COUR D'APPEL
D'ANGERS
CHAMBRE A - CIVILE
YW/ILAF
ARRET N°:
AFFAIRE N° RG 21/02428 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E5HI
jugement du 19 Octobre 2021
Juge des contentieux de la protection de LAVAL
n° d'inscription au RG de première instance 21/00007
ARRET DU 09 AVRIL 2024
APPELANTE :
S.A. PODELIHA
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me André BELLESSORT de la SCP MAYSONNAVE-BELLESSORT, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier 007193
INTIMEES :
Madame [C] [E]
née le 29 Septembre 1990 à [Localité 6]
[Adresse 5]
[Localité 8]
ASSOCIATION ATMP 53 en sa qualité de curateur de Mme [C] [E]
[Adresse 9]
[Localité 4]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/008823 du 09/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de ANGERS)
Représentées par Me Karine COCHARD, avocat au barreau de LAVAL - N° du dossier 21029
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue publiquement à l'audience du 13 Novembre 2023 à 14 H 00, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. WOLFF, Conseiller qui a été préalablement entendu en son rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame MULLER, conseillère faisant fonction de présidente
M. WOLFF, Conseiller
Mme ELYAHYIOUI, vice-présidente placée
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
Greffière lors du prononcé : Mme GNAKALE
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 09 avril 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Yoann WOLFF, conseiller pour la présidente et par Flora GNAKALE, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
~~~~
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Par contrat sous signature privée du 5 juin 2018, la société F2M, aux droits de laquelle vient aujourd'hui la société Podeliha (la société), société anonyme, a donné en location à Mme [C] [E], placée sous curatelle renforcée de l'Association tutélaire des majeurs protégés 53 (l'ATMP 53), un appartement situé [Adresse 2] à [Localité 4].
Reprochant à Mme [E] d'être à l'origine de troubles anormaux de voisinage et souhaitant obtenir son expulsion, la société l'a fait assigner, ainsi que l'ATMP 53, devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Laval par acte d'huissier de justice du 23 décembre 2020.
Par jugement du 19 octobre 2021, ce juge a :
Rejeté la demande de la société de résiliation du bail, ainsi que ses autres demandes ;
Fait masse des dépens et dit qu'ils seraient partagés par moitié entre les parties.
La société a relevé appel de ce jugement par déclaration du 18 novembre 2021.
L'avis de fixation a été adressé aux parties le 14 septembre 2023.
Dans ses dernières conclusions du 22 septembre 2023, Mme [E] a indiqué, sans être contredite, qu'elle avait déménagé et qu'elle vivait désormais au sein du foyer d'hébergement [7] à [Localité 8] (53).
La clôture de l'instruction a ensuite été prononcée par ordonnance du 11 octobre 2023.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 février 2022, la société demande à la cour :
D'infirmer le jugement ;
De prononcer la résiliation du bail ;
D'ordonner l'expulsion de Mme [E] et de tout occupant de son chef ainsi que de leurs biens ;
De condamner Mme [E] à lui verser une indemnité d'occupation équivalente au loyer mensuel et aux charges actualisés à compter de la délivrance de l'assignation et jusqu'à la libération complète des locaux et la restitution des clés ;
De l'autoriser à expulser Mme [E] et tout occupant de son chef, avec l'appui de la force publique s'il y a lieu et d'un serrurier ;
De dire que la décision à intervenir sera commune et opposable à l'ATMP 53 ;
De rejeter l'ensemble des demandes de Mme [E] ;
De condamner Mme [E] aux dépens de première instance et d'appel et à lui verser la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société soutient que :
C'est à tort que le premier juge a considéré qu'aucun élément du dossier ne permettait d'affirmer que les nuisances avaient perduré après le départ de M.'[U] [B], compagnon de Mme [E], en octobre 2020. Elle est toujours confrontée à des plaintes récurrentes émanant des voisins de Mme'[E]. Elle verse ainsi aux débats un échange de courriels du 2 juin 2021, relatif aux troubles persistants venant du logement de Mme [E] et de son compagnon, toujours présent dans les lieux. Mme [E] ne conteste pas les faits dénoncés, qui ne sont pas isolés mais bien répétés.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 22 septembre 2023, Mme [E], assistée de l'ATMP 53, demande à la cour :
De confirmer le jugement
De dire que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens et de rejeter la demande faite par la société sur le fondement de l'article 700'du code de procédure civile.
Mme [E] soutient que :
Les pièces produites par la société caractérisent plus des faits isolés que des faits répétés, et la société reconnaît elle-même que ce n'est pas elle qui est à l'origine des nuisances, mais des personnes qui abusent d'elle. Elle ne conteste pas que des nuisances ponctuelles aient pu être constatées à son domicile par le passé.
