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18/04/2024 | FRANCE | N°21/00346

France | France, Cour d'appel d'Angers, Chambre prud'homale, 18 avril 2024, 21/00346


COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale











ARRÊT N°



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00346 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3BO.



Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 20 Mai 2021, enregistrée sous le n° F 20/00172





ARRÊT DU 18 Avril 2024





APPELANTE :



S.N.C. HUTCHINSON

[Adresse 2]

[Localité 4]





représentée par Me Chr

istophe BORÉ de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE - N° du dossier 200353





INTIME :



Monsieur [N] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]





représenté par M. [E], délégué syndical ouvrier






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COUR D'APPEL

d'ANGERS

Chambre Sociale

ARRÊT N°

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00346 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E3BO.

Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 20 Mai 2021, enregistrée sous le n° F 20/00172

ARRÊT DU 18 Avril 2024

APPELANTE :

S.N.C. HUTCHINSON

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Christophe BORÉ de la SELARL A.K.P.R., avocat au barreau de VAL-DE-MARNE - N° du dossier 200353

INTIME :

Monsieur [N] [Z]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par M. [E], délégué syndical ouvrier

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Novembre 2023 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme CHAMBEAUD, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Président : Mme Clarisse PORTMANN

Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS

Conseiller : Mme Rose CHAMBEAUD

Greffier lors des débats : Mme Viviane BODIN

ARRÊT :

prononcé le 18 Avril 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*******

FAITS ET PROCÉDURE

La société en nom collectif (SNC) Hutchinson est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de pièces de caoutchouc pour les activités aéronautiques, automobiles et industrielles. Elle dispose d'un établissement de production situé à [Localité 5] (72). Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective des entreprises du caoutchouc.

M. [N] [Z] a été engagé par la société Hutchinson sur le site de [Localité 5] dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée du 1er septembre 2008 en qualité d'agent de production Niveau I, Echelon 13, coefficient 150, en contrepartie d'une rémunération mensuelle brute de 1 400 euros à laquelle s'ajoute un 13ème mois, M. [N] [Z] travaillant en équipe selon l'organisation du travail applicable dans la société.

Le 30 juin 1999, un accord sur la réduction et l'organisation du temps de travail a été signé au sein de l'établissement de [Localité 5] de la société Hutchinson dans le cadre de la loi 98-461 du 13 juin 1998 d'orientation et d'incitation à la réduction du temps de travail. Cet accord est entré en application le 1er décembre 1999. Cet accord a notamment fixé le temps de travail effectif moyen des salariés travaillant en équipe de production à 30,19 heures par semaine, le temps de présence moyen étant quant à lui fixé à 30,50 heures par semaine. Il prévoyait également, pour le personnel bénéficiant de la réduction du temps de travail, le maintien des rémunérations et le calcul de celles-ci sur une base mensuelle lissée.

M. [N] [Z] travaillait 140,41 heures par mois. Jusqu'au mois d'août 2015, ses bulletins de salaire ont comporté deux lignes, la première intitulée IS1 « appointements » et la seconde intitulée IS5 « appointements ARTT ».

Un avenant portant révision de l'accord du 30 juin 1999 et de ses avenants a été signé le 18 mai 2015 par le directeur d'établissement et un seul des trois syndicats représentatifs. Il portait ainsi le travail effectif hebdomadaire à 37 heures pour l'ensemble des salariés postés, en équipe ou de ' journée normale', ramené à 35 heures sur l'année par l'attribution de douze jours de RTT par an. Il comportait aussi des garanties de maintien de salaires nets. Il est entré en application le 1er septembre 2015 et la société Hutchinson a publié une note explicative le 1er octobre 2015.

A compter du 1er septembre 2015, la durée de travail de M. [N] [Z] est passée à 151,67 heures par mois et son bulletin de salaire n'a plus comporté de ligne IS5 « appointements ARTT », mais la seule ligne IS1 « appointements » ainsi que, notamment, une seconde ligne BEU isolant et rémunérant les temps de repas.

