps de travail
La société CVH fait valoir que M. [H] a réalisé des traductions à des fins personnelles durant son temps de travail, ce dont elle s'est aperçue lors de la restitution de ses outils professionnels dans le cadre de sa mise à pied à titre conservatoire. Elle précise que le matériel mis à disposition des salariés est restreint à un usage purement professionnel, que M. [H] a reconnu les faits, et que ces traductions n'étaient pas directement utiles à son exercice professionnel dans la mesure où elles concernaient des actions qui ne relèvent pas des missions d'accompagnement qui lui sont confiées.
Elle souligne que ces éléments ne sont pas isolés, l'un des bénéficiaires de la société, M. [O] [F], ayant attesté que dans le cadre de sa demande d'asile, M. [H] lui a proposé de traduire ses documents contre paiement, et avoir eu recours à ses services moyennant le paiement de 60 euros.
M. [H] fait valoir que non seulement, ces traductions n'ont pas été réalisées pendant son temps de travail, mais encore, qu'elles était intimement liées à l'activité qui était la sienne au sein de la société CVH, puisqu'il a été recruté notamment en raison du fait qu'il parlait couramment arabe. Il souligne être inscrit sur la liste des experts en langue arabe près la cour d'appel d'Angers, que certains bénéficiaires avaient besoin de documents traduits par un expert assermenté, et que pour leur rendre service, il a réalisé des traductions chez lui en les facturant à un prix moindre que le prix usuel, leur faisant ainsi gagner du temps et de l'argent.
La société CVH communique le règlement intérieur et une fiche signée par M. [H] le 16 juillet 2018 desquels il ressort que le matériel qui lui est confié, notamment informatique, est exclusivement à usage professionnel.
Elle produit en outre des traductions d'actes d'état civil (pièces 11 et 12), que M. [H] ne conteste pas avoir réalisées, son cachet d'expert étant d'ailleurs apposé sur ces documents. Ils ne sont cependant pas horodatés et l'employeur n'apporte aucun élément permettant de considérer que ces traductions ont pu être effectuées durant son temps de travail.
Elle se prévaut ensuite du compte-rendu d'entretien préalable dont il a été vu qu'il n'avait pas de valeur probante, étant précisé en outre qu'il y apparaît que M. [H] «affirme que la traduction a été réalisée hors temps de travail».
Enfin, elle communique un témoignage de M. [O] [F] qui indique qu'après que M. [H] lui ait proposé de traduire ses documents moyennant paiement, il s'est présenté dans ce but dans les locaux de CVH le 24 septembre 2019, il lui a donné 60 euros en espèces, puis ce dernier lui a remis les documents traduits. Pour autant, ce témoin ne précise pas la date de remise des documents traduits, et il ne peut être déduit de cette attestation que la traduction a été réalisée immédiatement, soit pendant le temps de travail, étant précisé que M. [H] est par ailleurs inscrit depuis 2018 sur la liste des experts en langue arabe agréés par la cour d'appel d'Angers.
Partant, ce grief n'est pas matériellement établi.
Aucun grief n'ayant été retenu par la cour, le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur les conséquences financières du licenciement sans cause réelle et sérieuse
1. Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
La société CVH observe que l'article L.1235-3 du code du travail prévoit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un salarié ayant 2 ans d'ancienneté, une indemnisation comprise entre 3 et 3,5 mois de salaire, et non de 4 mois. Elle ajoute que M. [H] n'apporte aucun élément relatif au préjudice qu'il dit avoir subi du fait de la perte de son emploi.
M. [H] insiste sur la brutalité du licenciement et son caractère injustifié soulignant que sa situation professionnelle est restée difficile depuis son licenciement, connaissant des périodes d'activité par intermittence.
Selon l'article L.1235-3 du code du travail, le salarié peut prétendre, pour une ancienneté de deux ans, à une indemnité dont le montant est compris entre 3 et 3,5 mois de salaire.
L'ancienneté du salarié s'apprécie au jour où l'employeur envoie la lettre recommandée de licenciement, date à laquelle se situe la rupture du contrat de travail . (Soc 26 septembre 2006, n° 05-43841)
M. [H] avait 2 ans d'ancienneté et il était âgé de 42 ans au moment de son licenciement. S'il justifie d'une situation de chômage à partir du 1er janvier 2023, il ne donne aucun élément sur la période immédiatement postérieure à son licenciement. Compte tenu d'un salaire mensuel de 2 490 euros brut, la cour est en mesure d'évaluer son préjudice à la somme de 8 715 euros qui lui sera attribuée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement est confirmé de ce chef.
2. Sur les créances de nature salariale
En l'absence de contestation par la société CVH à titre subsidiaire des montants accordés par les premiers juges au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de l'indemnité de licenciement et du rappel de salaire sur mise à pied à titre conservatoire, le jugement est confirmé de ces chefs.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
M. [H] soutient qu'il n'a jamais véritablement douté qu'il lui serait donné raison par le conseil de prud'hommes tant les motifs de son licenciement étaient infondés. Il estime que le fait que la société CVH ait tenté de résister en première instance pouvait lui paraître justifié mais qu'elle maintienne inutilement ce contentieux en cause d'appel lui paraît totalement incompréhensible et ne s'explique à ses yeux que par la volonté de lui nuire.
Si en application de l'article 559 du code de procédure civile, celui qui interjette appel de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile et des dommages et intérêts, en l'espèce, il n'est pas démontré que la société CVH se soit rendue coupable d'abus dans son usage de son droit d'interjeter appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Angers.
En effet, le fait que celle-ci soit déboutée de ses prétentions ne suffit pas, à lui seul, à caractériser cet abus.
Partant, M. [H] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts présentée à ce titre.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
Il est équitable de condamner la société CVH à verser à M. [H] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
La société CVH, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Angers le 9 septembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
DEBOUTE M. [Y] [H] de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
CONDAMNE la Sarl Compétence et Valorisation de l'Humain à payer à M. [Y] [H] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;
DEBOUTE la Sarl Compétence et Valorisation de l'Humain de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE la Sarl Compétence et Valorisation de l'Humain aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Clarisse PORTMANN