Néanmoins, ces nuisances ont eu lieu alors qu'elle était en couple avec M.'[U] [B] et qu'elle était victime de violences de sa part. Depuis leur séparation, les nuisances ont cessé.
MOTIVATION
Selon l'article 7 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, dans sa rédaction applicable au litige, le locataire est obligé notamment d'user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location.
Il résulte des articles 1224 et 1227 du code civil qu'en cas d'inexécution par le locataire de cette obligation, le bailleur peut demander en justice la résolution du contrat. Celle-ci ne peut néanmoins être prononcée que si l'inexécution est suffisamment grave. Cette gravité s'apprécie au jour où le juge statue.
En l'espèce, le premier juge a retenu :
Que la société se fondait essentiellement sur les attestations d'un seul voisin, dans lesquelles ce n'était pas Mme [E] qui était désignée comme la personne directement à l'origine des troubles, mais ses invités ;
Que s'il apparaissait que des troubles de voisinage avaient effectivement pu être causés par des personnes s'étant introduites au domicile de l'intéressée, ces troubles s'étaient surtout manifestés durant l'année 2019, période où Mme [E] cohabitait avec M. [U] [B], dont elle avait pu être victime de violences et dont elle était désormais séparée ;
Qu'aucun élément du dossier ne permettait d'affirmer que les nuisances avaient perduré après le mois d'octobre 2020.
Cette analyse de la situation mérite d'être approuvée.
En effet, si Mme [E] ne conteste pas que des nuisances ont eu lieu depuis son domicile, M. [S] [Y], principal voisin à s'être plaint, a, dans les sept lettres ou attestations qu'il a rédigées entre le 23 août 2018 et le 27 octobre 2020, successivement mis en cause « Monsieur », « plusieurs personnes [qui] squattent le logement », des « personnes extérieures », « une personne habitant au log 222 au nom de [E] [C] », des « personnes étrangères au bâtiment », « une bande de toxicos », des « squatteurs toxicomane ['] venus s'approprier les lieux », des « personnes extérieures [qui] profitent largement de [la] faiblesse mentale », et ce, tout en précisant : « madame [E] on la voie jamais » (sic).
De la même manière, c'est « le voisin », voire « plusieurs personnes », mais pas Mme [E] qui sont incriminés par M. [X] [D] dans son courriel du 11 juin 2019 et son attestation de septembre 2020, ainsi que par Mme [W] [A].
À cet égard, Mme [E] justifie avoir déposé plainte :
Le 21 février 2019 pour des dégradations qui auraient été commises à son domicile par une personne qui y aurait été introduite par M. [B] alors qu'elle était à son travail ;
Le 22 juin 2019 pour des violences et un vol dont elle aurait été victime chez elle de la part de tiers ;
Le 4 février 2020 pour des vols et des dégradations commises à son domicile par M. [B] lui-même.
Ainsi, le Groupement local d'employeurs d'agents de médiation (le GLEAM) a pu analyser la situation de la manière suivante (pièce n° 25 de la société) : « Selon les agents, c'est [le compagnon de Mme] qui gérerait le trafic de drogue et Mme'serait dépassé [sic] par la situation. Il manipulerait totalement Mme [E] et les agents sont très inquiets de la situation ».
Enfin, comme le premier juge l'a justement relevé, aucun élément probant relatif à des faits précis n'est versé aux débats pour la période postérieure au mois d'octobre 2020. En effet, la société ne produit pour celle-ci qu'un échange de courriels qu'elle a eu avec le GLEAM en juin 2021, et dans lequel celui-ci indique uniquement, de manière non circonstanciée : « Pour nous les faits n'ont jamais cessé ».
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que si des nuisances, dont l'impact sur le voisinage ne saurait être minimisé, sont avérées, seules pouvaient être retenues contre Mme [E], au moment où le premier juge a statué « après plusieurs renvois sollicités par les parties », des nuisances anciennes de plusieurs mois, commises par des tiers occupant le logement de l'intéressée, et dont celle-ci, majeure sous mesure de protection juridique travaillant la journée dans un établissement et service d'accompagnement par le travail, était également victime.
Dans ces conditions, les manquements susceptibles d'être reprochés à Mme'[E] n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier, au jour du jugement, la résiliation du bail. Ils ne le sont pas davantage aujourd'hui.
En conséquence, le jugement sera entièrement confirmé, sauf en ce qui concerne les dépens pour lesquels, tant pour la première instance que l'appel et conformément à la demande de Mme [E], chaque partie conservera les siens.
La société verra sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour :
CONFIRME le jugement, sauf en ce qu'il a fait masse des dépens et dit qu'ils seraient partagés par moitié entre les parties ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens ;
Rejette la demande faite par la société Podeliha sur le fondement de l'article 700'du code de procédure civile.
LA GREFFIERE P/LA PRESIDENTE empêchée
F. GNAKALE Y. WOLFF