Les modalités d'application de cet avenant ont été contestées par les syndicats lesquels ont considéré qu'il revenait à réduire le taux horaire brut des salariés postés. En parallèle, l'inspection du travail sollicitée pour donner un avis, a confirmé une diminution de la rémunération liée à une baisse du taux horaire et a précisé que cette modification substantielle du temps de travail devait requérir l'accord préalable du salarié.

Plusieurs salariés de la société ont alors engagé des procédures devant le conseil de prud'hommes du Mans aux fins d'obtenir le paiement de rappels de salaire au motif que l'application de l'avenant du 18 mai 2015 avait pour conséquence de réduire le taux horaire brut alors que celui-ci devait prendre en considération les appointements (IS1) et les appointements ARTT (IS5).

Par jugements du 25 juillet 2017, le conseil de prud'hommes du Mans statuant en départage a fait droit à leurs demandes. Il a notamment retenu que les modalités de maintien du salaire en dépit de la réduction du temps de travail opérée par l'accord du 30 juin 1999 n'y étaient pas définies précisément ; que cet accord n'avait pas institué de prime ou d'indemnité différentielle de réduction du temps de travail et que le taux horaire devait être calculé en considération des appointements (IS1) et des appointements ARTT (IS5).

Par arrêt du 20 février 2019, la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par la société Hutchinson à l'encontre de ces jugements rendus en dernier ressort. Elle a considéré qu'au vu de la rédaction de l'article 7.1 de l'accord du 30 juin 1999, le premier juge avait pu légalement justifier sa décision en retenant que cette disposition n'avait pas institué ni une prime ni une indemnité différentielle de réduction du temps de travail.

La société Hutchinson a alors repris les négociations avec les partenaires sociaux et un nouvel avenant à l'accord du 30 juin 1999 a été signé le 23 avril 2019, la totalité des syndicats représentatifs l'ayant approuvé.

Cet avenant qualifié d'interprétatif par les parties signataires précise que l'article 7.1 de l'accord initial prévoyant le maintien des rémunérations et le calcul de celles-ci sur une base mensuelle lissée doit être interprété comme suit : « la différence entre la rémunération versée avant la réduction du temps de travail et celle issue de cette réduction est compensée par une indemnité différentielle de réduction du temps de travail au travers d'une ligne distincte du bulletin de paie intitulée « appointements ARTT ». Cette indemnité différentielle de réduction du temps de travail n'entre pas dans le salaire de base et n'est donc pas prise en compte dans le calcul du taux horaire ».

Le même jour, a été également signé un accord de performance collective intégrant les dispositions de l'accord de réduction du temps de travail du 30 juin 1999 et son avenant du 18 mai 2015 jugées comme faisant entièrement partie du dispositif conventionnel adopté, s'agissant tout spécialement des nouvelles modalités de décompte du temps de travail et de fixation de salaire.

Ce nouvel accord de performance a été porté à la connaissance des salariés dès le 23 mai suivant soit par remise en mains propres contre émargement, soit par lettre recommandée avec accusé de réception. Il leur était ainsi rappelé que sans opposition expresse de leur part, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de cette notification, les stipulations de cet accord de performance collective se substitueraient de plein droit aux clauses contraires et incompatibles de leur contrat de travail.

Par courrier du 28 mai 2019, M. [N] [Z] a avisé la société Hutchinson de son refus de la modification de son contrat de travail consécutivement à l'application de cet accord de performance collective.

Après avoir obtenu l'autorisation de l'inspection du travail suivant décision du 9 septembre 2019 compte tenu du mandat syndical exercé par M. [N] [Z], la société Hutchinson a procédé au licenciement de ce dernier en application de l'article L. 2254-2 du code du travail.

Par requête du 7 juillet 2020, M. [N] [Z] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans aux fins de constater une diminution de son salaire et conséquemment l'abaissement du taux horaire de sa rémunération et d'obtenir la condamnation de la société Hutchinson, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, à lui verser des rappels de salaires, un rappel de salaire au titre du 13ème mois, un rappel d'ancienneté, des dommages et intérêts pour perte de pouvoir d'achat, des dommages et intérêts pour discrimination syndicale et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Hutchinson s'est opposée aux prétentions de M. [Z] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 20 mai 2021, le conseil des prud'hommes a :

- dit que la société Hutchinson n'a pas respecté son engagement de garantir le maintien du salaire mensualisé dont bénéficiait M. [Z] avant l'entrée en application de l'avenant du 18 mai 2015 portant sur la révision de l'accord du 30 juin 1999 relatif à l'organisation du temps de travail au sein de la société Hutchinson et portant le temps de travail hebdomadaire à 35 heures;

- dit que cette non prise en compte provoque une diminution du taux horaire servant de base au calcul de la rémunération et produit les effets d'une modification substantielle du contrat de travail de M. [Z] sans que son consentement ait été recueilli par écrit ;

- dit que M. [Z] a subi un préjudice pour discrimination syndicale sur une période s'étalant à partir de la date de son entretien individuel d'évaluation en mars 2019 et jusqu'à la rupture de son contrat de travail en septembre 2019 ;

- dit que M. [Z] n'est pas rempli de tous ses droits ;

- en conséquence, a condamné la société Hutchinson à payer à M. [Z] les sommes suivantes:

* 6 279,14 € au titre de rappel de salaire,

* 627,91 € au titre des congés afférents,

* 427,80 € au titre de rappel BEU - temps de casse-croûte,

* 1 154,30 € au titre de rappel d'heures travaillées de nuit,

* 627,90 € au titre de rappel du 13e mois,

* 627,90 € au titre de rappel d'ancienneté,

* 1 461,79 euros au titre de dommages-intérêts pour préjudice lié à la perte de son pouvoir d'achat,

* 700 € au titre de dommages-intérêts pour discrimination syndicale,

* 650 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile;

- débouté la société Hutchinson de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [Z] du surplus de ses demandes ;

- condamné la société Hutchinson aux entiers dépens.

La société Hutchinson a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 18 juin 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'elle énonce dans sa déclaration.

Madame [M] [T], défenseur syndical, s'est constituée au soutien des intérêts de M. [Z] par correspondance reçue le 21 juillet 2021 à la présente chambre.

Par acte d'huissier de justice du 16 septembre 2021, la société Hutchinson a fait signifier sa déclaration d'appel et ses conclusions à M. [Z].

Par conclusions reçues au greffe le 27 octobre 2021, la société Hutchinson a sollicité la jonction des dossiers RG 21/346 et RG 21/507 sous le n° RG 21/346 et a demandé de débouter M. [Z] de sa demande visant à voir déclarer nul l'appel.

Par ordonnance du 12 mai 2022, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des dossiers RG 21/346 et RG 21/507 sous le n° RG 21/346 et a rejeté les moyens tirés de la nullité des déclarations d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 novembre 2023 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 28 novembre 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société Hutchinson, dans ses dernières conclusions régulièrement communiquées transmises au greffe le 8 février 2022 par voie électronique, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

- à titre principal, débouter M. [N] [Z] de toutes ses demandes ;

- à titre subsidiaire, débouter M. [N] [Z] de ses demandes de rappel de salaires et accessoires sur la période postérieure au 23 avril 2019, de ses demandes au titre de rappel de prime d'ancienneté et de ses demandes au titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

- déclarer M. [N] [Z] irrecevable en sa demande de dommages-intérêts pour nullité du licenciement ;

- débouter M. [N] [Z] de sa demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale ;

- condamner M. [N] [Z] à lui payer la somme de 1000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [N] [Z] aux entiers dépens de première instance d'appel.

M. [Z], dans ses dernières conclusions, régulièrement communiquées transmises au greffe le 21 décembre 2021 par voie postale, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes du Mans sur les demandes accordées au défendeur hormis les dommages et intérêts accordés au titre de la discrimination syndicale ;

- condamner la société Hutchinson au paiement des sommes suivantes :

* au titre de rappel de salaire : 6 279,14 €,

* au titre du paiement des congés payés : 627,91 €,

* au titre du rappel BEU : 427,80 €,

* au titre des heures de nuit : 1 154,30 €,

* au titre du 13e mois : 627,90 €,

* au titre de l'ancienneté : 627,90 €,

* au titre des dommages-intérêts : 1 461,74 euros,

*au titre de la nullité du licenciement : 26 643,54 €,

* au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 1 000 €,

- condamner la société Hutchinson aux entiers dépens.

MOTIVATION

Sur la qualification de l'avenant du 23 avril 2019

M. [N] [Z] soutient que l'avenant du 18 mai 2005 portant révision de l'accord du 30 juin 1999 a généré une réduction de son taux horaire brut de rémunération. Il prétend qu'il convient de calculer celui-ci en considération de ses appointements IS1 et de ses appointements ARTT IS5, ces derniers ne constituant pas une indemnité différentielle destinée à compenser la réduction de salaire consécutive à celle du temps de travail. Il observe que l'absence de prise en compte dans le calcul de son salaire à compter du 1er septembre 2015 des appointements ARTT IS5 mentionnés sur ses bulletins de salaire jusqu'en août 2015 a entraîné une diminution de son taux horaire. Il s'appuie notamment sur les jugements du conseil de prud'hommes du Mans ayant reconnu comme fondée la demande de rappels de salaire de ses collègues à ce titre, et sur la motivation de l'arrêt de la Cour de cassation du 20 février 2019 ayant rejeté les pourvois formés par la société Hutchinson à l'encontre de ces jugements.

Il fait valoir que l'avenant à l'accord du 30 juin 1999 signé le 23 avril 2019 n'est pas interprétatif, mais modificatif en ce qu'il ajoute une disposition nouvelle à cet accord et ne se borne pas à éclaircir une disposition conventionnelle. Cet avenant, qui vise à contester la décision de la cour de cassation ne peut dès lors, selon lui, avoir d'effet qu'à compter de son entrée en vigueur. Partant, il s'estime bien-fondé dans ses demandes.

La société Hutchinson soutient que la ligne appointements ARTT constitue une indemnité différentielle non expressément prévue par l'accord initial du 30 juin 1999 visant à garantir aux salariés le maintien de leur salaire brut antérieur à la réduction du temps de travail. Elle précise que cette indemnité différentielle, qui ne rémunère pas un temps de travail effectif, ni même un temps de présence, aurait d'ailleurs dû être progressivement supprimée à mesure des augmentations individuelles et collectives accordées au salarié, ce qui a été omis.

Elle estime cependant qu'il ressort de la commune intention des parties comme de l'équilibre de l'accord initial du 30 juin 1999 que les partenaires sociaux ont bien entendu réduire le temps de travail, ce qui entraînait mécaniquement une diminution du salaire puisque le taux horaire n'a pas été augmenté.

Tirant les conséquences de l'arrêt du 20 février 2019 de la Cour de cassation, elle explique avoir réuni les partenaires sociaux afin de clarifier l'accord du 30 juin 1999. Les négociations ont abouti à la signature le 23 avril 2019 par la totalité des syndicats représentatifs, d'un avenant portant interprétation de l'article 7-1 de l'accord du 30 juin 1999 intitulé « rémunérations » lequel posait le principe d'un maintien des salaires sans en préciser les modalités et le régime exact. Elle considère dès lors qu'il ne subsiste plus aucun doute sur le fait que l'accord du 30 juin 1999, lorsqu'il a réduit la durée du travail et mis en place un appointement appelé RTT, a bien institué une indemnité différentielle devant uniquement compenser la perte du salaire du fait de la réduction du temps de travail sans que toutefois cette indemnité soit intégrée au calcul du taux horaire. Elle en conclut que l'avenant du 23 avril 2019 est un avenant purement interprétatif. Elle en déduit donc qu'il a un effet rétroactif et qu'aucun rappel de salaire ni aucune indemnité n'est dû au salarié.

L'avenant d'un accord collectif peut être qualifié d'avenant modificatif ou avenant de révision au sens des articles L.2261-7 et L.2261-8 du code du travail lorsqu'il a pour objet de modifier certaines clauses de l'accord. Lorsqu'il a pour but d'éclairer le contenu de cet accord ou d'expliciter certaines de ses clauses, il est qualifié d'avenant interprétatif.

Ainsi, un accord ne peut être considéré comme interprétatif qu'autant qu'il se limite à clarifier une disposition conventionnelle sans la modifier et à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse. (Cass. Soc 18 mars 2008 n° 07-41.813 ; Cass Soc 4 février 2015, n° 13-18407)

L'avenant interprétatif d'un accord collectif signé par l'ensemble des parties à l'accord initial s'impose avec effet rétroactif à la date en vigueur de ce dernier accord aussi bien à l'employeur et aux salariés qu'au juge qui ne peut en écarter l'application, ce contrairement à l'avenant modificatif qui ne vaut que pour l'avenir.

L'article 7-1 de l'accord collectif du 30 juin 1999 sur la réduction et l'organisation du temps de travail intitulé « REMUNERATION » prévoit que « pour le personnel bénéficiant de la réduction du temps de travail, les rémunérations seront maintenues et calculées sur une base mensuelle lissée ».

Dans son arrêt de rejet du 20 février 2019, la cour de cassation a considéré que « le conseil de prud'hommes qui a retenu que cette disposition [article 7-1 de l'accord du 30 juin 1999] n'instituait ni une prime, ni une indemnité différentielle de réduction du temps de travail, a légalement justifié sa décision ».

L'avenant du 23 avril 2019, signé par l'ensemble des partenaires sociaux signataires de l'accord du 30 juin 1999, indique en préambule : « Les parties au présent avenant ont convenu de se réunir afin de préciser l'interprétation des dispositions de l'article 7-1 issu de l'accord sur la réduction et l'organisation du temps de travail du 30 juin 1999 suite à la décision rendue par la Cour de cassation le 19 (en réalité le 20) février 2019 ».

L'article 1 dudit avenant intitulé 'Interprétation de l'article 7-1" est libellé ainsi :

« L'article 7-1 de l'accord du 30 juin 1999 mentionnant que « Pour le personnel bénéficiant de la réduction du temps de travail, les rémunérations seront maintenues et calculées sur une base mensuelle lissée » doit être interprété comme suit, notamment à la lumière de son avenant du 30 novembre 1999 pris en son article 3 intitulé « bulletin de paie » :

La différence entre la rémunération versée avant réduction du temps de travail et celle issue de cette réduction est compensée par une indemnité différentielle de réduction du temps de travail au travers d'une ligne distincte du bulletin de paie intitulée 'appointements ARTT'.

Cette indemnité différentielle de réduction du temps de travail n'entre pas dans le salaire de base et n'est donc pas prise en compte dans le calcul du taux horaire ».

L'article 3 de l'avenant à l'accord du 30 juin 1999 sur la réduction et l'organisation du temps de travail concernant les secteurs maintenance et outillage en date du 30 novembre 1999 intitulé « Bulletin de paye » visé par l'article 1 de l'avenant du 30 avril 2019 est rédigé comme suit : « Afin de garantir, à conditions de travail et emploi inchangées, un niveau de rémunération équivalent à celui atteint avant la mise en 'uvre de la réduction du temps de travail base 169 h pour un temps plein, la ligne appointement figurant sur le bulletin de paye sera modifié en fonction du nouvel horaire lié à la réduction du temps de travail. La différence par rapport à la rémunération globale actuelle apparaîtra sur une ligne particulière intitulée « appointements ARTT » ».

Tout d'abord, il sera souligné que l'avenant du 30 novembre 1999 auquel la société Hutchinson se réfère pour déduire que la commune intention des parties était de prévoir une indemnité différentielle ne concerne que les secteurs maintenance et outillage et est donc inapplicable à M. [N] [Z] qui relève du secteur production.

Ensuite, il apparaît clairement que l'article 7-1 précité de l'accord initial sur la réduction et l'organisation du temps du travail 30 juin 1999 a instauré au profit des seuls salariés visés en son article 2 intitulé « Champ d'application » - à savoir les agents de production, les agents professionnels, les employés, les techniciens, les agents de maîtrise - un droit au maintien de leur salaire sans en préciser les modalités de mise en 'uvre lesquelles en toute hypothèse ne peuvent aboutir à une remise en cause de ce droit.

Dès lors, il ne peut être déduit de l'accord du 30 juin 1999 la commune intention des parties d'une part, de compenser la différence entre la rémunération versée avant la réduction du temps de travail et celle issue de cette réduction par une indemnité différentielle de réduction du temps de travail au travers d'une ligne distincte du bulletin de paie intitulée « appointements ARTT » et, d'autre part, que cette indemnité différentielle de réduction du temps de travail n'entre pas dans le salaire de base et n'est donc pas prise en compte dans le calcul du taux horaire. En effet, aucune stipulation de l'accord initial du 30 juin 1999 ne prévoit ni ne fait référence à une telle indemnité. A cet égard, il sera noté que la société Hutchinson reconnaît elle-même dans ses conclusions que l'accord initial du 30 juin 1999 portant sur la réduction du temps de travail n'a pas expressément prévu cette indemnité différentielle (page 12).

Par ailleurs, les bulletins de salaire établis par la société Hutchinson ne prévoient le paiement d'aucune indemnité différentielle, les deux postes de rémunération étant qualifiés d'appointements, seule la précision 'appointements ARTT' étant apportée pour le second poste. Or, dans l'hypothèse où l'entreprise fait le choix d'un complément différentiel, la circulaire du 3 mars 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail prévoit que cette mention doit figurer sur le bulletin de salaire. Tel n'a donc pas été le cas.

Enfin, l'intention exprimée des parties était de modifier la base mensuelle du calcul du salaire, ce qui implique mathématiquement une augmentation du taux horaire applicable lorsque le temps de travail était supérieur.

Par conséquent, en prévoyant une clause qualifiant les 'appointements ARTT' d'indemnité différentielle de réduction du temps de travail, et en prévoyant que 'cette indemnité différentielle de réduction du temps de travail n'entre pas dans le salaire de base et n'est donc pas prise en compte dans le calcul du taux horaire', l'avenant du 23 avril 2019 ne s'est pas borné à éclaircir une disposition conventionnelle, mais a innové en ajoutant une disposition nouvelle à l'accord du 30 juin 1999 qui n'avait pas fait ce choix. Partant, il n'a pas valeur interprétative et n'a pris effet qu'à compter de son entrée en vigueur, soit à compter de mai 2019.

Sur les demandes

1 ' Sur le rappel de salaire, les congés payés afférents, le rappel d'indemnité de repas, le rappel d'heures travaillées la nuit, le rappel du 13ème mois

Ces demandes s'appuient toutes sur la revalorisation du taux horaire brut de M. [N] [Z] à compter de l'entrée en vigueur de l'avenant du 18 mai 2015, soit le 1er septembre 2015.

Il ressort des bulletins de salaire que le taux horaire brut du mois de septembre 2015 de 10,05 euros, calculé en divisant les 'appointements' inscrits en ligne IS1 par le nombre d'heures travaillées, est inférieur au taux horaire brut du mois d'août 2015 de 11,59 calculé en divisant les 'appointements' inscrits en ligne IS1 et les 'appointements ARTT' inscrits en ligne IS5 par le nombre d'heures travaillées ce mois-ci. Par conséquent, M. [N] [Z] est fondé à solliciter un rappel de salaire, les congés payés afférents, le rappel de l'indemnité de repas, le rappel des heures travaillées la nuit, le rappel du 13ème mois et le rappel d'ancienneté sur la période non prescrite du 7 juillet 2017 - étant rappelé qu'il a saisi le conseil de prud'hommes le 7 juillet 2020 - au 24 mai 2019 en application des dispositions de l'accord du 23 avril 2019.

Ainsi, il résulte des pièces produites, que la société Hutchinson est redevable d'un rappel de salaire d'un montant de 6 279,14 euros, des congés payés afférents de 627,91 euros, d'un rappel de l'indemnité de repas d'un montant de 427,80 euros, d'un rappel des heures travaillées la nuit d'un montant de 1154,30 euros, d'un rappel du 13ème mois d'un montant de 627,90 euros.

Le jugement sera confirmé de ces chefs de demande.

2 ' Sur le rappel d'ancienneté

M. [N] [Z] prétend à la revalorisation des rappels de salaire précités en pourcentage de son taux horaire brut, calculé en retenant son taux horaire du mois d'août 2015 et son taux horaire de septembre 2015.

Pour autant, il ne s'explique pas sur le fondement de cette demande et ne communique aucune pièce en justifiant. Il doit par conséquent en être débouté.

Le jugement est infirmé de ce chef.

3 ' Sur la demande de dommages et intérêts

M. [Z] affirme avoir subi pour le passé et l'avenir une perte de pouvoir d'achat ainsi qu'une perte en matière de couverture sociale, notamment en matière de retraite de base et complémentaire.

La société Hutchinson fait valoir qu'il ne communique aucun élément justifiant du préjudice allégué, qu'il n'a de fait subi aucun, et que cette demande a manifestement pour but de compenser les sommes qu'il ne peut réclamer par l'effet de la prescription.

M. [N] [Z] ne communique aucun élément justifiant d'un quelconque préjudice, étant précisé que pour le passé, le fait qu'il ait été fait droit à ses demandes salariales entraîne pour l'employeur l'obligation de régulariser les cotisations afférentes aux organismes concernés, et pour l'avenir, l'application d'un accord d'entreprise s'impose à tous et n'est pas susceptible de générer un préjudice.

Il doit par conséquent être débouté de sa demande de dommages et intérêts.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la nullité du licenciement pour discrimination syndicale

La société Hutchinson conclut à l'irrecevabilité de la demande de nullité du licenciement pour discrimination syndicale faisant valoir qu'il s'agit d'une demande formulée pour la première fois en cause d'appel.

M. [N] [Z] ne développe aucun moyen.

En première instance M. [N] [Z] a sollicité une somme de 98 885 euros à titre de dommages et intérêts pour des faits de discrimination syndicale dont il s'estime victime. En cause d'appel, il demande désormais à la cour de lui allouer une somme de 26 643,54 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité de son licenciement à raison de faits de discrimination syndicale dont il se prétend victime.

La cour constate que la demande de nullité de son licenciement pour des faits de discrimination syndicale, laquelle s'analyse en une demande ayant trait à la rupture de son contrat de travail, n'a pas été soumise aux premiers juges lesquels étaient saisis de demandes ayant trait à l'exécution du contrat de travail.

S'agissant d'une demande nouvelle formulée pour la première fois en cause d'appel, elle sera déclarée irrecevable.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [N] [Z]. Il lui sera alloué la somme de 650 euros pour ses frais irrépétibles en cause d'appel.

La société Hutchinson qui succombe à l'instance sera condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant contradictoirement, publiquement par mise à disposition au greffe,

DECLARE irrecevable la demande de nullité du licenciement pour discrimination syndicale ;

CONFIRME le jugement rendu 20 mai 2021 par le conseil de prud'hommes du Mans sauf en ce qu'il a condamné la société en nom collectif Hutchinson, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. [N] [Z] la somme de 627,90 euros au titre du rappel d'ancienneté et la somme de 1 461,79 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice lié à la perte de son pouvoir d'achat ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DEBOUTE M. [N] [Z] de sa demande au titre du rappel d'ancienneté et de sa demande à titre de dommages et intérêts pour préjudice lié à la perte de son pouvoir d'achat ;

CONDAMNE la société en nom collectif Hutchinson à payer à M. [N] [Z] la somme de SIX CENT CINQUANTE (650) EUROS sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

DEBOUTE la société en nom collectif Hutchinson de sa demande d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

CONDAMNE la société en nom collectif Hutchinson aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

Viviane BODIN Clarisse PORTMANN


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel d'Angers
Formation : Chambre prud'homale
Numéro d'arrêt : 21/00346
Date de la décision : 18/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 29/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-18;21.00346 ?
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